Le tribunal administratif pose quatre questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle - Changement de groupe de traitement - Police grand-ducale

Le tribunal administratif a rendu le jugement suivant en date du 6 avril 2021:

Tribunal administratif                                                                          No 42617 du rôle

du Grand-Duché de Luxembourg                                                        Inscrit le 5 avril 2019

4e chambre

Audience publique du 6 avril 2021

 

Recours formé par

Monsieur ..., …,

contre une décision du ministre de la Sécurité intérieure

en matière de promotion

___________________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

            Vu la requête inscrite sous le numéro 42617 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2019 par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de la Sécurité intérieure du 27 décembre 2018 portant rejet de sa demande d’admission au mécanisme temporaire du changement de groupe de traitement prévu à l’article 94 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale ;

 

            Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2019 ;

 

            Vu le mémoire en réplique de Maître Pol Urbany déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2019 pour le compte de son mandant ;

 

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2019 ;

 

            Vu les pièces versées en cause, et notamment la décision critiquée ;

 

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Maître Stéphanie Bastin Humbert, en remplacement de Maître Pol Urbany, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 2020.   

___________________________________________________________________________

 

            Suite à une note de service n° … du 24 juillet 2018 du directeur général de la Police grand-ducale, Monsieur ... introduisit le 14 août 2018, par la voie hiérarchique, une demande afin de bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement, tel que prévu à l’article 94 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, ci-après désignés respectivement par « la voie expresse » et « la loi du 18 juillet 2018 ».

 

Suite à un avis défavorable de la commission de contrôle de la carrière policière, ci-après désignée par « la commission de contrôle », en matière de mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement du 9 novembre 2018, le ministre de la Sécurité intérieure, ci-après désigné par « le ministre », par décision du 27 décembre 2018, informa Monsieur ... du refus de sa demande sur base des motifs et considérations suivantes :

 

« (…) Me référant à votre demande du 14 août 2018 et à l’avis défavorable de la commission de contrôle de la carrière policière, je suis au regret de vous informer que vous n’êtes actuellement pas admissible au mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement étant donné que le nombre maximal de fonctionnaires du groupe de traitement C1 pouvant bénéficier de ce mécanisme est atteint. (…) ».

 

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2019, Monsieur ... a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 27 décembre 2018.

 

Quant à la question de la nature du recours aux termes duquel le tribunal est saisi en cette matière, telle que soulevée par le délégué du gouvernement, il échet au tribunal de préciser que Monsieur ... a conclu, dans le dispositif de sa requête introductive d’instance, à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du 27 décembre 2018 en ce qu’elle lui a refusé l’accès à la voie expresse, de sorte que le présent litige s’analyse en une contestation résultant d’un refus d’avancement dans un groupe de traitement supérieur, et vise dès lors un refus de promotion.

 

Monsieur ... fait plaider que la voie expresse ne serait à confondre ni avec la procédure de changement de groupe de traitement prévue par la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant les conditions et modalités de l’accès du fonctionnaire à un groupe de traitement supérieur au sien et de l'employé de l'Etat à un groupe d'indemnité supérieur au sien, ni avec le mécanisme dit de « la voie expresse » ayant été introduit par la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », de sorte à constituer un mécanisme particulier, différent du changement de groupe de traitement. Dans la mesure où une promotion, par la voie expresse, fondée sur l’article 94 de loi du 18 juillet 2018, impliquerait la fixation d’un nouveau traitement, Monsieur ... fait valoir que les contestations y relatives tomberaient dans le champ d’application de l’article 26 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut des fonctionnaires de l’Etat, dénommée ci-après « le statut général », de sorte que le tribunal de céans devrait pouvoir être saisi d’un recours au fond.  

 

Or, force est de constater qu’aucune disposition législative n’attribue au tribunal une compétence au fond dans cette matière, de sorte que le tribunal doit se déclarer incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation dirigé contre la décision déférée et ce, alors même qu’une promotion engendre a priori des conséquences sur le traitement d’un fonctionnaire, étant relevé qu’il a été jugé qu’un recours au fond n'est pas admissible concernant les décisions qui n'ont qu'un effet indirect sur le traitement.[1]

 

Par contre, le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

 

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique s’est encore interrogée sur la question de savoir si l’ensemble des 355 candidats ayant rempli les conditions de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, figurant en rang utile sur la liste d’ancienneté et ayant été admis à rédiger un travail de réflexion jusqu’au 15 juillet 2019 pour accéder, par promotion, au groupe de traitement B1, devraient être mis en intervention, en tant que tiers intéressés, dans le présent litige, conformément à l’article 4, paragraphe (3) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 », dans la mesure où le demandeur contesterait les critères d’évaluation de la voie expresse.

