Arrêt de la Cour de Cassation dans le cadre de l'affaire dite "Luxair"

La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg, formée conformément à la loi du 7 mars 1980 sur l'organisation judiciaire, a rendu en son audience publique du jeudi, vingt et un mai deux mille quinze, 

l’arrêt qui suit : 

E n t r e :

 

X, demeurant à L-…, 

demandeur en cassation, 

comparant par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 

 et : 

 

1) A, pensionnée, demeurant à D-(…), agissant tant en son nom personnel qu’en tant qu’héritière de feu son époux HK en vertu d’un acte de reprise d’instance de l’action civile formée initialement par ce dernier, notifié le 15 novembre 2011, 

2) B, fondé de pouvoir, demeurant à D-(…), agissant en tant qu’héritier de feu HK en vertu d’un acte de reprise d’instance de l’action civile formée initialement par ce dernier, notifié le 15 novembre 2011, 

3) C, employée privée, demeurant à D-(…), veuve de feu MK, agissant en tant que représentante et administratrice légale de leur fille commune mineure (…), elle-même héritière de feu HK, en vertu d’un acte de reprise d’instance de l’action civile formée initialement par ce dernier, notifié le 1er décembre 2011, 

4) D, pensionnée, demeurant à D-(…), 

5) E, employé commercial, demeurant à D-(…), 

6) F , pensionnée, demeurant à D-(…), 

7) G, juriste, demeurant à D-(…), 

8) H , ingénieur diplômé, demeurant à D-(…), 

défendeurs en cassation, 

comparant par Maître Dieter GROZINGER DE ROSNAY, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 

en présence du Ministère public 

et de 

 

1) I, le (…) à Luxembourg,  demeurant à L-(…), 

2) J, née le (…) à Luxembourg, demeurant à L-(…), 

3) K, né le (…) à Luxembourg, demeurant à L-(…), 

4) L, née le (…) à Luxembourg, demeurant à L-(…), 

les parties sub 2) à 4) prises en leur qualité d’héritiers de LM, décédé le 8 octobre 2012, en vertu de deux actes de reprise d’instance des actions civiles intentées contre feu LM, 

5) M, né le (…) à Esch-sur-Alzette, demeurant à L-(…),    

parties jointes. 

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LA   COUR   DE   CASSATION : 

Vu l’arrêt attaqué rendu le 21 janvier 2014 sous le numéro 44/14 V. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ; 

Vu le pourvoi en cassation au civil déclaré le 21 février 2014 par Maître Sébastien COÏ en remplacement de Maître Georges PIERRET pour et au nom de X au greffe de la Cour supérieure de justice ; 

Vu le mémoire en cassation signifié le 19 mars 2014 par X à A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, déposé le 21 mars 2014 par Maître Georges PIERRET pour et au nom de X au greffe de la Cour ; 

Vu le mémoire en réponse signifié le 17 avril 2014 par A, B, C, D, E, F, G et H à X, déposé le 18 avril 2014 par Maître Dieter GROZINGER DE ROSNAY pour et au nom de  A, B, C, D, E, F, G et H au greffe de la Cour ; 

Sur le rapport du conseiller Romain LUDOVICY et les conclusions du procureur général d’Etat adjoint Georges WIVENES ; 

Sur les faits : 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, chambre correctionnelle, s’était déclaré incompétent «ratione materiae» pour connaître des demandes civiles introduites par les héritiers et ayants droit des personnes décédées lors de l’accident causé le 6 novembre 2002 par l’écrasement au sol de l’avion de marque Fokker contre des employés, donc des préposés, du transporteur aérien LUXAIR, prévenus du chef d’homicide involontaire et de coups et blessures involontaires, au motif que les dispositions de la Convention de Varsovie pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international du 12 octobre 1929, modifiée par le Protocole de La Haye du 28 septembre 1955, s’opposent à la compétence du tribunal correctionnel pour statuer sur les demandes civiles en indemnisation des victimes ; que sur appel au civil, la Cour d’appel, réformant, s’est, par un arrêt du 29 janvier 2013, déclarée compétente pour connaître des demandes civiles et, par un arrêt du 21 janvier 2014, a fixé les montants indemnitaires ; 

