Jugement commercial 2025TALCH02/00738
Audience publique du vendredi, deux mai deux mille vingt-cinq
Numéro du rôle : TAL-2025-02378 |
Liquidation n°14927/2025 |
Composition:
Anick WOLFF, 1ère vice-présidente ;
Tania CARDOSO, 1er juge ;
Franca ALLEGRA, juge-déléguée ;
Paul BRACHMOND, greffier.
Entre :
Madame PERSONNE1.), épouse PERSONNE1.), salariée, née le DATE1.), demeurant à F-ADRESSE1.) ;
élisant domicile en l'étude de la société à responsabilité limitée DLA Piper Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE2.), inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro NUMERO1.), représentée par Maître Olivier REISCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,
demanderesse par opposition, comparant par Maître Carole RHEIN, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, en remplacement de Maître Olivier REISCH, avocat à la Cour, susdit, représentant la société DLA Piper Luxembourg aux fins de la présente procédure,
et :
1. L’établissement public Commissariat aux Assurances, en abrégé CAA, établi à L-ADRESSE3.), représenté par sa direction actuellement en fonctions, inscrit au registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro NUMERO2.) ;
défendeur sur opposition, comparant par Madame PERSONNE2.), Monsieur PERSONNE3.), Monsieur PERSONNE4.) et Monsieur PERSONNE5.), munis d’un mandat spécial.
2. La société anonyme SOCIETE1.) SA, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE4.), inscrite au Registre de commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro NUMERO3.), déclarée en état de liquidation par jugement rendu le 31 janvier 2025 par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, représentée par son liquidateur Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant à Gonderange ;
défenderesse sur opposition, défaillante,
3. Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant à Gonderange, pris en sa qualité de liquidateur de SOCIETE1.) préqualifiée;
défendeur sur opposition, comparant en personne,
4. Monsieur le Procureur d’Etat de Luxembourg, près le le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, ayant ses bureaux à L-2080 Luxembourg, Bâtiment PL, Cité judiciaire, Plateau du Saint-Esprit,
défendeur sur opposition, comparant par Madame Dominique PETERS, Procureur d’Etat adjoint,
FAITS :
Par exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en remplacement de l’huissier de justice Laura GEIGER de Luxembourg, en date du 20 février 2025, la partie demanderesse par opposition a fait donner assignation aux parties défenderesses sur opposition à comparaître le vendredi 14 mars 2025 à 9.00 heures du matin devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière commerciale, Cité Judiciaire, 7, rue du Saint Esprit, 1er étage, salle CO.1.01, pour y entendre statuer sur le mérite de la demande contenue dans ledit exploit d’huissier ci-après reproduit :
L’affaire fut enrôlée sous le numéro TAL-2025-02378 du rôle pour l’audience publique du
14 mars 2025 et refixée à l’audience publique du 18 mars 2025, lors de laquelle les débats eurent lieu comme suit :
Maître Carole RHEIN, en remplacement de Maître Olivier REISCH, donna lecture de l'acte d’opposition ci-avant reproduit et exposa les moyens de sa partie.
Maître Yann BADEN, pris en sa qualité de liquidateur de la liquidation de la société anonyme SOCIETE1.) SA, exposa ses moyens.
Monsieur PERSONNE5.) exposa les moyens du Commissariat aux Assurances.
Le représentant du Ministère Public fut entendu en ses conclusions.
Madame le juge-commissaire Anick WOLFF fit son rapport oral au tribunal.
Sur ce, le tribunal prit l’affaire en délibéré et rendit à l’audience publique de ce jour le
jugement qui suit :
Faits
La société anonyme SOCIETE1.) SA (ci-après « FLL ») est une entreprise d’assurance, soumise à la surveillance du Commissariat aux Assurances (ci-après le « CAA »), faisant partie d’un groupe d’assurances (le Groupe SOCIETE1.)).
Par jugement du 2 août 2024, le tribunal de céans a admis FLL au bénéfice de la procédure du sursis de paiement découlant des articles 244 et suivants de la loi modifiée du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances (ci-après la « » Loi de 2015 ») pour une durée de six mois et nommé Maître Yann BADEN comme commissaire de surveillance afin de contrôler la gestion du patrimoine de FLL.
