Jugt n° 126/22
PRO JUSTITIA
Audience publique du 1er mars 2022
Le Tribunal de police de et à Luxembourg, arrondissement judiciaire de Luxembourg, a rendu le jugement qui suit
I)
dans l’affaire Ministère Public, partie poursuivante suivant citation du 28 décembre 2021 (dossier not. 4316/21/LD)
contre
P1 , né le (…) à (…), demeurant à (…),
prévenu,
comparant en personne.
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II)
dans l’affaire Ministère Public, partie poursuivante suivant citation du 28 décembre 2021 (dossier not. 3020/21/CD)
contre
P1 , né le (…) à (…), demeurant à (…),
prévenu,
comparant en personne.
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III)
dans l’affaire Ministère Public, partie poursuivante suivant citation du 28 décembre 2021 (dossier not. 2751/21/LD)
contre
1. P1 , né le (…) à (…), demeurant à (…),
2. P2 , né le (...) à (…), demeurant à (…),
prévenus,
comparant en personne.
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IV)
dans l’affaire Ministère Public, partie poursuivante suivant citation du 28 décembre 2021 (dossier not. 2579/21/LD)
contre
P1 , né le (…) à (…), demeurant à (…),
prévenu,
comparant en personne.
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V)
dans l’affaire Ministère Public, partie poursuivante suivant citation du 30 décembre 2021 (dossier not. 2581/21/LD)
contre
P2 , né le (...) à (…), demeurant à (…),
prévenu,
comparant en personne.
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Faits :
I. Notice 4316/21/LD :
Par citation du 28 décembre 2021, Monsieur le Procureur d’Etat près le Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg a requis P1 de comparaître à l’audience publique du mardi, 15 février 2022 à 9.00 heures, salle n° JP.1.19, devant le Tribunal de police de et à Luxembourg pour y entendre statuer sur la prévention mise à sa charge.
II. Notice 3020/21/LD :
Par citation du 28 décembre 2021, Monsieur le Procureur d’Etat près le Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg a requis P1 de comparaître à l’audience publique du mardi, 15 février 2022 à 9.00 heures, salle n° JP.1.19, devant le Tribunal de police de et à Luxembourg pour y entendre statuer sur la prévention mise à sa charge.
II. Notice 2751/21/LD :
Par citation du 28 décembre 2021, Monsieur le Procureur d’Etat près le Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg a requis P1 et P2 de comparaître à l’audience publique du mardi, 15 février 2022 à 10.00 heures, salle n° JP.1.19, devant le Tribunal de police de et à Luxembourg pour y entendre statuer sur la prévention mise à leur charge.
IV. Notice 2579/21/LD :
Par citation du 28 décembre 2021, Monsieur le Procureur d’Etat près le Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg a requis P1 de comparaître à l’audience publique du mardi, 15 février 2022 à 10.00 heures, salle n° JP.1.19, devant le Tribunal de police de et à Luxembourg pour y entendre statuer sur la prévention mise à sa charge.
V. Notice 2581/21/LD :
Par citation du 30 décembre 2021, Monsieur le Procureur d’Etat près le Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg a requis P2 de comparaître à l’audience publique du mardi, 15 février 2022 à 10.00 heures, salle n° JP.1.19, devant le Tribunal de police de et à Luxembourg pour y entendre statuer sur la prévention mise à sa charge.
A l’appel des affaires précitée, les prévenus P2 et P1 comparurent en personne.
Monsieur le juge-président vérifia l’identité de P2 , lui donna connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal et l’informa de son droit de garder le silence ainsi que de son droit de ne pas s’incriminer soi-même.
Monsieur le juge-président procéda ensuite à la vérification de l’identité de P1 . Le second prévenu présent dans la salle déclara qu’il est un être humain jouissant de droits fondamentaux inaliénables et qu’il est en possession d’un bout de plastique dénommé « carte d’identité » renseignant le nom de P1 . Après discussion, il put marquer son accord pour dire qu’il n’avait pas le choix de naître ou de ne pas naître, mais que pour le surplus il serait un homme libre, et il concéda qu’à sa naissance, ses parents l’ont déclaré auprès de l’officier de l’état civil sous le nom de P1 .
Monsieur le juge-président considéra ainsi l’identité du prévenu établie à suffisance et lui donna connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal et l’informa de son droit de garder le silence ainsi que de son droit de ne pas s’incriminer soi-même.
Le témoin T1 faut entendu en son témoignage après avoir prêté le serment prévu à l’article 155 du Code de procédure pénale.
Les prévenus furent entendus en leurs explications.
Le représentant du Ministère Public, Monsieur Mag1, fut entendu en ses réquisitions.
Les prévenus eurent la parole en dernier.
Sur ce, le tribunal prit les affaires en délibéré et rendit à l’audience publique de ce jour, à laquelle le prononcé avait été fixé,
le jugement qui suit :
I. Not. 4316/21/LD
Vu le procès-verbal n° 2021-91775-1 dressé en date du 8 mai 2021 par le Commissariat Luxembourg C3R.
Le Ministère Public reproche à P1 d’avoir, comme auteur, le 8 mai 2021, vers 18.30 heures, dans le parc « Kinnekswiss », consommé des boissons alcooliques sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public.
Il y voit une infraction à l’article 4 (3) de la loi modifiée du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 (ci-après « loi du 17 juillet 2020 »).
II. Not. 3020/21/CD
Vu le procès-verbal n° JDA-90031-1 dressé en date du 28 mars 2021 par le Commissariat Luxembourg C3R.
Le Ministère Public reproche à P1 se s’être, en date du 28 mars 2021, vers 1.22 heures, à SANDWEILER, entre Itzig et Sandweiler, dans la rue de Sandweiler, déplacé sur la voie publique entre 23 heures et 6 heures du matin, en dehors des exceptions légalement prévues.
Il qualifie les faits d’infraction à l’article 3 de la loi modifiée du 17 juillet 2020.
III. 2751/21/CD
Vu le procès-verbal n° 82/2021 dressé en date du 3 mars 2021 par le Commissariat Ville-Haute.
Le Ministère Public reproche à P1 et à P2 d’avoir, en date du 16 janvier 2021 entre 14.00 et 16.00 heures à Luxembourg, lors d’une manifestation à travers les rues avenue de la Porte-Neuve, Grand-rue, rue Genistre, Place d’Armes et Place Guillaume II, « ne pas avoir respecté, lors d’un rassemblement de personnes, à savoir la réunion de personnes physiques de manière simultanée dans un même lieu sur la voirie publique, dans un lieu accessible au public ou dans un lieu privé, de plus de quatre et jusqu’à dix personnes incluses, la condition de porter un masque et d’observer une distance minimale de deux mètres ».
Les faits sont cités en tant qu’infraction à l’article 4 (4) de la loi modifiée du 17 juillet 2020.
IV. 2579/21/LD
Vu le procès-verbal n° 188/2021 dressé le 23 janvier 2021 par le commissariat de Bonnevoie.
Il est reproché à P1 d’avoir, en date du 23 janvier 2021, entre 14.00 et 18.00 heures à Luxembourg, Kinnekswiss « ne pas avoir respecté, lors d’un rassemblement de personnes, à savoir la réunion de personnes physiques de manière simultanée dans un même lieu sur la voie publique, dans un lieu accessible au public ou dans un lieu privé, qui met en présente entre onze et cent personnes incluses, la condition de porter un masque à tout moment, d’observer une distance minimale de deux mètres et de se voir attribuer une place assise ».
Les faits sont cités en tant qu’infraction à l’article 4 (4) de la loi modifiée du 17 juillet 2020.
V. Not. 2581/21/LD
Vu le procès-verbal n° 191/2021 dressé en date du 23 janvier 2021 par le commissariat de Bonnevoie.
Le Ministère Public accuse P2 d’avoir, en date du 23 janvier 2021, entre 14.00 et 18.00 heures, à Luxembourg, Kinnekswiss, « ne pas avoir respecté, lors d’un rassemblement de personnes, à savoir la réunion de personnes physiques de manière simultanée dans un même lieu sur la voie publique, dans un lieu accessible au public ou dans un lieu privé, qui met en présence entre onze et cent personnes incluses, la condition de porter un masque à tout moment, d’observer une distance minimale de deux mètres et de se voir attribuer une place assise ».
Les faits sont qualifiés en tant qu’infraction à l’article 4 (4) de la loi modifiée du 17 juillet 2020.
Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient de joindre les dossiers ouverts sous les notices 4316/21/LD, 3020/21/CD, 2751/21/CD, 2579/21/LD et 2581/21/LD et de statuer par un seul et même jugement.
1. Eléments du dossier et de l’instruction à l’audience
I. Not. 4316/21/LD
D’après le procès-verbal de police n° 2021-91775-1 dressé en date du 8 mai 2021 par le commissaire adjoint policier1 du Commissariat Luxembourg C3R, l’attention des agents a été attirée lors d’une patrouille effectuée à cette date à une personne de sexe masculin qui buvait une cannette de bière dans le parc municipal, au lieu-dit « Kinnekswiss ». Il a été confronté à la consommation d’alcool et invité à décliner son identité, les agents ayant cependant connaissance de ce qu’il s’agissait de P1 . Il a déclaré s’opposer à toute amende et qu’il y avait lieu à rédaction d’un procès-verbal. Sur question, P1 a déclaré qu’il est disposé à faire une déclaration. Il explique que les mesures seraient non-scientifiques et non admissibles. Elles violeraient par ailleurs les libertés constitutionnelles et les droits de l’homme. Les agents actent que malgré son opposition, P1 s’est comporté de manière coopérative et respectueuse.
II. Not. 3020/21/CD
D’après le procès-verbal n° JDA-90031-1 dressé en date du 28 mars 2021 par le Commissariat Luxembourg C3R, P1 a été contrôlé alors qu’il se trouvait à 1h22 du matin dans un véhicule circulant dans la rue de Sandweiler entre ITZIG et SANDWEILER. Il déclare : « Ich komme gerade mit Frau (…) und dessen Tochter von deren Vater, wohnhaft (…). Deren Großvater, bzw. Vater ist 92 Jahre alt und ist nicht guter Dinge. Des Weiteren sehe ich diese COVID-Maßnahmen als illegal an, da diese nicht verfassungskonform sind und gegen die Menschenrechte verstoßen ».
III. Not 2751/21/LD
Il résulte du procès-verbal de police n° 82/2021 dressé en date du 3 mars 2021 par le Commissariat Ville-Haute qu’à cette date, plusieurs personnes se sont réunies dans le parc municipal, au lieu-dit « Kinnekswiss », pour suivre l’appel sur facebook de P2 et de P1 sous le titre « polonaise solidaire avec distance de 3 mètres ».
La manifestation était dûment autorisée sous condition du respect des règles sanitaires.
