Tribunal administratif
N° 46044 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2025:46044
2e chambre Inscrit le 21 mai 2021
Audience publique du 17 avril 2025
Recours formé par Monsieur (A) et consorts, …
contre le règlement grand-ducal du 10 février 2021 rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « paysages »,
en matière d’actes réglementaires
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46044 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2021 par la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MARX SARL, établie et ayant son siège social à L-1461 Luxembourg, 31, rue d’Eich, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B251584, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :
1. Monsieur (A), demeurant à … ;
2. Monsieur (B), demeurant à … ;
3. Madame (C), demeurant à … ;
4. Madame (D), demeurant à … ;
5. Madame (E), demeurant à … ;
6. Madame (F), demeurant à … ;
7. Madame (G), demeurant à … ;
8. La société à responsabilité limitée (AA), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le n° ..., représentée par son gérant actuellement en fonctions ;
tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 10 février 2021 rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « paysages », tel que publié au Journal Officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A n° 140 du 25 février 2021 ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2021 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2023 par Maître Patrick KINSCH, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2023 par la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MARX SARL, au nom de Monsieur (A) et consorts, préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2021 par Maître Patrick KINSCH, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause ainsi que les décisions attaquées ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Serge MARX, en remplacement de Maître Victor ELVINGER et Maître Patrick KINSCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mars 2023 ;
Vu l’ordonnance du tribunal administratif du 25 mai 2023 prononçant la rupture du délibéré et ordonnant à Monsieur (A), Monsieur (B), Madame (C), Madame (D), Madame (E), Madame (F), Madame (G) et à la société à responsabilité limitée (AA), de mettre en intervention l’administration communale de Steinsel ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Laura GEIGER, demeurant à Luxembourg, du 8 juin 2023 portant signification du recours à l’administration communale de Steinsel, ayant sa maison communale à L-7317 Steinsel, 9, rue Paul Eyschen, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 10 octobre
2023 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Steinsel ;
Vu l’avis du greffe du tribunal administratif du 24 novembre 2023, intervenu suite à l’audience publique de la deuxième chambre du tribunal administratif du 23 octobre 2023 à laquelle l’affaire a été appelée pour contrôle suite à la mise en intervention de l’administration communale de Steinsel, communiquant les délais fixés par le tribunal administratif pour permettre aux parties en cause de déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu le mémoire, intitulé mémoire supplémentaire, déposé au greffe du tribunal administratif le
21 février 2024 par Maître Steve HELMINGER, au nom de l’administration communale de Steinsel ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2024 par la société à responsabilité limitée ELVINGER DESSOY MARX SARL, au nom de Monsieur (A) et consorts, préqualifiés ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2024 par Maître Patrick KINSCH, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Serge MARX, en remplacement de Maître Victor ELVINGER, Maître Steve HELMINGER et Maître Patrick KINSCH, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 novembre 2024.
En date du 10 février 2021 fut adopté le règlement grand-ducal rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « paysages », désigné ci-après par le « règlement grand-ducal du 10 février 2021 », lequel définit les « zones de préservation des grands ensembles paysagers », les « zones vertes » et les « coupures vertes ». Ledit règlement grand-ducal comporte deux annexes, dont la première constitue une liste énumérant les « zones de préservation des grands ensembles paysagers », les « zones vertes » et les « coupures vertes » et la deuxième constitue la partie graphique du plan directeur sectoriel « paysages », désigné ci-après par « le PDSP ». Le règlement grand-ducal du 10 février 2021 fut publié au Journal Officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A n° 140 du 25 février 2021.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 mai 2021, Monsieur (A), Monsieur (B), Madame (C), Madame (D), Madame (E), Madame (F), Madame (G) et la société à responsabilité limitée (AA), désignés ci-après par « les consorts (A-G) », en leur qualité de propriétaires d’une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Steinsel, section …, sous le numéro (P1), désignée ci-après par « la parcelle (P1) », ainsi que des parcelles inscrites au cadastre de la commune de Steinsel, sous les numéros (P2), (P3), (P4), (P5), (P6), (P7), (P8), (P9), (P10), (P11), (P12), (P13), (P14), (P15), (P16), (P17) et (P18) recouvertes par le règlement grand-ducal du 10 février 2021 d’une « coupure verte », firent introduire un recours tendant à l’annulation dudit règlement grand-ducal 10 février 2021, sur base de l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 ».
Par ordonnance du 25 mai 2023, le tribunal administratif ordonna aux consorts (A-G) de mettre en intervention l’administration communale de Steinsel, au vu du fait que « les débats portent notamment sur la question de la conformité de la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, constituant la base légale du règlement grand-ducal du 10 février 2021 rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « paysages », à l’article 107 de la Constitution lequel reprend le principe de l’autonomie communale et plus concrètement sur la couverture par le prédit règlement grand-ducal d’une partie du territoire de la commune de Steinsel, en l’occurrence, des parcelles inscrites au cadastre de la commune de Steinsel, sous les numéros (…) d’une « coupure verte », de sorte que l’administration communale de Steinsel est à considérer comme tiers intéressé (…) ».
Par exploit d’huissier de justice du 8 juin 2023, la requête introductive d’instance du recours sous examen fut signifié à l’administration communale de Steinsel.
1. Quant à la recevabilité du recours
Aux termes de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif connaît des recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, de sorte que les demandeurs ont valablement pu introduire un recours en annulation contre le règlement grand-ducal du 10 février 2021.
