Arrêt n° 177 de la Cour constitutionnelle - Stage de soldat volontaire de l’Armée

Arrêt de la Cour constitutionnelle - 3 mars 2023

Dans l’affaire n° 00177 du registre

 

ayant pour objet une question préjudicielle introduite, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le Tribunal administratif suivant jugement rendu le 21 octobre 2022 sous le numéro 45218 du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 26 octobre 2022, dans le cadre d’un litige

 

entre

 

PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE1.),

 

et

 

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine,

 

La Cour,

 

composée de

 

Roger LINDEN, président,

Francis DELAPORTE, vice-président,

Agnès ZAGO, conseiller,

Thierry HOSCHEIT, conseiller,

Marie-Laure MEYER, conseiller,

 

Viviane PROBST, greffier,

 

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 22 novembre 2022 par Madame la déléguée du gouvernement Claudine KONSBRUCK pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et celles déposées le 22 décembre 2022 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.),

 

ayant entendu Maître Jonathan HOLLER, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, ainsi que Madame la déléguée du gouvernement, Claudine KONSBRUCK, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 13 janvier 2023,

 

rend le présent arrêt :

 

PERSONNE1.) a participé à l’examen-concours pour le poste de sous-officier de la musique militaire ; à l’issue de cet examen, il a été retenu pour le poste de trompettiste dans l’orchestre de la musique militaire et convoqué au recrutement des volontaires de l’Armée. Le 11 août 2020, il a été déclaré inapte au service militaire par le médecin de l’Armée en raison d’un diabète de type 1.  

 

Par courriels des 14 et 26 août 2020, PERSONNE1.) a saisi le Ministre de la Défense d’une réclamation contre la décision de refus.

 

Le 8 septembre 2020, le Ministre de la Défense a refusé d’admettre PERSONNE1.) au stage de soldat volontaire de l’Armée.

 

Par requête déposée le 13 novembre 2020 au greffe du Tribunal administratif, PERSONNE1.) a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision de refus du Ministre de la Défense du 8 septembre 2020.

 

Il a soulevé l’inconstitutionnalité de l’article 20 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire (ci-après « la loi du 23 juillet 1952 ») sur base duquel a été pris le règlement grand-ducal modifié du 1er juillet 2008 déterminant le statut des volontaires de l’Armée (ci-après « le règlement grand-ducal du 1er juillet 2008 »).

 

Le Tribunal administratif, après avoir constaté que la décision ministérielle du 8 septembre 2020 est exclusivement basée sur l’article 2, points 2 et 3, du règlement grand-ducal du 1er juillet 2008, a, par jugement du 21 octobre 2022, soumis à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

 

« L’article 20 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire, en ce qu’il habilite le pouvoir réglementaire à prendre un règlement grand-ducal afin de déterminer les modalités concernant les conditions d’octroi du statut, du recrutement, de l’admission et du renvoi, de la formation et de l’avancement, de la durée d’engagement et de la rémunération des volontaires de l’armée, est-il conforme à l’article 96, combiné aux articles 32, paragraphe (3), respectivement 36 de la Constitution ? ».

 

Quant à la recevabilité des conclusions

 

L‘ETAT soulève l’irrecevabilité des conclusions de PERSONNE1.) pour être tardives en application de l’article 10, alinéa 1, de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle (ci-après « la loi du 27 juillet 1997 ») en ce qu’elles ont été déposées le 22 décembre 2022, partant en dehors du délai de trente jours suivant la notification aux parties de la question préjudicielle.

 

Le mandataire de PERSONNE1.) conclut au rejet de cette demande au motif que la question préjudicielle ne lui a pas été notifiée.

   

L’article 10, alinéa 1, de la loi du 27 juillet 1997 dispose :  

 

« Dans un délai de trente jours qui court à compter de la notification aux parties de la question préjudicielle, celles-ci ont le droit de déposer au greffe de la Cour des conclusions écrites; de ce fait elles sont parties à la procédure devant la Cour Constitutionnelle.»

 

Il découle de cette disposition que dès la notification de la question préjudicielle aux parties au principal, celles-ci disposent chacune de trente jours pour déposer leurs conclusions écrites, ce délai ayant la particularité de courir de façon parallèle pour chacune des parties concernées, leurs conclusions écrites étant appelées à refléter la prise de position des parties respectives sur la question préjudicielle.  

