Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 35722C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 janvier 2015 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame ... ..., premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi, demeurant à L-…, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 5 décembre 2014 (nos. 31195a, 31447a et 32394 du rôle), l’ayant déboutée de ses recours en réformation, sinon en annulation dirigés respectivement contre un arrêté grand-ducal du 21 juillet 2012 l’ayant nommée premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi pour une période de 7 ans à partir du 1er septembre 2012, contre un arrêté grand-ducal du 7 août 2012 nommant Monsieur ... ... directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi à partir du 1er septembre 2012, et contre un arrêté grand-ducal du 6 avril 2013 portant nomination de Madame ... ... à la fonction de directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Martine LISÉ, demeurant à Luxembourg, du 22 janvier 2015, portant signification de cette requête d’appel à Monsieur ... ..., demeurant à L-…, et à Madame ... ..., demeurant à L-…;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 13 février 2015 par Maître André LUTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d’Etat, établi à L-1352 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 11 mars 2015 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de la partie appelante;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 9 avril 2015 par Maître André LUTGEN au nom de l’Etat grand-ducal;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Jean-Marie BAULER et André LUTGEN en leurs plaidoiries à l’audience publique du 28 avril 2015.
Par arrêté grand-ducal du 28 juillet 2000, Madame ... ..., fonctionnaire de l’Etat, fut nommée directrice de l’Administration de l’emploi, actuellement dénommée Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désigné par «ADEM». Par arrêté grand-ducal du 21 juillet 2012, elle fut nommée premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi. Par arrêté grand-ducal du 7 août 2012, Monsieur ... ... fut nommé directeur de l’ADEM et suite à la démission de celui-ci, Madame ... ... en fut nommée directrice par arrêté grand-ducal du 6 avril 2013.
Par requêtes déposées au greffe du tribunal administratif respectivement les 9 août 2012, 19 septembre 2012 et 29 avril 2013, Madame ... fit introduire des recours en réformation, sinon en annulation contre l’arrêté grand-ducal précité du 21 juillet 2012 l’ayant nommée premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi, contre l’arrêté grand-ducal précité du 7 août 2012 portant nomination de Monsieur ... directeur de l’ADEM et contre l’arrêté grand-ducal précité du 6 avril 2013 portant nomination de Madame ... directrice de l’ADEM.
Par jugement du 18 décembre 2013, le tribunal joignit les deux premiers recours, se déclara incompétent pour connaître des recours principaux en réformation et reçut les recours subsidiaires en annulation en la forme. Le tribunal déclara par ailleurs le moyen fondé sur une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, communément appelée procédure administrative non contentieuse, ci-après désigné par «PANC», non fondé et, afin de trancher le moyen basé sur l’article 9 de la PANC, ordonna l’audition d’un témoin afin de clarifier dans quelle mesure la demanderesse avait été informée des éléments de fait et de droit sur lesquels la décision déférée était susceptible d’être basée et quelles possibilités lui avaient été concédées afin d’y prendre position. Le tribunal joignit encore, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le recours tendant à réformer sinon annuler l’arrêté de nomination de Madame ... comme directrice de l’ADEM aux deux premiers recours.