 

Force est cependant de retenir qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la mise en intervention des 355 candidats retenus pour bénéficier de la voie expresse, dans la mesure où la décision actuellement déférée au tribunal a exclusivement trait à la situation individuelle du demandeur. En effet, une telle intervention resterait sans influence sur la situation du demandeur, ainsi que sur celle des personnes mises en intervention, en ce que l’éventuelle annulation de la décision sous examen n’impacterait directement que la situation du demandeur.

 

Il suit de l’ensemble de ces considérations que la demande de mise en intervention, telle que formulée par la partie étatique dans son mémoire en duplique, est à rejeter pour ne pas être fondée.

 

A l’appui de son recours, le demandeur retrace, tout d’abord, sa carrière professionnelle notamment au sein de la Police grand-ducale, ainsi que son cursus scolaire et les formations professionnelles suivies, le demandeur étant classé au grade de 1er commissaire de police, service police judiciaire depuis le 1er août 2018, avant d’expliquer le mécanisme de la voie expresse, tel qu’il est prévu, de manière générale, à l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, ainsi que, de manière plus spécifique, pour les expéditionnaires informaticiens, à l’article XII de la loi du 9 mai 2018 portant notamment modification 1° de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, pour la Police grand-ducale, à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 et, pour les fonctionnaires intégrés dans le cadre policier de l’Inspection générale de la Police, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 IGP ». Dans son mémoire en réplique, le demandeur relève encore que la voie expresse aurait également été introduite pour les fonctionnaires communaux par le biais de l’article 51 du règlement grand-ducal modifié du 28 juillet 2017 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires communaux, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 28 juillet 2017 ».

 

Au fond, le demandeur conclut, tout d’abord, à l’annulation de la décision ministérielle déférée du 27 décembre 2018 pour violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 en ce que le ministre n’aurait pas pris en considération les compétences professionnelles et personnelles des candidats ayant postulé à bénéficier de la voie expresse, le demandeur invoquant, dans ce cadre, ses diplômes obtenus et les formations suivies. Ainsi le ministre aurait dû d’abord prendre en considération ces critères pour la sélection des candidats avant d’appliquer le contingent de 20% de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier.

 

Dans son mémoire en réplique, le demandeur prend position par rapport à l’argumentation étatique selon laquelle la prise en considération des compétences professionnelles et personnelles des candidats dans le cadre de la voie expresse ne devrait se faire, conformément à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, que « s’il y avait lieu », dans la mesure où tous les candidats ayant postulé pour bénéficier de la voie expresse n’auraient pas encore fait l’objet d’une appréciation de leurs compétences, ce système n’ayant été introduit que depuis le 1er octobre 2015.

 

Le demandeur donne, dans ce cadre, à considérer, que la version initiale de l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, telle qu’elle ressortirait du projet de loi fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires, aurait utilisé l’expression « le cas échéant », laquelle aurait cependant été changée, suite à l’avis complémentaire du Conseil d’Etat du 19 décembre 2014, qui l’aurait considérée comme étant superflue, en celle de « s’il y a lieu », qui serait également utilisée par l’article 16 de la même loi. Or, l’article 16 de la loi du 25 mars 2015 prévoirait la prise en considération « des résultats de l’appréciation des compétences personnelles et professionnelles », tandis que l’article 54 de la même loi se référerait à la prise en compte de « l’appréciation » des mêmes compétences, ce qui amène le demandeur à argumenter que l’article 94 de la 18 juillet 2018, dont les termes seraient sur ce point identique à ceux de l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, imposerait une analyse plus large de compétences que celles de l’article 16 de la même loi, de sorte que le ministre, en n’ayant procédé à aucune appréciation des compétences du demandeur dans le cadre de la décision litigieuse, aurait violé l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018.