Dès le début, les agents verbalisants ont informé les deux prévenus des règles à respecter. P2 a déclaré qu’il n’allait enjoindre à personne de porter un masque puisque ceux-ci seraient dangereux pour la santé et que la manifestation se dirige entre autres contre le port du masque. Une cinquantaine de personnes s’étaient réunies sans porter de masque ni respecter de distance. Après une discussion avec les agents de police, les prévenus ont invité les participants à se distancer. Le cortège s’est ensuite déplacé dans différentes rues de la ville. Au fil de la marche le nombre de manifestants a augmenté à environ 120 personnes. A la place Guillaume II, des discours ont été tenus, les prévenus invitant à nouveau les participants à respecter les distances. Cette injonction a été majoritairement respectée, du moins dans un premier temps.
P2 ne portait pas de masque pendant toute la manifestation. P1 ne portait majoritairement pas de masque ; pendant un bref moment, il portait un masque « Guy Fawkes ».
Lors de son audition, P1 a déclaré avoir fait usage de sa liberté de manifester, ce qui constituerait un élément central dans toute démocratie. Il serait impossible de manifester contre le port du masque tout en portant un masque, puisque cela ne donnerait pas de sens. Il déclare ne pas reconnaître la légitimité et la légalité des mesures sanitaires, et il s’agirait d’un crime contre l’humanité. Il invite la justice à vérifier la régularité de cette législation.
P2 de son côté déclare que le gouvernement n’aurait pas le droit de réduire les citoyens et à des objets et de les obliger à se nuire à eux-mêmes. Les masques seraient nuisibles à la santé. Le procureur Mag2 devrait s’occuper de cet aspect, plutôt que de faire dresser des procès-verbaux ridicules. La Convention européenne des droits de l’homme serait supérieure aux lois nationales. Il renvoie également à la liberté d’expression. Il y aurait une grave atteinte à la liberté d’expression si ceux qui veulent protester contre le port du masque seraient obligés d’en porter un. En outre, il serait dispensé suivant certificat médical du port du masque.
Il découle d’un certificat médical dressé par le médecin généraliste méd1 en date du 30 octobre 2020 que ce dernier certifie « en tant que médecin traitant, que le patient susmentionné est incapable de porter le masque de protection pour cause de maladie ».
Un ensemble de photos montre le cortège des manifestants.
A l’audience, le témoin T1 a repris les constats qu’il a actés au procès-verbal. Il précise que la manifestation rassemblait d’abord une cinquantaine de personnes pour atteindre finalement environ 120 personnes au centre-ville. P2 n’aurait pas porté de masque. P1 aurait parfois porté le masque.
A certaines occasions, il aurait porté un masque « Guy Fawkes ». Si celui-ci recouvre tout le visage, le témoin doute cependant si P1 l’a porté à des fins sanitaires et suppose que c’était plutôt en raison de sa symbolique révolutionnaire.
Le témoin confirme que non seulement les manifestations, mais également les deux prévenus n’observaient régulièrement pas la distanciation physique, notamment pour parler à des gens ou lors des discours.
IV. 2579/21/LD
Suivant le procès-verbal n° 188/2021 dressé le 23 janvier 2021 par le commissariat de Bonnevoie, deux manifestations avaient lieu dans le quartier de la Ville-Haute, l’une en soutien du secteur HORECA et l’autre organisée par P1 . Les membres du cortège de cette dernière ont fait abstraction de toutes mesures sanitaires. Lors des déplacements et des rassemblements aux points d’arrêt successifs, P1 ainsi qu’une majorité des manifestants ne portaient pas de masques.
Plusieurs photos viennent documenter le déroulement de la manifestation.
V. Not. 2581/21/LD
Selon le procès-verbal n° 191/2021 dressé en date du 23 janvier 2021 par le commissariat de Bonnevoie, deux manifestations avaient lieu dans le quartier de la Ville-Haute, l’une en soutien du secteur HORECA et l’autre organisée par P1 . Les membres du cortège de cette dernière ont fait abstraction de toutes mesures sanitaires.
Lors de son audition de police, P2 a déclaré que les mesures sanitaires sont contraires aux droits de l’homme et que la loi serait illégale.
2. Déclarations à l’audience
2.1. Réquisitoire du Ministère Public
Le représentant du Ministère Public rappelle que les deux prévenus doivent répondre de certaines contraventions contre la loi du 17 juillet 2020. Lors de l’enquête, les prévenus auraient pris position par écrit quant aux reproches. Ils ne sembleraient pas contester la matérialité des faits, à savoir le non-port du masque et le non-respect de la distanciation, tout comme pour P1 la consommation d’alcool et la sortie pendant le couvre-feu.
Les procès-verbaux auraient été dressés par des officiers et des agents de police judiciaire. Les contraventions seraient ainsi dûment constatées. Certains procès-verbaux comporteraient en outre des photos confirmant les infractions.
Les personnes accusées se seraient limitées à remettre en question la conformité des textes à la Constitution et estimeraient ainsi être dispensées du respect de la loi.
Le juge pénal n’aurait pas de pouvoir général d’appréciation des lois. Il n’appartiendrait pas au juge de police de remettre en cause les mesures prises par le législateur. Il ne serait pas non plus compétent pour apprécier si la santé publique avait pu être protégée par d’autres moyens.
Il ne faudrait pas confondre droit et politique. Les moyens avancés par les prévenus seraient avant tout des arguments politiques. Il y aurait ainsi un amalgame entre moyens de droit et moyens politique, qui nuirait à la sérénité des débats, au prétoire comme à l’extérieur. Il n’appartiendrait pas au juge d’apprécier si les mesures sont justifiées. Les juristes ne seraient pas des médecins, ni des scientifiques.
La question se poserait simplement si les interdictions violent la Constitution. Les prévenus feraient fausse route en invoquant de façon excessive, imprudente, voire égoïste la Constitution. Il faudrait tenir un équilibre entre les droits et obligations constitutionnelles; il ne suffirait pas d’invoquer la Constitution sans tenir compte que les libertés ont des limites et qu’une pondération est à faire.
Concrètement, le Parquet est d’avis que les exigences d’une lutte efficace contre le virus doivent être conciliées avec le respect des libertés publiques et économiques. Les mesures n’auraient jamais gravement atteint les libertés. Les prévenus auraient organisé des manifestations hebdomadaires, et seules quelques infractions seraient actuellement poursuivies. Lorsque de façon répétitive, la loi est enfreinte malgré les rappels à l’ordre par la police, alors que de petits gestes suffiraient pour assurer la santé publique, une poursuite se justifierait.
Quant au moyen de P1 concernant ses droits naturels, la Constitution préciserait effectivement que l’Etat garantit ces droits. Il s’agirait des droits que chaque humain porte en soi même sans texte spécifique : droit à la vie, droit à liberté, mais aussi le droit à la santé. Si les prévenus insistent sur leur droit à la liberté, ils ne devraient cependant pas perdre de vue que le droit à la santé se situe au même niveau. Le législateur aurait trouvé un juste équilibre entre ces droits.
L’article 11 préciserait sous le point 2 que la loi règle la protection de la santé. La protection de santé pourrait ainsi être réglée par la loi. Le législateur aurait ainsi été en droit d’imposer certaines règles aux citoyens.
Concernant plus spécifiquement le dossier 2751/21/CD, il y aurait lieu à rectification. Il ne s’agirait pas d’une violation de l’alinéa 1er, mais de l’alinéa 2. Selon le procès-verbal, la manifestation aurait réuni entre 50 et 120 participants. Même si le seuil de 100 a pu être dépassé à certains moments, il y aurait des infractions commises au moment où la manifestation avait moins de 100 participants.
Il appartiendrait au Tribunal d’apprécier si P2 est dispensé du port du masque. La loi exigerait une « pathologie », qui ne serait pas indiquée dans le certificat médical.
Les infractions de non-port du masque et de non-respect de la distance interpersonnelle seraient de toute manière en concours idéal, puisque la même valeur sociale serait atteinte.
Il y aurait lieu de condamner les prévenus à une amende appropriée.
Quant aux notices 2581/21/LD et 2579/21/LD, elles viseraient les mêmes circonstances de temps et de lieu. La matérialité des faits ne serait pas contestée. Le Parquet renonce au reproche d’une absence de « place assise » puisque la loi exclurait cette exigence dans le cas de manifestations.
Le Parquet se remet à prudence si le certificat médical est suffisant.
En parallèle, il y aurait eu la manifestation du secteur HORECA dans le cadre de laquelle toutes les mesures auraient été respectées.
Il y aurait lieu de condamner les prévenus à une amende appropriée.
Dans le cadre de la notice 4316/21/LD, le représentant du Parquet rappelle que la consommation d’alcool sur la voie publique était interdite à l’époque.
Il y aurait lieu de retenir la contravention et de condamner P1 à une amende appropriée.
Pour la notice 3020/21/CD, le Parquet est d’avis que les explications fournies par le prévenu P1 ne feraient pas partie des exceptions. Il sollicite une amende appropriée.
2.2. Moyens de la défense
Selon P2 , le Tribunal ne serait pas compétent de juger la loi et demande à renvoyer la question devant la Cour constitutionnelle. Ce ne serait que par la voie judiciaire que la Cour constitutionnelle peut être saisie, sans voie directe.
P2 s’étonne d’entendre le Parquet dire qu’il s’agirait de protéger la santé. Il défend un avis différent, alors qu’en portant un masque, les gens nuiraient à leur santé. Les conséquences immédiates pour des gens normaux seraient moindres que pour lui, mais l’apport en oxygène serait réduit pour tout le monde. Avant la pandémie, de tels masques n’auraient été d’usage que dans les salles opératoires, et ce non dans le but d’empêcher circulation d’un virus. Ces masques seraient incapables d’empêcher la circulation, vu la faible taille du virus qui passerait entre les mailles de tout masque, y compris les masques FFP2. D’ailleurs, les masques dans les salles d’opération seraient changés toutes les 20 minutes, puis détruits ; or, chacun dans la salle d’audience les porterait désormais depuis 2 heures et les masques seraient jetés dans la nature.
Porté dans la durée, le masque s’humidifierait et des bactéries et champignons se développeraient. Des gens se seraient infectés de pneumocoques parce qu’ils portaient le masque trop longtemps. Il serait dans l’intérêt de la protection de la santé de ne pas porter un masque.
Un Etat n’aurait pas le droit de forcer les gens à nuire à leur santé. Le 6 janvier dernier, il aurait eu une discussion avec le Ministre de la sécurité intérieure (H. Kox) qui lui aurait demandé ce qu’il en était. Il lui aurait expliqué que de leur avis, il s’agirait d’une limitation injustifiée de la liberté d’expression (selon la ConvEDH), si on oblige pour passer le message que les masques sont nuisibles à la santé, il fallait porter un masque. Le Ministre aurait répondu que cela lui semblait logique. Les policiers ne les auraient jamais interpellés (« gequetscht ») en raison du non-port de masque et du non-respect des distances. Aucune contravention ne pourrait lui être reprochée.
