La Cour constitutionnelle est saisie d'une question préjudicielle émanant de la Cour administrative dans le contexte d'un reclassement dans un autre groupe de traitement

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

COUR ADMINISTRATIVE

Numéro 46814C du rôle

ECLI:LU:CADM:2022:46814

Inscrit le 21 décembre 2021

 

 

 

Audience publique du 24 mai 2022

 

Appel formé par Monsieur (T), …,

contre un jugement du tribunal administratif

du 12 novembre 2021 (no 42846 du rôle)

ayant statué sur son recours

contre une décision du ministre de la Sécurité intérieure

en matière de promotion

 

Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 46814C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2021 par Maître Gérard SCHANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (T), demeurant à L-… …, … …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 12 novembre 2021 (no 42846 du rôle), l’ayant débouté de son recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Sécurité intérieure du 15 février 2019 portant rejet de sa demande d’accès au groupe de traitement B1 ;

 

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 janvier 2022 ;

 

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 14 février 2022 par Maître Gérard SCHANK au nom de l’appelant ;

 

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 7 mars 2022 ;

 

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

 

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

 

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 22 mars 2022 ;

 

Vu l’avis de la Cour du 28 mars 2022 ayant prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position sur la question soulevée dans ledit avis et la proposition de question préjudicielle y formulée ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2022 ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 20 avril 2022 par Maître Gérard SCHANK au nom de l’appelant ;

Sur le rapport complémentaire du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 26 avril 2022.

 

 

Par un courrier de son mandataire du 7 janvier 2019 adressé au ministre de la Sécurité intérieure, ci-après dénommé « le ministre », Monsieur (T), commissaire de police, classé dans le groupe de traitement C1, demanda « principalement, d’être reclassé dans le groupe de traitement B1 au même titre que les expéditionnaires techniques détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalent, les informaticiens diplômés, les préposés de la nature et des forêts, les techniciens diplômés, les agents sanitaires, les assistants techniques médicaux, les éducateurs, les infirmiers et les infirmiers spécialisés et tous les employés de l’État détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de fin d’études secondaires classiques, d’un diplôme de fin d’études secondaires générales, d’un brevet de maîtrise ou d’un diplôme équivalent, sinon, subsidiairement, d’accéder au groupe de traitement B1 (…) après avoir réussi à un examen, au même titre que les policiers de l’IGP. ».

 

Le 15 février 2019, le ministre répondit en les termes suivants :

 

« (…) J’accuse bonne réception de votre demande du 8 janvier 2019, introduite par l’intermédiaire de Maître Pol URBANY, par lequel vous demandez à accéder au groupe de traitement B1 du cadre policier de la Police principalement au moyen d’un reclassement, sinon, subsidiairement, après avoir réussi à l’examen-concours du groupe de traitement B1.

 

Les fonctionnaires du cadre policier de la Police peuvent accéder au groupe de traitement immédiatement supérieur au leur par le biais de la carrière ouverte (art. 73ss de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale) ou du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement « voie expresse » (art. 94 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale).

 

Les fonctionnaires du groupe de traitement C1 du cadre policier de la Police qui sont détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales ou d’un diplôme équivalent et qui ont auparavant suivi avec succès la formation professionnelle de base du groupe de traitement C1 ont par ailleurs la possibilité d’accéder au groupe de traitement B1 en se soumettant à l’examen-concours de ce groupe de traitement (art. 66 de la loi précitée de 2018).

 

Concernant la demande formulée à titre principal, force est de relever que la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat a intégré l’ancienne carrière de l’inspecteur dans le groupe de traitement D1. Depuis la loi du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, l’ancienne carrière de l’inspecteur appartient au groupe de traitement C1.

 

Il n’existe pas de base légale en vertu de laquelle les fonctionnaires du groupe de traitement C1 du cadre policier de la Police, furent-ils détenteurs d’un diplôme de fin d’études ou de fins d’études générales ou d’un diplôme équivalent, pourraient être intégrés automatiquement dans le groupe de traitement B1 du cadre policier de la Police.

 

Quant à la demande formulée à titre subsidiaire, vous êtes libre de vous présenter à l’examen-concours qui sera organisé dans le groupe de traitement B1 du cadre policier de la Police au courant de l’année 2019. Vous pourrez, en cas de réussite et de classement en rang utile, accéder au groupe de traitement B1 selon les conditions fixées par la loi. (…) ».

 

Contre cette décision, Monsieur (T) saisit le 14 mai 2019 le tribunal administratif d’un recours en réformation sinon en annulation.

 

Par un jugement du 12 novembre 2021, le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, déclara irrecevable le recours subsidiaire en annulation en tant que dirigé contre le volet de la décision du ministre du 15 février 2019 informant le demandeur sur les voies alternatives d’accès au groupe de traitement B1 et déclara le recours en annulation recevable mais non fondé en tant que dirigé contre la décision du ministre du 15 février 2019 portant rejet de sa demande de reclassement automatique dans le groupe de traitement B1. Il rejeta encore la demande en allocation d’une indemnité de procédure du demandeur et le condamna aux frais de l’instance.

 

Pour ce faire, le tribunal retint tout d’abord que le ministre avait rejeté à bon droit la demande de reclassement automatique dans le groupe de traitement B1, telle que formulée par Monsieur (T), à défaut de disposition légale permettant de reclasser d’office un inspecteur de police, détenteur d’un diplôme de fin d’études secondaires, du groupe de traitement C1 dans le groupe de traitement B1.