 

Le demandeur rajoute encore que le Conseil d’Etat, dans le cadre du projet de loi n° 6457 devenu par après la loi du 25 mars 2015 modifiant notamment le statut général, se serait opposé à l’emploi de l’expression « le cas échéant » à l’article 4 du statut général si celle-ci devait se lire comme l’équivalent de l’expression « tel que » et non pas de l’expression « s’il y a lieu », dont le sens serait celui d’une obligation dépendant de l’existence ou non d’une certaine circonstance, observation qui, d’une part, aurait conduit la commission de la Fonction publique et de la Réforme administrative à amender ledit article pour y utiliser l’expression « s’il y a lieu », et, d’autre part, aurait également été reprise au sujet de l’article 16 de la loi du 25 mars 2015 modifiant notamment le statut général. Or, il ne serait pas possible de transposer le sens de l’expression « s’il y a lieu » de l’article 4 du statut général à l’article 54 de la loi du 25 mars 2015 dans la mesure où, d’une part, tous les fonctionnaires seraient soumis à un système d’appréciation de leurs compétences depuis l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015 modifiant notamment le statut général, et, d’autre part, il serait inadmissible qu’un candidat, dont les compétences n’auraient pas encore été appréciées au sens de la prédite loi, ne pourrait pas faire valoir ses compétences professionnelles et personnelles dans le cadre de la voie expresse, de sorte à être tributaire de la bonne ou mauvaise volonté de l’administration et victime d’un pur hasard temporel. Ces éléments devraient amener le tribunal à conclure à une violation, en l’espèce, de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018.

 

Si le tribunal devait néanmoins retenir le même sens de l’expression « s’il y a lieu » pour l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 que pour l’article 4 du statut général, le demandeur fait valoir que cela conduirait, en ce qui concerne le choix des candidats dans le cadre de la voie expresse prévue au prédit article 94, à une violation de l’article 10bis de la Constitution entre les candidats à la voie expresse ayant déjà obtenu une appréciation de leurs compétences professionnelles et personnelles et ceux qui n’en auraient pas encore obtenu, et sollicite de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », : « L’article 94, paragraphe 3, alinéa 2 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce  qu’il tient compte, s’il y a lieu, de l’appréciation des compétences professionnelles et personnelles dans le cadre de la sélection des candidats, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement entre les candidats qui ont déjà fait l’objet d’une appréciation de leurs compétences professionnelles et les candidats qui n’ont pas encore fait l’objet d’une appréciation de leurs compétences professionnelles ? ».

 

En ce qui concerne l’appréciation des compétences dans la fonction publique, le demandeur, en se référant à l’exposé des motifs du projet de loi n° 6457, fait valoir que le législateur aurait attaché une importance particulière au développement personnel du fonctionnaire qui ferait l’objet d’une appréciation continue, conformément aux articles 4 et 4bis du statut général, dont l’administration se servirait pour prendre diverses décisions, tel que notamment dans le cadre de la voie expresse. Bien qu’aucune appréciation de ses compétences professionnelles ressortirait de son dossier administratif, le demandeur fait valoir qu’il existerait des appréciations de son développement professionnel, dont ni la commission de contrôle, ni le ministre n’auraient tenu compte dans la décision litigieuse, de sorte à avoir ainsi violé l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018. Le demandeur précise encore que son moyen de violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 viserait, non pas les conditions d’accès à la voie expresse, mais les critères de sélection des candidats, en relevant que la prise en considération de l’appréciation des compétences professionnelles et personnelles serait prévue par l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires relatives au mécanisme de la voie expresse. Dans ce contexte, le demandeur relève plus particulièrement que l’article 54 de la loi du 25 mars 2015 prévoirait ledit critère comme seul et unique critère pour départager les candidats à la voie expresse, au cas où trop de candidats postuleraient par rapport à la limite de 20 % de l’effectif du groupe de traitement initial de l’administration dont le fonctionnaire relèverait, de sorte que ce critère devrait obligatoirement s’appliquer dans ce cas et que si un candidat n’avait pas encore fait l’objet d’une appréciation de ses compétences conformément aux articles 4 et 4bis du statut général, il devrait y être procédé avant la sélection des candidats. Dans la mesure où l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 serait expressément inspiré de l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, le critère de sélection relatif aux compétences personnelles et professionnelles serait à appliquer de la manière dans les deux cas, sinon le législateur ne l’aurait pas repris dans le prédit article 94. Le demandeur en conclut que l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle il ne saurait être tenu compte de l’appréciation des compétences que pour autant une telle appréciation aurait été réalisée, alors qu’en présence d’un nombre de candidats dépassant la limite des policiers pouvant accéder à la voie expresse, tel que cela aurait été le cas en l’espèce où 648 candidats se seraient présentés pour 355 places, il aurait dû être tenu compte des compétences des candidats pour les sélectionner. Ainsi, la décision déférée aurait violé l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018.