Le contact avec d’autres serait nécessaire au développement du système immunitaire. Le sort subi par les personnes vénérables, dont il ferait partie en théorie, ne s’expliquerait que parce que ces personnes ne sont plus en contact avec d’autres. Dans la logique de la doctrine officielle, le Tribunal pourrait s’étonner que le prévenu ne soit pas encore décédé. Selon la théorie non-scientifique de la « Covid-Religioun » il devrait être décédé depuis longtemps, notamment puisqu’il ne porte pas de masque (il ne pourrait en mettre, sinon il allait vraiment mourir). Il admet ne pas respecter les distances et n’aurait pas l’intention de le faire. Il donnerait la main à chacun qui lui tend la main, ce qui renforcerait son système immunitaire. Ainsi, malgré toutes ces manifestations par froid et par pluie, il ne serait pas tombé malade. Il s’agirait de la preuve que cette loi est une tentative infondée de forcer les gens à nuire à leur santé. Le droit à la santé ne serait pas mis en danger par eux en tant que manifestants, mais par la loi non-constitutionnelle.
Le Tribunal est invité à soumettre des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle. Il serait temps que ces questions soient posées et que le Procureur ne se limite pas à les poursuivre, tout en ignorant leurs propres plaintes. Cela dénoterait une certaine partialité indigne d’un état démocratique. Il espère que le Tribunal ne soit pas à son tour empreint de partialité.
P2 a ensuite remis une note au Tribunal et, au vu de l’oralité des débats, a été invité à en donner lecture. Elle se présente comme suit :
Hiermit beantragen wir, P1 und P2,
P1 fait siens les développements du co-prévenu. Il se rallie au Parquet en ce concerne le Tribunal ne peut statuer sur la constitutionnalité de ces lois. Il aurait cependant tort en invitant le Tribunal à ne pas renvoyer la question préjudicielle. Aucune loi n’exigerait que les Députés soient intègres, seules certaines condamnations pénales empêchant d’être élu à la Chambre des députés. Des gens malhonnêtes pourraient ainsi voter des lois incompatibles avec notre texte fondamental. La Chambre pourrait par exemple voter une loi taxant à 90 % les revenus et abolissant toute mesure sociale. Le Tribunal exécuterait-il une telle décision ? Il ne lui resterait qu’à poser une question constitutionnelle.
La même question se poserait aussi ici. Il serait réellement utile si le Tribunal s’assurerait auprès de la Cour constitutionnelle que les lois qu’il s’apprête à appliquer sont légitimes.
Le Parquet estimerait à tort que politique et légalité sont deux choses différentes, puisque la politique voterait les lois définissant le cadre légal. Il s’agirait sans nul doute de lois politiques, non fondées sur une quelconque nécessité ou justification scientifique. La politique aurait ignoré les avertissements scientifiques. Il n’y aurait jamais eu d’études scientifiques confirmant les affirmations autoritaires des instances politiques. Toute preuve ferait défaut. Il y aurait des experts de renommée qui contesteraient l’utilité des mesures. Or, la politique ferait la sourde oreille et les médias classiques ne le présenteraient pas.
P1 renvoie encore à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ratifié par le Luxembourg. Il y serait indiqué que d’aucune façon on ne pourrait être obligé de participer à des expérimentations. Or, toutes les mesures constitueraient une contrainte indirecte à participer à de telles expérimentations.
Contrairement aux affirmations du Parquet, il ne serait pas égoïste d’invoquer la Constitution. En se prononçant ainsi, le Parquet jugerait la personne et non la loi. Seule la Cour constitutionnelle pourrait décider si leur interprétation de la Constitution est abusive et/ou égoïste.
La Constitution aurait précisément pour finalité de limiter le pouvoir de l’Etat et de protéger le citoyen des abus de l’action étatique. L’Etat ne pourrait restreindre les libertés que dans des cas limités, ce qui résulterait de la formulation même du texte
constitutionnel. Pour cette raison, il serait indispensable de vérifier si les lois sont abusives ou non.
Quant à la pondération entre la liberté et la santé collective, il n’appartiendrait pas au Parquet d’en juger, mais à la Cour constitutionnelle.
Lorsque le contact avec des personnes et la libre respiration sont restreints, une personne ne serait plus exposée à son environnement naturel, et son système immunitaire diminuerait. Le droit à la santé serait ainsi affecté, renforcé par le droit à la liberté.
P1 ajoute avoir eu une maladie avec des symptômes ressemblant au Covid. Il aurait été fatigué pendant deux jours et demi. Il aurait dormi et guéri sans la moindre médication. Il admet que pendant quelques jours, les cigarettes avaient un goût d’huile brulée (« verbrannten Motoueleg »), mais ce serait tout. Si ces lois reposeraient sur des constats réels, il devrait être mort depuis longtemps, alors qu’il manifeste depuis des mois. Personne parmi les manifestants ne serait mort. Récemment, il aurait cependant assisté aux funérailles d’une personne décédée à la suite d’une vaccination, deux semaines après la deuxième dose. Dans son entourage, certains auraient été restés positifs et auraient le certificat. Il n’aurait lui-même pas fait le test, puisqu’il ne voudrait pas de ce pass sanitaire ; tout le système Covid-Check serait discriminatoire. Il y aurait des parallèles entre ce pass et un « Arierausweis ». ; ce ne serait pas la même chose ni comparable, mais il existerait des parallèles.
Toutes les mesures seraient non-scientifiques et contredites, sinon du moins remises en cause, par des études tout aussi sérieuses.
Quant à l’alcool et au couvre-feu, la loi n’aurait manifestement pas eu de fondement, puisqu’elle aurait été rapidement abolie. Le législateur avouerait ainsi implicitement lui-même que la loi n’apportait rien et était disproportionnelle.
Quant au couvre-feu, il s’agirait d’une restriction très grave, réservée normalement aux temps de guerre. Il aurait été indispensable de fournir des preuves sérieuses pour mettre en place une mesure aussi grave. Des restrictions impensables en 2018 seraient devenues loi. Sa mère serait née durant la guerre à Berlin et resterait traumatisée à ce jour par le couvre-feu et l’obligation de se mettre à l’abri.
Toujours concernant le couvre-feu, P1 fait valoir que, tout comme pour le confinement, il serait démontré que ces mesures ont contribué à 0% à la baisse des
infections. Les statistiques montreraient une baisse 4 jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, alors qu’en réalité, l’impact ne pourrait être constaté qu’au bout de 14 jours. Ce serait ainsi un hasard que la mesure ait été prise à un moment où le taux d’infection était de toute manière en baisse.
P1 conclut que les mesures litigieuses ont toutes été supprimées, et ce parce qu’elles n’auraient pas eu l’effet escompté. Une simple suspicion ne permettrait pas de restreindre liberté ; une atteinte à la Constitution ne pourrait être simplement préventive.
Il dit avoir voulu étudier la virologie et la génétique. Il aurait ainsi lu un certain nombre d’ouvrages. Son savoir ne serait pas équivalent à celui d’un expert ou chercheur. Il saurait néanmoins dire que le virus a qualité trois qualités : mortalité, infectiosité, résilience (Iwwerliewensfähegkeet). Si une de ces capacités augmente, une des autres devrait nécessairement diminuer. L’évolution de la plupart des virus irait toujours dans le sens qu’ils deviennent moins mortels, soit en devenant plus résilients (p.ex. l’Herpes) ou en devenant plus infectieux. Si un virus n’est certes pas un être vivant, il serait contraire à sa stratégie de « survie » de ne pas tuer son hôte. Tous ces acquis scientifiques seraient tout simplement ignorés.
La partialité du Parquet abordée par le co-prévenu pourrait éventuellement s’expliquer du fait que le Ministère Public est soumis aux instructions du Ministre de la Justice, donc de la politique. Il ne pourrait l’affirmer avec certitude, mais devrait constater qu’il est impossible de faire passer des plaintes contre les mesures en vigueur. Le Parquet aurait rejeté ces plaintes avec des argumentations farfelues. Il renvoie notamment à l’affaire menée par d’autres contre les masques à l’école, qui aurait été fixée à l’audience dans quelques mois, donc hors temps utile, alors qu’elle aurait dû être traitée d’urgence. Il ne serait plus en mesure de comprendre le fonctionnement du système judiciaire et politique. La politique ignorerait les arguments scientifiques. Les médias n’en parleraient pas. Il serait important que le Parquet sache que ce qu’il a pu lire dans les médias est incomplet et biaisé.
P1 a ensuite remis deux notes écrites qu’il a été invité à lire à voix haute à l’audience :
Hiermit beantrage ich, P1,
Hiermit beantrage ich, P1,
P2 se rallie aux moyens relatifs au Pacte international de 1966. Puisque le masque réduirait l’apport en oxygène, il s’agirait bien d’une expérimentation. Des études auraient démontré que le personnel médical portant un masque a un apport réduit en oxygène. Le caractère nocif, surtout envers des enfants, aurait également été confirmé par des études sérieuses. Le port du masque serait ainsi une obligation de participer à une expérience médico-scientifique.
Il remet un document de plusieurs pages contenant des références Internet à des études qui, selon lui, confirment son analyse.
Il ajoute que la liberté de presse inclurait le droit de l’éditeur de décider ce qui est publié. En tant que journaliste, il lui aurait été interdit de publier au sujet du Covid, puisqu’il ferait partie des personnes disant qu’une politique zéro-Covid serait contraire
aux connaissances scientifiques. Il s’estime ainsi lésé. Le service information et presse aurait appelé en mars 2020 dans les rédactions pour dire que des articles critiques ne sont pas les bienvenus, tout en rappelant qu’il n’existe pas de droit légal pour les avis officiels. Or un tiers des coûts de la presse serait financé par ce biais.
Les prévenus ayant été invités à prendre facultativement position quant à leur situation financière en vue d’apprécier l’amende, P2 a précisé les revenus qu’il tire d’un côté de son activité de journaliste et d’un autre côté d’une pension. Il dit avoir trois enfants à charge, dont deux au lycée et un troisième qui serait empêché de clôturer ses études en raison des mesures Covid.