 

Concernant l’argumentation de Monsieur (T) que l’absence de disposition dans la loi du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, ci-après « la loi du 18 juillet 2018 », créerait une inégalité devant la loi, contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, dès lors que les inspecteurs de police, détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, contrairement à d’autres catégories d’agents publics, n’ont été reclassés ni par la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat, dénommée ci-après « la loi du 25 mars 2015 », ni par la loi du 18 juillet 2018 dans le groupe de traitement B1 correspondant à leur niveau d’études, et qu’ils devraient faire face à des conditions moins favorables que d’autres agents de la fonction publique dans le cadre des mécanismes alternatifs d’accès au groupe de traitement B1, ainsi que cela résulterait de la comparaison de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 avec l’article 55 de la loi du 25 mars 2015, respectivement de l’article 55 de la loi du 18 juillet 2018 avec l’article 23 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police, dénommée ci‑après « la loi du 18 juillet 2018 (IGP) », et sa demande de soumettre à la Cour constitutionnelle trois questions de constitutionnalité, le tribunal retint que c’est le silence de la loi qui était à la base de la première question de constitutionalité soulevée. Il considéra que même si la Cour constitutionnelle devait constater une discrimination des inspecteurs de police détenteurs d’un diplôme par rapport à d’autres catégories d’agents publics, une déclaration de non-conformité d’une disposition donnée, qui n’a cependant pas été à la base de la décision de refus litigieuse, ne pourrait avoir aucune influence sur le sort du litige, le ministre n’ayant justement pas invoqué de base légale pour justifier son refus, mais bien l’absence de base légale lui permettant d’accueillir favorablement la demande de Monsieur (T).

 

Le tribunal en déduit que quelle que soit la disposition légale déclarée, le cas échéant, non conforme par la Cour constitutionnelle et qui ne serait plus applicable de ce fait, le constat du ministre selon lequel aucune disposition ne lui permettrait de faire droit à la demande de reclassement automatique présentée par Monsieur (T), ne pourrait pas être invalidé, tout en rappelant qu’il ne lui appartenait pas de combler les lacunes de la loi.

 

Il tira la même conclusion pour les deux autres questions préjudicielles, tablant sur une violation de l’article 10bis de la Constitution par les articles 94 et 55 de la loi du 18 juillet 2018, en ce qu’ils n’ont pas été appliqués par la décision litigieuse.

 

Le tribunal arriva dès lors à la conclusion qu’en vertu de l’article 6, alinéa 2, point a), de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, il n’y avait pas lieu de saisir celle-ci, puisqu’une décision sur les questions soulevées ne lui était pas nécessaire pour rendre son jugement.

 

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 21 décembre 2021, Monsieur (T) a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 12 novembre 2021 dont il sollicite la réformation dans le sens de voir saisir, avant tout autre progrès en cause, la Cour constitutionnelle des trois questions préjudicielles déjà formulées en première instance, et partant voir réformer sinon annuler la décision litigieuse du 15 février 2019 avec mise des frais à charge de l’Etat et condamnation de celui-ci à une indemnité de procédure de … euros.

 

A l’appui de son appel, il expose être au service de l’Etat en tant que fonctionnaire de police depuis 2009 et exercer ses fonctions en qualité de commissaire au service de Police judiciaire, ...          , et percevoir une rémunération correspondant au groupe de traitement C1.

 

En droit, il reproche aux premiers juges d’avoir retenu que les choix faits en matière de reclassement des fonctionnaires relevaient de l’opportunité politique non soumise au contrôle du juge et de s’être fondés sur l’absence de base légale permettant un reclassement d’office pour rejeter son recours. Ce faisant, les premiers juges n’auraient pas répondu à son argumentation selon laquelle il serait victime d’un traitement inégalitaire en ce qui concerne l’accès au groupe de traitement B1 et aux conditions d’avancement au sein du groupe de traitement B1.

 

L’appelant réitère ensuite son moyen tiré d’une violation de l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, tout en reprochant aux premiers juges d’avoir écarté sa demande de saisine de la Cour constitutionnelle.

 

Dans un premier ordre d’idées, concernant les conditions d’accès au groupe de traitement B1, il fait valoir que les lois des 25 mars 2015 et 18 juillet 2018 prévoiraient plusieurs mécanismes pour accéder au groupe de traitement supérieur, et plus particulièrement au groupe de traitement B1, tels que la prise en considération du niveau d’études, le mécanisme temporaire de changement de groupe ou la réussite à un examen. Ces mécanismes sembleraient a priori analogues, mais souffriraient de disparités importantes et injustifiées entre les policiers et les autres fonctionnaires et employés de l’Etat.

 

En ce qui concerne le premier mécanisme de reclassement basé sur le seul niveau d’études, les fonctionnaires de l’Etat appartenant au groupe de traitement C1, détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme reconnu équivalent, bénéficieraient d’un tel mécanisme de reclassement d’office dans le groupe de traitement B1 en vertu notamment des articles 43 et 47 de la loi du 25 mars 2015. Les employés de l’Etat bénéficieraient d’un mécanisme analogue à travers les articles 18 et 19 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, dénommée ci-après « la loi du 25 mars 2015 (employés) ».

 

Or, bien que la Police grand-ducale et l’Inspection générale de la Police auraient, elles aussi, fait l’objet d’une réforme importante par l’adoption de deux nouvelles lois en date du 18 juillet 2018, à savoir la loi du 18 juillet 2018 et la loi du 18 juillet 2018 (IGP), les fonctionnaires de police, détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme reconnu équivalent, ne pourraient pas invoquer le bénéfice d’un tel reclassement d’office du groupe de traitement C1 (anciennement les inspecteurs de police) au groupe de traitement B1.

 

En plus, au lieu d’un reclassement d’office des agents détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, l’article 55, paragraphe (2), de la loi du 18 juillet 2018 prévoirait un accès au groupe de traitement B1, mais limité en nombre et présupposant la réussite à un examen-concours. Ainsi, à raison de 20 postes par an, les quelques centaines de policiers concernés, pour peu qu’ils fassent partie de ceux qui auront été sélectionnés moyennant leur classement en rang utile à un examen-concours, prendraient plusieurs années, voire plusieurs décennies à être reclassés. De plus, la réussite d’un examen-concours constituerait manifestement une condition supplémentaire par rapport à celles applicables aux autres fonctionnaires et employés de l’Etat, dont la situation serait pourtant sinon identique du moins comparable.

 

En ce qui concerne le deuxième mécanisme de reclassement résultant du mécanisme temporaire de changement de groupe, prévu notamment à l’article 54 de la loi du 25 mars 2015 pour les fonctionnaires de l’Etat et à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 pour les policiers, le reclassement des policiers par ce biais serait cependant limité à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, la sélection des candidatures se basant de surcroît sur le critère de l’ancienneté de service si le nombre de candidatures admissibles dépasserait les vingt pour cent. Ces conditions supplémentaires, non prévues pour les autres fonctionnaires et employés de l’Etat, causeraient une différence de traitement injustifiée en défaveur des policiers.