Par rapport au moyen selon lequel la décision violerait l’article 9 de la PANC, le tribunal considéra que les formalités y prévues ne sont pas une fin en soi et qu’il importe qu’un réel dialogue ait eu lieu entre l’administration et l’intéressé ou ait été proposé à ce dernier et qu’il ait été engagé dans le respect des droits de la défense, ceci impliquant, notamment, que l’administré ait eu la possibilité de présenter ses arguments après un délai de réflexion, qui, en principe, est de 8 jours après que les éléments de fait et de droit amenant l’administration à agir, lui ont été communiqués. Tout en concédant que dans le cas du litige dont il était saisi, la formalité de communication, par lettre recommandée, des éléments de fait et de droit qui avaient amené le ministre à agir, n’avait pas été respectée, le tribunal estima que cette omission n’était pas forcément de nature à vicier la procédure engagée, sous réserve que le fond du droit, c’est-à-dire un dialogue réel eût été engagé ou eût du moins été proposé. A cet égard, il tira du témoignage de Monsieur ... , présent lors de l’entretien décisif entre le ministre et Madame ... du 14 juin 2012, que le ministre avait non seulement informé celle-ci de son intention de nommer une nouvelle direction au sein de l’ADEM et qu’elle n’en ferait plus partie, mais qu’ils avaient discuté de plusieurs dossiers concrets pour lesquels le ministre manifestait son mécontentement par rapport à la manière dont ils avaient été traités. Il ajouta qu’il ressortait par ailleurs de la déposition du même témoin que le ministre avait proposé à Madame ... de la nommer au poste de premier conseiller de gouvernement au sein du ministère du Travail et de l’Emploi, mais qu’il était ouvert à toute suggestion ou réflexion à ce sujet quant à ses futures attributions. Le tribunal en conclut que Madame ... qui, en tant que directrice de l’ADEM, avait nécessairement connaissance des différents rapports critiques qui avaient été rédigés sur le fonctionnement du marché de l’emploi au Luxembourg et plus particulièrement sur le fonctionnement et l’organisation de l’ADEM, avait été suffisamment renseignée, lors de cette réunion, des éléments de fait et de droit sur lesquels le ministre entendait se baser pour prendre la décision litigieuse, à savoir celle de la nommer au poste de premier conseiller de gouvernement au sein du ministère du Travail et de l’Emploi. Relevant encore que dans la mesure où le ministre s’était montré disponible pour discuter des nouvelles attributions de Madame ... , le tribunal conclut que le dialogue engagé et proposé par le ministre satisfaisait par ailleurs à l’optique de open end inhérente au mécanisme prévu par l’article 9 de la PANC. Soulignant qu’il était certes exact que le ministre avait pris la décision que Madame ... ne ferait plus partie de l’équipe de l’ADEM avant l’entretien du 14 juin 2012, de sorte à la mettre devant un fait accompli, le tribunal n’estima pas moins qu’avant cette réunion, le ministre avait à plusieurs reprises exprimé à son égard son mécontentement sur la manière dont plusieurs dossiers avaient été traités au sein de l’ADEM, de sorte que les problèmes auxquels cette institution faisait face ne lui avaient pas seulement été dévoilés lors de la réunion du 14 juin 2012, mais lui étaient connus, étant donné qu’elle était la destinatrice directe des différents rapports invoqués par l’Etat. Le tribunal conclut de ces considérations que les droits de Madame ... découlant de l’article 9 de la PANC n’avaient pas été violés.
Le tribunal rejeta par ailleurs le moyen de Madame ... tiré de ce que sa nomination au poste de premier conseiller de gouvernement au sein du ministère du Travail et de l’Emploi serait à qualifier de changement d’affectation, de sorte que l’autorité compétente pour prendre la décision déférée aurait été le chef de l’administration et non le Grand-Duc, auteur de la nomination, en retenant qu’il s’agissait en l’occurrence d’un changement de fonction.
Au moyen que la décision incriminée procéderait d’une erreur manifeste d’appréciation et serait disproportionnée, voire constituerait une sanction disciplinaire déguisée, le tribunal retint que dans la mesure où le marché du travail revêt pour toute économie une importance capitale, le poste du directeur de l’ADEM est à qualifier de poste clé dans l’organisation politique, de sorte que le gouvernement dispose d’un choix discrétionnaire, indépendamment de toutes questions de rang et de grade, basé sur la seule confiance et l’identité de vues entre le directeur de l’ADEM et le gouvernement et que, réciproquement, une fois que le pouvoir politique n’a plus cette confiance, il a le droit de se séparer du haut fonctionnaire ayant revêtu ce poste, le statut de fonctionnaire de celui-ci lui garantissant cependant qu’il conserve son grade et son traitement, sauf le cas d’une infraction disciplinaire à sanctionner selon les règles applicables en matière de disciplinaire des fonctionnaires de l’Etat. Il estima qu’eu égard, d’une part, au souhait du ministre de poursuivre la réforme de l’ADEM avec une équipe nouvelle, traduisant une perte de confiance à l’égard de Madame ... et, d’autre part, à la circonstance que la nouvelle nomination n’entraînait pour celle-ci ni perte de rang ni de rémunération, la décision déférée n’était pas à qualifier de sanction disciplinaire déguisée.