La partie étatique soulève que les demandeurs ne justifieraient pas à suffisance leur intérêt à agir contre le règlement grand-ducal du 10 février 2021. Il leur appartiendrait, ainsi, et en particulier en ce qui concerne les parcelles situées en plein milieu des champs, d’établir qu’ils subissent réellement un grief concret du fait des servitudes résultant d’une « coupure verte ».
Les demandeurs répliquent que la parcelle (P1) ne serait pas située « en plein milieu des champs », contrairement à ce qu’affirme la partie étatique, mais qu’elle serait directement adjacente au « lotissement …-…-… », lequel serait « naturellement destiné » à être prolongé en direction de la parcelle (P1). Même si les autres parcelles n’étaient pas directement adjacentes audit lotissement, il n’en demeurerait pas moins qu’elles seraient en vertu de l'article 13 du règlement grand-ducal du 10 février 2021 soumises à une interdiction de recevoir des constructions qu'elles seraient normalement autorisées à accueillir en vertu de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, désignée ci-après par « la loi du 18 juillet 2018 », de sorte qu’il s’agirait d'une aggravation de leur situation.
L’administration communale de Steinsel se rapporte dans le cadre de son mémoire supplémentaire à la prudence du tribunal quant « aux délais et autres formalités ainsi que l’intérêt à agir des requérants ».
Le tribunal constate que de manière générale, la modification des normes régissant le régime urbanistique d’une parcelle confère au propriétaire de ladite parcelle un intérêt à voir contrôler la légalité de cette modification, étant donné que cette dernière est susceptible d’affecter ses droits et obligations et partant sa situation personnelle et patrimoniale en tant que propriétaire.
Plus concrètement, en l’espèce, il n’est pas contesté que les parcelles énumérées ci-avant appartenant aux consorts (A-G) sont recouvertes, en partie, voire intégralement, de « coupures vertes », créée par le règlement grand-ducal du 10 février 2021. Indépendamment de la situation géographique desdites parcelles - près d’un lotissement où « en plein milieu des champs » - il échet partant de constater que le régime urbanistique applicable auxdites parcelles est indéniablement affecté par le règlement grand-ducal du 10 février 2021, dans la mesure où ces parcelles, outre leur classement en zone verte par le plan d’aménagement général, se voient désormais recouvertes d’une « coupure verte ». Les demandeurs justifient dès lors en tant que propriétaires desdites parcelles d’un intérêt suffisant au regard de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 pour agir devant le juge administratif en vue du contrôle de la légalité du règlement grand-ducal du 10 février 2021. Le moyen d’irrecevabilité afférent est partant à rejeter.
Le recours en annulation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
2. Quant au fond
A l’appui de leur recours, les demandeurs soulèvent un moyen relatif à la légalité externe et différents moyens relatifs à la légalité interne du règlement grand-ducal déféré.
A. Quant au moyen concernant la légalité externe du règlement grand-ducal du 10 février 2021
Argumentation des parties
Les demandeurs soulignent que le règlement grand-ducal du 10 février 2021 se référerait « au 7ème « vu » » à une série d'avis émis lors du deuxième semestre de l’année 2016[1]. Lesdits avis ministériels auraient été émis dans le cadre de l’élaboration de l’évaluation environnementale, désignée ci-après par la « EES », effectuée sur base de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, désignée ci-après « la loi du 22 mai 2008 ». L'exposé des motifs se trouvant à la base du règlement grand-ducal du 10 février 2021 renseignerait que « les plans directeurs sectoriels (PDS) sont des instruments d'exécution de la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l'aménagement du territoire qui ont pour objet de recouvrir la politique d'aménagement du territoire (...) ». La procédure d'élaboration du PDSP aurait toutefois été entamée avant l'entrée en vigueur de sa base légale.
Or, une EES devrait impérativement tenir compte de la législation qui sert de base au plan ou programme faisant l'objet de ladite évaluation. En l'espèce des avis auraient été émis sans que la base légale du futur PDSP n’aurait existé, ni - a fortiori - connue, de sorte que l’EES serait viciée et plus loin le règlement grand-ducal lui-même.
Les demandeurs font valoir qu’il aurait été retenu par les juridictions administratives qu’en matière de PAG, la procédure d'élaboration d'une étude environnementale s’inscrirait nécessairement dans le cadre de la procédure d'adoption d'un PAG, de sorte qu'un vice constaté au niveau de la procédure d'élaboration de l'étude environnementale pourrait affecter la légalité de la procédure d'adoption du PAG. Cette jurisprudence s’appliquerait évidemment mutatis mutandis à la présente matière, de sorte que le règlement grand-ducal du 10 février 2021 serait à annuler pour ce motif.
La partie étatique répond que les demandeurs ne contesteraient ni qu’une EES aurait été effectuée, ni que cette EES aurait été élaborée en conformité à la loi du 22 mai 2008, ni, enfin, qu’elle serait d'un quelconque point de vue irrégulière au regard de ladite loi. Les demandeurs prétendraient, en revanche, qu’il aurait été indispensable de ne commencer la procédure d'élaboration de l'EES qu'après l'entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018, qui en définitive aurait servi de base légale au plan directeur sectoriel litigieux. Aux yeux de la partie étatique, ce moyen confondrait la base légale de l'EES et la base légale du PDSP. Cette dernière ne conditionnerait pas la régularité de l'EES et rien ne s'opposerait à ce qu'un plan sectoriel soit adopté après qu'une EES ait été menée pendant que la loi servant de base légale au plan directeur sectoriel était en cours d'élaboration. En effet, la loi du 22 mai 2008 ne subordonnerait en aucune de ses dispositions la régularité des EES à l'entrée en vigueur de la base légale de ce projet ou programme, la partie étatique soulignant, à cet égard, que les conditions d'élaboration d'une EES seraient toutes entières définies dans la loi du 22 mai 2008. Il s’ensuivrait que rien ne s'opposerait à ce qu'un plan directeur sectoriel soit adopté au vu d'une EES qui aurait été, ainsi, régulièrement effectuée, indépendamment de la date de l'entrée en vigueur de la base légale de ce plan.