 

Quant au troisième mécanisme de reclassement résultant de la réussite à un examen, tel que prévu par l’article 23 de la loi du 18 juillet 2018 (IGP), respectivement par l’article 55 de la loi du 18 juillet 2018, les agents de la Police grand-ducale seraient soumis à des conditions plus strictes que ceux de l’Inspection générale de la Police, alors qu’il leur faudrait réussir non pas un simple examen, mais un examen-concours pour un nombre limité de 20 postes par an.

 

Dans un deuxième ordre d’idées, l’appelant critique également les conditions d’avancement dans le nouveau groupe de traitement B1, les policiers subissant encore une différence de traitement par rapport aux autres fonctionnaires de l’Etat, voire par rapport aux employés de l’Etat, qui pourraient accéder au grade correspondant à leur ancienneté de service acquise depuis leur première nomination, contrairement aux policiers qui n’accèderaient qu’au premier grade du groupe de traitement B1, à savoir au grade F6.

 

Il en conclut qu’à situation identique sinon comparable, le personnel du cadre policier ne bénéficierait pas du même traitement que les autres fonctionnaires et employés de l’Etat quant aux conditions d’accès au groupe de traitement supérieur au sien et quant aux conditions d’avancement dans le nouveau groupe de traitement.

 

Il donne encore à considérer qu’il serait actuellement classé au groupe de traitement C1, alors même qu’il détiendrait, comme bon nombre de ses collègues de travail, un diplôme supérieur à celui requis pour être admis audit groupe traitement Cl et lequel devrait lui permettre d’être admis au groupe de traitement B1.

 

Or, contrairement à la loi du 25 mars 2015, la loi du 18 juillet 2018 n’aurait pas prévu le reclassement d’office vers le groupe de traitement B1 des fonctionnaires de police détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires appartenant au groupe de traitement C1. Il en résulterait une différence de traitement qui serait contraire à l’article 10bis de la Constitution, alors qu’elle ne serait pas justifiée par une disparité objective, rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.

 

Dans l’hypothèse où la violation du principe constitutionnel d’égalité de traitement ne serait pas encore établie à suffisance de droit, l’appelant réitère sa demande de voir saisir la Cour constitutionnelle des trois questions préjudicielles suivantes :

 

- « La loi du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’elle n’a pas prévu le reclassement d’office des fonctionnaires de police appartenant au groupe de traitement C1 et détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme reconnu équivalent, dans le groupe de traitement B1, alors que les fonctionnaires de l’État bénéficient d’un tel mécanisme au travers notamment des articles 43 et 47 de la loi du 25 mars 2015 sur les fonctionnaires de l’État, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution qui édicte que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ? » ;

 

- « L’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il instaure un mécanisme temporaire de changement de groupe permettant aux membres du cadre policier d’accéder à un groupe de traitement immédiatement supérieur au leur plus restrictif que celui instauré pour les fonctionnaires de l’État par l’article 55 de la loi du 25 mars 2015 sur les fonctionnaires de l’État, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution qui édicte que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ? » ;

 

- « L’article 55 de la loi du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il prévoit la création de vingt postes supplémentaires du groupe de traitement B1 du cadre policier à pourvoir par voie d’examen-concours, alors que l’article 23 de la loi du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police prévoit un mécanisme analogue mais sans limitation de nombre et par voie de simple examen, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution qui édicte que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ? ».

 

L’Etat sollicite en substance la confirmation du jugement dont appel. Le délégué du gouvernement soutient que ce serait à bon droit que les premiers juges n’ont pas fait droit à la demande de saisine de la Cour constitutionnelle, alors qu’une décision sur les questions préjudicielles soulevées ne serait pas nécessaire pour rendre un jugement. En effet, le ministre aurait été en droit de rejeter la demande de reclassement d’office de l’appelant dans le groupe de traitement B1 sur la seule base de son diplôme reconnu équivalent à un diplôme de fin d’études secondaires à défaut de base légale prévoyant un tel reclassement d’office des inspecteurs de police dans le groupe de traitement B1. Une éventuelle décision d’inconstitutionnalité d’une disposition légale n’ayant pas été à la base de la décision de refus litigieuse ne pourrait ainsi pas entraîner l’annulation de ladite décision. Il fait encore valoir, en ordre subsidiaire, que la Cour constitutionnelle serait compétente pour connaître de la conformité d’une disposition légale à la Constitution et non pas pour connaître du silence de la loi. Il conclut partant au caractère manifestement non fondé de la première question de constitutionnalité ainsi soulevée. Si, par hypothèse, la Cour administrative parvenait à une conclusion différente, le délégué du gouvernement fait valoir que, dans un arrêt du 26 novembre 2021 (n° 00168 du registre), la Cour constitutionnelle aurait dit que les fonctionnaires et employés de l’Etat, d’un côté, et les policiers, de l’autre côté, ne se trouveraient pas dans une situation comparable, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle.

 

De même, concernant la deuxième question préjudicielle suggérée par l’appelant, le délégué soutient que la Cour constitutionnelle se serait prononcée sur l’article 94, paragraphe 3, de la loi du 18 juillet 2018 en disant qu’il n’était pas contraire à l’article 10bis de la Constitution. Il précise encore que la possibilité d’accéder au groupe de traitement B1 par le biais de la voie expresse aurait simplement été indiquée par le ministre parmi d’autres possibilités et qu’elle ne ferait pas l’objet de la demande de l’appelant, de sorte que les développements de l’appelant relatifs à l’article 94 en question seraient dénués de toute pertinence.

