Le parquet de Luxembourg tient à rappeler les principales étapes survenues dans ce dossier volumineux et complexe depuis le dépôt de la plainte effectué le 16 juillet 2024 par le Directeur général de la Fondation Caritas Luxembourg (ci-après la Fondation). Cette plainte visait la Directrice financière de la Fondation, soupçonnée d’avoir mis en oeuvre, entre le 9 février 2024 et le jour du dépôt de la plainte, des transferts frauduleux entre autres au préjudice de la Fondation, pour un montant d’environ 61.208.830 €.
Dès le lendemain, une instruction judiciaire a été ouverte, aboutissant le 18 juillet 2024, à l’émission d’un mandat d’arrêt à charge de la Directrice financière de la Fondation, qui semble être à l’origine des transferts frauduleux.
Le juge d’instruction en charge du dossier a confié aux enquêteurs du Service de police judiciaire de la Police grand-ducale (ci-après SPJ) Département économique et financier, l’exécution de nombreux devoirs. Dans une première phase, les locaux de la Fondation ainsi que le domicile de la Directrice financière à l’étranger ont été perquisitionnés sur base d’une décision d’enquête européenne (DEE). De nombreux témoins, essentiellement des employés de la Fondation ont été entendus et la Directrice financière interrogée.
Cette dernière a été inculpée par le juge d’instruction du chef de faux et usage de faux, d’escroquerie, d’abus de confiance, de blanchiment d’argent, de vol domestique et de fraude informatique. Elle a été placée sous contrôle judiciaire à l’issue de sa première comparution.
Plusieurs milliers de transactions concernant les sommes détournées, ont été suivies de près par la Cellule de renseignement financier (ci-après CRF) et analysées en étroite collaboration avec des enquêteurs de la Section Formation, Appui et Méthodologie éco-financière (ci-après FAME).
C’est ainsi, au bout de recherches fastidieuses que l’identité des détenteurs et bénéficiaires effectifs présumés de quatorze comptes espagnols crédités directement et exclusivement par les avoirs détournés au préjudice de la Fondation Caritas a pu être déterminée.
Les personnes physiques identifiées comme bénéficiaires économiques de ces comptes ont toutes été arrêtées en vertu de mandats d’arrêt européens, avec le concours des autorités et des homologues étrangers, notamment de la Bulgarie, du Royaume-Uni et de la France. Du côté luxembourgeois, les actions étaient menées à bien par huit enquêteurs de la Section FAME, épaulés par deux enquêteurs de la cellule FAST (Fugitive Active Search Team - service de recherche de fugitifs), tous du SPJ. Au fur et à mesure de l’avancée de ces opérations, les personnes arrêtées ont été remises au juge d’instruction luxembourgeois qui a procédé à leur inculpation et décerné des mandats de dépôt à leur encontre.
À ce stade de la procédure, plus d’une centaine de messages a été échangée via la plateforme SIENA (secure-information-exchange-network-application), CCPD (Centre de coopération policière et douanière) et INTERPOL, une trentaine de décisions d’enquête européennes et de commissions rogatoires internationales ont été décernées à l’adresse des autorités étrangères de 13 États, 27 ordonnances de perquisition et de saisie ont été émises et 54 ordonnances de saisie de fonds bloqués au Luxembourg et à l’étranger ont été rendues.
La coordination des devoirs d’instruction d’envergure a été rendue possible à l’aide des efforts constants et minutieux de tous les acteurs nationaux et de canaux de collaboration internationaux infaillibles tels qu’Europol, Interpol et Eurojust.
Une fois les nombreuses déclarations des personnes arrêtées recueillies lors de leurs interrogatoires et diverses comparutions devant le juge d’instruction, l’exploitation d’un grand nombre d’outils informatiques et des innombrables informations nouvellement obtenues, a été confiée aux enquêteurs de la Section FAME, assistés ponctuellement par des membres de la Section nouvelles technologies, deux sections du SPJ.
En complément, près de 40 commissions rogatoires internationales, respectivement de demandes d’entraide européennes, ont été décernées par le juge d’instruction en vue de solliciter la collaboration des autorités étrangères.
Il est en effet apparu que les sommes détournées ont été immédiatement virées à partir des 14 comptes espagnols ouverts par les personnes arrêtées. Ces personnes n’avaient probablement aucun contrôle effectif sur les mouvements de ces comptes vers d’autres comptes, que ce soit en Espagne ou dans d’autres juridictions étrangères.
Dans l’absolu, il faut se rendre à l’évidence que la grande majorité des avoirs s’est volatilisée par l’effet de la superposition de plusieurs stratégies de blanchiment de capitaux et d’une cascade de transferts bancaires à travers le globe de sommes de plus en plus insignifiantes, respectivement investies en crypto-monnaies. Le schéma mis en place pour mettre les fonds détournés au préjudice de la Fondation à l’abri des autorités fait penser à un réseau de blanchisseurs professionnels, usant de techniques de constitution de sociétés et d’ouverture de comptes bancaires, essentiellement par des hommes de paille issus de milieux défavorisés et faiblement rémunérés.
Un tel réseau est susceptible de proposer ses services à un ou plusieurs fraudeurs désireux de dissimuler leurs gains illicites aux autorités de poursuite. Ces services comportent une panoplie de modes de blanchiment.
Ainsi, la trace des fonds détournés se perd au fur et à mesure des opérations, notamment en raison de la fongibilité des sommes d’argent.
Les faibles sommes détournées retracées par l’instruction ont été bloquées, dans un premier temps par la CRF et ses homologues étrangers concernés, puis saisies sur ordre du juge d’instruction. Les saisies dans les autres juridictions ne peuvent s’opérer que par le biais d‘un certificat de gel (à l’intérieur de l’Union européenne), respectivement au moyen d’une commission rogatoire internationale à l’adresse des autorités judiciaires concernées.
Le rapatriement de ces fonds peut s’avérer techniquement très compliqué et risque de ne pouvoir se faire qu’à l’issue de la procédure d’instruction, sinon au moment d’un éventuel procès au fond.
Fin juin 2025, le parquet de Luxembourg a approché certains hommes de paille toujours détenus en vue de l’établissement d’un accord, tel que prévu au Code de procédure pénale. Ainsi, deux de ces personnes ont reconnu leur culpabilité et ont accepté la sanction proposée par le parquet. Ils ont été condamnés, par jugements du 15 juillet 2025, chacun à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont 15 mois avec sursis, une amende de 3.000 € et la confiscation de leur téléphone portable a été décidée.
L’instruction se poursuit sous la direction du juge d’instruction.