Le tribunal débouta partant Madame ... de son recours dirigé contre sa nomination au poste de 1er conseiller de gouvernement avec charge des dépens. Eu égard au sort du premier recours, le tribunal rejeta pareillement les deux autres recours dirigés contre les nominations successives au poste de directeurs de l’ADEM, en son remplacement, de Monsieur ... et de Madame ... .
Par requête déposée le 15 janvier 2015, Madame ... a régulièrement relevé appel du jugement du 5 décembre 2014.
Au fond, il y a d’abord lieu de constater que c’est à bon droit que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître des recours en réformation introduits à titre principal, aucun texte de loi ne prévoyant un recours au fond en la matière, et qu’il a accueilli en la forme les recours en annulation introduits en ordre subsidiaire.
Madame ... conclut d’abord à la violation de la loi du 9 décembre 2005 déterminant les conditions et modalités de nomination de certains fonctionnaires occupant des fonctions dirigeantes dans les administrations et services de l’Etat en faisant valoir que la loi en question prévoit, pour les fonctionnaires auxquels elle s’applique, c'est-à-dire ceux nommés après son entrée en vigueur – elle-même ayant été nommée en 2000, c'est-à-dire avant son entrée en vigueur – des nominations à des fonctions dirigeantes pour une durée limitée – quitte à ce qu’elles soient renouvelables, de sept ans, et a contrario, aucune autre interprétation ne donnant à son avis un sens, pour ceux auxquels elle ne s’applique pas, le maintien du droit commun, à savoir une nomination à vie (elle ajoute entre parenthèses « durée indéterminée») sauf révocation ou déplacement dans le cadre d’une affaire disciplinaire. Elle estime dès lors avoir conservé sa fonction dirigeante, quitte à ce qu’elle ait été affectée à un autre emploi. Si elle avait été démise de ses fonctions sous-entendu dirigeantes, la raison ne saurait en être que disciplinaire. Aucune telle procédure n’ayant été entamée, mais le résultat étant une sanction disciplinaire, le jugement serait à annuler et, dans sa foulée, les décisions critiquées du ministre. Elle ajoute un raisonnement qu’elle qualifie de subsidiaire en précisant qu’au cas où il serait accepté qu’elle a en réalité fait l’objet d’un changement d’affectation, la décision afférente a été prise par l’autorité incompétente, à savoir le Grand-Duc, alors que les changements d’affectation relèvent de la seule compétence du chef d’administration.
La Cour estime, de concert avec le tribunal, que la loi précitée du 9 décembre 2005 introduit des dispositions dérogatoires dans la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, en abrégé «le statut général», et que pour les fonctionnaires qui, comme Madame ... , ne relèvent pas de son champ d’application, c’est le droit commun constitué par le statut général qui est applicable. L’article 6 dudit statut prévoit respectivement en ses paragraphes 2 et 3 que le fonctionnaire peut faire l’objet d’un changement d’affectation ou de fonction qui peuvent intervenir l’un et l’autre d’office dans l’intérêt du service. Un tel changement, qui ne prive l’agent pas de la qualité de fonctionnaire, ne porte partant pas atteinte à la nomination du fonctionnaire pour toute la période de sa vie active jusqu’à l’âge de la retraite.
La Cour rejoint encore le tribunal en ce que celui-ci a retenu que Madame ... a fait l’objet d’un changement de fonction, ses nouvelles attributions différant de manière substantielle de son ancienne fonction, la première fonction consistant dans la direction d’une administration disposant d’une certaine autonomie et la seconde à épauler le ministre dans la direction du ministère du Travail et de l’Emploi, actuellement du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire. L’argument que la nouvelle nomination la priverait de sa fonction dirigeante ne saurait être accueilli, la fonction afférente, dont le titulaire est membre du gouvernement, constituant également une fonction dirigeante.