 

Quant à la troisième question préjudicielle tirée de la non-conformité à l’article 10bis de la Constitution de l’article 55 de la loi du 18 juillet 2018 prévoyant la création annuelle de 20 postes supplémentaires dans le groupe de traitement B1, tandis que l’article 23 de la loi du 18 juillet 2018 (IGP) prévoirait un mécanisme analogue, mais sans limitation de nombre et par voie de simple examen, le délégué du gouvernement précise que cette limite de 20 postes, qui devrait être entendue comme un minimum, ne serait actuellement pas appliquée en raison d’un plan de recrutement extraordinaire à raison de 140 fonctionnaires du groupe de traitement B1 du cadre policier par an, plan initialement prévu sur trois années, mais qui sera très probablement prolongé. En plus, les fonctionnaires de police du groupe de traitement C1 voulant accéder au groupe de traitement B1 par la voie de la réussite de l’examen-concours ne seraient pas pris en considération dans ce quota de 140 fonctionnaires. L’appelant ne serait dès lors pas fondé à soutenir qu’en raison de la limite de 20 postes, les fonctionnaires concernés n’accèderaient au groupe de traitement B1 qu’après plusieurs années. En plus, la possibilité d’accéder au groupe de traitement B1 par le biais de la voie de l’examen-concours prévue à l’article 66 de la loi du 18 juillet 2018 aurait simplement été indiquée par le ministre parmi d’autres possibilités et qu’elle ne ferait pas l’objet de la demande de l’appelant, de sorte que les développements de l’appelant relatifs à l’article 66 en question seraient dénués de toute pertinence.

 

Quant à la violation alléguée du principe d’égalité devant la loi par rapport aux membres du cadre policier de l’Inspection générale de la Police, le délégué du gouvernement précise que ceux-ci seraient tout comme les membres du cadre policier de la Police soumis à la réussite d’un examen-concours. S’agissant de l’article 23 de la loi du 18 juillet 2018 (IGP), la non‑prévision de la limite de 20 postes, en ce qui les concerne, serait la contrepartie du « principe du non-retour » de l’Inspection générale de la Police vers la Police, ceci afin d’inciter les policiers à rejoindre l’Inspection générale de la Police malgré l’impossibilité de changer à nouveau vers la Police. Les membres du cadre policier de l’Inspection générale de la Police devraient toujours remplir la condition de diplôme et passer avec succès l’examen‑concours. Il conclut partant au rejet de la question préjudicielle de constitutionnalité pour être dénuée de tout fondement.

 

Concernant la prétendue inégalité de traitement pour ce qui est des conditions d’avancement au sein du groupe de traitement B1, le délégué du gouvernement soutient que ce serait à tort que l’appelant conclurait à une situation comparable et que la différence de régime serait tout à fait légitime. Il précise que l’exemple cité par la partie adverse selon lequel les fonctionnaires du groupe de traitement C1 du cadre policier de la Police qui accèdent au groupe de traitement B1 seraient classés au premier grade du groupe de traitement B1, à savoir au grade F6, correspondrait à la situation dans laquelle un fonctionnaire du groupe de traitement C1 du cadre policer, détenteur d’un diplôme de fin d’études ou d’un diplôme équivalent, décide d’accéder au groupe de traitement B1 par la biais de la réussite d’un examen-concours. Dans ce cas, les fonctionnaires en question quitteraient la Police pour ensuite la réintégrer dans le groupe de traitement B1. Ils seraient ainsi sur un pied d’égalité avec les candidats externes souhaitant intégrer la Police dans le groupe de traitement B1. Il ajoute que s’ils touchaient un traitement moindre que dans l’ancien groupe de traitement C1, ils pourraient se voir accorder un supplément personnel de traitement. Ils ne souffriraient ainsi d’aucun désavantage et seraient en plus dispensés du stage au sein de leur nouveau groupe de traitement B1.

 

Les premiers juges sont tout d’abord à confirmer en ce qu’ils se sont déclarés incompétents pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal et qu’ils ont uniquement porté leur analyse sur le recours subsidiaire en annulation de la partie appelante actuelle à défaut de disposition légale attribuant au juge administratif une compétence au fond en matière de reclassement.

 

Par ailleurs, dans le cadre du recours en annulation, l’analyse du juge administratif ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où il statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise (Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 22, Cour adm. 8 juillet 2008 et les autres références y citées).

           

Il s’ensuit que les modifications législatives et les règlements grand-ducaux pris postérieurement à la date de la décision lititigieuse ne sauraient valablement s’appliquer, sauf l’exception à vérifier d’une rétroactivité valablement retenue par le législateur.

 

L’appelant invoque en substance une violation de l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, dans la mesure où les fonctionnaires de police, en ce qui concerne leur reclassement du groupe de traitement C1 au groupe de traitement B1, seraient traités moins favorablement que d’autres fonctionnaires et employés de l’Etat, voire les membres du cadre policier de l’Inspection générale de la Police. Il sollicite ainsi, avant tout autre progrès en cause, de saisir la Cour constitutionnelle des trois questions préjudicielles suscitées relatives à la conformité de la loi du 18 juillet 2018, et notamment ses articles 55 et 94, à l’article 10bis de la Constitution.

 

Or, il échet de rappeler que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt précité du 26 novembre 2021 (n° 00168 du registre), a déjà eu à connaître du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement, encore appelé « mécanisme temporaire de la voie expresse », prévu à l’article 94, paragraphe (3), alinéa 3, de la loi du 18 juillet 2018, qui permet, sous certaines conditions, à des fonctionnaires de police du groupe de traitement C1 d’accéder au groupe de traitement immédiatement supérieur, à savoir le groupe de traitement B1.

 

Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle était saisie de quatre questions tendant à voir comparer l’article 94, paragraphe (3), alinéa 3, de la loi du 18 juillet 2018 à des dispositions relevant du statut des fonctionnaires de l’Etat en général, de celui des fonctionnaires expéditionnaires informaticiens, détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalent, de celui des fonctionnaires communaux et de celui des membres de l’Inspection générale de la Police bénéficiant dans le cadre de leurs législations respectives, sous certaines conditions, du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement.

 

Ce mécanisme temporaire est inspiré notamment de celui introduit par la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant les conditions et modalités de l’accès du fonctionnaire à un groupe de traitement supérieur au sien et de l’employé de l’Etat à un groupe d’indemnité supérieur au sien, en ce que le législateur s’est inspiré de la philosophie générale issue du processus de Bologne, des principes du « Lifelong Learning » et de la validation des acquis de l’expérience professionnelle.

