Arrêt n° 175 de la Cour constitutionnelle - référé - taxation d'honoraires d'expert - publicité des débats

 

ARRET de la Cour constitutionnelle - 9 décembre 2022

 

Dans l’affaire n° 00175 du registre

 

ayant pour objet quatre questions préjudicielles soumises à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière d’appel de référé, suivant arrêt numéro 118/22-VII-TAX rendu le 15 juin 2022 (numéro CAL-2022-00269 du rôle), déposé au greffe le 16 juin 2022, dans le cadre d’un litige

 

entre

 

1) PERSONNE1.), et son épouse

2) PERSONNE2.), les deux demeurant à L-ADRESSE1.),

et

la société anonyme SOCIETE1.), en faillite, ayant eu son siège social à L-ADRESSE2.), inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B NUMERO1.), représentée par le curateur Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant à Gonderange.

 

La Cour,

 

composée de

 

Roger LINDEN, président,

Francis DELAPORTE, vice-président,

Henri CAMPILL, conseiller,

Théa HARLES-WALCH, conseiller,

Brigitte KONZ, conseiller,

 

Marcel SCHWARTZ, greffier,

 

Sur le rapport du magistrat délégué à l’audience du 10 octobre 2022,

 

 

rend le présent arrêt :

 

Saisie par PERSONNE2.) et PERSONNE1.) d’un appel interjeté contre une ordonnance du juge des référés du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant « en matière de taxation d’honoraires d’expert en instance de référé » ayant réduit le montant redû à titre d’honoraires par les appelants à l’expert judiciaire, la Cour d’appel, siégeant en matière d’appel de référé, a déféré à la Cour constitutionnelle les quatre questions préjudicielles suivantes :

 

« 1/ L’article 448 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce qu’il instaure une dérogation à la publicité des débats est-il conforme à l’article 88 de la Constitution, lu seul ou en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1er, 2e phrase de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

 

2/ L’article 448 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce qu’il instaure une dérogation à la publicité des débats qui joue de plein droit, sans intervention du juge, et l’article 185 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce qu’il réserve d’une façon générale la possibilité pour la loi de prévoir une dérogation à la publicité des débats sans intervention du juge, sont-ils conformes à l’article 88 de la Constitution, lu seul ou en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1er, 2e phrase de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

 

3/ L’article 448 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce qu’il ne lie pas la dérogation à la publicité des débats à un motif déterminé, ou en ce qu’il lie cette dérogation implicitement à un des motifs prévus à l’article 185 du Nouveau Code de Procédure Civile, et l’article 185 du Nouveau Code de Procédure Civile en ce qu’il prévoit certains motifs pouvant justifier la dérogation à la publicité des débats, sont-ils conformes à l’article 88 de la Constitution, lu seul ou en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1er, 2e phrase de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

 

4/ L’article 448 du Nouveau Code de Procédure Civile, en ce qu’il maintient la publicité des débats en première instance et prévoit la tenue des débats en chambre du conseil au stade du recours contre la décision rendue en première instance, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution ?».

 

Les textes législatifs soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle

 

L’article 185 du Nouveau Code de Procédure Civile (ci-après « NCPC ») dispose :

 

« Les plaidoiries seront publiques, excepté dans les cas où la loi ordonne qu'elles seront secrètes. Pourra cependant le tribunal ordonner qu'elles se feront à huis clos, si la discussion publique devait entraîner un scandale ou des inconvénients graves : mais, dans ce cas, le tribunal sera tenu d'en délibérer, et de rendre compte de sa délibération au procureur général d'Etat près la Cour supérieure de justice ; et si la cause est pendante dans un tribunal d'appel, au grand-juge Ministre de la justice. »

 

L’article 448 du NCPC dispose :

 

« Lorsque les parties contestent le montant des indemnités et frais réclamé par le technicien, ce montant est taxé par le juge saisi par simple lettre, le technicien et les parties entendus. Le juge peut délivrer un titre exécutoire.