Sur les trois moyens de cassation réunis : 

tirés, le premier, « de la violation ou de la fausse application de la loi, sinon du refus de l'application de la loi, en l'espèce de l'article 29, alinéa 1er, de la Convention Internationale pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie, telle que modifiée, et approuvée par la loi du 25 juillet 1949 (ci-après << la Convention de Varsovie >> ou la << Convention >>), combiné si besoin avec les articles 1199, 1202, 2242, 2244, 2249, 2252 et 2257 du Code civil, 

en ce que l'arrêt attaqué, après avoir retenu que l'action civile en responsabilité exercée par les demandeurs au civil était régie par les règles et conditions de la Convention de Varsovie, et que, eu égard à l'intention d'uniformisation législative en la matière clairement visée par la Convention, l'action en responsabilité, visée à l'article 24 de la Convention, inclut tant l'action contre le transporteur aérien que contre ses préposés, 

et après avoir relevé que le fait qu'un courant contraire de certaines juridictions étrangères ait admis que le délai de déchéance de l'article 29 de la Convention de Varsovie était un délai de prescription, susceptible d'être suspendu ou interrompu, il devait approuver les juridictions luxembourgeoises qui, se prévalant tant des termes et du but poursuivi par la Convention, ainsi que de l'intention des Etats contractants d'uniformiser le système de responsabilité du transporteur aérien, ont, à l'instar de nombreuses juridictions étrangères, considéré que le délai inscrit à l'article 29 de la Convention est un << délai de déchéance à caractère préfix >>, 

a néanmoins écarté le moyen des défendeurs au civil et actuels demandeurs en cassation tiré de l'irrecevabilité pour cause de forclusion, sinon de prescription de l'action en responsabilité des demandeurs au civil résultant de l'article 29, alinéa 1er,  de la Convention de Varsovie, au motif, s'appliquant d'ailleurs également à tous les demandeurs au civil visés par ledit moyen d'irrecevabilité, 

qu'<< en considérant le respect d'équité dans l'appréciation du délai de déchéance au regard des éléments propres de la Convention de Varsovie, qui vise à assurer une sécurité juridique au niveau international et dont le but recherché, découlant notamment de la combinaison des articles 17 et 24, consiste à ce que le transporteur ait connaissance sans équivoque et dans un délai rapproché de l'accident aérien de son obligation à réparation, on peut retenir que lorsque l'action en responsabilité du transporteur aérien ou de ses préposés a été introduite dans le délai de deux ans, la connaissance des obligations engendrées par l'accident aérien est acquise et toutes autres actions sont recevables (Cass. Civ. 1ère, 7 mars 2000, Bull. civ. I, n° 85 ; Cass. civ. 18 juin 1996 n° 265) >>, et que, par voie de conséquence, l'action civile de l'une des parties civiles, mise en œuvre << dans les délais de l'article 29 de la Convention de Varsovie, qui est à considérer comme une demande tendant à la mise en cause de la responsabilité du transporteur par air >>, profitait aux autres parties civiles, actuels défendeurs en cassation, 

alors que 

première branche, 

dans la mesure où l'arrêt considérait que tant l'interprétation des termes de l'article 29 << sous peine de déchéance >> que l'intention d'uniformisation législative des Etats contractants à la Convention de Varsovie et le contexte général de celle-ci devaient dicter que le délai de l'article 29, alinéa 1er, était un délai préfix non-susceptible d'interruption et de suspension, il ne pouvait pas, sans violer ce même texte, faire bénéficier les actions civiles des demandeurs au civil, actuels défendeurs en cassation, formées hors délai, de l'effet interruptif, voire suspensif, de la constitution de partie civile formée endéans le délai biennal par le demandeur au civil JM en date du 18 juin 2004, et que, 