P1 dit être sans revenus ni patrimoine (ech sin mettellos an ouni Akommes, ech besetzen näischt). Il dit avoir une adresse officielle auprès de son ami P2 . Même les téléphones portables apportées à l’audience ne seraient pas les siens ; il bénéficierait simplement d’un droit d’utilisation. Il ne percevrait aucune subvention de l’Etat. Il ne serait pas en mesure de payer une amende, mais préférerait éviter de faire un appel au don, ce qui ne ferait que punir les autres manifestants. Il ne serait coupable que d’avoir exprimé ses opinions. Sauf dans ce contexte spécifique, il serait très respectueux de toutes les lois et ne traversait même le passage à piéton qu’au feu vert. Il ne se serait jamais fait remarquer avant le Covid. Il serait simplement en opposition à ces lois inconstitutionnelles. Il annonce qu’il ne respectera pas les lois en question tant que la vérification constitutionnelle n’a pas été opérée et tant que le monde politique n’ose pas se confronter à un débat libre et fondé. Il s’agirait de contraventions, donc l’équivalent d’un stationnement interdit. Il serait incroyable quel tam tam est fait à ce propos.
2.3. Réplique du Ministère public
Le représentant du Ministère Public estime que beaucoup de débats ont concerné le Parquet. Or la mission du Parquet serait de poursuivre les infractions qui lui sont dénoncées. Ces faits seraient confrontés à la loi, et si une infraction est constatée, le Parquet poursuit ou ne poursuit pas, dans l’exercice de son opportunité des poursuites. Il ne relèverait pas de son rôle de vérifier systématiquement les lois quant à leur constitutionnalité et conventionalité. Si une question constitutionnelle est posée, il prendra position, mais pour le surplus, le Parquet se fie au fait qu’une loi, passée par la procédure parlementaire et après avis de nombreuses instances, est conforme à la
Constitution et au droit international. Aucun argument pertinent n’aurait été avancé. Les notes écrites versées contiendraient de simples affirmations sans début de preuve.
Le port du masque ne vaudrait que dans certaines situations spécifiques, par exemple dans le transport public, donc pour de brefs moments. Il ne s’agirait nullement d’une expérimentation avec l’humain. Le couvre-feu aurait aussi été limité dans le temps. La liberté de circuler n’aurait été restreinte qu’à certains moments, et de nombreuses exceptions auraient été prévues. Le droit à la liberté n’aurait pas été violé.
On ne pourrait non plus tirer de déductions de situations individuelles. Le fait que les deux prévenus soient encore en vie et que leur santé n’ait pas gravement souffert ne permettrait pas en soi de conclure à la non-dangerosité du virus.
L’article 19 de la Constitution ne garantirait pas la liberté de manifester de façon absolue. Il réservait les infractions commises lors des manifestations publiques.
Le droit de s’assembler de l’article 24 de la Constitution ne s’appliquerait pas aux rassemblements en plein air. Les lois y resteraient pleinement en vigueur. Il ne serait pas reproché aux prévenus d’avoir manifesté en soi, mais d’avoir commis des infractions dans ce cadre. Les restrictions seraient minimes. Le port d’un masque n’empêcherait pas de manifester ses opinions. L’alcool ne serait pas nécessaire pour manifester. Les arguments de la défense seraient pour partie absurdes.
Les restrictions ne seraient pas manifestement énoncées pour les rassemblements de plus de 100 personnes, mais ceux-ci seraient tout simplement interdits. Les prévenus auraient malgré tout violé cet article.
Les prévenus ont eu la parole en dernier.
P1 estime qu’il n’y aurait pas eu d’interdiction d’un rassemblement de 100 personnes, alors que la loi mentionnerait une exception. Le droit de manifester devrait être protégé dans une démocratie, surtout lorsque cela déplaît à la politique. Toute restriction serait attentatoire à cette liberté.
Le Parquet ne pourrait reprocher aux prévenus de ne faire que des affirmations, puisqu’il en ferait de même, et ce sans fournir de références à des études scientifiques.
P2 estime également que le Parquet n’a pas rapporté de preuves de ses informations, par exemple sur la taille du virus par rapport aux mailles du masque.
3. Quant à la conformité des textes répressif à la Constitution
3.1. Questions dans le débat
Il relève de la mission du juge de qualifier en droit les arguments invoqués. Au vu des plaidoiries, il a ainsi identifié que les prévenus se sentent lésés dans leurs droits constitutionnels relatifs aux droits naturels, à la liberté individuelle, à la vie privée, à la liberté d’expression et à la liberté de se rassembler en plein air.
Afin de respecter le principe de contradictoire pour le cas où le Tribunal devrait arriver à la conclusion que des questions constitutionnelles ne sont pas dénuées de tout fondement, une formulation de ces questions a été proposée aux prévenus pour leur permettre de prendre position.
Il avait été demandé aux prévenus s’ils préféraient que le libellé proposé leur soit exposé dans la langue française dans laquelle le jugement allait être rendu ou dans une traduction dans la langue luxembourgeoise utilisée à l’audience et ils ont opté pour cette dernière, sans que le représentant du Parquet ne s’oppose à cette approche.
Le libellé proposé n’a pas donné lieu à des observations particulières de la part de la défense ou de l’accusation.
Sur question quelles autres libertés constitutionnelles seraient à leurs yeux violés et en quoi, P1 a fait les développements suivants :
Il estime tout d’abord qu’il y aurait violation de l’article 24 de la Constitution, à savoir de la liberté de manifester ses opinions en toute matière. Ainsi, il aurait bu de l’alcool pendant la manifestation pour protester contre l’interdiction. Il rappelle qu’il estime qu’on ne peut manifester contre le masque en portant le masque, ni contre la distanciation physique en restant à distance.
Il estime encore qu’il y aurait violation de l’article 24 puisque la mimique faciale (Gesiichtsmimik) ferait partie de la liberté d’expression, le langage corporel étant également un langage.
Il estime encore qu’il y aurait violation du droit de s’assembler paisiblement garanti par l’article 25 de la Constitution. L’obligation de devoir déclarer une manifestation huit jours à l’avance serait anticonstitutionnelle. Des manifestations spontanées devraient être admissibles. Si demain, le Premier Ministre venait à proclamer la dictature absolue au Luxembourg, les citoyens ne devraient pas être contraints d’attendre huit jours avant de descendre dans la rue.
En dernier lieu, P1 s’estime lésé dans sa liberté des cultes garantie par l’article 26 de la Constitution. Une religion serait à la base une idéologie, puisqu’il s’agirait d’une attitude de vie (spirituel Liewensastellung). Lors des manifestations, ils célébreraient leur liberté, à savoir la vie qui leur a été prise, ce qui inclut le fait de se prendre dans les bras, de ne pas porter de masques, de rire, de danser et de s’exprimer librement. Les « Covidioten » seraient régulièrement présentés comme « secte » par les médias, de sorte qu’ils devraient bien être en droit d’invoquer la liberté de religion.
3.2. Considérations générales
D’après l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, si une juridiction estime qu’une question de conformité d’une loi à la Constitution se pose et qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, elle doit la soulever d’office après avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations.
Ce principe ne connaît d’exception et une juridiction n’est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle que si l’une des hypothèses suivantes est validée :
1) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement;
2) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;
3) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.
La Cour constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée sur les questions soulevées.
La question soulevée par P1 quant à savoir si l’article 25 de la Constitution s’oppose à la déclaration préalable des manifestations n’est pas nécessaire pour rendre le jugement, puisqu’il n’est pas reproché aux prévenus d’avoir organisé des manifestations non autorisées.
Pour le surplus, les questions soulevées sont cependant de nature à remettre en cause la constitutionnalité des textes sur lesquels la poursuite pénale est basée. Une décision relative à leur constitutionnalité est dès lors susceptible d’influencer sur le sort de l’action publique.
Il s’agit ensuite de déterminer si les questions de la conformité des différentes interdictions aux différents libertés invoquées sont dénuées de tout fondement ou non. Le principe étant celui du renvoi préjudiciel obligatoire, cette exception est à interpréter restrictivement, et il n’appartient pas au juge du fond de verser dans des raisonnements ou interprétations constitutionnelles détaillées, sous peine d’empiéter sur les compétences réservées à la Cour Constitutionnelle.
Il s’agit dès lors de déterminer s’il n’y a manifestement pas d’ingérence dans les droits fondamentaux des prévenus, puis le cas échéant s’il est manifeste qu’une telle ingérence trouve une justification.
De façon générale, toutes les restrictions en discussions ont été prises à titre de mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie liée au virus Covid-19. Les prévenus ne remettent pas en cause l’existence de la pandémie ou du virus en soi, mais la gravité du virus, l’efficacité des mesures prises ainsi que la proportionnalité.
Aucun article de la Constitution ne confère explicitement la mission à l’État de protéger la vie et la santé des citoyens.
Il est cependant plausible d’admettre que le droit à la vie et à la protection de la santé fait partie des droits naturels de la personne humaine, que l’État doit garantir en vertu de l’article 11 (1) de la Constitution.
De même, l’article 11bis impose à l’État de garantir la protection de l’environnement humain et naturel. En outre, l’article 4 (5) aborde le cas spécifique de la santé des travailleurs.
Il est dès lors loisible d’admettre, sous réserve de l’interprétation à donner par la Cour constitutionnelle, que notre loi fondamentale confie aux autorités publiques la mission de veiller à la santé et à la vie des citoyens.
L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie Covid-19 a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. L
Le Conseil d’Etat a rappelé dans ce contexte que « La question fondamentale soulevée par le dispositif prévu est celle de la pondération entre deux impératifs s’imposant à l’État. D’un côté, il doit assurer le respect des libertés fondamentales individuelles, en particulier à l’expiration de l’état de crise. D’un autre côté, il lui incombe de protéger le droit à la vie, au sens de l’article 11 de la Constitution et de l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, considéré par la Cour européenne des droits de l’homme comme une des valeurs fondamentales d’une société démocratique, ainsi que de remplir ses missions de protection de la santé, au sens de l’article 11 de la Constitution, et cela dans un contexte d’un risque non négligeable de pandémie qui subsiste » (Projet de loi n° 7606, Avis du Conseil d’Etat du 16 juin 2020, p. 2).
Il a été jugé en France que « dans l'actuelle période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent restreindre l'exercice des droits et libertés fondamentaux, doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent (…) Dès lors que les libertés fondamentales invoquées, en particulier la liberté personnelle, la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion ainsi que le droit au respect d'une vie familiale, doivent être conciliées avec les autres libertés fondamentales, parmi lesquelles figure le droit au respect de la vie » (Conseil d’Etat fr., 23 octobre 2020, n° 445430, § 10 et 16). Il y a dès lors de sérieuses raisons d’admettre que le législateur a agi dans un but légitime correspondant à un besoin social que la Constitution l’oblige à poursuivre.
A quel point son intervention était « impérieuse », et surtout dans quelle mesure la mesure était apte à atteindre le but recherché et proportionnée, nécessite par contre une mise en balance entre les libertés individuelles et les besoins de la collectivité.