 

Le mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement présuppose qu’un fonctionnaire soit placé dans un groupe de traitement inférieur et sollicite l’accès au groupe de traitement immédiatement supérieur au sien pour lequel cependant, a priori, il ne remplit pas les conditions d’accès, plus particulièrement en ce qui concerne le niveau de qualification requis. Ainsi, un fonctionnaire qui relève du groupe de traitement C1 qui correspond à la carrière inférieure de l’ancien expéditionnaire, pour lequel, en principe, la réussite avec succès de cinq années au niveau de l’enseignement secondaire ou secondaire technique était requise, va solliciter son admission au groupe de traitement B1, pour lequel, en principe, la délivrance d’un diplôme de fin d’études secondaires, voire d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme reconnu équivalent est requise, étant entendu qu’en principe ce fonctionnaire ne dispose d’aucun de ces diplômes.

 

La Cour constitutionnelle a relevé qu’en 2015, le législateur n’avait pas prévu la possibilité du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement, introduit au niveau de la fonction publique en général, en excluant certaines fonctions, dont celles de la Police grand-ducale et de l’Inspection générale de la Police, pour lesquels un changement de groupe de traitement ou d’indemnité n’était pas possible (doc. parl. N° 6462, sub article 5, page 3).

 

Une autre spécificité du corps de la Police grand-ducale est apparue à partir de l’audit ayant précédé la loi du 18 juillet 2018 en ce qu’une discordance des carrières policières par rapport aux carrières de l’administration générale a été dégagée, notamment en ce que jusqu’en 2018, au niveau du corps de la Police grand-ducale ni la carrière B1, ni la carrière A2, n’ont été prévues contrairement à la fonction publique générale.

 

C’est la loi du 18 juillet 2018 qui a créé ces nouvelles catégories de carrière, ensemble les nouveaux groupes de traitement afférents au sein du cadre policier. Cette création impliquait une nouvelle énumération reprenant les catégories et groupes de traitement du cadre policier, ensemble la possibilité pour les seuls fonctionnaires de la catégorie de traitement C d’accéder, sous certaines conditions, au groupe de traitement B1 (doc. parl. N° 7045, Commentaire des articles p. 52 et 56).

 

La Cour constitutionnelle a pu dégager que la nécessité préalable d’une restructuration du statut particulier de la Police grand-ducale, corps relevant de la Force publique, essentiellement hiérarchisée à sa base, par l’instauration de nouvelles catégories de traitement et de nouveaux groupes de traitement et, par l’introduction du mécanisme de la voie expresse à partir de la seule catégorie de traitement C, laissait apparaître que la situation du cadre policier de la Police grand-ducale était spécifique à tel point qu’elle devait être analysée à part et n’était dès lors comparable ni à celle des fonctionnaires de l’Etat en général, ni à celle des fonctionnaires expéditionnaires informaticiens, détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalent, ni encore à celle des fonctionnaires communaux, ni plus loin à celle des fonctionnaires de l’Inspection générale de la Police.

 

Outre cette question de comparabilité, la Cour constitutionnelle n’avait pas à connaître de la question actuellement soulevée par l’appelant, en ce qu’il met en exergue qu’à l’intérieur des fonctionnaires ayant relevé de la catégorie de traitement C du cadre policier de la Police grand-ducale au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, l’on rencontre essentiellement deux sous-catégories, à savoir celle des fonctionnaires remplissant d’ores et déjà les conditions d’admission au groupe de traitement B1 qui venait d’être créé en ce qu’ils étaient détenteurs soit d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales, soit d’un diplôme équivalent et que, normalement, ce diplôme aurait dû leur conférer le droit d’accéder directement au groupe de traitement B1 dès sa nouvelle création. L’autre sous‑catégorie est celle de tous les fonctionnaires qui n’ont pas disposé, à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, de pareil diplôme et qui ne disposaient dès lors pas d’ores et déjà du ticket d’entrée qui aurait dû être vérifié pour accéder au groupe de traitement B1, c’est-à-dire, le ticket correspondant au diplôme requis pour accéder à pareille carrière.

 

Il y a lieu de relever que les fonctionnaires ayant disposé d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales ou d’un diplôme reconnu équivalent n’ont pu être classés avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 que dans la catégorie de traitement C, étant donné que pour accéder dans la seule autre catégorie de traitement existante, c’est-à-dire la catégorie A correspondant aux fonctionnaires disposant d’un cursus complet de maîtrise suivant le système de Bologne, ils ne remplissaient tout simplement pas la condition de diplôme. De fait, les diplômés de l’enseignement secondaire globalement considérés se retrouvaient ensemble avec des fonctionnaires moins diplômés dans la même catégorie de traitement C pour laquelle les exigences en diplômes ont été bien moindres que celle d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales ou d’un diplôme équivalent.

 

De manière générale, il résulte de l’ensemble des données produites au dossier que le nombre des fonctionnaires ne disposant pas de pareils diplômes de fin d’études secondaires classiques ou générales ou de diplôme équivalent est largement supérieur à celui des fonctionnaires disposant de pareils diplômes. Par ailleurs, de manière générale, en termes d’ancienneté, la plupart des fonctionnaires non diplômés en termes des diplômes prévisés ont une ancienneté plus importante que ceux qui se trouvent plus diplômés.

 

A partir de tous ces éléments, la Cour est amenée à dégager des questions complémentaires parfois préalables se recoupant en partie avec les questions préjudicielles suggérées par l’appelant et posant en partie des questions d’ordre structurel également préalables.

 

A priori et de manière stricte, le mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement présuppose que le fonctionnaire sollicitant l’accès au groupe de traitement immédiatement supérieur au sien ne dispose pas du diplôme requis pour entrer de plano dans ce groupe supérieur au sien.

 

Dès lors, non seulement les deux sous-catégories de fonctionnaires précitées, – les diplômés et les moins diplômés au titre des diplômes de fin d’études secondaires classiques ou générales ou de diplôme équivalent – non seulement se distinguent en termes de diplômes, mais encore se distinguent a priori en termes d’accès à la catégorie de traitement B, groupe de traitement B1, immédiatement supérieure à la catégorie de traitement C, groupe de traitement C1.