deuxième branche,  

subsidiaire par rapport à la première, l'arrêt, dans la mesure où il a fait profiter les demandeurs au civil et actuels défendeurs en cassation de l'effet interruptif de la demande du demandeur au civil JM déposée entre les mains du juge d'instruction en date du 18 juin 2004, soit endéans le délai biennal, reconnaissant ainsi le principe de l'interruption, voire de la suspension, de la forclusion, voire de la prescription, à d'autres dettes que celles visées par l'acte interruptif de JM, sans pour autant justifier que le délai biennal instauré par l'article 29 ne pouvait être interrompu, voire suspendu, que sur le fondement d'une obligation solidaire ou indivisible entre tous les demandeurs au civil, actuels défendeurs en cassation, et les défendeurs au civil, actuels demandeurs en cassation, a violé les textes visés au moyen » ; 

le deuxième, « de la violation ou de la fausse application de la loi, en l'espèce de l'article 29 de la Convention de Varsovie, ensemble l'article 61 du Nouveau code de procédure civile au titre duquel le juge doit trancher les litiges conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, 

en ce que l'arrêt attaqué, après avoir relevé que << les juridictions luxembourgeoises, à l'instar de nombreuses juridictions étrangères ont considéré que le délai inscrit à l'article 29 de la Convention est un délai de déchéance préfix insusceptible d'interruption ou de suspension >> et que cette solution est fondée << tant par ses termes que par le but poursuivi >> et après avoir expressément affirmé << partager l'interprétation de l'article 29 de la Convention selon laquelle le délai d'action de l'article 29 est un délai de déchéance à caractère préfix >>, a néanmoins ajouté que << dans le cadre de l'appréciation du délai déchéance, il doit être tenu compte de l'équité qui vise à retarder l'extinction de l'action au bénéfice de la personne qui veut exercer ses droits ou prérogatives et les intérêts de la personne à l'encontre de laquelle le droit ou les prérogatives sont exercés >> pour en déduire qu'<< en considérant le respect dans l'appréciation du délai de déchéance au regard des éléments propres de la Convention de Varsovie, qui vise à assurer une sécurité juridique au niveau international et dont le but recherché, [...], consiste à ce que le transporteur ait connaissance sans équivoque et dans un délai rapproché de l'accident aérien de son obligation à réparation, on peut retenir que lorsque l'action a été introduite dans le délai de deux ans [par l'une des parties civiles], la connaissance des obligations engendrées par l'accident aérien est acquise et toutes autres actions sont recevables >>, 

alors que l'équité n'est pas une source de droit autorisant le juge à ne pas statuer conformément aux règles de droit applicables, en l'espèce l'article 29 de la Convention de Varsovie, dont il a d'ailleurs été expressément admis par l'arrêt attaqué qu'il édictait un « délai de déchéance à caractère préfix », ce dont il résulte que l'arrêt d'appel a violé les textes susvisés » ; 

le troisième, « du manque de base légale 

en ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le délai biennal de l'article 29 de la Convention de Varsovie était un << délai de déchéance à caractère préfix >> a néanmoins considéré, sur le fondement d'une appréciation en << équité >> et sur le fondement d'une référence à deux arrêts de la Cour de cassation française, qu'<< au regard des éléments propres de la Convention de Varsovie, qui vise à assurer une sécurité juridique au niveau international et dont le but recherché, [...], consiste à ce que le transporteur ait connaissance sans équivoque et dans un délai rapproché de l'accident aérien de son obligation à réparation, on peut retenir que lorsque l'action a été introduite dans le délai de deux ans [par l'une des parties civiles], la connaissance des obligations engendrées par l'accident aérien est acquise et toutes autres actions sont recevables >> et que << la mise en oeuvre de l'action en responsabilité par l'action civile de JM dans le délai de l'article 29 de la Convention de Varsovie >> devait bénéficier aux autres parties civiles constituées hors délai, 