Par jugement du 31 janvier 2025, le tribunal de céans a prononcé la dissolution et la liquidation de FLL et fixé les modalités des opérations de liquidation.
PERSONNE1.), épouse PERSONNE1.), (ci-après « PERSONNE1.) ») a conclu, le 25 octobre 2010, avec FLL un contrat d’assurance-vie en unités de compte dénommé Primaduo n° NUMERO4.).
Procédure
Par exploit d’huissier de justice du 20 février 2025, PERSONNE1.) a fait signifier au CAA, à FLL, représentée par son liquidateur Maître Yann BADEN, Maître Yann BADEN, pris en sa qualité de liquidateur de FLL et à Monsieur le Procureur d’Etat de Luxembourg près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, une tierce-opposition à liquidation, avec assignation à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale.
La recevabilité de la demande au regard de l’article 250, paragraphe 4, de la loi modifiée du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances
PERSONNE1.) donne à considérer que le fait que l’article 250, paragraphe 4, de la loi modifiée du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances (ci-après la « LSA ») exclut expressément toute tierce opposition contre le jugement de liquidation d’une société d’assurance se heurterait aux principes fondamentaux garantis par la Constitution luxembourgeoise et par la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH »).
En rendant le jugement de liquidation inattaquable, l’article 250 paragraphe 4 priverait les souscripteurs de toute possibilité de recours contre une éventuelle violation des règles légales relatives à l’évaluation des créances d’assurance, rendant ainsi irréversibles les modalités imposées au liquidateur par le jugement d’ouverture.
Cette situation créerait une asymétrie de protection juridique, dans laquelle les souscripteurs se trouveraient dans l’incapacité de faire valoir leurs droits, tandis que d’autres créanciers pourraient bénéficier d’une interprétation erronée ou partiale du jugement de liquidation.
Le droit d’accès au juge serait pourtant garanti par l’ordre judiciaire luxembourgeois, plus particulièrement par l’article 18 de la Constitution, ainsi que par la CEDH.
Alors que PERSONNE1.) admet que le droit au juge n’est pas un droit absolu, elle fait toutefois valoir que les conditions relatives à une restriction de ce doit, à savoir (i) le respect du contenu essentiel du droit d’accès au juge, (ii) le respect du principe de proportionnalité et (iii) l’obligation de répondre à un objectif d’intérêt général ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui, ne seraient en l’espèce pas remplies.
Elle se base en conséquence sur l’article 102 de la Constitution pour demander au tribunal d’écarter l’application de l’article 250 (4) de la LSA et de déclarer la tierce-opposition recevable.
Dans l’hypothèse où le tribunal ne retiendrait pas l’inconstitutionnalité du texte visé, PERSONNE1.) demande à voir soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante, telle que modifiée dans la note de plaidoiries produite à l’audience du 18 mars 2025 :
« L’article 250 (4) de la loi du 7 décembre 2015 sur le secteur d’assurances qui interdit à tout intéressé d’introduire une tierce opposition du jugement prononçant la dissolution et ordonnant la liquidation d’une entreprise d’assurance luxembourgeoise, est-il conforme aux articles 1, 2 (anciennement 51), 18 et 37 de la Constitution, lus à la lumière des articles 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, et lus à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? »
La pertinence de la question préjudicielle serait établie alors qu’elle serait nécessaire à la solution du litige soumis à l’appréciation du tribunal.
Elle serait en effet relative au respect par le législateur du principe fondamental de l’Etat de droit et de ses corollaires, dont notamment celui de la proportionnalité à l’occasion de la définition des conditions d’exercice des voies de recours en matière de dissolution et de mise en liquidation d’une entreprise d’assurance.
La disposition litigieuse de la LSA serait en outre contraire à l’article 297 de la Directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (ci-après la « Directive Solvabilité II »), relatif au « droit de recours juridictionnel ».
Le CAA conclut à l’irrecevabilité de la tierce opposition, expressément exclue par l’article 250 (4) de la LSA. Le législateur aurait en toute connaissance de cause exclu la possibilité d’introduire une tierce opposition contre le jugement d’ouverture de liquidation, à l’instar de la loi applicable aux établissements de crédit, dans un souci de créer un environnement juridique clair afin de permettre aux liquidateurs d’œuvrer rapidement dans un environnement non-contentieux.
