Arrêt n° 192 de la Cour constitutionnelle et arrêt rectificatif - Question des conditions à remplir pour profiter de la rémunération d'un congé de maternité pendant un congé sans traitement

Arrêt rectificatif de la Cour constitutionnelle

5 mars 2024

 

Dans l’affaire n° 00192 du registre

 

ayant pour objet une question préjudicielle introduite, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le Tribunal administratif suivant jugement rendu le 17 octobre 2023 sous le numéro 45760 du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 19 octobre 2023, dans le cadre d’un litige

 

entre

 

PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.),

 

et

 

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine,

 

 

la Cour,

 

composée de

 

Thierry HOSCHEIT, président,

Brigitte KONZ, conseiller,

Agnès ZAGO, conseiller,

Alain THORN, conseiller,

Jeanne GUILLAUME, conseiller,

 

Viviane PROBST, greffier,

 

rend le présent arrêt :

 

Revu l’arrêt rendu le 1er mars 2024 par la Cour constitutionnelle statuant sur la question préjudicielle lui soumise en date du 19 octobre 2023.

 

L’arrêt comporte à sa page 2, au 3e paragraphe, disant « Se prévalant d’un certificat médical de grossesse daté du 8 octobre 2019, renseignant comme date prévue pour l’accouchement le 16 février 2020, PERSONNE1.) a adressé, le 10 novembre 2010, au ministre de la Fonction publique (ci-après le ministre), une demande tendant à l’octroi de son traitement pendant la durée de son congé de maternité », une erreur matérielle en ce que la demande d’octroi du traitement pendant la durée du congé de maternité ne peut dater de l’année 2010.

 

La faculté de procéder à une rectification d’une décision judicaire est subordonnée à une double condition. Il faut, d’une part, que l’erreur à rectifier soit une erreur purement matérielle, et, d’autre part, que la rectification ne conduise pas à une véritable modification de la décision.

 

L’erreur est purement matérielle lorsqu’elle ne porte pas sur la substance même du jugement. Elle consiste en une inadvertance qui affecte la lettre, l’expression de la pensée réelle du juge. La réparation de cette erreur permet de sauvegarder l’esprit, la substance du jugement. Mais cette réparation doit seulement conduire à rétablir l’exacte pensée du juge; en aucun cas, la rectification du jugement ne peut constituer un recours mettant en cause l’autorité de la chose jugée attachée à la décision (cf. Dalloz Action, Droit et pratique de la procédure civile, n°5626).

 

L'erreur qui provient d'une inadvertance, d'une négligence ou d'une inattention qui a trahi l'intention profonde du juge, peut faire l'objet d'une rectification.

 

En l’espèce, il ressort clairement de la motivation de l’arrêt du 1er mars 2024 qu’il comporte une erreur de date, purement matérielle.

 

Il y a lieu de procéder à la rectification de cette erreur matérielle en disant que le passage en question doit se lire comme suit : « Se prévalant d’un certificat médical de grossesse daté du 8 octobre 2019, renseignant comme date prévue pour l’accouchement le 16 février 2020, PERSONNE1.) a adressé, le 10 novembre 2020, au ministre de la Fonction publique (ci-après le ministre), une demande tendant à l’octroi de son traitement pendant la durée de son congé de maternité ».

 

Par ces motifs,

 

la Cour Constitutionnelle

 

dit qu’il y a lieu à rectification de l’arrêt rendu en date du 1er mars 2024 par la Cour constitutionnelle ;

 

dit que dans la motivation de l’arrêt, à la page 2, le paragraphe 3 doit se lire comme suit :

 

« Se prévalant d’un certificat médical de grossesse daté du 8 octobre 2019, renseignant comme date prévue pour l’accouchement le 16 février 2020, PERSONNE1.) a adressé, le 10 novembre 2020, au ministre de la Fonction publique (ci-après le ministre), une demande tendant à l’octroi de son traitement pendant la durée de son congé de maternité. » ;

 

dit que le présent arrêt fait corps avec l’arrêt rectifié du 1er mars 2024 et ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge de la minute de l’arrêt rectifié et qu’il ne sera plus délivré d’expédition, ni d’extrait, ni de copie de ce dernier sans la rectification telle qu’ordonnée,

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT, en présence du greffier Viviane PROBST.