 

PERSONNE1.) disposait d’un délai de trente jours à partir du 27 octobre 2022, date à laquelle la question préjudicielle lui a été notifiée. Les conclusions déposées par l’intermédiaire de son mandataire le 22 décembre 2022 sont, par conséquent, tardives et doivent être écartées. A défaut d’avoir déposé ses conclusions dans le délai légal, PERSONNE1.) n’est pas partie à la procédure devant la Cour constitutionnelle.  

 

Les conclusions de l’ETAT, déposées dans le délai de trente jours, sont recevables.

 

Quant à la recevabilité de la question préjudicielle  

 

L’ETAT expose que le litige entre parties ne s’articule pas autour de l’article 20 de la loi du 23 juillet 1952, mais relève de l’aptitude médicale requise pour intégrer l’Armée. Il conteste l’utilité de la question soumise à la Cour constitutionnelle au motif qu’elle ne saurait avoir d’impact sur l’inaptitude médicale de PERSONNE1.), constatée par le médecin de l’Armée.

 

Le moyen procède d’une lecture erronée du jugement du Tribunal administratif du 21 octobre 2022 qui retient que la décision ministérielle du 8 septembre 2020 est exclusivement basée sur le règlement grand-ducal du 1er juillet 2008 lequel a comme base légale habilitante l’article 20 de la loi du 23 juillet 1952. Or, la constitutionnalité de la base habilitante du règlement grand-ducal du 1er juillet 2008 a une incidence directe sur la légalité de ce dernier.   

 

Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité de la question préjudicielle n’est pas fondé.

 

Le texte législatif soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle

 

L’article 20 de la loi du 23 juillet 1952, dans sa version applicable en l’espèce, dispose :

 

« (1) L’effectif du contingent des soldats volontaires est fixé par règlement grand-ducal.

 

(2) Un règlement grand-ducal détermine le statut des volontaires, y compris leurs conditions de recrutement, d’admission et de renvoi, de formation et d’avancement, la durée de leur engagement et leur rémunération. Il peut

 

-        allouer une indemnité de ménage aux volontaires ayant la qualité de chef de ménage et en déterminer le montant,

 

-        prévoir une prime de démobilisation et en fixer le montant, les modalités de paiement et les conditions à remplir par les bénéficiaires.

 

La prime dont question au dernier tiret ci-dessus est non pensionnable, non cotisable et non imposable. »

 

En application de l’article 20, paragraphe 2, de la loi du 23 juillet 1952, l’article 2 du règlement grand-ducal du 1er juillet 2008 dispose :  

 

« Pour être admis comme volontaire-stagiaire, le candidat doit remplir les conditions suivantes, sans préjudice des dispositions inscrites au chapitre IV.- « Des volontaires » de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire :

 

1.    être âgé de vingt-six ans au plus ;

2.    être exempté de maladies ou d’infirmités incompatibles avec le service militaire ;  

3.    posséder les qualités intellectuelles, morales, psychiques et physiques requises pour le service militaire ;

4.    avoir fait preuve, avant l’admission au stage, d’une connaissance adéquate des trois langues administratives telles que définies par la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues ;

5.    remettre un extrait du casier judiciaire datant de moins de deux mois.

 

Aux fins de déterminer si le candidat ne constitue pas une menace pour la sécurité nationale ou la sûreté de l’Etat, le ministre ayant dans ses attributions la défense veille à coopérer avec les autorités compétentes. »

 

Les normes constitutionnelles pertinentes

 

L’article 96 de la Constitution dispose :

 

« Tout ce qui concerne la force armée est réglé par la loi ».

 

L’article 32, paragraphe 3, de la Constitution dispose :

 

« Dans les matières réservées à la loi par la Constitution, le Grand-Duc ne peut prendre des règlements et arrêtés qu’en vertu d’une disposition légale particulière qui fixe l’objectif des mesures d’exécution et le cas échéant les conditions auxquelles elles sont soumises. »

 

L’article 36 de la Constitution dispose :

 

« Le Grand-Duc prend les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois ».