De manière plus générale, il peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit, à condition que cette ingérence soit fondée sur un besoin social impérieux et qu’elle soit proportionnée au but légitime recherché (voir en ce sens, en matière d’atteinte à la vie privée : Cour constit., 7 juin 2013, n° 98/13). Dans l’optique de la jurisprudence strasbourgeoise, une ingérence n’est justifiée que si elle tend vers un but légitime et si elle est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce but.
Il faut donc d’un côté que la mesure soit absolument nécessaire (besoin social impérieux) et d’un autre côté qu’elle soit proportionnée au but légitime recherché.
La jurisprudence reconnaît en général au législateur une certaine marge de manœuvre concernant l’appréciation des besoins, donc en l’espèce l’ampleur du risque que représente le virus Covid-19 pour la santé et la vie de la population. La Cour constitutionnelle ne s’est cependant pas encore été prononcée sur la question de savoir dans quelle mesure, face à une situation d’urgence et/ou des données scientifiques incomplètes, le législateur peut restreindre les libertés fondamentales en vertu d’un « principe de précaution ».
Vu la gravité de la pandémie, du moins par le passé, le nombre de décès et le nombre de personnes souffrant de formes graves ou longues de la maladie, ainsi que la pression exercée sur les hôpitaux et ayant pu causer des retards de soins, il y a aux yeux du Tribunal de sérieux arguments pour considérer que les mesures étaient à la fois nécessaires et proportionnées (voir par exemple en ce sens, à propos du couvre-feu et des restrictions de contact : BVerfG, 1. Senat, 19.11.2021 - 1 BvR 781/21).
Néanmoins, cette question divise l’opinion publique. Les arguments avancés par les personnes opposées aux mesures de restriction reposent la plupart directement sur l’invocation des libertés fondamentales. Le fait que la proportion de citoyens et/ou d’hommes politiques favorables aux mesures sanitaires soit nettement plus élevée et que les contestataires ne forment qu’une minorité ne permet pas en soi de conclure que leurs arguments sont dénués de tout fondement. Le Tribunal ne peut que constater que cette question de défense des libertés individuelles a mobilisé au Luxembourg un nombre de personnes rarement observé pour d’autres sujets. De même, les lois en question n’ont pas toujours été adoptées avec les voix de l’opposition parlementaire (p.ex. 31 voix contre 25 et 4 abstentions pour la loi de base du 17 juillet 2020) et plusieurs instances consultatives se sont prononcées de façon critique.
Le juge du fond ne doit pas se laisser guider par ses propres convictions, ni procéder à une analyse détaillée des questions posées. Il doit se limiter à une appréciation sommaire pour déterminer si la question constitutionnelle est dépourvue de tout mérite et n’a aucune chance d’aboutir. La Cour constitutionnelle doit être saisie dès que la réponse n’est pas de façon évidente et indiscutable négative.
Il convient aussi de rappeler que le Tribunal statue en dernier ressort sur les infractions, sans possibilité d’appel, ce qui invite à redoubler de vigilance lorsque le justiciable invoque ses droits fondamentaux (sur la conventionalité de l’exclusion de l’appel, voir JP Esch, 18 novembre 2021, n° 326/2021).
Le fait que les prévenus, qui ont fait usage de leur droit de se défendre personnellement sans assistance d’un avocat, n’aient exprimé leurs inquiétudes que dans des termes peu formels et juridiques ne doit pas peser dans la balance. S’il appartient au Tribunal de renvoi de formuler les questions en visant un texte de loi et une disposition constitutionnelle précis, il n’y a cependant - contrairement aux développements du Parquet - pas de forme particulière à observer par le justiciable qui plaide une atteinte à des droits fondamentaux.
Enfin, il va sans dire que la gravité relativement limitée des infractions et de la peine contraventionnelle encourue ne sauraient avoir une influence sur la décision du renvoi préjudiciel.
3.3. Les dispositions constitutionnelles en discussion
Selon l’article 11 (1) de la Constitution, l’État garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille.
D’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le droit naturel se restreint aux questions existentielles de l'être humain, au respect de sa dignité et de sa liberté (voir p.ex. Cour constit., 28 mai 2004, n° 20/04). Le droit naturel est celui découlant de la nature humaine et existe, même sans texte de loi (Cour constit. 13 novembre 1998, n° 2/98).
Ce texte ne couvre pas ce qui prend son fondement dans le droit positif et non dans le droit naturel (Cour constit., 13 décembre 2013, n° 105/13).
Il n’est pas déraisonnable d’admettre que le droit naturel inclut le droit à la liberté de déplacement, ainsi que le droit à la santé. Il est également susceptible d’inclure le droit à l’auto-détermination de l’être humain, notamment sur des questions affectant sa propre vie et sa santé.
Selon l’article 11 (3), l’État garantit la protection de la vie privée, sauf les exceptions fixées par la loi.
L’article 12 de la Constitution garantit la liberté individuelle.
La notion de liberté individuelle telle que définie au texte constitutionnel invoqué vise la liberté physique d'aller et de venir et les diverses mesures de restriction de liberté susceptibles d’être prises à l’encontre d’une personne (voir p.ex. Cour constit., 28 mai 2004, n° 20/04, Cour constit., 9 décembre 2011, n° 68/11)
L’article 19 garantit la liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions religieuses, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés.
Selon l’article 24 de la Constitution, la liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés.
L’article subséquent de notre texte fondamental se lit comme suit : « La Constitution garantit le droit de s’assembler paisiblement et sans armes, dans le respect des lois qui règlent l’exercice de ce droit, sans pouvoir le soumettre à une autorisation préalable. - Cette disposition ne s’applique pas aux rassemblements en plein air, politiques, religieux ou autres; ces rassemblements restent entièrement soumis aux lois et règlements de police ».
Si les articles 11 (3), 9, 24 et 25 prévoient une exception générale pour les « délits » qui sont commis, respectivement pour les « lois et règlements de police », il ne faut cependant pas y voir une carte blanche laissée au législateur ou aux autorités communales, mais uniquement un rappel au fait que l’exercice de ces libertés n’est pas absolu et peut être encadré. En effet, une interprétation contraire viderait ces libertés publiques de toute substance.
Dans l’interprétation de la Constitution, le juge peut s’inspirer de la jurisprudence de la CourEDH, ainsi que de la jurisprudence de Cour constitutionnelles de pays voisins.
3.4. Obligation de porter le masque sanitaire et d’observer une distance de deux mètres
Le port du masque et le respect d’une distance entre les personnes font partie des mesures sanitaires prises dès le début de pandémie, notamment par les règlements de crise prises par le gouvernement, et ensuite reprises dans un premier temps dans une loi du 24 juin 2020, à laquelle succédera la loi du 17 juillet 2020.
D’après l’article 4 (4) de la loi du 17 juillet 2020, tel qu’applicable au moment des faits (16 janvier 2021 et 23 janvier 2021 ; version applicable au 11 janvier 2021), tout rassemblement de plus de quatre et jusqu’à dix personnes incluses est soumis à la condition que les personnes portent un masque et observent une distance minimale de deux mètres. Tout rassemblement qui met en présence entre onze et cent personnes incluses est soumis à la condition que les personnes portent un masque et se voient attribuer des places assises en observant une distance minimale de deux mètres.
Selon l’article 4 (6), l’obligation de se voir assigner des places assises ne s’applique pas dans le cadre de l’exercice de la liberté de manifester.
Les prévenus ne contestent pas la matérialité des reproches qui leur sont faits. P2 s’estime exempté du port du masque.
D’après le même article 4 (6), l’obligation de distanciation physique et de port du masque ne s’applique pas aux personnes présentant une pathologie munies d’un certificat médical.
Tel que relevé antérieurement, P2 présente un certificat émanant d’un médecin généraliste exerçant au Luxembourg certifiant « en tant que médecin traitant, que le patient susmentionné est incapable de porter le masque de protection pour cause de maladie ».
Malgré la formulation « et » à l’article 4 (6), le certificat médical doit préciser si c’est le port du masque et/ou la distanciation physique dont le patient est dispensé. Le certificat en question ne saurait dès lors valoir dispense du respect de la distance de deux mètres.
En matière pénale, le prévenu est couvert d’une présomption d’innocence aussi longtemps que la preuve contraire n’est pas rapportée par le Ministère public ou, le cas échéant, par la partie civile. C’est à ceux-ci qu’incombe donc d’établir les conditions d’existence de l’infraction et, par voie de conséquence, également l’absence des causes exclusives de la culpabilité, à condition toutefois que la cause de justification alléguée soit pour le moins vraisemblable.
Un certificat médical émanant d’un médecin officiellement habilité à exercer au Luxembourg, même s’il ne précise pas la pathologie, n’en est pas moins de nature à rendre la cause de justification alléguée vraisemblable.
Il aurait ainsi appartenu au Parquet de rapporter la preuve que le certificat médical constitue un certificat de complaisance ou n’est pas pertinent, preuve non rapportée en l’espèce.
Les infractions de ne pas avoir porté le masque ne sauraient ainsi être retenues à charge de P2 . Sous cet aspect, la question constitutionnelle soulevée n’est ainsi pas nécessaire pour rendre une décision.
Elle reste cependant d’intérêt pour P1 tant en ce qui concerne le port du masque que la distanciation physique, ainsi que pour P2 en ce qui concerne la seule distanciation physique.
3.4.1. Existence d’une ingérence
Le législateur admet lui-même que les mesures mises en place comportent des restrictions aux libertés. Ainsi, dans le cadre de l’adoption de la loi du 24 juin 2020, il expose que « La loi cessera à produire ses effets après un mois. La raison de cette limitation repose sur le fait que les mesures doivent être nécessaires à la finalité poursuivie, à savoir la protection de la santé publique, répondre à l’évolution de la situation et être proportionnées par rapport aux limites et atteintes à certaines libertés publiques » (Projet de loi n° 7606, Rapport de la Commission de la santé et des sports, 20.6.2020, p. 15).
L’interdiction d’être en contact physique ou même d’être proche d’autrui restreint la liberté de mouvement d’une personne, ainsi que ses interactions sociales en public.
L’article 8 ConvEDH protège le droit à l’épanouissement personnel, que ce soit sous la forme du développement personnel ou sous celle de l’autonomie personnelle, qui reflète un principe important sous-jacent dans l’interprétation des garanties de l’article 8. Il englobe le droit pour tout individu d’aller vers les autres afin de nouer et développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur, soit le droit à une « vie privée sociale » (CourEDH, Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, n° 68).
De l’avis du Tribunal, il ne peut être manifestement exclu que fait de ne pas avoir le droit, en groupe et en public, de s’approcher physiquement d’autrui, ne constitue pas une ingérence au droit à la liberté individuelle (Art. 11 (1)) et au droit à la vie privée (Art. 11 (3)).
Concernant le port du masque, cette obligation doit être vue sous plusieurs angles.