 

Toujours en ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, le demandeur fait finalement valoir que les compétences à prendre en considération seraient non seulement les compétences professionnelles, appréciées dans le cadre des articles 4 et 4bis du statut général, mais également les compétences personnelles, tel que le parcours scolaire et professionnel de chaque candidat, ainsi que les formations suivies, éléments qui figureraient dans le dossier personnel de chaque fonctionnaire, dont le demandeur sollicite la communication, et qui auraient été, à tort, négligés en l’espèce, en violation du prédit article 94 de la loi du 18 juillet 2018.

 

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré d’une violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 pour ne pas être fondé.

 

Aux termes de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 : « (1) Pour les membres du cadre policier en service, en congé de maternité, en congé parental ou en congé sans traitement au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi, il est instauré un mécanisme temporaire de changement de groupe permettant à ces fonctionnaires d’accéder à un groupe de traitement immédiatement supérieur au leur dans les conditions et suivant les modalités déterminées au présent article. Le bénéfice de ce mécanisme est limité à une période de dix ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

 

(2) Le membre du cadre policier désirant profiter de ce mécanisme temporaire de changement de groupe doit en faire la demande par écrit auprès du directeur général de la Police grand-ducale avec copie au ministre, qui en saisit la commission de contrôle prévue à l’article 77.

 

(3) Pour pouvoir bénéficier de ce mécanisme temporaire de changement de groupe, le membre du cadre policier doit remplir les conditions ci-dessous :

 

1°        avoir accompli quinze années de service depuis sa nomination ;

2°        être classé à une fonction relevant du niveau supérieur.

 

Pour la sélection des candidats, il sera tenu compte, s’il y a lieu, de l’appréciation des compétences professionnelles et personnelles du policier en question.

 

Le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier de ce mécanisme temporaire de changement de groupe, est fixé à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier. Toute fraction résultant de l’application du taux établi ci-dessus compte pour une unité.

 

Le changement de groupe de traitement dans le cadre du présent article ne peut se faire qu’une seule fois et dans les limites de l’alinéa précédent et uniquement au sein de la Police.

 

Au cas où le nombre de candidatures admissibles dépasse les vingt pour cent, la sélection des candidatures se basera également sur le critère de l’ancienneté de service.

 

(4) Sur avis de la commission de contrôle, le ministre décide de l’admissibilité du candidat. Le candidat retenu doit présenter un travail personnel de réflexion sur un sujet en relation avec la fonction qu’il occupe. La commission de contrôle définit le sujet du travail personnel de réflexion à présenter dans un délai fixé par la même commission lequel ne peut excéder un an.

 

Le policier dont le travail personnel de réflexion a été retenu comme en ligne avec le sujet par la commission de contrôle, accède par promotion au groupe de traitement retenu au paragraphe 3 du présent article par l’autorité investie du pouvoir de nomination. (…) ».

 

Il ressort de la disposition légale qui précède que l’accès au mécanisme dit « de la voie expresse » pour avancer au groupe de traitement immédiatement supérieur énonce quatre conditions pour l’admissibilité et la sélection des candidats, ces conditions pouvant être catégorisées en deux sortes, à savoir, d’une part, des critères s’appréciant individuellement dans le chef de chaque candidat, et, d’autre part, un critère permettant à l’autorité compétente de départager les candidats au cas où le nombre de candidats demandant à bénéficier du changement de groupe de traitement dépasse le contingent d’agents admissibles.