La marge d’appréciation de l’autorité de nomination pour retenir l’intérêt du service, condition qui doit être remplie pour rendre régulière la décision de changement de fonction, est tributaire de la mission concrète de l’agent et elle est d’autant plus large que l’agent est chargé de mettre en œuvre une vraie politique gouvernementale pour laquelle les décideurs politiques doivent pouvoir avoir une relation de confiance avec l’agent en question.
L’appréciation du respect, par le pouvoir de nomination, de la condition de l’intérêt du service pour asseoir sa décision de décider un changement de fonction concernant Madame ... , relevant du fond du litige, il y a lieu d’examiner au préalable les moyens tirés du non-respect de la procédure ayant conduit à opérer le changement de fonction critiqué.
L’argument tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 2, du statut général, en ce que la vacance du poste successivement occupé par Monsieur ... et Madame ... n’aurait pas été portée à la connaissance des intéressés par la voie appropriée, est à écarter en tant qu’il n’a pas été développé autrement et que, pour le surplus, est produit par Madame ... qui, faisant l’objet de la mesure consistant à la priver du poste de directeur de l’ADEM, ne pouvait pas, en toute occurrence, poser sa candidature pour se succéder à elle-même.
Madame ... se prévaut encore de la violation de l’article 9 de la PANC en réitérant son argumentation selon laquelle elle n’avait pas bénéficié du délai y prévu pour prendre position par rapport à l’intention du ministre de la démettre de sa fonction de directrice de l’ADEM.
L’Etat répond que la disposition en question doit être interprétée au vu de sa finalité. Il insiste que Madame ... avait été informée tant sur les nouvelles orientations de l’ADEM que sur le souhait de l’Etat d’impulser ces nouvelles orientations avec une nouvelle équipe dont elle ne ferait plus partie lors d’une réunion et qu’elle était dès lors en situation d’y présenter sa défense. L’arrêté de nomination au poste de premier conseiller de gouvernement n’étant intervenu que le 21 juillet 2012, soit plus d’un mois après la date de l’entrevue litigieuse, elle aurait eu largement le temps de faire part de ses observations mais elle n’en aurait pas profité, préférant partir en vacances dès le 16 juin 2012. Il insiste sur ce que les formalités procédurales de l’article 9 de la PANC ne constituent pas une fin en soi, mais consacrent des garanties visant à ménager à l’administré une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, de sorte que dans l’hypothèse où cette finalité est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales prévues afin de permettre d’atteindre cette finalité devient sans objet. Le ministre ayant opté pour un échange de vive voix avec Madame ... le 14 juin 2012, allant au-delà des exigences de la disposition invoquée, elle y aurait pu présenter utilement sa défense.
Aux termes de l’article 9 de la PANC, « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. […] »
La finalité essentielle de cette disposition est d’éviter de provoquer la surprise de l’administré en le mettant devant le fait accompli en lui ménageant un délai d’au moins huit jours entre l’annonce d’une décision envisagée et la date de prise de celle-ci dans le but de lui permettre de présenter ses arguments et d’éviter, le cas échéant, que la décision pressentie soit prise.