alors que 

première branche,  

une telle motivation par référence à l'équité et à la jurisprudence française est insuffisante pour justifier légalement la solution de l'arrêt attaqué, et que 

deuxième branche, 

l'arrêt d'appel ne pouvait pas, sans préciser autrement le fondement juridique de sa solution, en particulier sans énoncer qu'il existait une solidarité active ou une indivisibilité active justifiant l'extension de l'effet interruptif de la constitution de partie civile de JM aux autres parties civiles constituées en dehors du délai biennal de forclusion, statuer comme il l'a fait » ; 

ainsi que sur le moyen, pris en sa première branche, du mémoire en réponse tendant au rejet des moyens de cassation par substitution de motifs, qui est préalable : 

tiré « de la violation ou la fausse application de la loi, en l'espèce de l'article 29 alinéa 1 de la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929, dite Convention de Varsovie, combiné avec l'article 25 A de la Convention de Varsovie et avec les règles d'interprétation des traités posées par la Convention de Vienne sur le droit des traités, signée à Vienne le 23 mai 1969, 

en ce que l'arrêt d'appel a retenu, dans ses motifs, que l'action en responsabilité dirigée contre le préposé du transporteur aérien était de la même nature que celle intentée contre le transporteur aérien et obéissait aux mêmes règles, notamment aux mêmes règles de délai, 

alors que, première branche, 

dans la mesure où l'article 25 A de la Convention de Varsovie renvoie, de manière expresse et exclusive, au seul article 22 de ladite Convention traitant des limites de responsabilité, à l'exclusion de l'article 29 de la même Convention traitant quant à lui du délai pour agir en responsabilité, la Cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 25 A et 29 susvisés et partant basé son arrêt sur un motif inadapté » ; 

Attendu qu’il résulte tant de l’agencement des dispositions de la Convention de Varsovie, telle que modifiée par le Protocole de La Haye et telle qu’elle était applicable au Grand-Duché de Luxembourg au moment de l’accident du 6 novembre 2002, que des termes mêmes de l’article 25 A, que la Convention a créé en ses articles 17, 18 et 19 à charge du transporteur aérien une action basée sur une présomption de responsabilité, qu’au vœu de l’article 24, cette action ne peut être exercée, du chef des causes énoncées auxdits articles, à quelque titre que ce soit, que dans les conditions et limites prévues par la Convention, que l’article 25 A, inséré dans la Convention par le Protocole de La Haye du 28 septembre 1955, permet au préposé du transporteur, s’il est actionné en justice, de se prévaloir de la seule limite de responsabilité prévue à l’article 22, à l’exclusion des autres conditions régissant l’action instituée à charge du transporteur lui-même, et notamment celle du délai de déchéance biennal prévu à l’article 29 ; 

Qu’il s’ensuit que les actions civiles des défendeurs en cassation, nées ex delicto, dans la mesure où c’est le dommage découlant des infractions retenues à charge des prévenus qui constitue leur fondement,  tel que la Cour d’appel l’a retenu à propos de sa compétence dans son arrêt du 29 janvier 2013, et exercées conformément aux dispositions des articles 2 et 3 du Code d’instruction criminelle, tel que la Cour l’a répété dans l’arrêt entrepris du 21 janvier 2014, sont recevables pour avoir été introduites dans le délai de prescription de droit commun de 30 ans ; 

Que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux, erronés, des juges d’appel, la décision déférée se trouve légalement justifiée ; 

Que les trois moyens de cassation ne peuvent partant être accueillis ; 

Par ces motifs : 

rejette le pourvoi ; 

condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 51,25 euros.      

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt et un mai deux mille quinze, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de : 

Georges SANTER, président de la Cour,

Edmée CONZEMIUS, conseiller à la Cour de cassation,

Irène FOLSCHEID, conseiller à la Cour de cassation,

Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation,

Valérie HOFFMANN, conseiller à la Cour d’appel, 

 

          qui ont signé le présent arrêt avec le greffier Viviane PROBST.

 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER, en présence de Madame Simone FLAMMANG, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.

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