La partie étatique ajoute qu'il serait inexact de penser qu'au moment où l'EES aurait été entamée, il y aurait eu une incertitude sur le contenu du plan directeur sectoriel litigieux projeté. L'EES aurait, au contraire, été élaborée au vu de toutes les données utiles à cet égard et le fait que sa base légale aurait été en cours de modification serait sans incidence à cet égard. Il aurait, à cette époque, existé une législation sur les plans directeurs sectoriels qui aurait été en vigueur, à savoir, la loi entretemps abrogée du 30 juillet 2013 concernant l'aménagement du territoire, désignée ci-après par « la loi du 30 juillet 2013 ». La raison de l’adoption d’une nouvelle loi, à savoir, de la loi actuelle, la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l'aménagement du territoire, désignée ci-après par « la loi du 17 avril 2018 », aurait été une raison « de pur droit institutionnel (ou de « sécurité juridique ») », et non point une raison tenant au contenu des plans directeurs sectoriels en élaboration. La partie étatique renvoie, à cet égard, aux travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 17 avril 2018. Elle conclut que le fait que l'EES aurait été en cours d’élaboration au moment de l'adoption du projet de loi serait sans incidence sur la régularité de l'EES, et partant sans incidence sur la légalité du règlement grand-ducal attaqué.
Les demandeurs répliquent en précisant de prime abord que le projet de loi portant le numéro 7065[2], devenu plus tard la loi du 17 avril 2018, n’aurait été déposé que le 27 septembre 2016 tandis que la grande majorité des avis ministériels cités dans le préambule du règlement grand-ducal déféré seraient antérieurs à cette date. Selon les demandeurs, il relèverait d'une vue théorique et abstraite des
choses d'affirmer qu'une EES puisse être menée au sujet d'un plan dont la base légale est inexistante. L'article 5, alinéa 1er de la loi modifiée du 22 mai 2008 exigerait notamment que le rapport sur les incidences environnementales devrait tenir compte des « objectifs et du champ d'application géographique du plan ou du programme ». Pareillement, en vertu de l'article 7 de la loi du 22 mai 2008, l'objet du projet de plan ou de programme devrait être porté à la connaissance du public. Il serait impossible de tenir compte des objectifs et de l'objet d'un plan si sa base légale, qui définit ces objectifs et cet objet, est inexistante. De surcroît, la loi du 17 avril 2018 n'aurait été complétée que par une loi du 1er février 2021[3] pour donner à la loi du 17 avril 2018 la base légale suffisante pour permettre les limitations critiquées de l'activité agricole opérées par le PSP.
Les demandeurs contestent encore l’existence d’une base légale « au moment de l'EES », en l'occurrence la loi du 30 juillet 2013. D'une part, le PDSP trouverait sa base légale dans la loi du 17 avril 2018 et non pas dans celle du 30 juillet 2013. D'autre part, les deux lois seraient fondamentalement différentes, ce qui ressortirait bien d’une comparaison entre l'article 1er de la loi du 17 avril 2018 et l'article 1er de la loi du 30 juillet 2013 relatifs aux objectifs des lois respectives. Ils concluent qu’en lançant une EES sans que la base légale du futur PSP n’aurait existé, le public n'aurait pas été mis en mesure de vérifier, ni de se prononcer sur la question de savoir si les objectifs poursuivis par le PDSP et son objet étaient bien conformes à sa base légale.
La partie étatique rejette les reproches formulés par les demandeurs en expliquant tout d’abord que la base légale de l'EES, à savoir la loi du 22 mai 2018, aurait bien existé, de même que le projet de plan directeur sectoriel, si bien qu'il aurait été possible de mener à son propos l'étude environnementale stratégique prescrite par la loi du 22 mai 2008. Le fait « qu'au moment de l'EES », la base légale du plan directeur sectoriel en élaboration ait été la loi du 30 juillet 2013, alors que la base légale du plan directeur sectoriel définitif aurait été la loi du 17 avril 2018, ne saurait porter à conséquence. En effet, l'EES ne serait pas une évaluation de la qualité juridique de la loi sur l'aménagement du territoire, mais une évaluation des incidences d'un plan particulier sur l'environnement, en l'occurrence des incidences du plan directeur sectoriel. Que ce plan directeur sectoriel soit fondé sur l'une ou l'autre loi sur l'aménagement du territoire ne changerait évidemment rien en ce qui concerne ses incidences. A cet égard, ce sont les objectifs poursuivis par le plan directeur sectoriel et la réglementation qu'il institue qui seraient déterminants, et ces éléments résulteraient du plan directeur sectoriel lui-même. Enfin, les demandeurs ne contesteraient pas que les objectifs poursuivis par le PDSP et la réglementation qu'il institue seraient conformes tant à la définition des buts de l'aménagement du territoire qui résulterait de la loi du 30 juillet 2013 qu'à la définition qui résulterait de la loi du 17 avril 2018. Il ressortirait, par ailleurs, des travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 17 avril 2018, cités par les demandeurs, que le remplacement de la loi du 30 juillet 2013 par la loi du 17 avril 2018 n’aurait pour objet que de remédier à un certain nombre de problèmes, réels ou supposés, de nature strictement juridique. Ces problèmes auraient été étrangers à l'EES en élaboration. Dès lors, rien ne se serait opposé à l'utilisation du résultat de l'EES après le vote de la loi du 17 avril 2018.