1) Tout d’abord, il y a l’aspect lié à l’apparence de la personne contrainte de porter un masque, qui influence sur son apparence ou son style vestimentaire.
Dans une société libre et démocratique, il appartient à chaque citoyen de décider sous quelle apparence il entend se présenter en public. Toute restriction à cette liberté risque d’aller à l’encontre de plusieurs droits fondamentaux (Projet de loi n° 7179, Exposé des motifs, p. 5).
Les choix faits quant à l’apparence que l’on souhaite avoir, dans l’espace public comme en privé, relèvent de l’expression de la personnalité de chacun et donc de la vie privée (CourEDH, S.A.S. c/ France, 1er juillet 2014, n° 43835/11).
Il a été soutenu notamment qu’une législation qui interdit, en certains lieux publics, de dissimuler tout ou partie du visage comporte une restriction au droit au respect de la vie privée et de la liberté d’expression (voir p.ex. l’avis du Parquet général du 20 octobre 2018, doc. parl. 7179/1). Il est dès lors plausible d’admettre qu’il en est de même d’une loi oblige à couvrir une partie du visage, de sorte qu’une atteinte aux articles 11 (3) et 24 est à envisager.
La jurisprudence constitutionnelle allemande considère par ailleurs que la protection du « Kernbereich privater Lebensgestaltung » inclut également la question vestimentaire, y compris dans l’espace public.
2) En second lieu, l’obligation de porter un masque constitue une obligation de porter un dispositif ayant une finalité médicale. Il ne s’agit en effet pas seulement de protéger la santé des autres, mais également la sienne en diminuant le risque d’une infection. La question se pose dès lors si le droit à la santé, potentiellement inhérent aux droits naturels, comporte également un volet négatif, donc la liberté de ne pas adopter un certain comportement destiné à protéger la santé.
La doctrine allemande considère que l’obligation de porter le masque est susceptible d’affecter les libertés fondamentales, et notamment le droit général de déterminer son apparence (Recht, das äussere Erscheinungsbild selbstbestimmt zu gestalten), ainsi que le droit à la santé, notamment lorsque le port du masque a une incidence sur la santé, par exemple en provoquant des difficultés respiratoires, des réactions allergiques, voire – en cas d’usage non conforme – une accumulation de la charge virale pour le porteur du masque (Mund-Nasen-Bedeckung und Freiheitsrechte, Wissenschaftlicher Dienst des deutschen Bundestages, p. 8).
3) En troisième lieu il a été invoqué que le port du masque entraverait la liberté de manifester ses opinions, et ce sous deux angles.
Dans un premier temps, il a été soutenu qu’il serait inadmissible de manifester son opinion contre les masques tout en portant le masque ou de faire connaître son opposition à la distanciation physique sans se rapprocher.
Or, la liberté de manifester ne donne pas le droit aux manifestants d’auto-satisfaire leurs revendications, donc d’enfreindre la loi contre laquelle ils manifestent. Sous cet aspect, il n’y a donc manifestement pas d’ingérence étatique dans la liberté d’expression.
Il a ensuite été soutenu que la liberté d’expression inclut l’expression par langage corporel et notamment la mimique faciale.
L’article 10 de la Convention protège aussi bien la substance des idées et informations communiquées que leur mode d’expression (CourEDH, De Haes et Gijsels c. Belgique, 24.2.1997, n° 19983/92, § 48).
Le législateur lui-même, en interdisant la dissimulation du visage, a considéré qu’il existe des endroits, « où la communication, non seulement par des paroles mais également par l’expression du visage, est essentielle » (Projet de loi n° 7179, Exposé des motifs, p. 7).
Il n’est dès lors pas évident qu’il n’y avait pas d’ingérence dans la liberté de manifester ses opinions.
4) Il a encore été invoqué que les règles de distanciation physique et de port du masque violeraient la liberté de manifester ses opinions religieuses. Selon l’analyse allemande, le port du masque peut constituer une entrave à la liberté de religion « sofern eine Religion oder Weltanschauung Gesichtsverhüllungen verbietet » (Mund-Nasen-Bedeckung, op. cit., p. 9). Or, la loi fondamentale allemande assimile les Weltanschauungen aux religions, ce qui n’est pas le cas de notre Constitution.
La Cour constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée sur les notions de culte ou de religion au sens de l’article 19 de la Constitution. On peut y voir un système de pratiques et de croyances en usage dans une communauté, généralement lié à la vénération d’une ou de plusieurs divinités.
L’explication des prévenus selon laquelle ils auraient voulu célébrer la vie et la liberté traduit peut-être l’expression d’une philosophie de vie, mais ne constitue pas un comportement religieux.
Il est donc manifeste qu’il n’y a en l’espèce pas d’ingérence dans les libertés religieuses.
Au vu de ce qui précède, il n’est pas manifestement exclu que l’obligation de port du masque et de respecter une distance de deux mètres ne constitue pas une ingérence étatique dans la liberté individuelle (Art. 11 (1)), dans le droit à la vie privée (Art. 11 (3)) et dans la liberté de manifester ses opinions (Art. 24).
3.4.2. Justification de l’ingérence
Les travaux parlementaires de la loi du 24 juin 2020 retracent les premières mesures prises dans l’état d’urgence, et rappellent les finalités des mesures dans ces termes : « Il convient de préciser qu’il y a une menace sanitaire réelle et grave mettant en péril la santé de tout ou partie de la population lorsque le nombre de personnes infectées au Covid-19 et corrélativement le nombre de personnes nécessitant des soins de santé en raison de problèmes liés à l’infection augmente tel que pour les patients atteints du Covid-19 et ceux atteints d’autres pathologies, le système de santé et en particulier les hôpitaux, n’arrive plus à garantir des soins des santé pour tous les patients, c’est-à-dire à prendre en charge tous les patients qui requièrent des traitements non susceptibles d’être reportés sans compromettre la santé, voire la vie des patients. Il est souligné que la prise en charge des patients dans les hôpitaux est notamment fonction d’une part du nombre de lits d’hôpitaux disponibles en soins normaux et en soins intensifs pour patients atteints du Covid-19 et pour patients atteints d’autres pathologies ainsi que de dispositifs médicaux tel que des respirateurs et, d’autre part, des effectifs médico-soignants disponibles pour prester les soins de santé aux patients » (Projet de loi n° 7606, Commentaire des articles, p. 21).
Pour justifier les mesures de port du masque et la règle de distanciation, le législateur luxembourgeois s’est basé sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé : « Par ailleurs, le Luxembourg continue à miser sur les gestes barrières conformément aux recommandations de l’OMS. Il convient de noter que cette dernière a récemment procédé à une révision de ses directives sur le port du masque. Soulignant qu’il ne peut pas être considéré comme une barrière totalement efficace contre la propagation des gouttelettes respiratoires, elle souligne cependant que son utilisation est recommandée dans le cadre d’une approche plus globale tant qu’elle est associée à la pratique des autres gestes barrières, à savoir l’hygiène des mains et la distanciation physique. Dans ce contexte, l’OMS se réfère à différentes études selon lesquelles le port du masque peut réduire la probabilité d’être contaminé par le coronavirus de 85 pourcents en cas de contact avec une personne infectée. Les recherches montrent également que le risque d’infection chute de 12,8 à 2,6 pourcents selon qu’on se trouve à plus ou moins d’un mètre d’une personne atteinte de Covid-19. L’efficacité s’accroît davantage à partir de deux mètres de distance » (Projet de loi n° 7606, Rapport de la Commission de la santé et des sports, 20 juin 2020, p. 3).
La justification avancée par le législateur pour imposer le masque et la distanciation physique n’a pas substantiellement changé dans la loi du 17 juillet 2020 et dans ses nombreuses modifications subséquentes.
Dans son avis, la CCDH soutient d’une manière générale les efforts du gouvernement dans la lutte contre la pandémie et reconnaît tant la gravité des conséquences sanitaires de la pandémie du COVID-19, que la nécessité de limiter les contacts sociaux et physiques pour éviter la propagation du virus (Projet de loi n° 7606, Avis de la Commission consultative des droits de l’homme du 9 juin 2020, p. 2).
En même temps, la CCDH a cependant souligné que toutes les personnes ne pourront pas porter un masque ou un autre dispositif permettant de recouvrir le nez et la bouche, notamment à cause de problèmes respiratoires ou d’autres caractéristiques individuelles. La commission consultative a ainsi exhorté le gouvernement à adopter une certaine flexibilité. Il s’agirait d’éviter que certaines personnes soient forcées à faire le choix entre violer la loi pour protéger leur santé individuelle d’un côté, ou se conformer aux dispositions du projet de loi tout en risquant des problèmes de santé de l’autre côté (ibidem, p. 5)
Elle invite le gouvernement à fournir d’une manière générale les raisons scientifiques et médicales pour toute décision prise dans le contexte de COVID-19 et impliquant des restrictions pour les droits humains, qu’elle soit de portée individuelle ou générale, faute de quoi il sera impossible d’établir sa légalité, sa nécessité et sa proportionnalité. (ibidem, p. 18)
La Chambre des salariés avait, à l’époque, accusé le législateur d’un « illogisme flagrant » en renforçant le dispositif répressif et les entraves aux libertés individuelles alors que les chiffres concernant l’évolution de l’épidémie auraient évolué dans un sens favorable (Projet de loi n° 7606, Avis de la Chambre des salariés du 11 juin 2020, p. 3).
Le tribunal relève encore qu’à un moment donné, le législateur avait considéré qu’en cas d’observation d’une distance interpersonnelle, le port du masque ne s’imposait plus.
Ainsi par exemple, il a été développé qu’ « en raison de la distanciation des personnes des unes par rapport aux autres, l’obligation du port du masque ou de tout autre dispositif équivalent ne s’applique pas. (Projet de loi n° 7606, Commentaire des articles, p. 22). En effet, à titre dérogatoire, la première condition qui porte sur la mise en place de places assises ne s’applique pas lors de l’exercice de la liberté de manifester ni à l’occasion de cérémonies de funérailles à l’extérieur et aux acteurs cultuels, culturels et sportifs, étant entendu que chaque personne devra observer une distance interpersonnelle de deux mètres sinon porter un masque (ibidem, p.23).
La question ne se pose donc pas seulement si le port du masque est attentatoire aux libertés et si la distanciation physique répond à un but légitime, mais aussi si dans leur combinaison, l’atteinte est justifiée, donc s’il est absolument nécessaire d’imposer le port du masque si une distanciation de 2 mètres est respectée ou, inversement, s’il est absolument nécessaire d’imposer une distanciation de 2 mètres si le masque est porté.
De l’avis du Tribunal, il existe des éléments sérieux pour conclure que les obligations de port du masque et de distanciation trouvent une justification dans la lutte contre la pandémie.
