ARRET de la Cour constitutionnelle du 4 juin 2021
Dans l’affaire n° 00166 du registre
ayant pour objet une question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, suivant jugement rendu le 5 février 2021 (n° 42156 du rôle), déposé au greffe le 8 février 2021, dans le cadre d’un litige
Entre :
1) l’association sans but lucratif « SOC1)», établie et ayant son siège social à (…), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le n° (…), représentée par le conseil d’administration en fonction, 2) A), ostéopathe D.O., demeurant à (…) et 3) B), ostéopathe D.O., demeurant à (…),
et :
l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L- 1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine,
La Cour,
composée de
Jean-Claude WIWINIUS, président,
Francis DELAPORTE, vice-président,
Henri CAMPILL, conseiller,
Roger LINDEN, conseiller,
Lotty PRUSSEN, conseiller,
Viviane PROBST, greffier,
Sur les conclusions déposées au greffe de la Cour le 4 mars 2021 par Maître François PRUM, avocat à la Cour, pour l’SOC1)et consorts, celles déposées le 11 mars 2021 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, pour l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, et celles additionnelles déposées le 8 avril 2021 pour l’SOC1)et consorts,
l’affaire ayant été prise en délibéré de l’accord des mandataires et sans leur parution à l’audience publique de la Cour constitutionnelle du 30 avril 2021, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale,
rend le présent arrêt :
Le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a été saisi par l’association sans but lucratif « SOC1)», A) et B) d’une requête tendant à l’annulation du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 portant règlementation de la profession d’ostéopathe, ci-après « le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 », et déterminant :
1) les études en vue de l’obtention du diplôme d’ostéopathe;
2) les modalités de reconnaissance des diplômes étrangers;
3) l’exercice et les attributions de la profession d’ostéopathe.
Par jugement du 5 février 2021, le tribunal administratif a saisi, avant tout autre progrès en cause, la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :
« Les dispositions combinées des articles 1er et 7 de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé sont-elles conformes aux paragraphes (5) et (6) de l’article 11 et à l’article 32, paragraphe (3) de la Constitution combinés, sinon pris individuellement ?».
L’article 11, paragraphes 5 et 6, de la Constitution dispose :
« (5) La loi règle quant à ses principes la sécurité sociale, la protection de la santé, les droits des travailleurs, la lutte contre la pauvreté et l’intégration sociale des citoyens atteints d’un handicap. »
« (6) La liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole sont garantis, sauf les restrictions à établir par la loi.
(…) ».
L’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, dispose :
« Dans les matières réservées à la loi par la Constitution, le Grand-Duc ne peut prendre des règlements et arrêtés qu’en vertu d’une disposition légale particulière qui fixe l’objectif des mesures d’exécution et le cas échéant les conditions auxquelles elles sont soumises. ».
L’article 1er de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé, ci-après « la loi du 26 mars 1992 », dispose :
« Champ d’application.
Les dispositions de la présente loi sont applicables aux professions de santé suivantes:
- aide-soignant
- assistant-senior
- assistant technique médical
- infirmier
- infirmier en anesthésie et réanimation
- infirmier en pédiatrie
- infirmier psychiatrique
- masseur
- sage-femme
- assistant d’hygiène sociale
- assistant social
- diététicien
- ergothérapeute
- infirmier gradué
- laborantin
- masseur-kinésithérapeute
- orthophoniste
- orthoptiste
- ostéopathe
- pédagogue curatif
- podologue
- rééducateur en psychomotricité.
D’autres professions peuvent, en cas de besoin, être créées par règlement grand-ducal à prendre sur avis du Conseil d’Etat et de l’assentiment de la commission de travail de la Chambre des Députés.
Les professions de santé relevées au premier alinéa sont désignées dans la suite du texte par les « professions ».
L’exercice de ces professions relève de l’autorité du ministre ayant la santé dans ses attributions, désigné dans la suite du texte par le terme « le ministre ». ».
L’article 7 de la loi du 26 mars 1992 dispose :
« Statut et attributions de ces professions
Un règlement grand-ducal détermine le statut, les attributions et les règles de l’exercice de ces professions. ».
Tant au vœu du paragraphe 5 de l’article 11 de la Constitution, qui vise la protection de la santé, que de son paragraphe 6, alinéa 1, qui vise l’exercice de la profession libérale, l’accès à la profession d’ostéopathe et l’exercice de cette profession sont une matière réservée à la loi.
Le règlement grand-ducal du 23 septembre 2018 détermine les conditions de formation requises pour accéder à la profession d’ostéopathe et l’exercice et les attributions de ladite profession.
Si, dans une matière réservée à la loi, l’encadrement législatif d’une attribution du pouvoir réglementaire au Grand-Duc peut, au-delà de la stricte disposition prévoyant la délégation de pouvoir, se dégager de l’ensemble des règles législatives pertinentes, il n’en reste pas moins que la fixation des objectifs des mesures d’exécution doit être clairement énoncée, de même que les conditions auxquelles elles sont, le cas échéant, soumises.
L’orientation et l’encadrement du pouvoir exécutif doivent, en tout état de cause, être consistants, précis et lisibles, l’essentiel des dispositions afférentes étant appelé à figurer dans la loi.
Les articles 1er et 7 de de la loi du 26 mars 1992, pris tant individuellement qu’en combinaison, n’orientent ni n’encadrent autrement l’action du pouvoir réglementaire.
Au contraire, à travers l’article 7 de la loi du 26 mars 1992, le pouvoir exécutif se voit déléguer inconditionnellement la détermination du statut, des attributions et des règles de l’exercice des professions de santé visées à l’article 1er de ladite loi.
En outre, la Cour constate qu’au-delà des deux dispositions précitées, si la loi du 26 mars 1992 fixe les conditions générales d’accès aux professions visées et différentes conditions communes liées à l’exercice de ces professions, conditionnant de la sorte dans une certaine mesure l’action du pouvoir réglementaire, elle reste cependant essentiellement en défaut de déterminer avec la précision requise l’objectif des mesures d’exécution.
Il y a partant lieu de dire, par rapport à la question préjudicielle posée, que les dispositions combinées des articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992 ne sont pas conformes à l’article 32, paragraphe 3, considéré ensemble les paragraphes 5 et 6 de l’article 11 de la Constitution.
L'effet immédiat de la déclaration d’inconstitutionnalité, moyennant l’inapplicabilité corrélative du règlement grand-ducal du 23 septembre 2018, voire des autres règlements, pris en exécution de l’article 7 de la loi du 26 mars 1992, entraînerait des conséquences manifestement excessives sur l’ordre juridique, de sorte qu'il y a lieu de reporter, en application de l’article 95ter de la Constitution, au 30 juin 2023 les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité, afin de permettre au législateur d’y remédier.
PAR CES MOTIFS,
la Cour constitutionnelle :
dit, par rapport à la question préjudicielle posée, que les dispositions combinées des articles 1er et 7 de la loi du 26 mars 1992 ne sont pas conformes à l’article 32, paragraphe 3, considéré ensemble les paragraphes 5 et 6 de l’article 11 de la Constitution;
dit que ces dispositions cesseront d’avoir un effet juridique le 30 juin 2023;
dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A;
dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de A) et B) lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel;
dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence du greffier Viviane PROBST.
s. Viviane PROBST greffier |
s. Jean-Claude WIWINIUS président |