En l’espèce, il se dégage tant des propres écrits de l’Etat que de la déposition du témoin entendu en première instance que lors de la réunion du 14 juin 2012, le ministre informa Madame ... de ce qu’il avait décidé de nommer une nouvelle direction au sein de l’ADEM et qu’elle n’en ferait pas partie. Elle serait nommée premier conseiller de gouvernement au sein du ministère du Travail et de l’Emploi. Il ne se dégage d’aucune pièce et l’Etat ne le prétend d’ailleurs pas, que la réunion en question eût été précédée d’une autre réunion dans laquelle le ministre aurait informé Madame ... de son intention de la démettre de sa fonction de directrice de l’ADEM en lui donnant un délai pour réagir. S’il ressort par ailleurs de la déposition du témoin que d’autres réunions avaient eu lieu auparavant au cours desquelles le ministre avait exprimé son insatisfaction concernant le travail de Madame ... , il ne s’en dégage pas qu’il lui eût fait connaître son intention de la démettre de son poste de directrice de l’ADEM. Si le témoin a encore déclaré que le ministre avait précisé, lors de l’entretien du 14 juin 2012, qu’il était ouvert à toute suggestion ou réflexion de Madame ... quant à ses futures attributions, il ne se dégage pas de sa déclaration, ni d’un quelconque autre élément du dossier, qu’il lui eût imparti un délai pour prendre position. Il n’est en revanche pas contesté que le 20 juin 2014, soit 6 jours après la réunion du 14 juin 2012, la presse annonça que le ministre avait trouvé un successeur de Madame ... à la tête de l’ADEM.
Il faut en tirer que même si l’on peut considérer qu’il a été suppléé à l’omission d’informer Madame ... des intentions du ministre par lettre recommandée, ainsi que l’exige pourtant l’article 9 de la PANC, par sa convocation directe à un entretien au sujet de son remplacement à la direction de l’ADEM, la manière de procéder a constitué pour Madame ... une surprise à laquelle elle n’a pas eu le temps nécessaire pour réagir. S’il est peut-être vrai qu’elle était au courant, en raison de précédents entretiens avec le ministre, que celui-ci était mécontent de son travail, il ne se dégage d’aucun élément du dossier qu’il eût exprimé son intention, au cours de ces précédents entretiens, de la relever de sa fonction de directrice de l’ADEM. Elle a donc appris, en l’état du dossier tel qu’il se présente devant la Cour, les projets du ministre à l’occasion de l’entretien du 14 juin 2012 et elle n’a pas disposé, à partir de cette date, d’un délai de 8 jours pour présenter ses observations. Elle a en revanche dû prendre position immédiatement et, au-delà de l’indication vague que le ministre était ouvert à toute suggestion ou réflexion de Madame ... quant à sa future affectation – ce qui impliquait que la décision de la désaffecter de son poste de directrice de l’ADEM était d’ores et déjà prise – aucun délai ne lui fut accordé pour contester la décision à prendre quant à sa légalité voire son opportunité. Le fait que la décision ne fût matérialisée que par un arrêté grand-ducal du 21 juillet 2012 n’est d’aucune pertinence à cet égard, dès lors que la décision afférente avait été rendue publique dès le 20 juin 2012.
La Cour ne saurait suivre le raisonnement du tribunal qui a constaté, d’une part, de manière explicite que le ministre avait mis Madame ... devant un fait accompli, mais a estimé, d’autre part, que les dispositions de l’article 9 de la PANC n’avaient pas été violées puisque celle-ci avait été mise au courant, lors de réunions antérieures, de l’insatisfaction du ministre avec son travail et de ce que le ministre était disposé à discuter ultérieurement de ses nouvelles attributions au sein du ministère du Travail et de l’Emploi. Or, pour satisfaire aux exigences de la disposition en question, les réunions antérieures auraient dû identifier clairement la mesure envisagée, à savoir le remplacement de Madame ... à la tête de l’ADEM, et la disponibilité affichée par le ministre de s’engager dans une discussion ultérieure aurait dû porter, non sur les attributions de Madame ... au sein du ministère du Travail et de l’Emploi, mais sur la question de savoir si elle pouvait rester ou non directrice de l’ADEM.
Une garantie essentielle des droits de l’administré, à savoir de ne pas être pris par surprise en cas de décision affectant ses droits et de pouvoir disposer d’un délai utile pour présenter ses observations préalablement à la prise de la décision envisagée, ayant été violée lors de la procédure tendant à nommer Madame ... premier conseiller de gouvernement, entraînant sa démission de la fonction de directrice de l’ADEM, cette procédure est à considérer comme viciée et comme devant entraîner l’annulation de la décision prise à l’issue de cette procédure.