Il se réfère à une jurisprudence du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 1er avril 2009, ayant retenu, dans le cadre de la liquidation judiciaire d’un établissement de crédit, la tierce opposition ou l’intervention volontaire pouvait être exclue, afin de ne pas ralentir la procédure et créer en cours d’instance une insécurité juridique non souhaitable.
En l’espèce, FLL aurait plusieurs centaines de milliers de créanciers, soit d’autant de tierces oppositions potentielles et dès lors de possibilités de blocage des opérations de liquidation, ce qui serait contraire à l’intérêt public et à celui de tous les créanciers.
Le législateur aurait en réalité décidé, non pas d’exclure tout recours en la matière, mais de limiter, dans un souci d’intérêt général, d’allouer ce droit à certaines personnes seulement, sans qu’il ne soit ainsi porté préjudice aux droits des administrés.
Il serait dès lors erroné d’affirmer que l’article 250 (4) de la LSA empêcherait toute contestation juridictionnelle de la décision arrêtant les modalités de la liquidation.
Ainsi, l’article 250 (6) conférerait au CAA et au Procureur d’Etat la possibilité d’interjeter appel contre ce jugement, considérant que le principal objectif du CAA consisterait à garantir la protection des preneurs et bénéficiaires d’assurances et que conformément à l’article 6 (2) de la LSA, la surveillance du secteur des assurances se fait exclusivement dans l’intérêt public.
Le CAA souligne encore que l’article 250 (3) de la LSA permet la modification ultérieure du mode de liquidation, soit d’office, soit sur requête des liquidateurs ou du CAA, en sa qualité de garant de l’intérêt public.
La demanderesse aurait pu prendre attache avec le CAA, le liquidateur ou le Procureur d’Etat pour exposer ses moyens, au lieu d’engager une procédure vouée à l’échec.
Les créanciers de SOCIETE2.) auraient en outre la possibilité de critiquer les principes retenus dans le cadre de la liquidation dans le cadre de leurs déclarations de créances, alors que le jugement d’ouverture prévoit expressément que les créanciers peuvent former contredit contre les créances portées sur les listes de créances, ainsi que contre les décisions de contestation des créances.
Il y aurait en conséquence lieu de retenir que l’article 250 (4) serait conforme aux principes fondamentaux garantis par la Constitution et le CEDH.
Concernant la demande tendant à voir poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, le CAA fait valoir que la question posée ne serait pas nécessaire pour le jugement à prendre par le tribunal de céans, dans la mesure où le tribunal pourrait prendre sa décision en appliquant simplement la loi, prévoyant l’irrecevabilité de la tierce opposition.
Le jugement d’ouverture ne porterait par ailleurs pas atteinte au principe de sécurité juridique.
La question de constitutionnalité serait en outre dénuée de tout fondement.
L’article 250 (4) de la LSA ne mettrait pas en question l’Etat de droit prévu à l’article 1er de la Constitution.
Le droit d’accès au juge consacré à l’article 6 de la CEDH ne serait pas absolu et pourrait être limité s’il poursuit un but légitime, ce qui serait le cas en l’espèce, alors que la limitation des recours contre le jugement d’ouverture serait portée par les principes de sécurité juridique, de bonne administration de la justice et celui selon lequel un litige doit être jugé de manière effective.
Le CAA souligne qu’il ignorerait en quoi les articles 46 et 51 de la Constitution seraient violés.
Il fait enfin valoir que la Cour constitutionnelle aurait déjà statué sur une question ayant le même objet, notamment par un arrêt du 18 décembre 2024.
Le liquidateur de FLL, Maître Yann BADEN, fait plaider que la disposition contenue à l’article 250 (4) de la LSA serait claire et justifiée par le souci d’éviter que les opérations de liquidation soient freinées par des tierces oppositions, en présence notamment de 250.000 créanciers de FLL.
Il cite un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg de 2009, lequel avait déclaré irrecevable des interventions volontaires dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire d’un établissement bancaire, au motif que les intervenants volontaires n’avaient pas le droit d’introduire une tierce opposition à l’égard du jugement d’ouverture.
Il cite encore les conclusions de l’avocat général d’une affaire portée devant la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après la « CJUE »), confirmées par celle-ci, suivant lesquelles le droit d’accès au juge était susceptible d’être limité pour protéger l’intérêt général, dans un souci d’équité, d’efficacité de la justice et de sécurité juridique.