Enfin, la partie étatique conteste que la consultation du public aurait été lancée avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018 et se réfère, à cet égard, aux documents qu’elle a versé en cause, censés établir que les avis officiels lançant la procédure de consultation du public auraient été publiés au mois de mai 2018, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018. La lettre aux communes daterait, quant à elle, du 14 mai 2018. La partie étatique conclut donc au rejet du moyen afférent.
Appréciation du tribunal
Le tribunal constate que le reproche formulé par les demandeurs consiste, en substance, à affirmer que la procédure d’élaboration du PDSP aurait été entamée avant l’entrée en vigueur de la loi constituant sa base légale, à savoir la loi du 17 avril 2018, au motif que les avis ministériels légalement requis dans le cadre de l’élaboration de l’EES auraient été émis avant l’entrée en vigueur de ladite loi.
A cet égard, c’est d’abord à juste titre que la partie étatique signale qu’il y a lieu d’opérer une distinction entre l’EES et le PDSP ainsi que leurs deux bases légales respectives. L’EES est fondée sur la loi du 22 mai 2008 qui énonce les conditions dans lesquelles, et les modalités selon lesquelles, une EES est à élaborer, tandis que le PDSP trouve son fondement légal dans la loi du 17 avril 2018, laquelle retient à son tour les objectifs, les conditions dans lesquelles et les modalités selon lesquelles, un PDSP est à élaborer. Il s’agit donc bien de deux bases légales différentes et le fait qu’une EES ait été en cours d’élaboration avant l’entrée en vigueur de la base légale du PDSP ne peut a priori pas affecter la légalité dudit PDSP.
Il est toutefois vrai qu’il existe un certain lien entre une EES et la base légale du plan pour lequel elle est dressée. En effet, en vertu des dispositions de la loi du 22 mai 2008, et notamment de son article 2, une EES est élaborée en vue de l’élaboration de certains « plans et programmes » pour en évaluer les incidences sur l’environnement. Une EES ne constitue donc pas une fin en soi mais est élaborée afin de pouvoir servir comme élément de renseignement à prendre en compte dans le cadre de l’élaboration d’un « plan ou programme », en l’occurrence du PDSP, étant encore constaté à cet égard qu’il n’est pas contesté en cause que le PDSP constitue un « plan ou programme » au sens de la loi du 22 mai 2008. Dès lors, une EES, afin de pouvoir utilement évaluer les incidences d’un « plan ou d’un programme » sur l’environnement, se doit de prendre en compte, au moins dans les grandes lignes, l’envergure et les objectifs dudit plan ou programme tels que fixés par sa base légale, en l’occurrence la base légale du PDSP.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’élaboration de l’EES a été entamée avant même que la loi du 17 avril 2018, à la base du PDSP, ne soit entrée en vigueur. Il ressort, en effet, du préambule même du règlement grand-ducal du 10 février 2021 que les avis des ministres légalement requis dans le cadre de l’élaboration d’une EES avaient d’ores et déjà été adoptés en 2016, soit bien avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018. Force est toutefois de constater qu’avant même l’entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018, la loi entretemps abrogée du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire prévoyait d’ores et déjà l’élaboration de plans directeurs sectoriels, et notamment d’un PDSP, en tant que moyens à mettre en œuvre pour exécuter la politique d’aménagement du territoire. L’EES en cause a donc valablement été élaborée sur base de la loi du 22 mai 2008 en vue de l’adoption d’un PDSP fondé, à son tour, sur la loi du 30 juillet 2013. Il n’est d’ailleurs pas contesté en cause que l’EES ait pris en compte du moins dans les grandes lignes l’envergure et les objectifs dudit PDSP, tels que fixés par la loi du 30 juillet 2013. Si, par la suite, la base légale du PDSP a été modifiée par l’entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018 et l’abrogation de la loi du 30 juillet 2013, cette modification n’affecte ni la légalité de l’EES - laquelle trouve sa base légale dans la loi du 22 mai 2008 - ni celle du PDSP en lui-même, dans la mesure où il n’est ni concrètement et à suffisance invoqué ni a fortiori établi que l’envergure et les objectifs du PDSP auraient changé à tel point sous l’égide de la nouvelle base légale que l’EES ne serait plus à considérer comme ayant pris en compte les objectifs et l’envergure du PDSP projeté.
Il suit des considérations qui précèdent que le fait que la loi du 17 avril 2018 soit entrée en vigueur à une époque où l’élaboration de l’EES était d’ores et déjà en cours n’affecte pas la légalité de la procédure d’élaboration du PDSP.
Il s’y ajoute qu’en vertu de l’article 6, point 2 de la loi du 22 mai 2008 des « renseignements utiles concernant les incidences des plans et programmes sur l’environnement obtenus à d’autres niveaux de décision ou en vertu d’autres dispositions peuvent être utilisés pour fournir les informations énumérées à l’article 5. ». Dès lors, les renseignements obtenus dans le cadre de l’élaboration de l’EES sous l’égide de la loi du 30 juillet 2013 ont légalement pu être utilisés dans le cadre de l’EES suite à l’entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018.