Il y a partant lieu d’annuler l’arrêté grand-ducal du 21 juillet 2012 portant nomination de Madame ... comme premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi pour une période de sept ans à partir du 1er septembre 2012.
Cette annulation a pour effet que Madame ... recouvre la qualité de directrice de l’ADEM.
Par voie de conséquence, les nominations successives de Monsieur ... et de Madame ... au poste de directeur de l’ADEM sont affectées.
Le juge administratif étant tout autant le garant de la stabilité et de la sécurité juridiques que de la protection des droits de l’administré face à l’administration, il doit, dans la mesure du possible, tenter de concilier ces deux impératifs.
Dans le cas d’espèce, une annulation qui rétroagirait au jour de la prise de la décision viciée, à savoir au 21 juillet 2012, porterait préjudice aux décisions prises et aux situations créées par les directeurs ayant succédé à Madame ... à la tête de l’ADEM, risquant de créer des torts à la fois à l’institution de l’ADEM et aux administrés, résultat d’autant plus préjudiciable que la situation provisoire a perduré presque trois ans. De plus, une telle annulation prenant effet au jour de la décision critiquée ne présenterait pas de réels avantages pour l’intéressée elle-même dont la situation patrimoniale n’a guère été affectée pendant l’intervalle, qui a conservé un rang élevé dans la fonction publique et dont les propres décisions prises en sa qualité de premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi, seraient touchées.
La Cour est partant amenée à ne conférer à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 21 juillet 2012 qu’un effet à partir du prononcé de son arrêt. Encore que cette mesure déroge aux effets ordinaires d’une annulation qui agit en principe rétroactivement, elle n’amène pas le juge administratif à statuer illégalement ultra petita, mais à rester infra petita puisqu’il limite les effets qu’il pourrait en principe conférer à sa décision.
C’est la conciliation entre les deux impératifs de la protection des droits des administrés et de la stabilité des situations juridiques qui amène en l’espèce la Cour à prendre cette mesure exceptionnelle.
L’effet limité de l’annulation à prononcer aura pour conséquence que la nomination de Monsieur ... comme directeur de l’ADEM n’est pas affectée puisqu’il a démissionné avant la prise d’effet du présent arrêt. Le recours en annulation dirigé contre sa nomination à la tête de l’ADEM est partant à déclarer sans objet.
En revanche, par l’effet de l’annulation de la nomination de Madame ... comme premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi, celle-ci récupérera son ancienne fonction de directrice de l’ADEM à partir du prononcé de l’arrêt, ce qui aura comme conséquence qu’à partir de cette date, la nomination à cette fonction de l’actuelle directrice, Madame ... , sera nulle et non avenue. Dans cette mesure, le recours en annulation dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 6 avril 2013 portant nomination de celle-ci à la tête de l’ADEM est à déclarer justifié.
La demande de Madame ... en allocation d’une indemnité de procédure est à déclarer non justifiée, les conditions de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, auquel renvoie l’article 54 de la même loi, n’étant pas remplies.
Par ces motifs,
la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties,
reçoit l'appel en la forme,
au fond, le déclare partiellement justifié,
partant, par réformation du premier jugement, annule l’arrêté grand-ducal du 21 juillet 2012 portant nomination de Madame ... comme premier conseiller de gouvernement au ministère du Travail et de l’Emploi ainsi que l’arrêté grand-ducal du 6 avril 2013 portant nomination de Madame ... comme directrice de l’Agence pour le développement de l’emploi,
dit que ces annulations prennent effet au jour du prononcé du présent arrêt,
déclare sans objet le recours en réformation, sinon en annulation, dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 7 août 2012 portant nomination de Monsieur ... comme directeur de ladite agence,
condamne l'Etat aux dépens des deux instances,
déboute l’appelante de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure.
Ainsi délibéré et jugé par :
Georges Ravarani, président,
Serge Schroeder, premier conseiller,
Lynn Spielmann, conseiller,
et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en-tête, en présence de la greffière de la Cour Anne-Marie Wiltzius.
s. Wiltzius s. Ravarani