La Conseil d’Etat français a rejeté des requêtes en référé dirigées contre l’obligation de port du masque en extérieur (Conseil d’Etat fr., 6 septembre 2020, n° 443751). Il a notamment considéré « en l'état actuel des connaissances, que, d'une part, le virus peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que, d'autre part, les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir, notamment pendant la phase pré-symptomatique, de l'ordre de cinq jours en moyenne, de l'infection ». Il estime de même que le port du masque ne présente pas de risque particulier pour les personnes qui le portent, est efficace pour réduire le risque de contamination.
Plus récemment, le Conseil d’Etat français a encore décidé que l’obligation de porter le masque en extérieur, n’apparaît pas ‘manifestement dénuée de nécessité’ (Conseil d’Etat fr., 11 janvier 2022, n° 46002, § 5). Cela n’implique cependant pas que, positivement, qu’elle soit ‘manifestement nécessaire’.
En outre, il découle des deux décisions précitées que l’obligation du port du masque ne peut être envisagée que dans les situations en extérieur dans lesquelles la distanciation physique ne peut être observée (§ 7, resp. § 6 des arrêts).
Au vu des avis critiques exprimés, et notamment des rappels répétés de certaines instances aux données scientifiques insuffisantes, il n’est aux yeux du Tribunal pas manifeste que l’obligation de porter le masque et l’obligation d’observer une distance de deux mètres, pris individuellement, et surtout dans leur combinaison, soient impérieusement nécessaires et proportionnées.
Il convient par conséquent de saisir la Cour constitutionnelle d’une question préjudicielle afférente.
3.5. Mise en place d’un couvre-feu entre 23h et 6h
D’après l’article 3 de la loi du 17 juillet 2020, tel qu’applicable au moment des faits (28 mars 2021 ; version applicable depuis le 15 mars 2021), la circulation sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures du matin est interdite, à l’exception des déplacements suivants :
1) les déplacements en vue de l’activité professionnelle ou de la formation ou de l’enseignement ;
2) les déplacements pour des consultations médicales ou des dispenses de soins de santé ne pouvant être différés ou prestés à distance ;
3) les déplacements pour l’achat de médicaments ou de produits de santé ;
4) les déplacements pour des motifs familiaux impérieux, pour l’assistance et les soins aux personnes vulnérables ou précaires ou pour la garde des enfants ;
5) les déplacements répondant à une convocation judiciaire, policière ou administrative ;
6) les déplacements vers ou depuis une gare ou un aéroport dans le cadre d’un voyage à l’étranger ;
7) les déplacements liés à des transits sur le réseau autoroutier ;
8) les déplacements brefs dans un rayon d’un kilomètre autour du lieu de résidence pour les besoins des animaux de compagnie ;
9) en cas de force majeure ou situation de nécessité.
P1 n’a pas réitéré à l’audience son argument lié aux problèmes de santé du grand-père de sa passante et n’a ainsi fait valoir aucune des exceptions, notamment pas celle relative aux motifs familiaux impérieux ou à l’assistance de personnes vulnérables. Il n’a par ailleurs fourni aucun début de preuve à ce sujet.
Le prévenu en saurait dès lors bénéficier des exceptions prévues.
Il ne conteste pas avoir circulé sur la voie publique à 1h22 du matin.
3.5.1. Existence d’une ingérence
Il appartient dans un premier temps au Tribunal de déterminer s’il est manifestement exclu que les dispositions pénales en question constituent une ingérence dans les droits fondamentaux des prévenus, tels que garantis par la Constitution.
Or, il est hautement plausible qu’une loi restreignant à certaines heures, fût-ce des heures nocturnes, le droit des citoyens de circuler dans l’espace public porte atteinte à la liberté individuelle (Art. 12). Puisque les droits naturels de la personne incluent le cas échéant également le droit de se déplacer et de circuler librement, une violation de l’article 11 (1) de la Constitution ne peut être exclue.
En effet, « une mesure d'interdiction aux personnes de sortir de leur domicile durant certaines heures [porte], par nature (…) atteinte à la liberté personnelle » (Conseil d’Etat fr., 23 octobre 2020, op. cit., § 10).
3.5.2. Justification de l’ingérence
Le couvre-feu trouve dans origine de la modification législative introduite par la loi du 29 octobre 2020.
Le projet de loi initial n° 7683 ne contenait pas cette mesure, celle-ci étant introduite par des amendements gouvernementaux du 26 octobre 2020.
Cette loi avait pour objet de « renforcer les mesures de lutte contre la pandémie Covid-19 », puisque « La situation pandémique s’est aggravée de façon inquiétante et de manière extrêmement rapide. Au vu de l’évolution quasi exponentielle du nombre des infections au cours de la semaine dernière, tant en Europe qu’au Luxembourg, des adaptations substantielles au projet de loi initial se sont avérées nécessaires » (Projet de loi n° 7683, Rapport de la commission de la santé et des sports, p. 2).
« En vue de freiner la propagation du virus, il a été décidé de concentrer les mesures sur les activités de loisirs et les déplacements y liés, susceptibles de générer des interactions sociales et donc un terrain propice à la propagation du virus » (ibidem, p. 3). La mesure entend « limiter dans la mesure du possible les déplacements non essentiels des personnes et partant la diffusion du virus » (doc. parl. 7683/2, Commentaire de l’amendement 2, p. 23).
Le couvre-feu en particulier « entend limiter, dans la mesure du possible, les déplacements non essentiels des personnes et, partant, les occasions de diffusion du virus » (ibidem, p. 12).
Le Conseil d’État de son côté, appelé à rendre un avis dans l’urgence, a rappelé que chacune des mesures prévues constitue une restriction de la liberté individuelle. Chaque restriction doit rester dans le cadre constitutionnel prévu, répondre à des impératifs de santé publique et respecter le critère de proportionnelle. Il souligne
cependant que, faute de données scientifiques, il n’est pas en mesure d’apprécier si les différentes mesures respectent le principe de proportionnalité (Projet de loi n° 7683, Avis du Conseil d’Etat du 28.10.2020, p. 2).
La CCDH insiste sur la gravité de cette mesure qui présente notamment une importante restriction de la liberté de circulation, droit fondamental consacré par le protocole n°4 à la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Elle souligne que toute décision doit être fondée sur des données scientifiques et médicales dûment validées. Faute de données statistiques et scientifiques sur les lieux et contacts d’infection spécifiquement en lien avec les activités nocturnes, la Commission consultative dit ne pas être en mesure d’évaluer la nécessité et la proportionnalité d’une telle mesure (Projet de loi n° 7683, Avis de la Commission consultative des droits de l’homme du 27.10.2020, p. 2).
La Chambre des Salariés (CSL), au vu des données et sources d’infection non attribuables, estime qu’il est douteux que l’instauration d’un couvre-feu ait un effet sur la propagation du virus.
Vu la gravité inhérente à une mesure de couvre-feu et aux avis critiques qui ont été exprimés quant à sa justification, il ne peut être affirmé avec certitude que l’ingérence dans les libertés fondamentales trouve une justification, de sorte qu’il n’est pas manifeste que le couvre-feu était une mesure impérieusement nécessaire et proportionnée pour assurer la santé collective.
La question d’une violation de la Constitution n’est ainsi pas manifestement infondée.
Il convient par conséquent de saisir la Cour constitutionnelle de questions préjudicielle afférentes.
3.6. Interdiction de consommer de l’alcool en public
D’après l’article 4 (3) de la loi du 17 juillet 2020, tel qu’applicable au moment des faits reprochés (8 mai 2021 ; version applicable depuis le 26 avril 2021), la consommation de boissons alcooliques sur la voie publique et dans les lieux accessibles au public était interdite.
P1 admet avoir consommé de l’alcool au lieu-dit Kinnekswiss, donc dans un lieu accessible au public.
3.6.1. Existence d’une ingérence
Puisque la liberté individuelle ne couvre selon la jurisprudence constitutionnelle que la liberté physique de se déplacer et non, par exemple, la liberté de s’alimenter comme on le souhaite, une violation de l’article 12 de la Constitution ne saurait être donnée.
Il a pu être soutenu que « L’alcool joue un rôle social (…) Jusqu’à nos jours la consommation d’alcool reste bien enracinée dans nos mœurs nationales, et il n’est guère d’événement de société dont l’alcool soit absent » (Projet de loi no 3527, Exposé des motifs, p. 5.).
La question se pose s’il existe un droit naturel de boire de l’alcool et si le choix de consommer de l’alcool relève de la vie privée.
La notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive. Il serait trop restrictif de limiter la vie privée à un « cercle intime » où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d’en écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle. Il existe une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (CourEDH, Guide sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, n° 68).
Le fait que la consommation d’alcool ait été possible dans le domicile privé et ait seulement été restreinte dans le domaine public ne permet ainsi pas en soi d’exclure qu’il y a une violation du droit à la vie privée.
Dans la jurisprudence constitutionnelle allemande, les articles 1 et 2 du Grundgesetz, donc ceux garantissant un droit à la dignité et un droit à l’auto-détermination (vie privée) sont interprétés comme incluant une protection du « allgemeines Persönlichkeitsrecht » couvrant le « Kernbereich privater Lebensgestaltung », et incluant également les habitudes d’alimentation.
Si de nombreuses décisions françaises et allemandes ont analysé des restrictions de consommation ou de vente d’alcool au public sous l’angle de la liberté du commerce et de l’industrie (restrictions de vente à certaines heures, restriction de la publicité), aucune décision constitutionnelle ne semble encore avoir tranché la question de savoir si la consommation d’alcool relève d’une liberté fondamentale. Le fait qu’il n’y ait pas de « droit à l’ivresse » (Recht auf Rausch ; BVerfG, 2. Senat, 9.3.1994, 2 BvL 43/92 , Rn. 119) n’implique pas que la consommation en tant que telle ne puisse révéler des libertés citoyennes.
La doctrine allemande considère qu’une restriction de la consommation d’alcool est susceptible de constituer une ingérence dans les libertés individuelles (voir p.ex. Alkoholverbot im öffentlichen Personenverkehr, Wissenschatlicher Dienst des deutschen Bundestages, p. 7). Il a par exemple été exposé que « Das Mitsichführen und der Konsum von alkoholhaltigen Getränken ist durch Art. 2 Abs. 1 GG geschützt. Dem kann auch nicht entgegenhalten werden, dass der Umgang mit Alkohol generell in unserer Gesellschaft und nach der Ordnung des Grundgesetzes kritisch zu hinterfragen ist. Demnach sind das Mitsichführen und der Konsum von Alkohol auf öffentlichen Straßen und Plätzen kein Verhalten, das per se unanständig ist » (Florian Claus Albrecht, Rechtliche Handlunsspielräume der kommunalen Alkohol-verhaltensprävention).