 

La réponse de la Cour constitutionnelle

 

En disposant que tout ce qui concerne la force armée est réglé par la loi, l’article 96 de la Constitution inclut l’ensemble des dispositions concernant la force armée parmi les matières réservées à la loi, y compris les conditions d’octroi du statut, de recrutement, de l’admission et du renvoi des volontaires de l’Armée.

 

D’après l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, dans les matières réservées par la Constitution à la loi, la fixation des objectifs des mesures d’exécution doit être clairement énoncée, de même que les conditions auxquelles elles sont, le cas échéant, soumises. L’orientation et l’encadrement du pouvoir exécutif doivent, en tout état de cause, être consistants, précis et lisibles, l’essentiel des dispositions afférentes étant appelé à figurer dans la loi.

 

L’article 20, paragraphe 2, de la loi du 23 juillet 1952, en disposant qu’« Un règlement grand-ducal détermine le statut des volontaires, y compris leurs conditions de recrutement, d’admission et de renvoi, de formation et d’avancement, la durée de leur engagement et leur rémunération (…) », ne prévoit pas un cadrage normatif suffisamment précis concernant les conditions d’octroi du statut, d’admission ou d’éviction pour des critères purement médicaux des volontaires de l’Armée.

 

Cet article n’habilite donc pas valablement le pouvoir exécutif à prendre des règlements et arrêtés en la matière.

 

Selon l’ETAT, la Cour constitutionnelle devrait, pour apprécier l’existence d’un cadrage normatif suffisant, ne pas limiter son examen au seul article 20 de la loi du 23 juillet 1952, mais également prendre en considération les articles 18 à 21.

 

L’article 18 de la loi du 23 juillet 1952 dispose :

 

« Peuvent être admis comme candidat soldat volontaire à l’armée les candidats de nationalité luxembourgeoise.

 

Peuvent également être admis comme candidat soldat volontaire à l’armée les candidats de nationalité d’un des Etats membres de l’Union Européenne, ci-après dénommés citoyens européens, s’ils résident au Luxembourg depuis au moins
trente-six mois.

 

Nul n’est admis à la candidature d’officier, de sous-officier ou de caporal, respectivement au stage d’officier conformément aux dispositions de l’article 8 paragraphe 3 de la présente loi, s’il ne possède la nationalité luxembourgeoise.»

 

L’article 19 de la loi du 23 juillet 1952 dispose :

 

« Dans les limites du contingent qui est fixé conformément à l’article 20 ci-après, tout luxembourgeois et tout citoyen européen peut servir comme soldat volontaire, s’il est âgé de dix-huit ans accomplis au moins et s’il remplit les conditions de recrutement à fixer par le règlement grand-ducal prévu au susdit article 20.»

 

L’article 21 de la loi du 23 juillet 1952 dispose :

 

« Le volontaire qui se trouve sous le coup de poursuites judiciaires peut être suspendu de ses fonctions par le ministre.

 

S’il se trouve en détention préventive, la suspension s’opère de plein droit pour la durée de la détention. »

 

Seul l’article 19 est pertinent en l’espèce. Ses dispositions, combinées à celles de l’article 20 précité, ne sont cependant pas suffisamment précises pour permettre de dégager une fixation clairement énoncée des objectifs des mesures d’exécution.  

 

Au vu de ce qui précède, et par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 20 de la loi du 23 juillet 1952 n’est pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution.

 

Comme la Cour constitutionnelle n’a pas à examiner la légalité des règlements, l’article 36 de la Constitution, qui a trait à l’exécution des lois par le pouvoir réglementaire conféré au Grand-Duc, est étranger à la question de conformité de la loi du 23 juillet 1952 à la Constitution.

 

PAR CES MOTIFS,

 

la Cour constitutionnelle

 

écarte des débats les conclusions de PERSONNE1.) pour être tardives ;

 

dit, par rapport à la question préjudicielle posée, que l’article 20 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire n’est pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution;

dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;

 

dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de PERSONNE1.) lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;

 

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN, en présence du greffier Viviane PROBST.

 

 

 

 

 

s. Viviane PROBST

greffier

s. Roger LINDEN

président

 

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