Il n’est, ensuite, pas contesté en cause que, même si l’élaboration de l’EES a été entamée avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 avril 2018, elle n’a été finalisée et adoptée qu’après l’entrée en vigueur de ladite loi, de sorte qu’au fur et à mesure de son élaboration, les objectifs de la loi du 17 avril 2018 ont pu être pris en compte.
Enfin, les demandeurs invoquent, sans autre précision, l’article 7 de la loi du 22 mai 2008, aux termes duquel : « 1. Avant que le plan ou le programme ne soit adopté ou ne soit soumis à la procédure législative ou réglementaire le projet de plan ou de programme et le rapport sur les incidences environnementales sont mis à la disposition du public ». Force est au tribunal de constater, au vu des documents versés en cause par la partie étatique et plus particulièrement des extraits des publications effectuées dans certains journaux, et à défaut de plus amples précisions par les demandeurs, que la publication requise par l’article 7 précité du PDSP projeté ainsi que du rapport sur les incidences environnementales a bien été effectuée en l’espèce.
Eu égard aux considérations qui précèdent, le moyen afférent des demandeurs est donc à rejeter pour ne pas être fondé.
B. Quant au moyen tiré d’une violation du principe de l’autonomie communale tel que garanti par l’article 107 de la Constitution et par la Charte européenne de l’autonomie locale faite à Strasbourg le 15 octobre 1985, approuvée par la loi du 18 mars 1987, désignée ci-après par « la Charte »
Argumentation des parties
Les demandeurs estiment que la « coupure verte », en interdisant d'office à la commune d'étendre leurs zones urbanisées ou destinées à être urbanisées, violerait le principe de l'autonomie communale inscrit à l'article 107(1) de la Constitution et à la Charte. Ainsi, suivant l'article 2 de la Charte, « le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne et, autant que possible, dans la Constitution », de sorte que l'autonomie de la commune serait la règle, tandis que la soumission au contrôle de l'autorité supérieure constituerait l'exception.
En vertu du principe de l'autonomie communale, la commune devrait pouvoir librement décider de l’affectation du territoire communal et de son classement. Le principe de l'autonomie communale aurait d'ailleurs été rappelé avec force par la Cour administrative dans un arrêt du 13 juillet 2017, inscrit sous le numéro 39294C du rôle. Il serait vrai que l'article 8 de la Charte admet un certain contrôle administratif des actes administratifs d'une commune de la part de l'autorité supérieure ou de l’autorité de tutelle, tel serait, par exemple, le cas actuellement en matière de classement d'une zone verte en zone destinée à être urbanisée lorsque le ministre ayant l'Environnement en ses attributions exerce son pouvoir de contrôle sur base de l'article 5 de la loi du 18 juillet 2018, ce qui serait parfaitement conforme à l'article 8 de la Charte, les demandeurs soulignant que la Cour administrative aurait reconnu au ministre de l'Environnement en cette matière une véritable « tutelle spéciale ». En l'espèce, toutefois, le PDSP critiqué interdirait d'office aux communes de modifier la délimitation de la zone verte. Une telle interdiction d'office serait contraire à l'autonomie communale et serait, par ailleurs, de par l'ampleur de l'intervention étatique, complètement disproportionnée.
Selon les demandeurs, un contrôle étatique a posteriori serait conforme à la Charte, tandis qu’une limitation, voire une interdiction d'office violerait manifestement la Charte et la Constitution. Ainsi, la Cour administrative aurait expressément retenu par un arrêt du 3 mai 2018, inscrit sous le numéro 40403C du rôle, que la summa diviso entre le périmètre d'agglomération et la zone verte relèverait de l'essence du PAG. Le législateur ne pourrait dès lors pas, sans violer les textes d'ordre supérieur, enlever ces compétences aux autorités communales.
Les demandeurs en concluent que l’article 11 (2), point 1° de la loi du17 avril 2018, en tant que base légale à la limitation, voire à l'interdiction envisagée de modifier la délimitation de la zone verte, serait contraire à la Constitution et au droit international et demandent au tribunal de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle à cet égard qu’ils formulent comme suit : « L'article 11, paragraphe (2), point 1° de la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l'aménagement du territoire, en ce qu'il dispose que « le plan directeur sectoriel peut (...) 1° interdire ou restreindre la possibilité des communes de désigner ou de procéder à l'extension de zones urbanisées ou destinées à être urbanisées » est-il compatible avec l'autonomie communale telle que garantie par l'article 107 de la Constitution ? ».
Enfin, les demandeurs arrivent à la conclusion que les « coupures vertes » découlant du règlement grand-ducal du 10 février 2021 seraient dépourvues de base légale de sorte que ledit règlement grand-ducal serait à annuler pour ce motif.
La partie étatique qualifie l’argumentation des demandeurs de « radicale » et estime qu’ils perdraient de vue que l'autonomie communale devrait composer avec l'intérêt national, c’est-à-dire l’intérêt général, dont la définition appartiendrait au parlement et au gouvernement. Tel serait précisément le but de la politique de l'aménagement du territoire, laquelle pourrait décider, dans un intérêt dépassant les « intérêts propres » des communes individuelles de l'aménagement du territoire national.
