Arrêt n° 190 de la Cour constitutionnelle - Question du droit ou non au congé parental pour les parents d'accueil d'un enfant placé judiciairement

ARRET de la Cour constitutionnelle

31 janvier 2024

Dans l’affaire n° 00190 du registre ayant pour objet une question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le Conseil arbitral de la sécurité sociale, suivant jugement rendu le 22 septembre 2023 (Reg. N° AF 3/23), déposé au greffe le 29 septembre 2023, dans le cadre d’un litige

Entre

PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.),

et 

la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, établie à L-2449 Luxembourg, 6, boulevard Royal, représentée par sa présidente, Madame Myriam SCHANCK,

la Cour,

 

composée de

Francis DELAPORTE, vice-président,

Henri CAMPILL, conseiller,

Agnès ZAGO, conseiller,

Marie-Laure MEYER, conseiller,

Alain THORN, conseiller,

Viviane PROBST, greffier.

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 30 octobre 2023 par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, au nom de la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS et le 2 novembre 2023 par Maître Roby SCHONS, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.),

ayant entendu Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, et Maître Anne BODIN, avocat, en remplacement de Maître Roby SCHONS, avocat à la Cour, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 5 janvier 2024,

ayant prononcé la rupture du délibéré en date du 5 janvier 2024 et refixé l’affaire à l’audience publique extraordinaire du mardi, 9 janvier 2024,

ayant entendu Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour, et Maître Catherine HUBER, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Roby SCHONS, avocat à la Cour, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 9 janvier 2024,

rend le présent arrêt :

Saisi par PERSONNE1.) d’un recours contre une décision du conseil d’administration de la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « la CAE») du 7 décembre 2022, rejetant sa demande en obtention d’une indemnité de second congé parental à temps plein, au titre du placement judiciaire en famille d’accueil d’un enfant mineur, motif pris qu’à défaut de lien de filiation ou d’adoption avec l’enfant accueilli, elle n’avait droit conformément à l’article 29bis de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ni à un congé parental ni à l’indemnité y relative, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a décidé de saisir la Cour constitutionnelle de la question suivante :

 

«  L’article 29bis du statut des fonctionnaires, tel que modifié par la loi du 3 novembre 2016, en excluant les accueillants, d’un enfant accueilli en famille d’accueil classique sur base du volontariat, de la faculté de pouvoir demander un congé d’accueuil en famille d’accueil classique sur base du volontariat, aux conditions et délais identiques que les bénéficiaires d’un congé parental ou congé d’accueil, créant ainsi une discrimination, non seulement entre accueillants d’un enfant en famille d’accueil classique sur base du volontariat et parents légitimes ou adoptifs, mais également entre enfants légitimes ou adoptifs et enfants accueillis en famille d’accueil classique sur base du volontariat, de sorte qu’il y a rupture d’égalité non justifiée devant la loi, partant double violation de l’article constitutionnel 10bis, aussi bien dans le chef d’accueillants en famille d’accueil que dans le chef de l’enfant accueilli en famille d’accueil classique sur base du volontariat, les précitées différenciations n’étant ni rationnellement justifiées, ni adéquates, ni proportionnées au but poursuivi, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution ? ».

 

Le texte législatif soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle

 

L’article 29bis, paragraphe 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat (ci-après « le statut général ») dispose :

 

« Tout parent a droit, suite à la naissance ou à l’adoption d’un ou de plusieurs enfants, à un congé parental tant que les enfants n’ont pas atteint l’âge de six ans aux conditions et dans les limites de la présente loi. Le délai de six ans est porté à douze ans pour les parents d’un ou de plusieurs enfants adoptés ».

 

La disposition constitutionnelle visée par la question préjudicielle

 

L’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, dispose : « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».

 

Le même libellé a été repris par l’article 15 du texte révisé de la Constitution entré en vigueur le 1er juillet 2023.

 

Quant à la recevabilité de la question préjudicielle

 

En ordre principal, la CAE soutient que la question préjudicielle acterait déjà l’existence d’une discrimination ni rationnellement justifiée ni adéquate, ni proportionnée au but poursuivi et contiendrait ainsi une appréciation subjective et suggestive qui n’aurait pas lieu d’y figurer. La question ainsi formulée devrait être déclarée irrecevable comme étant surabondante.