 

Viviane PROBST

greffier

Thierry HOSCHEIT

président

 


Arrêt de la Cour constitutionnelle

 

1er mars 2024

 

 

Dans l’affaire n° 00192 du registre

 

ayant pour objet une question préjudicielle introduite, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le Tribunal administratif suivant jugement rendu le 17 octobre 2023 sous le numéro 45760 du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 19 octobre 2023, dans le cadre d’un litige

 

entre

 

PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.),

 

et

 

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine,

 

 

la Cour,

 

composée de

 

Thierry HOSCHEIT, président,

Brigitte KONZ, conseiller,

Agnès ZAGO, conseiller,

Alain THORN, conseiller,

Jeanne GUILLAUME, conseiller,

 

Viviane PROBST, greffier,

 

sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 20 novembre 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, et par Maître Maximilien LEHNEN, au nom de PERSONNE1.), ainsi que les conclusions additionnelles déposées le 20 décembre 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg,

 

 

ayant entendu Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, ainsi que Madame la déléguée du gouvernement Laurence MOUSEL, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 19 janvier 2024,

 

 

rend le présent arrêt :

 

 

En réponse à une demande du 13 juin 2019, le ministre de l’Education nationale a, par arrêté du 13 août 2019, accordé à PERSONNE1.), professeur dans l’enseignement secondaire, un congé sans traitement pour raisons professionnelles, à partir du 16 septembre 2019, jusqu’à la rentrée scolaire 2021/2022.

 

Se prévalant d’un certificat médical de grossesse daté du 8 octobre 2019, renseignant comme date prévue pour l’accouchement le 16 février 2020, PERSONNE1.) a adressé, le 10 novembre 2010, au ministre de la Fonction publique (ci-après le ministre), une demande tendant à l’octroi de son traitement pendant la durée de son congé de maternité.

 

Par décision datée du 8 décembre 2020, le ministre a refusé de faire droit à cette demande, au motif que l’article 30, paragraphe 2 de la loi fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, modifié par une loi du 9 mai 2018, prévoit certes que le congé sans traitement prend fin en cas de survenance d’une grossesse ou d’une adoption et que le fonctionnaire a alors droit à un congé de maternité ou d’accueil, mais que celui-ci n’est rémunéré, aux termes de l’alinéa 3 dudit paragraphe, qu’à la condition qu’il survienne « au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité ou d’accueil ou, s’il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de récréation y consécutifs ».

 

Or, cette condition ne serait pas remplie dans le cas de la demanderesse.

 

Par requête déposée en date du 8 mars 2021 au greffe du tribunal administratif, PERSONNE1.) a introduit un recours, principalement, en réformation et, subsidiairement, en annulation de la décision ministérielle précitée, dans le cadre duquel la demanderesse a soulevé la question de la conformité de la disposition légale citée ci-dessus à l’article 10bis de la Constitution telle qu’en vigueur au moment de l’introduction de ladite disposition légale.

 

Par jugement rendu en date du 17 octobre 2023, le tribunal administratif a saisi la Cour constitutionnelle de la question suivante :

 

« L’article 30, paragraphe 2, alinéa 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, tel que modifié par la loi du 9 mai 2018, en ce qu’il subordonne la rémunération du congé de maternité à la condition que ce dernier survienne au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité ou d’accueil ou, s’il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de recréation y consécutifs, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans sa version applicable au jour de la modification législative ? »

 

Selon PERSONNE1.), la loi du 9 mai 2018 aurait instauré une différence de traitement dépourvue de justification objective entre deux catégories de personnes suffisamment comparables, à savoir, d’une part, les fonctionnaires ayant déjà bénéficié d’un congé lié à une naissance ou à une adoption et, d’autre part, les fonctionnaires n’ayant pas encore bénéficié d’un tel congé.

 

Le délégué du gouvernement fait valoir que les deux catégories de personnes concernées par la différence de traitement instituée seraient, d’une part, les fonctionnaires dont le congé de maternité est rémunéré parce qu’il survient moins de deux ans après la fin d’un congé de maternité ou d’accueil ou, s’il y a lieu, la fin du congé parental ou du congé de récréation y consécutifs et, d’autre part, les fonctionnaires dont le congé n’est pas rémunéré, parce qu’il survient après ce délai de deux ans.

 

Or, ces deux catégories de personnes ne seraient « pas comparables car d’un point de vue temporel » elles se distingueraient.

 

En ordre subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait néanmoins que ces deux catégories de personnes sont comparables, il conviendrait de décider que la différence de traitement en cause serait justifiée eu égard à l’intérêt public poursuivi par le législateur, la restriction critiquée par PERSONNE1.) ayant été introduite par le législateur de 2018 dans un intérêt public qui serait d’éviter une « entrave au bon fonctionnement des services étatiques » et d’éviter des « abus ».

 

 

La disposition constitutionnelle visée par la question préjudicielle

 

L’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, dispose

 

« Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. ».

 

 

Le texte législatif soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle

 

L’article 30, paragraphe 2, alinéas 1 à 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat (ci-après « le statut général ») dispose

 

« Un congé sans traitement peut être accordé au fonctionnaire, sur sa demande, dans les cas ci-après :

a)        pour élever un ou plusieurs enfants à charge de moins de seize ans

b)        pour des raisons personnelles, familiales ou professionnelles dûment motivées. Les congés sans traitement accordés pour des raisons personnelles ou familiales ne peuvent dépasser dix années. Ceux accordés pour raisons professionnelles ne peuvent dépasser quatre années. En cas de circonstances exceptionnelles, le Gouvernement en conseil peut accorder une prolongation de deux années au maximum du congé sans traitement pour raisons professionnelles.