La partie étatique renvoie à l’avis du Conseil d'Etat émis à l’égard du projet de loi numéro 6694[4] destiné apporter des modifications à la loi du 17 avril 2018. Ledit avis, aux termes duquel « Le principe même de l'alignement obligatoire des plans d'aménagement des communes aux plans directeurs sectoriels de l'Etat ne saurait pas être mis en cause en raison de l'essence supérieure des objectifs nationaux en matière d'aménagement du territoire par rapport aux options locales prises en la matière par les communes en ce qui concerne l'aménagement local », correspondrait à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur le sens de l'autonomie communale, laquelle aurait renvoyé à l’article 9 de la Charte qui appliquerait les mêmes principes que l’article 4 de la même Charte. La partie étatique en conclut que ni l'article 107 de la Constitution, ni la Charte ne donneraient une autonomie complète aux collectivités locales. Les deux dispositions permettraient, au contraire, à la loi d'intervenir « dans un cadre plus large, en l'occurrence national, correspondant à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg ». Il s’agirait-là de la définition même de l'aménagement du territoire. Dès lors, la loi du 17 avril 2018 ne serait pas contraire ni à la Constitution, ni au droit international en ce qu’elle n'enlèverait pas aux communes toute compétence pour arrêter leurs plans d'aménagement général, là où seuls les intérêts des communes elles-mêmes seraient en cause. La partie étatique insiste plus particulièrement sur le fait que lorsque l'intérêt national serait en cause, la Constitution et la Charte permettraient au législateur d'habiliter le pouvoir réglementaire national afin d'arrêter des plans directeurs sectoriels.
Les demandeurs répliquent que l’Etat, tout en admettant que le règlement grand-ducal du 10 février 2021 porterait atteinte à l'autonomie communale, essaierait de justifier cette atteinte par l'intérêt national. Or, aux yeux des demandeurs, le PDSP serait un instrument adopté en méconnaissance de l’autonomie communale qui ne saurait être justifié par l’intérêt national. Ainsi, le PDSP contiendrait des zones différentes qui, selon les termes mêmes des dispositions réglementaires, chercheraient toutes à atteindre le même objectif, à savoir d’éviter un développement tentaculaire des localités. Cet objectif serait pourtant déjà pleinement assuré par d'autres législations, dont plus particulièrement la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 », et la loi du 18 juillet 2018. L’Etat serait dès lors malvenu à faire croire que le PDSP serait justifié par un intérêt national supérieur si exactement les mêmes objectifs étaient atteints par le biais des lois existantes, respectueuses de l'autonomie communale. Ils concluent que le PDSP serait un instrument « disproportionné et inutile » que l’Etat se serait donné en méconnaissance de l’autonomie communale.
Dans le cadre de son mémoire supplémentaire, l’administration communale de Steinsel signale de prime abord qu’à son avis, il ne relève ni de sa compétence ni de son ressort de défendre la légalité du règlement grand-ducal du 10 février 2021 lequel serait une initiative étatique. Elle explique toutefois ne pas s’être opposée au tracé des coupures vertes imposées sur son territoire étant donné qu’elle serait d’accord avec celles-ci. Le tracé desdites coupures vertes correspondrait, en effet, à sa vision urbanistique puisqu’elle n’aurait eu aucune intention de voir, à moyen ou long terme, reclasser la parcelle des parties demanderesse en zone constructible. Elle ajoute qu’au vu « de la situation urbanistique de la zone et du pourcentage, bâti/non bâti », il serait clair que la zone de coupure verte imposée sur la parcelle des parties demanderesses s’inscrirait dans les objectifs fixés par le pouvoir législatif à travers l’article 1er, paragraphe 2, points 5°, 7° et 8° de la loi du 17 avril 2018 et exécutés par le pouvoir réglementaire.
Concernant le moyen tiré d’une violation du principe de l’autonomie communale, l’administration communale de Steinsel argumente qu’il ne serait pas absolu et qu’il serait susceptible d’être limité par une loi. Selon l’administration communale, il y aurait lieu de vérifier à chaque fois si in concreto, l'application à une situation donnée d’une limite au principe de l’autonomie communale est proportionnée à son but. Or, en l'espèce, tel serait le cas en ce que pour préserver la coupure verte, dont les objectifs seraient louables, il aurait nécessairement fallu, et bien que cela ne serait de toute façon pas rentré dans l’intention de la commune, empêcher le reclassement des terrains en cause en zone constructible. Aux yeux de l’administration communale aucune violation de l’autonomie communale ne saurait donc découler de l’existence de l’article 12 du règlement grandducal du 10 février 2021. Elle ajoute que l’interdiction, pour une commune, de reclasser un terrain en zone constructible, ne serait pas, de principe, contraire à l’autonomie communale consacrée par la Constitution mais que cette limitation devrait être observée, au cas par cas, en vérifiant concrètement, au regard de la coupure verte imposée et de sa conformité aux objectifs légaux, si celle-ci viole l’autonomie communale.
Les demandeurs maintiennent, dans le cadre de leur mémoire supplémentaire en substance
leur argumentation relative à une inconstitutionnalité de l’article 11 (2), point 1° de la loi du17 avril 2018. Ils signalent que tant la chambre des députés que le gouvernement, le Conseil d’Etat ainsi que la Cour constitutionnelle auraient à maintes reprises souligné l’importance du principe de l’autonomie communale. Ils estiment, en substance, que le PDSP porterait atteinte au principe de l’autonomie communale, d’une part, en ce qu’il mettrait en place des zones de coupures vertes et en imposant de cette manière des interdictions générales et absolues aux communes et, d’autre part, en raison du fait que le classement en coupures vertes par le PDSP ne laisserait pas d’autre possibilité aux communes que de classer les parcelles concernées par le plan d’aménagement général en zone verte.