L’impossibilité d’introduire une tierce opposition ne signifierait pas que les droits de créanciers ne seraient pas garantis et le liquidateur affirme qu’il étudierait les arguments avancés par PERSONNE1.) en vue de faire modifier le cas échéant les modalités de la liquidation.
Maître BADEN donne encore à considérer qu’il n’y aurait en l’espèce pas de violation de l’article 297 de la Directive Solvabilité II, dans la mesure où un recours juridictionnel contre la décision de dissolution et de liquidation existerait sous la forme de l’appel ou de la possibilité de faire modifier les modalités de la liquidation. Ce texte n’obligerait toutefois pas les Etats membres à garantir un moyen de recours à chaque personne intéressée, dont les créanciers. Dans ce contexte, il y aurait le cas échéant lieu de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’interprétation de la Directive.
Dans la mesure où l’exclusion de la tierce opposition contre le jugement de dissolution et de liquidation serait justifiable, il n’y aurait en l’espèce pas matière à question préjudicielle à poser à la Cour constitutionnelle.
Le Ministère public donne à considérer que le tribunal ne saurait en aucune manière déclarer la tierce opposition de PERSONNE1.) recevable. Il devrait soit la déclarer irrecevable, soit poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Le principe du droit d’accès au juge ne signifierait pas le droit de tout demander au juge.
En l’espèce, la possibilité d’introduire une tierce opposition contreviendrait à l’intérêt général et créerait une anarchie juridique et judiciaire, rendant les opérations de liquidation irréalisables.
Dans la mesure où en tout état de cause, il n’y aurait pas assez d’actifs pour indemniser tous les créanciers, le préjudice de PERSONNE1.) ne serait pas juridiquement protégé.
Appréciation du tribunal
Aux termes de l’article 250 (4) de la LSA « Le jugement prononçant la dissolution et ordonnant la liquidation, l’entreprise d’assurance luxembourgeoise, le CAA et le Procureur d’Etat étant entendus, n’est pas susceptible d’opposition, ni de tierce opposition. Il est exécutoire par provision, nonobstant tout recours, sur minute, avant l’enregistrement et sans caution ».
PERSONNE1.) met en doute la conformité de cette disposition à la Constitution luxembourgeoise, et notamment à ses articles 1er, 2, 18 et 37, lus à la lumière des articles 6 (1) et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le tribunal relève que la demanderesse a modifié les articles cités dans l’assignation, pour tenir compte de la réforme de la Constitution.
Les principes constitutionnels visés sont les suivants :
Article 1er : Le Grand-Duché de Luxembourg est un État démocratique, libre, indépendant et indivisible.
Article 2 : Le Grand-Duché de Luxembourg est placé sous le régime de la démocratie parlementaire. Il a la forme d’une monarchie constitutionnelle.
Il est fondé sur les principes d’un État de droit et sur le respect des droits de l’Homme.
Article 18 : Toute personne a droit à ce que sa cause soit portée devant la juridiction prévue par la loi.
Nul ne peut être distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne.
Article 37 : Toute limitation de l’exercice des libertés publiques doit être prévue par la loi et respecter leur contenu essentiel. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires dans une société démocratique et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
Par ailleurs, l’article 6 (1) de la CEDH dispose que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice », tandis que son article 13 prévoit que « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
L’article 6 de la loi de 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle pose comme principe que dès lors qu’une partie soulève devant une juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire une question ayant trait à la conformité d’une loi à la Constitution, cette juridiction est tenue de saisir la Cour constitutionnelle, qui a seule compétence pour la toiser.
L’article 6 prévoit trois exceptions à ce principe, et permet dès lors à la juridiction devant laquelle la question est soulevée, de la toiser elle-même, ce dans les seules hypothèses où :
a) une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement,
b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement,
c) la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.
Sur base de ce texte, le tribunal doit analyser si elle se trouve dans l’obligation de soumettre la question soulevée par la demanderesse à la Cour constitutionnelle ou s’il faut estimer qu’il en est dispensé.
Il convient de constater qu’il n’existe pas encore d’arrêt de la Cour constitutionnelle statuant sur une question ayant le même objet que celle soulevée en l’espèce.