 

En effet, pour les fonctionnaires n’ayant pas les diplômes précités, le mécanisme de la voie expresse est nécessaire pour qu’ils aient une chance de monter à la catégorie de traitement B, groupe de traitement B1, vu qu’ils ne disposent pas du diplôme requis pour y entrer de plano. Ils doivent dès lors effectuer le travail personnel de réflexion supplémentaire requis en vue de pouvoir accéder par le mécanisme de la voie expresse. De l’autre côté, les fonctionnaires détenant un des trois diplômes précités disposaient d’ores et déjà au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 du ticket d’entrée, c’est-à-dire du diplôme requis pour le groupe de traitement B1. Autrement dit, pour ces fonctionnaires, le mécanisme en tant que tel prévoyait une barrière qui n’avait pas lieu d’être. En ce qu’ils disposaient déjà du diplôme requis, comment justifier que des conditions supplémentaires en termes de travail supplémentaire notamment aient pu leur être imposées ?

 

Dès lors, la Cour est amenée à dégager une différence de traitement afférente au sein même de la catégorie des fonctionnaires du groupe de traitement C1 pour laquelle elle estime qu’une question de conformité à l’article 10bis de la Constitution se pose avant tout autre progrès en cause.

 

Cette question de conformité de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, compte tenu de la systémique même de cette loi à l’article 10bis de la Constitution, se trouve d’ores et déjà contenue dans les trois questions préjudicielles suggérées sans que toutefois leur libellé, tel que proposé par l’appelant, ne soit pertinent tel quel.

 

En effet, les trois questions sont bâties sur des mécanismes de comparaison, la première par rapport aux articles 43 et 47 de la loi du 25 mars 2015 sur les fonctionnaires de l’Etat, la deuxième par rapport à l’article 55 de la même loi et la troisième par rapport à l’article 23 de la loi du 18 juillet 2018 (IGP).

 

Cependant, en ce que d’une manière générale, la Cour constitutionnelle, à travers son arrêt précité du 26 novembre 2021, a déclaré non comparable la situation des fonctionnaires relevant du cadre policier de la Police grand-ducale par rapport à celle des fonctionnaires de l’Etat en général (questions préjudicielles proposées 1 et 2) et par rapport à celle des fonctionnaires de l’Inspection générale de la Police en particulier (question préjudicielle proposée 3), la Cour est amenée à déclarer non pertinentes les trois questions suggérées suivant le libellé proposé par l’appelant.

 

Toutefois, la problématique, telle que valablement discutée par les parties au litige devant la Cour restant entière, a amené la Cour à reformuler surtout la question posée par rapport à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 et plus loin celle relevant de la systémique de la même loi au regard des distinctions portées par la loi en question entre les deux sous‑catégories de fonctionnaires de la Police grand-ducale ayant relevé jusque lors de la catégorie de traitement C, à savoir ceux ayant rempli à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 la condition de diplôme pour accéder de plano au groupe de traitement B1, c’est-à-dire celle d’être détenteur soit d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales, soit d’un diplôme reconnu équivalent, d’un côté, et tous les autres fonctionnaires ne disposant pas de pareil diplôme mais d’études vérifiées d’un niveau inférieur, de l’autre côté.

 

Dans la mesure où ces deux sous-catégories de fonctionnaires relèvent du même corps de la Police grand-ducale et du même groupe de traitement C1, elles sont a priori comparables et la Cour peut être amenée à poser à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle par rapport à l’article 10bis de la Constitution.

 

Sur ce, par avis du 28 mars 2022, la Cour a prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties, conformément au principe du contradictoire, de prendre position par rapport à la question préjudicielle suivante que la Cour envisageait de poser à la Cour constitutionnelle :

 

« - L’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, ne comporte-il pas une différence de traitement incompatible avec le principe d’égalité devant la loi, en ce que du fait également de la limitation de la mesure à un contingent de 20% impliquant que seuls les fonctionnaires ayant le meilleur rang d’ancienneté puissent profiter de la mesure de la voie expresse, ce système revient à ce que des fonctionnaires n’ayant pas les diplômes requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1 devancent et bloquent ceux ayant pourtant disposé dès le moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 des conditions de diplôme ayant dû leur conférer normalement dès cette date l’entrée immédiate au groupe de traitement B1 ?

 

- Subsidiairement, si le système instauré n’était pas de nature à traiter de manière indue, au regard du principe de l’égalité devant la loi, les fonctionnaires disposant d’un diplôme devant normalement donner de plano accès au groupe de traitement B1, est-ce que l’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, n’opère-t-il pas un traitement incompatible avec le principe général de proportionnalité en ce qu’aucune règle d’équivalence n’a été posée par le législateur dans le sens de prévoir que seuls les fonctionnaires pouvant faire valoir une ancienneté de plusieurs décennies puissent devancer des fonctionnaires avec moins d’ancienneté disposant cependant d’un diplôme ayant normalement dû leur donner accès direct au groupe de traitement B1 dès l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018. Cette différence de traitement a priori indue n’est-elle pas accentuée par le fait qu’en l’espèce, le fonctionnaire disposa du diplôme requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1, qui ne se trouve pas classé utilement compte tenu du contingentement prévu par l’article 94 en question, se voit uniquement offrir comme alternative de participer à l’examen-concours à tenir ultérieurement pour l’accès à la carrière B1, alors que pourtant il dispose du diplôme pertinent et qu’il a déjà passé un examen-concours pour rejoindre le corps de la Police grand-ducale ? ».

 

Dans son mémoire supplémentaire, l’appelant déclare acquiescer à la question préjudicielle ainsi proposée par la Cour.

 

La partie étatique fait valoir, dans son mémoire supplémentaire, que la situation des fonctionnaires de police, titulaires d’un diplôme de fin d’études secondaires, de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme équivalent à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 et celle des fonctionnaires ne disposant pas de pareil diplôme ne seraient pas forcément comparables, dès lors que ces sous-catégories de fonctionnaires différeraient par le fait que les uns ont intégré une carrière avec plus de diplômes que les diplômes requis, tandis que les autres ont intégré cette même carrière uniquement avec les diplômes nécessaires.

 

Le délégué du gouvernement souligne ensuite que l’appelant n’aurait pas demandé au ministre d’accéder au groupe de traitement B1 par le biais du mécanisme de la voie expresse, lequel ne ferait dès lors pas l’objet du recours. En plus, ce mécanisme aurait pour objet la validation des acquis professionnels peu importe le diplôme détenu lequel ne constituerait pas une condition à remplir afin de bénéficier de ce mécanisme. Ledit mécanisme ne constituerait pas non plus un « reclassement d’office » au groupe de traitement B1, puisque le candidat devrait remplir plusieurs conditions et rédiger un travail personnel de réflexion.