La partie étatique maintient dans son mémoire supplémentaire sa contestation de toute violation du principe constitutionnel de l’autonomie communale. Elle insiste sur le fait que l’autonomie communale ne serait pas absolue, mais qu’elle connaîtrait des limites tracées par l’intérêt national dont la définition appartiendrait au parlement et au gouvernement. L’objectif même de la politique de l’aménagement du territoire, laquelle déciderait dans un intérêt dépassant les « intérêts propres » des communes individuelles de l’aménagement du territoire national correspondrait à l’intérêt national. La partie étatique affirme que le Conseil d’Etat, ainsi que la Chambre des députés, et la Cour constitutionnelle auraient retenu que le principe de l’autonomie communale ne revêtirait pas un caractère absolu. Ni l’article 107 de la Constitution, ni la Charte ne donneraient une autonomie complète aux collectivités locales, mais permettraient à la loi d’intervenir dans un cadre plus large, en l’occurrence national, correspondant à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.
Appréciation du tribunal
Les demandeurs invoquent la non-conformité de l’article 11, paragraphe (2), point 1° de la loi du 17 avril 2018 au principe de l’autonomie communale, tel que consacré par l’article 107 de la Constitution et la Charte.
A titre liminaire, il échet de préciser qu’à travers quatre lois du 17 janvier 20235, une révision de la Constitution a été opérée. Le tribunal étant saisi en l’espèce d’un recours en annulation, il lui appartient d’apprécier la régularité de l’acte réglementaire déféré en considération de la situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment de l’adoption dudit acte réglementaire. Il s’ensuit qu’aux fins de l’analyse de la régularité du règlement grand-ducal déféré du 10 février 2021, il y a lieu d’appliquer la version de la Constitution telle qu’elle était en vigueur en date dudit 10 février 2021.
Aux termes de l’article 107 (1) de la Constitution dans sa version en vigueur au moment de l’adoption du règlement grand-ducal du 10 février 2021 : « (1) Les communes forment des collectivités autonomes, à base territoriale, possédant la personnalité juridique et gérant par leurs organes leur patrimoine et leurs intérêts propres. ». Ledit article consacre dès lors le principe de l’autonomie communale lequel est à apprécier à l’aune des dispositions de la Charte en ce qu’elles se recouvrent avec celles de la Constitution6/7. En application dudit principe, les communes gèrent par
5 Loi du 17 janvier 2023 portant révision du chapitre VI. de la Constitution ; Loi du 17 janvier 2023 portant révision des Chapitres Ier, II, III, V, VII, VIII, IX, X, XI et XII de la Constitution ; Loi du 17 janvier 2023 portant révision du chapitre II de la Constitution ; Loi du 17 janvier 2023 portant révision des chapitres IV et Vbis de la Constitution, entrées en vigueur le 1er juillet 2023
6 Cour const. 8 décembre 2017, n°131/17
7 Article 3 de la Charte : « (…) Article 3 Concept de l’autonomie locale
1. Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.
2. Ce droit est exercé par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d’organes exécutifs responsables devant eux. Cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là ou elle est permise par la loi. ».
Article 4 de la Charte : « Article 4 Portée de l’autonomie locale
1. Les compétences de base des collectivités locales sont fixées par la Constitution ou par la loi. Toutefois, cette disposition n’empêche pas l’attribution aux collectivités locales de compétences à des fins spécifiques, conformément à la loi.
2. Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n’est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité.
3. L’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L’attribution d’une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l’ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d’efficacité et d’économie.
leurs organes, leur patrimoine et leurs intérêts propres[5]. En consacrant ledit principe, le législateur constitutionnel luxembourgeois a voulu insister sur le droit pour les autorités communales de prendre des décisions propres, allant au-delà d’une simple exécution des lois et règlements de l’Etat, et obligeant les personnes soumises à son autorité[6]. Par ailleurs, le principe de l’autonomie communale consacré par l’article 107 de la Constitution et par la Charte implique que l'autonomie de la commune est la règle et la soumission au contrôle de l'autorité supérieure l’exception[7].
Le principe de l’autonomie communale s’impose incontestablement en matière d’aménagement communal et de développement urbain[8].
Toutefois, ce principe n’est pas absolu dans la mesure où tant l’article 107 de la Constitution que les dispositions de la Charte et plus particulièrement l’article 8 de la Charte[9] admettent un certain contrôle des actes des collectivités locales. D’ailleurs, lors des travaux relatifs du projet de révision, notamment de l’article 107 de la Constitution, le Conseil d’Etat avait, dans son avis du 20 mars 1979, d’ores et déjà signalé que : « l’autonomie des communes n’est de loin pas absolue »[10].
Concernant plus concrètement la question de la constitutionnalité soulevée en l’espèce, il échet de rappeler que la base légale du PDSP est la loi du 17 avril 2018 et plus particulièrement notamment l’article 11, (2), point 1 de ladite loi, lequel dispose que : « Le plan directeur sectoriel peut : interdire ou restreindre la possibilité des communes de désigner ou de procéder à l’extension de zones urbanisées ou destinées à être urbanisées ; (…) » et apporte, dès lors, indubitablement une limite au pouvoir des autorités communales dans la gestion de leur politique d’aménagement communal. Le litige des parties en cause porte sur la question de savoir si cette limite contrevient au principe de l’autonomie communale, tel que consacré par à l’article 107 de la Constitution, interprété à l’aune des dispositions de la Charte et dans sa version applicable en l’espèce.