La taxe des indemnités et frais est susceptible d'un recours à former devant une chambre civile de la cour d'appel, siégeant en chambre du conseil.

Le recours est formé par simple lettre et est dispensé du ministère d'un avoué.

Il doit être introduit dans les huit jours de la notification, par lettre recommandée du greffier, de la décision de taxe au technicien et aux parties.

Le technicien et les parties sont entendus par la cour.

Aucun recours n'est admissible contre la décision de la cour.

Les actes de la procédure et les décisions sont affranchis des formalités de timbre et d'enregistrement ».

 

Les normes constitutionnelles et conventionnelle pertinentes

 

L’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution dispose :

 

« Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».

 

L’article 88 de la Constitution dispose :

 

« Les audiences des tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les mœurs, et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement ».

 

L’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la CEDH ») dispose :

 

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

 

Réponses aux questions préjudicielles

 

Le principe de la publicité des audiences des juridictions garanti tant par l’article 88 de la Constitution que par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH n’est pas absolu, mais peut être soumis à une dérogation par décision judiciaire ordonnant le huis clos, pour les cas où cette publicité serait dangereuse pour l’ordre ou les bonnes mœurs, lorsque les besoins de protection des intérêts en cause l’exigent.

 

L’article 185 du NCPC prévoit à son tour des exceptions au principe de la publicité des plaidoiries en audience.

 

L’article 448 du NCPC organise la procédure de taxation des indemnités et frais d’un technicien nommé par décision judiciaire. Il prévoit qu’en instance d’appel, les débats ont lieu en chambre du conseil, le technicien et les parties entendus.

 

Les trois premières questions tablent sur la prémisse que l’article 448 du NCPC instaure une dérogation à la publicité d’une « audience d’un tribunal » au sens de l’article 88 de la Constitution, considéré seul ou ensemble l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, à savoir une audience de plaidoiries, par essence publique, en vue du règlement de contestations existant entre parties.

 

Or, l’article 448 du NCPC n’a ni pour objet ni pour effet de limiter la publicité des plaidoiries dans le cadre du règlement d’un différend entre parties à un litige, mais il a vocation à organiser, en instance d’appel, en chambre du conseil, c’est-à-dire in camera dans les lieux en principe réservés aux délibérations des juges, la procédure de règlement d’un simple incident au niveau de la taxation des indemnités et frais d’un technicien nommé dans le cadre d’une mesure d’instruction ordonnée par une juridiction.

 

Sous ce rapport, l’article 448 du NCPC est par nature étranger tant à l’article 88 de la Constitution, considéré seul ou ensemble l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, qu’à l’article 185 du NCPC, de sorte à ne pas impliquer de questions de conformité afférentes.

 

L’article 448 du NCPC, en se limitant à prévoir que le juge taxateur saisi par une partie statue sur une contestation portant sur les indemnités et frais réclamés, le technicien et les parties entendus, ne prévoit aucun débat public. Pour les mêmes raisons que celles à la base des réponses données aux questions précédentes, aucun problème ne se pose en termes d’égalité de traitement.

 

Partant l’article 448 du NCPC, lu ensemble l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, n’implique pas de question de conformité à l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution.

 

PAR CES MOTIFS,

 

la Cour constitutionnelle :

 

dit que les questions préjudicielles posées n’impliquent pas de non-conformité aux articles 10bis, paragraphe 1, et 88 de la Constitution, pris ensemble l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

                

dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;

 

dit qu’il sera fait abstraction des noms et prénoms de PERSONNE1.) et PERSONNE2.) ainsi que du nom de la société SOCIETE1.) lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;

 

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle à la Cour d’appel, septième chambre, dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Roger LINDEN, en présence du greffier Marcel SCHWARTZ.

 

 

s. Marcel SCHWARTZ

greffier

 

s. Roger LINDEN

président

 

 

 

 

 

 

 

 

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