 

Il précise encore que la loi du 18 juillet 2018 aurait instauré un mécanisme pour le personnel policier de la Police grand-ducale qui serait similaire au mécanisme prévu pour l’Administration générale à travers l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, communément appelé « voie expresse », cette disposition transitoire ayant eu pour objet de garantir un mécanisme de promotion temporaire aux agents plus âgés en fonction qui, en raison de leur carrière avancée, n’étaient plus en mesure de profiter du nouveau régime de la validation des acquis de l’expérience professionnelle. L’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 reposerait sur la même idée en ce qu’il permettrait aux fonctionnaires du cadre policier, qui ont au moins une ancienneté de 15 ans et qui n’ont justement plus la possibilité de reprendre les études afin d’obtenir le diplôme correspondant au groupe de traitement auquel ils veulent accéder, de pouvoir accéder à un groupe de traitement supérieur.

 

Suivant l’analyse de la partie étatique, la question préjudicielle soulevée par la Cour selon laquelle l’article 94 en question serait contraire au principe d’égalité devant la loi, dès lors qu’il accorderait la priorité aux fonctionnaires « plus anciens » au détriment des fonctionnaires détenteurs des diplômes requis, méconnaîtrait fondamentalement la nature du mécanisme dit de la voie expresse. Le délégué du gouvernement précise qu’il serait faux d’affirmer que seuls les fonctionnaires ayant le meilleur rang d’ancienneté puissent profiter de ce mécanisme, alors que parmi les membres du cadre policier du groupe de traitement C1 admis à participer au mécanisme de la voie expresse figureraient également des fonctionnaires disposant des diplômes requis pour accéder au groupe de traitement B1. Ainsi, il conteste que ces fonctionnaires bloqueraient l’accès au groupe de traitement B1 aux fonctionnaires qui ont disposé dès l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 du diplôme requis. Il ajoute que le critère d’ancienneté serait un critère objectif qui permettrait de départager facilement les candidats en cas de dépassement des quotas.

 

Il conclut partant au caractère non fondé sinon non nécessaire de la question préjudicielle, formulée à titre principal, pour toiser le litige.

 

Concernant la question préjudicielle formulée à titre subsidiaire, le délégué du gouvernement soutient que le principe de proportionnalité ne serait pas méconnu par le fait que pour les fonctionnaires disposant d’un diplôme de fin d’études qui n’entrent pas dans le contingent prévu à l’article 94, il n’existerait pas d’autre alternative pour accéder au groupe de traitement B1 que de devoir participer à l’examen-concours pour le groupe de traitement B1. Il rappelle que la loi du 18 juillet 2018 n’aurait pas prévu le reclassement d’office au groupe de traitement B1. Par contre, il existerait d’autres mécanismes qui s’adresseraient aussi bien aux fonctionnaires du cadre policier du groupe de traitement C1 en possession des diplômes nécessaires pour accéder au groupe de traitement B1 qu’aux fonctionnaires du cadre policier du groupe de traitement C1 qui ne sont pas titulaires de tels diplômes, voire à ces deux groupes de fonctionnaires. Il existerait ainsi un mécanisme qui prévoit la passation d’un examen‑concours pour le groupe de traitement B1 allégé, prévu à l’article 66 de la loi du 18 juillet 2018 et à l’article 10 du règlement grand-ducal du 20 juillet 2020 déterminant les modalités de recrutement du personnel policier, ci-après « le règlement grand-ducal du 20 juillet 2020 », tandis qu’un autre mécanisme prévoirait la rédaction d’un travail personnel de réflexion suivant l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018. En outre, les fonctionnaires du cadre policier du groupe de traitement C1, qui sont détenteurs des diplômes requis pour le groupe de traitement B1 et qui remplissent les conditions de l’article 94, pourraient également être admis à participer au mécanisme de la voie expresse. Enfin, il existerait encore le mécanisme de la carrière ouverte, prévu aux articles 74 et suivants de la loi du 18 juillet 2018, qui s’adresserait également aux fonctionnaires du cadre policier du groupe de traitement C1. En outre, l’examen‑concours, même pour accéder au groupe de traitement B1, serait facilité pour les candidats qui sont déjà fonctionnaires du cadre policier du groupe de traitement C1 en application de l’article 10 du règlement grand-ducal du 20 juillet 2020.

 

En guise de conclusion, le délégué du gouvernement soutient que les fonctionnaires du cadre policier du groupe de traitement C1, détenteurs des diplômes requis pour accéder au groupe de traitement B1, disposeraient de plus de voies d’accès au groupe de traitement B1 que ceux qui ne sont pas titulaires de tels diplômes. Ainsi, la première catégorie de fonctionnaires pourrait accéder au groupe de traitement B1 via la voie expresse, l’examen‑concours, voire via la carrière ouverte, tandis que la seconde catégorie ne pourrait accéder au groupe de traitement B1 que par le biais de la voie expresse ou la carrière ouverte.

 

Il estime partant que la question préjudicielle, formulée à titre subsidiaire, n’est ni fondée ni nécessaire pour toiser le litige.

 

La Cour est tout d’abord amenée à retenir, pour les mêmes motifs qu’exposés précédemment et contrairement à ce que soutient la partie étatique, que la situation des deux sous-catégories de fonctionnaires ayant relevé jusque lors du groupe de traitement C1, à savoir ceux ayant rempli à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 la condition de diplôme requis pour accéder de plano au groupe de traitement B1, c’est-à-dire celle d’être titulaire soit d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales, soit d’un diplôme équivalent, d’un côté, et tous les autres fonctionnaires ne disposant pas de pareil diplôme mais d’études vérifiées d’un niveau inférieur, de l’autre côté, en ce qu’ils relèvent du même cadre policier de la Police grand-ducale et du même groupe de traitement C1, sont a priori comparables.