 

Si, pendant le congé sans traitement visé par le présent paragraphe, survient une grossesse ou une adoption, il prend fin et le fonctionnaire a droit à un congé de maternité ou d’accueil, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 29, (…).

 

Toutefois le congé de maternité ou d’accueil ainsi accordé n’est rémunéré que s’il survient au cours des deux premières années suivant la fin du congé de maternité ou d’accueil ou, s’il y a lieu, la fin du congé parental ou congé de recréation y consécutifs. ».

 

 

Réponse à la question préjudicielle

 

La mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité devant la loi suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.

 

La question préjudicielle posée en l’espèce concerne la différence de traitement instituée par la loi du 9 mai 2018 entre, d’une part, les fonctionnaires de l’Etat en congé sans traitement, bénéficiaires d’un congé de maternité, dont le congé de maternité survient dans un délai de deux ans à compter de la fin d’un congé de maternité ou d’accueil, ou s’il y a lieu, la fin du congé parental ou du congé de récréation y consécutifs, et, d’autre part, les fonctionnaires de l’Etat en congé sans traitement, bénéficiaires d’un congé de maternité, dont le congé de maternité survient après l’écoulement de ce délai de deux ans ou qui n’avaient jamais auparavant bénéficié d’un congé visé à l’article 30, paragraphe 2, du statut général.  

 

Ces deux catégories de personnes sont suffisamment comparables entre elles, en ce qu’il s’agit dans les deux cas de fonctionnaires de l’Etat, en congé sans traitement et bénéficiaires d’un congé de maternité.

 

La différence de traitement instituée consiste en ce que la première catégorie de fonctionnaires bénéficie d’un rétablissement de son traitement, alors que la seconde catégorie en est exclue.

 

Le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.

 

L’Etat soutient dans ses conclusions que le but poursuivi par le législateur aurait consisté à éviter une « entrave au bon fonctionnement des services étatiques », et plus généralement des « abus ».

 

La question reste ouverte de savoir pour quelle raison la lutte contre les abus ou les entraves au bon fonctionnement des services étatiques qu’il affirme s’être ainsi donnée pour but justifierait, à la fois, le rétablissement du traitement d’un fonctionnaire en congé sans traitement, ayant déjà bénéficié d’un congé lié à la maternité ou à l’accueil d’un enfant dans les conditions de délai définies à l’article 30, paragraphe 2, du statut général, d’un côté, et  le refus du législateur de rémunérer le congé de maternité d’un fonctionnaire en congé sans traitement, enceinte d’un premier enfant ou dont le congé de maternité ou d’accueil survient postérieurement à l’expiration du délai susvisé, de l’autre côté.

 

L’Etat n’explique pas dans quelle mesure la rémunération d’un fonctionnaire de l’Etat, bénéficiaire d’un congé sans traitement, enceinte d’un premier enfant ou dont le congé de maternité ou d’accueil survient postérieurement à l’expiration du délai défini à l’article 30, paragraphe 2 du statut général, serait à considérer comme une entrave au bon fonctionnement des services étatiques ou comme un abus, par opposition à la rémunération d’un fonctionnaire de l’Etat bénéficiant d’un congé sans traitement, ayant déjà bénéficié d’un congé de maternité ou d’accueil suivi d’un congé lié à la maternité ou à l’accueil d’un enfant avant l’expiration du délai défini à l’article 30, paragraphe 2, du statut général.

 

La différence de traitement consistant à priver de traitement la femme enceinte d’un premier enfant ou dont le congé de maternité ou d’accueil survient postérieurement à l’expiration dudit délai n’est pas rationnellement justifiée.

 

Il s’ensuit que, par rapport à la question préjudicielle posée, il convient de dire que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, tel que modifié par la loi du 9 mai 2018, n’est pas conforme à l’article 10bis de la Constitution.

 

 

Par ces motifs,

 

la Cour Constitutionnelle

 

 

dit, par rapport à la question préjudicielle posée, que l’article 30, paragraphe 2, alinéa 3, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, tel que modifié par la loi du 9 mai 2018, n’est pas conforme à l’article 10bis de la Constitution ;

 

dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;

 

dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de PERSONNE1.) lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;

 

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, juridiction dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

 

 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT, en présence du greffier Viviane PROBST.

 

 

 

 

s. Viviane PROBST

greffier

s. Thierry HOSCHEIT

président

 

 

 

 

Pour copie conforme

Luxembourg, le 1er mars 2024

 

 

 

 

 

Le greffier de la Cour constitutionnelle,

Viviane PROBST

 

 

 

           

Dernière mise à jour