 

L’article 8 de la loi modifiée du 27 juillet 1997, portant organisation de la Cour Constitutionnelle, dispose que « la question préjudicielle qui figure au dispositif du jugement ne doit répondre à aucune condition particulière de forme. Elle indique avec précision les dispositions législatives et constitutionnelles sur lesquelles elle porte ».

 

La question préjudicielle vise avec précision les dispositions de la Constitution et de la loi sur lesquelles elle porte. En l’absence de conditions particulières de forme prévues par la loi, les passages critiqués par PERSONNE1.) quoique tendancieux, ne dépassent pas les limites de l’objectivité à un point tel que l’irrecevabilité de la question serait encourue.

 

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité n’est pas fondé.

 

Réponse à la question préjudicielle

 

Le législateur, en limitant expressément le droit au congé parental aux seuls parents biologiques ou adoptifs d’un enfant, exclut du bénéfice de ce congé les personnes accueillant un enfant dans le cadre d’un placement judiciaire.

 

Les dispositions de l’article 29bis du statut général, qui reprennent textuellement les dispositions du considérant (3) de la directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et de l’article 33 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ont été édictées « afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle ».

 

La mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité devant la loi suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.

 

La question de comparabilité au regard de l’article 29bis, paragraphe 1, du statut général se pose non seulement entre accueillants d’un enfant en famille d’accueil classique sur base du volontariat et parents légitimes ou adoptifs, mais également entre enfants légitimes ou adoptifs et enfants accueillis en famille d’accueil classique sur base du volontariat.

 

Les personnes visées par l’article 29bis du statut général (i.e. les parents biologiques ou adoptifs d’un enfant) se différencient des personnes accueillant un enfant dans le cadre d’un placement judiciaire dans la mesure où les enfants nés ou adoptés dans une famille restent pérennement liés à celle-ci, tandis que ceux placés judiciairement sont censés réintégrer leur famille d’origine dès que possible. Les accueillants d’un enfant placé auprès d’eux ne deviennent pas les parents de celui-ci et il n’y a pas création d’une famille. En raison de la précarité du placement des enfants placés judiciairement et de la pérennité pour les enfants biologiques ou adoptifs de rester dans leur famille, les situations tant de l’enfant biologique ou adoptif et de l’enfant placé judiciairement que celles des parents biologiques ou adoptifs et des personnes accueillant un enfant placé judiciairement auprès d’eux, ne sont pas suffisamment comparables.

 

Il s’ensuit que par rapport à la question préjudicielle posée, il convient de dire que l’article 29bis, paragraphe 1, de la loi modifiée au 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, est conforme à l’article 10bis, paragraphe 1, (actuel article 15) de la Constitution.

 

Au-delà de la non-comparabilité retenue de la situation d’un enfant placé judiciairement par rapport à celle l’enfant biologique ou adopté, si la prise en compte primordiale de l’intérêt de l’enfant dans les décisions qui le concernent, ainsi que le droit de chaque enfant à la protection, aux mesures et aux soins nécessaires à son bien-être et à son développement, tels que garantis par l’article 15 de la Constitution révisée entrée en vigueur le 1er juillet 2023, sont susceptibles de justifier un aménagement dans le chef des personnes qui accueillent un enfant placé de nature à garantir qu’elles soient utilement disponibles pour celui-ci dans le cadre de cet accueil, il incombe au seul législateur d’en décider.

 

PAR CES MOTIFS,

la Cour constitutionnelle :

déclare la question préjudicielle posée recevable ;

 

dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 29bis, paragraphe 1, de la loi modifiée au 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1, (actuel article 15) de la Constitution ;

 

dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;

 

dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénoms de PERSONNE1.) lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;

 

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au Conseil arbitral de la sécurité sociale, juridiction dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le vice-président Francis DELAPORTE, en présence du greffier Viviane PROBST.

 

 

 

 

 

 

s. Viviane PROBST

greffier

s. Francis DELAPORTE

vice-président

 

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