 

De même, s’il n’est pas contesté en cause qu’il n’existe pas de disposition dans la loi du 18 juillet 2018 qui prévoit le reclassement d’office du groupe de traitement C1 au groupe de traitement B1 des membres du cadre policier détenant un des diplômes prévisés et que s’il est certes vrai que l’appelant n’a pas demandé au ministre à être reclassé dans le groupe de traitement B1 par le biais du mécanisme de la voie expresse, il n’en demeure pas moins qu’il a demandé principalement à être reclassé dans le groupe de traitement B1 sur la seule base de son diplôme reconnu comme équivalent au diplôme de fin d’études secondaires luxembourgeois, sinon subsidiairement à pouvoir accéder au groupe de traitement B1 après avoir réussi à un examen « au même titre que les policiers de l’IGP », c’est-à-dire concrètement sans limitation du nombre de postes dans le groupe de traitement B1.

 

La Cour est ainsi amenée à considérer que pour les mêmes motifs qu’exposés précédemment, la problématique soulevée au regard des distinctions portées par la loi du 18 juillet 2018 entre les deux sous-catégories de fonctionnaires de la Police grand-ducale ayant relevé jusque lors de la catégorie de traitement C, à savoir ceux ayant rempli à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 la condition de diplôme requis pour accéder de plano au groupe de traitement B1, c’est-à-dire celle d’être diplômé soit d’un diplôme de fin d’études secondaires classiques ou générales, soit d’un diplôme équivalent, d’un côté, et tous les autres fonctionnaires ne disposant pas de pareil diplôme mais d’études vérifiées d’un niveau inférieur, de l’autre côté, demeure entière.

 

En conséquence, la question de conformité de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 et, plus loin, de la systémique même de cette loi, à l’article 10bis de la Constitution, serait à préciser et à formuler comme suit :

 

« - L’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, ne comporte-il pas une différence de traitement incompatible avec le principe d’égalité devant la loi, en ce que du fait également de la limitation de la mesure à un contingent de 20 % impliquant que seuls les fonctionnaires ayant le meilleur rang d’ancienneté puissent profiter de la mesure de la voie expresse, ce système revient à ce que des fonctionnaires n’ayant pas les diplômes requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1 devancent et bloquent ceux ayant pourtant disposé dès le moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 des conditions de diplôme ayant dû leur conférer normalement dès cette date l’entrée immédiate au groupe de traitement B1 ?

 

- Subsidiairement, si le système instauré n’était pas de nature à traiter de manière indue, au regard du principe de l’égalité devant la loi, les fonctionnaires disposant d’un diplôme devant normalement donner de plano accès au groupe de traitement B1, est-ce que l’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, n’opère-t-il pas un traitement incompatible avec le principe général de proportionnalité en ce qu’aucune règle d’équivalence n’a été posée par le législateur dans le sens de prévoir que seuls les fonctionnaires pouvant faire valoir une ancienneté de plusieurs décennies puissent devancer des fonctionnaires avec moins d’ancienneté disposant cependant d’un diplôme ayant normalement dû leur donner accès direct au groupe de traitement B1 dès l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018. Cette différence de traitement a priori indue n’est-elle pas accentuée par le fait qu’en l’espèce, le fonctionnaire disposa du diplôme requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1, mais ne remplit ni la condition de 15 années de service posée par l’article 94 en question, ni ne se trouva classé utilement compte tenu du contingentement prévu par ledit article 94, et se vit uniquement offrir comme alternative de participer à l’examen-concours à tenir ultérieurement pour l’accès à la carrière B1, alors que pourtant il dispose du diplôme pertinent et qu’il a déjà passé un examen-concours pour rejoindre le corps de la Police grand-ducale ? ».

 

La Cour est amenée à constater que ces questions ne sont pas dénuées de fondement, qu’elles n’ont pas encore été toisées par la Cour constitutionnelle et qu’elles sont nécessaires à la Cour pour rendre son arrêt.

 

En attendant la réponse de la Cour constitutionnelle à ces questions, il y a lieu de surseoir à statuer sur le litige dont est saisie la Cour administrative.

 

 

Par ces motifs,

 

la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

 

reçoit l’appel en la forme ;

 

au fond, avant tout autre progrès en cause, soumet à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

 

«  - L’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, ne comporte-il pas une différence de traitement incompatible avec le principe d’égalité devant la loi, en ce que du fait également de la limitation de la mesure à un contingent de 20 % impliquant que seuls les fonctionnaires ayant le meilleur rang d’ancienneté puissent profiter de la mesure de la voie expresse, ce système revient à ce que des fonctionnaires n’ayant pas les diplômes requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1 devancent et bloquent ceux ayant pourtant disposé dès le moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 des conditions de diplôme ayant dû leur conférer normalement dès cette date l’entrée immédiate au groupe de traitement B1 ?

 

- Subsidiairement, si le système instauré n’était pas de nature à traiter de manière indue, au regard du principe de l’égalité devant la loi, les fonctionnaires disposant d’un diplôme devant normalement donner de plano accès au groupe de traitement B1, est-ce que l’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, n’opère-t-il pas un traitement incompatible avec le principe général de proportionnalité en ce qu’aucune règle d’équivalence n’a été posée par le législateur dans le sens de prévoir que seuls les fonctionnaires pouvant faire valoir une ancienneté de plusieurs décennies puissent devancer des fonctionnaires avec moins d’ancienneté disposant cependant d’un diplôme ayant normalement dû leur donner accès direct au groupe de traitement B1 dès l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018. Cette différence de traitement a priori indue n’est-elle pas accentuée par le fait qu’en l’espèce, le fonctionnaire disposa du diplôme requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1, mais ne remplit ni la condition de 15 années de service posée par l’article 94 en question, ni ne se trouva classé utilement compte tenu du contingentement prévu par ledit article 94, et se vit uniquement offrir comme alternative de participer à l’examen-concours à tenir ultérieurement pour l’accès à la carrière B1, alors que pourtant il dispose du diplôme pertinent et qu’il a déjà passé un examen-concours pour rejoindre le corps de la Police grand-ducale ? » ;

réserve tous autres droits et moyens des parties, ainsi que les frais et la demande en allocation d’une indemnité de procédure de l’appelant ;

sursoit à statuer ;

fixe l’affaire au rôle général.

Ainsi délibéré et jugé par :

 

Serge Schroeder, premier conseiller,

Lynn Spielmann, conseiller,

Martine Gillardin,  conseiller,

 

et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

 

 

s. …                                                                s. Schroeder

 

Reproduction certifiée conforme à l’original

Luxembourg, le 24 mai 2022

Le greffier de la Cour administrative

 

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