Si la Cour constitutionnelle s’est prononcée, par son arrêt du 18 décembre 2024, sur la constitutionnalité des délais d’opposition en matière de faillite, il ne peut en être déduit qu’il s’est prononcé sur l’objet litigieux au présent litige, à savoir la constitutionnalité de l’absence de possibilité d’introduire une opposition ou une tierce opposition à l’égard d’un jugement de liquidation d’une société d’assurance.
Il ne fait en outre pas de doute que la question soulevée, à savoir la constitutionnalité du texte interdisant toute opposition ou tierce opposition à l’encontre d’une décision d’ouverture d’une procédure de liquidation à l’égard d’une compagnie d’assurance, est nécessaire pour la solution du présent litige.
Le tribunal ne saurait suivre le raisonnement du CAA, suivant lequel la question préjudicielle ne serait pas nécessaire au motif qu’il s’agirait simplement d’appliquer la loi.
En effet, s’il est certain que la loi exclut clairement la tierce opposition dans le cas d’espèce, il n’en reste pas moins que la conformité à la Constitution de cette loi doit le cas échéant être vérifiée pour que le tribunal soit en mesure de l’appliquer.
Finalement, les juridictions ne sont pas tenues de saisir la Cour constitutionnelle si la réponse à la question soulevée est dénuée de tout fondement. Il appartient à la partie qui entend voir déférer une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle de motiver dans quelle mesure la question est susceptible d’être fondée.
D’après l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997, le renvoi de toute question de constitutionnalité d’une loi est en principe obligatoire pour le juge de l’ordre judiciaire ou administratif devant lequel cette question est invoquée par une partie et la dispense est l’exception. Il s’en déduit que les cas de dispense sont d’interprétation stricte.
En précisant à l’article 6 que la question de constitutionnalité invoquée devant lui doit être dénuée de tout fondement pour dispenser le juge de son obligation de renvoi devant la Cour constitutionnelle, le législateur a voulu signifier que l’absence de fondement entraînant une dispense de renvoi doit apparaître lors d’une analyse sommaire de la question soulevée. Cette interprétation a été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt n° 11/10 du 25 février 2010 dans lequel la Cour a retenu que le défaut de tout fondement qui dispense le juge du fond de saisir la Cour constitutionnelle doit être évident et manifeste au point de s’imposer à lui et a cassé l’arrêt du Conseil supérieur des assurances sociales qui avait décidé de la constitutionnalité de la disposition légale attaquée au regard des critères de comparabilité, de rationalité, d’adéquation et de proportionnalité tels que dégagés par la Cour constitutionnelle et ainsi empiété sur la compétence de celle-ci.
Il est certes admis que le droit d’accès au juge, consacré par les dispositions visées aux moyens, n’est pas absolu, les Etats pouvant édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours qu'ils organisent et à en fixer les conditions d'exercice, pourvu que ces réglementations aient pour but d'assurer une bonne administration de la justice.
Or, le contrôle de la proportionnalité d’une limitation d’un accès au juge, tel qu’en l’espèce, n’incombe pas aux juridictions du fond, mais doit être soumis à l’appréciation de la Cour constitutionnelle.
Il s’ensuit que la question soulevée ne peut pas être qualifiée comme étant dénuée de tout fondement.
Conformément à l’article 8 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, la question préjudicielle doit indiquer avec précision les dispositions législatives et constitutionnelles sur lesquelles elle porte.
Cette condition étant remplie au regard de la dernière note de plaidoiries de PERSONNE1.), il convient de déférer à la Cour constitutionnelle la question plus amplement décrite dans le dispositif du présent jugement.
P a r c e s m o t i f s :
Le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, deuxième chambre, siégeant en matière commerciale, statuant contradictoirement,
avant tout autre progrès en cause,
saisit la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :
« L’article 250 (4) de la loi du 7 décembre 2015 sur le secteur d’assurances qui interdit à tout intéressé d’introduire une tierce opposition du jugement prononçant la dissolution et ordonnant la liquidation d’une entreprise d’assurance luxembourgeoise, est-il conforme aux articles 1, 2 (anciennement 51), 18 et 37 de la Constitution, lus à la lumière des articles 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, et lus à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? »
réserve les droits des parties et les dépens.