On peut relever une décision administrative française qui posait la question de savoir si une politique de « tolérance zéro » au sein de l’entreprise est admissible au regard de l’article L. 1321-3 du Code du travail français selon lequel les dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectrices des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Si les juges concluent que l’interdiction d’alcool est une mesure proportionnée, ils ont cependant, en posant cette question, implicitement admis à la base que la consommation d’alcool relève des libertés individuelles (Conseil d’Etat fr., 8 juillet 2019, n° 420434). La Cour administrative dont la décision a été annulée avait explicitement considéré que « la disposition relative à la « tolérance zéro alcool » excède, par son champ d'application imprécis, l'étendue des sujétions que l'employeur peut légalement imposer en application des dispositions précitées de l'article L. 4121-1 du code du travail et des restrictions qu'il peut légalement apporter à la liberté individuelle des salariés » (Cour adm. Nancy, 6 mars 2018, n° 16NC01005).
De façon plus générale, la question de la manière dont un individu souhaite s’alimenter, que ce soit en public ou en privé, pourrait relever du droit naturel, de sorte qu’il ne peut être exclu avec certitude que le fait d’interdire toute consommation d’alcool, quelle qu’en soit l’ampleur, dans tout l’espace public, puisse porter atteinte à un droit naturel à l’auto-détermination nutritionnelle, comme le pourrait être par exemple une interdiction de consommer de la viande. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle quant aux droits naturels (Art. 11(1)) et quant à la vie privée (Art. 11 (3)) est pour l’instant trop éparse pour pouvoir l’exclure avec certitude.
Au vu de ce qui précède, il n’est pas manifeste que la consommation d’alcool, y compris dans l’espace public, ne relève pas des libertés individuelles (Art. 11 (1)) et de la vie privée (Art. 11 (3)), question qu’il appartient au final au juge constitutionnel de trancher.
Si tel est le cas, l’interdiction ferme constitue une ingérence dans ces libertés.
3.6.2. Justification de l’ingérence
Il appartient ensuite au Tribunal de déterminer si malgré cette possible ingérence dans les droits fondamentaux, il est à ce point évident que celle-ci est justifiée que la violation d’une disposition constitutionnelle est manifestement à exclure.
L’interdiction de consommer de l’alcool a été introduite par la loi du 24 décembre 2020 sur base de la motivation suivante : « Le projet de loi propose par ailleurs d’interdire la consommation d’alcool sur la voie publique et dans les lieux accessibles au public, parce qu’une telle consommation rend difficile le respect des gestes barrières et que l’alcool a un effet désinhibant » (Projet de loi n° 7738, Rapport de la commission de la santé et des sports, p. 3).
Plus précisément, « Il s’agit de mettre fin à la possibilité de rassemblements susceptibles de se créer lors de la consommation de boissons alcooliques. Il échet de noter que ces rassemblements ne sont pas nécessairement, en tant que tels, dangereux pour autant que la distanciation physique minimale de deux mètres est respectée et que le port du masque est respecté. Or, dès qu’il y a consommation d’une boisson, le port du masque n’est plus, par la force des choses, possible pendant tout le temps. La consommation d’une boisson alcoolique a pour effet supplémentaire de réduire, par son effet désinhibiteur, la vigilance quant aux gestes barrières. Or, l’état actuel de la pandémie Covid-19 exige, de la part de chacun, de continuer à ne pas baisser la garde » (ibidem, p. 10).
Le Conseil d’Etat s’était interrogé sur la nécessité d’étendre l’interdiction de la consommation d’alcool à tous les lieux publics (Projet de loi n° 7738, Avis du Conseil d’Etat du 23 décembre 2020, p. 2).
La CCDH se pose des questions quant aux effets de cette interdiction sur certaines personnes, notamment celles qui souffrent d’une dépendance à l’alcool et qui n’ont pas la possibilité d’en consommer dans des endroits privés, telles que certaines personnes sans domicile fixe.
La question qui se pose est ainsi la suivante : ce qu’il y a un risque de désinhibition inhérent à toute consommation d’alcool dans l’espace public conduisant au non-respect des mesures sanitaires, et est-ce que par conséquent l’interdiction de toute consommation d’alcool en public est une mesure impérieuse, nécessaire et proportionnée pour protéger la santé de la population ?
Au vu du caractère assez indirect de ce raisonnement, mais aussi des interrogations soulevées par le Conseil d’Etat et la CCDH, il n’est pas manifeste que tel est le cas.
Les questions soulevées ne sont par conséquent pas dénuées de tout fondement, de sorte qu’il convient de saisir la Cour constitutionnelle.
3.7. Respect du principe d’égalité devant la loi en fonction de la taille de la manifestation
L’article 4 de la loi du 17 juillet 2020 applicable au moment des faits se lisait comme suit :
« (4) (…) Tout rassemblement qui met en présence entre onze et cent personnes incluses est soumis à la condition que les personnes portent un masque et se voient attribuer des places assises en observant une distance minimale de deux mètres. (…)
(5) Tout rassemblement au-delà de cent personnes est interdit. (…) Cette interdiction ne s’applique ni à la liberté de manifester, ni aux marchés à l’extérieur, ni aux transports publics. Le port du masque est obligatoire à tout moment. (…)
(6) (…) L’obligation de se voir assigner des places assises ne s’applique ni dans le cadre de l’exercice de la liberté de manifester (…) »
Sous la législation applicable au moment des faits, l’élaboration d’un protocole sanitaire n’était prévue que pour les activités économiques.
Le droit pénal étant d’interprétation stricte, il découle de ces textes que lors d’une manifestation de plus de 100 personnes, la règle de distanciation physique ne s’applique pas, tandis qu’elle est applicable pour les manifestations entre 11 et 100 personnes.
La Tribunal avait soulevé d’office la question de la compatibilité de cette différenciation avec l’article 10bis (1) de la Constitution selon lequel les Luxembourgeois sont égaux devant la loi.
Une formulation de la question a été proposée à l’audience et tant les prévenus que le Ministère public ont pu prendre position.
Selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le principe constitutionnel d’égalité devant la loi édicté par l’article 10bis (1) de la Constitution appelle une analyse à deux degrés: dans un premier stade, il y a lieu, de façon préalable, de vérifier la comparabilité des deux catégories de personnes par rapport auxquelles le principe est invoqué. Ce n’est que si cette comparabilité est vérifiée que, dans un deuxième stade, la juridiction saisie analyse si la différenciation qui existe par hypothèse entre ces deux catégories de personnes est objectivement justifiée ou non.
Inversement, il est plausible d’admettre que l’article 10bis de la Constitution implique également que des situations différentes ne soient pas traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement soit objectivement justifié.
Dans une appréciation sommaire, le Tribunal est d’avis que la personne participant à une manifestation de 99 participants se trouve dans une situation similaire qu’une personne y participant avec 100 autres personnes, de sorte qu’il subsiste un doute si cette différenciation est objectivement justifiée, ce d’autant plus que dans la logique sanitaire du législateur, les mesures devraient être plus restrictives dans les grands rassemblements.
Dans un raisonnement subsidiaire, on peut admettre qu’une personne se trouvant dans un grand rassemblement n’est pas dans la même situation qu’une personne évoluant dans un rassemblement de moindre taille, puisque le risque de répartition du virus y est moindre. Dans ce cas, il se pose malgré tout la question de savoir si la différenciation opérée par le législateur est justifiée, puisque les mesures sont moins strictes pour les grands rassemblements.
Il convient de rappeler que d’après les éléments du dossier et des déclarations du témoin T1, la manifestation dépassait parfois le nombre de 100 participants.
Puisque le non-respect de la distanciation sociale est reprochée aux prévenus, la question de l’admissibilité de cette différence de traitement a une incidence sur l’issue de l’action publique.
Il convient dès lors de saisir la Cour constitutionnelle d’une question afférente.
Dans l’attente de la réponse de la Cour constitutionnelle, il convient de réserver les questions de la conventionalité de la loi, notamment au regard de la ConvEDH et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, interdisant de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.
P a r c e s m o t i f s
Le tribunal de police de et à Luxembourg, statuant contradictoirement, les prévenus entendus en leurs explications et moyens de défense, le représentant du Ministère public en son réquisitoire,
joint les affaires introduites sous les notices 4316/21/LD, 3020/21/CD, 2751/21/CD, 2579/21/LD et 2581/21/LD ;
avant tout autre progrès en cause
saisit la Cour constitutionnelle des questions préjudicielles suivantes :
« L’article 3 de la loi du 17 juillet 2020 portant introduction d’une série de mesures de lutte contre la pandémie Covid-19, dans sa version applicable au 28 mars 2021, en ce qu’il restreint la circulation sur la voie publique entre 23 heures et 6 heures du matin, est-il conforme :
- à l’article 11 (1) de la Constitution garantissant les droits naturels de la personne humaine ?
- à l’article 12 de la Constitution, garantissant la liberté individuelle ? »
« Les obligations de porter le masque ainsi que de respecter une distance minimale de deux mètres pour tout rassemblement entre 11 et 100 personnes, y compris un rassemblement aux fins de manifestation, découlant de l’article 4 (4) de la loi du 17 juillet 2020, dans ses versions applicables au 16 janvier 2021 et au 23 janvier 2021, sont-elles, prises individuellement et dans leur combinaison, conformes :
- à l’article 11 (1) de la Constitution garantissant les droits naturels de la personne humaine ?
- à l’article 11 (3) de la Constitution garantissant la protection de la vie privée ?
- à l’article 24 de la Constitution garantissant la liberté de manifester ses opinions ? »
« L’article 4 (3) de la loi du 17 juillet 2020, dans sa version applicable au 8 mai 2021, en ce qu’il interdit la consommation de boissons alcooliques sur la voie publique et dans les lieux accessibles au public, est-il conforme :
- à l’article 11 (1) de la Constitution garantissant les droits naturels de la personne humaine ?
- à l’article 11 (3) de la Constitution garantissant la protection de la vie privée ? »
« L’article 4 (4) de la loi du 17 juillet 2020, dans ses versions applicables au 16 janvier 2021 et au 23 janvier 2021, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution en ce qu’il impose, y compris dans le cadre d’une manifestation publique, pour les rassemblements entre 11 et 100 personnes l’observation d’une distance minimale de deux mètres, tandis qu’en vertu de l’article 4 (5) de cette loi, cette exigence ne vaut pas pour des rassemblements au-delà de cent personnes lorsque celles-ci exercent leur liberté de manifester ? »
réserve l’action publique et les frais.
Ainsi fait, jugé et prononcé, en présence du Ministère public, en l’audience publique dudit tribunal de police à Luxembourg, date qu’en tête, par Jean-Luc PUTZ, juge de paix, siégeant comme juge de police, assisté de la greffière Cheryl URY, qui ont signé le présent jugement.
(s) Mag3 (s) Greffier