Le tribunal n’est toutefois pas compétent pour répondre à cette question étant donné qu’il ne lui appartient pas de se livrer lui-même à l’examen de la constitutionnalité d’une législation, sous peine d’empiéter sur le champ de compétence de la Cour constitutionnelle. Ainsi, en vertu de l’article
4. Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.
5.En cas de délégation des pouvoirs par une autorité centrale ou régionale, les collectivités locales doivent jouir, autant qu’il est possible, de la liberté d’adapter leur exercice aux conditions locales.
6. Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu’il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.
Article 5 : Protection des limites territoriales des collectivités locales
Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet. ».
6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », :« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.
Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :
a) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;
b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;
c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) »
Force est en l’espèce au tribunal de constater que la question de constitutionnalité de l’article 11, (2), point 1 de la loi du 17 avril 2018 telle que soulevée par les demandeurs ne peut pas être écartée pour être dénuée de tout fondement au vu des développements qui précèdent. Par ailleurs, la question ainsi soulevée n’a pas encore été soulevée dans cette forme devant, ni a fortiori résolue par, la Cour constitutionnelle. Enfin, une décision sur la question de la constitutionnalité est nécessaire à la solution du présent litige, dans la mesure où la question du respect du principe de l’autonomie communale et, plus loin, la question de la justification par l’intérêt général, voire national, de la limite imposée au pouvoir communal dans ses choix urbanistiques est sous-jacente à l’ensemble des volets du litige opposant les parties en l’espèce.
Il échet, dès lors, de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle plus amplement libellée au dispositif du présent jugement, étant relevée, à cet égard, que le tribunal n’est pas tenu par le libellé de la question préjudicielle tel que formulé par le demandeur. Conformément aux articles 7 et suivants de la loi du 27 juillet 1997, il convient, dès lors, de surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se soit prononcée par rapport à la question préjudicielle lui soumise, sans qu’il n’y ait lieu de trancher à ce stade les autres moyens soulevés en cause.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
avant tout autre progrès en cause, soumet à la Cour Constitutionnelle la question suivante :
« L’article 11, paragraphe (2), point 1° de la loi du 17 avril 2018, en ce qu’il constitue entre autre la base légale du règlement grand-ducal rendant obligatoire le plan directeur sectoriel « paysages », et en ce qu’il permet au plan directeur sectoriel d’interdire ou de restreindre la possibilité des communes de désigner ou de procéder à l’extension de zones urbanisées ou destinées à être urbanisées, est-il conforme au principe de l’autonomie communale tel que consacré par l’article 107 de la Constitution, interprétée à l’aune des dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale faite à Strasbourg le 15 octobre 1985, approuvée par la loi du 18 mars 1987 ? » ;
réserve les frais, ainsi que la demande en allocation d’une indemnité de procédure sollicitée
par les parties demanderesses.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, premier vice-président,
Géraldine Anelli, vice-président,
Alexandra Bochet, vice-président,
et lu à l’audience publique du 17 avril 2025 par le premier vice-président, en présence du
greffier Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard
Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 avril 2025
Le greffier du tribunal administratif
[1] « Vu l'avis du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - Département de l'environnement datant du 7 octobre 2016 ainsi que les avis du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - Administration de la gestion de l'eau datant du 12 août 2016, du Ministère de l'Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs datant du 9 août 2016, du Ministère du Développement durable et des Infrastructures - Administration de la nature et des forêts datant du 9 août 2016 et du Ministère de la Culture - Service des sites et monuments nationaux en date du 11 août 2016 rendus sur base de l'article 6, paragraphe 3, de la loi modifiée du 22 mai 2008 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement (…) ».
[2] Projet de loi concernant l'aménagement du territoire et modifiant: 1. la loi modifiée du 16 août 1967 ayant pour objet la création d'une grande voirie de communication et d'un fonds des routes; 2. la loi modifiée du 15 mars 1979 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique; 3. la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain.
[3] Loi du 1er février 2021 portant modification de la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire
[4] 4 doc.parl. n° 6694, p.4.
[5] Cour adm. 3 mai 2018, n°40380C, Pas adm. 2023, V° Communes, n°3.
[6] Rapport de la commission de la révision constitutionnelle du 12 avril 1979 ; doc. parl. 21731, cités in : Le conseil d’Etat, gardien de la Constitution et des Droits et Libertés fondamentaux, Commentaire de la Constitution luxembourgeoise article par article, Conseil d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, 2006, p. 365 s.
[7] Cour adm. 22 mars 2007, n°22256C, Pas adm. 2023, V° Communes, n°8 et les autres références y citées.
[8] Cour adm. 12 mars 2019, n° 41047C, Pas. adm. 2023 V° Communes, n° 16 et Cour adm, 1er avril 2021, n°45328C, Pas. adm. 2023 V° Urbanisme, n° 1065.
[9] « Article 8 Contrôle administratif des actes des collectivités locales
1. Tout contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi. 2. Tout contrôle administratif des actes des collectivités locales ne doit normalement viser qu’à assurer le respect de la légalité et des principes constitutionnels. Le contrôle administratif peut, toutefois, comprendre un contrôle de l’opportunité exercé par des autorités de niveau supérieur en ce qui concerne les tâches dont l’exécution est déléguée aux collectivités locales.
3. Le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d’une proportionnalité entre l’ampleur de l’intervention de l’autorité de contrôle et l’importance des intérêts qu’elle entend préserver. ».
[10] doc. parl. 21731, 22761