 

Parmi la première catégorie de conditions, il y a lieu de ranger les conditions ayant trait à une ancienneté minimale de service, à la fonction exercée par le candidat au moment de sa demande, ainsi que le critère de sélection fondé sur l’appréciation des compétences professionnelles et personnelles du postulant, la deuxième catégorie ne comprenant que le critère de l’ancienneté de service des candidats.

 

Il s’agit dès lors d’une procédure de sélection des candidats admissibles en deux étapes dépendant du nombre de candidatures présentées.

 

Dans la mesure où le législateur a expressément prévu un critère de sélection dans la situation où le nombre de candidatures dépasse le nombre d’agents admissibles à pouvoir bénéficier du changement de groupe de traitement, il y a lieu de retenir que le respect des conditions et critères de la première catégorie n’est déterminant que pour l’admissibilité des candidats, sans que lesdits critères ne puissent avoir une influence sur l’ordre de sélection des candidats, lorsque le nombre de candidatures admissibles dépasse le quota de places disponibles.

 

Ce constat est justifié par la considération qu’un critère devant départager des candidats admissibles, basé sur l’appréciation des compétences professionnelles et personnelles des agents en question, risque de manquer de l’objectivité suffisante. En effet, l’appréciation dudit critère, bien que standardisé dans sa procédure par le biais des articles 4 et 4bis du statut général, d’une part, comporte un large pan de subjectivité pour être effectuée par les supérieurs hiérarchiques respectifs des personnes concernées, et, d’autre part, ne permet pas de comparer les différents candidats entre eux, tant sur le plan professionnel, alors que lesdits candidats peuvent, tel que c’est le cas de policiers, avoir des affectations pas nécessairement comparables, que sur le plan personnel où les compétences à apprécier sont, dans une optique comparative, difficilement déterminables et quantifiables.  

 

En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée du 27 décembre 2018 retient comme unique motif de refus la circonstance que « (…) le nombre maximal de fonctionnaires du groupe de traitement C1 pouvant bénéficier de ce mécanisme est atteint », ce qui signifie qu’un nombre suffisant de policiers plus anciens en rang que la partie demanderesse ont également été considérés comme admissibles à bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, circonstance factuelle ressortant expressément du dossier administratif, et plus particulièrement de l’avis du 9 novembre 2018 de la commission de contrôle de la carrière policière en matière de mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement et des listes y annexées, et non remise en cause par la partie demanderesse.

 

Au regard de ce constat, il y a lieu de rejeter pour défaut de pertinence l’ensemble de l’argumentation de la partie demanderesse fondée sur une violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 en ce que le ministre n’aurait pas pris, respectivement aurait dû prendre en considération le critère de l’appréciation des compétences professionnelles et personnelles des candidats, alors que, d’une part, ledit critère n’est pas à la base du refus du bénéfice du mécanisme de la voie expresse de la partie demanderesse, et, d’autre part, même à supposer que ledit critère n’aurait pas été correctement appliqué par le ministre dans la décision déférée du 27 décembre 2018, cette circonstance serait, tel que retenu ci-avant, sans incidence sur le classement des candidats, et partant le classement de la partie demanderesse en dehors du contingent admissible.

 

Il s’ensuit que le moyen de la partie demanderesse tirée d’une violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 encourt le rejet y compris la question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle, telle que proposée par la partie demanderesse.

 

La partie demanderesse conclut finalement à une violation du principe constitutionnel d’égalité de traitement, consacré à l’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution aux termes duquel « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. », à travers la décision déférée du 27 décembre 2018, en ce que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 prévoirait, d’une part, un contingent d’agents admissibles au mécanisme de la voie expresse, et, d’autre part, parmi les critères de sélection, l’ancienneté de service des candidats.

 

Quant à la limitation du contingent d’agents admissibles à bénéficier du mécanisme de la voie expresse, la partie demanderesse expose que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 limiterait l’accès au mécanisme de la voie expresse à un pourcentage de 20% de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, limitation qui n’existerait pas pour les policiers de l’Inspection générale de la Police, ci-après désignée par « l’IGP », tel que cela ressortirait de l’article 30 de la loi du 18 juillet 2018 IGP. Or, les policiers du corps grand‑ducal se trouveraient dans une situation tout à fait comparable à celle des policiers de l’IGP pour avoir suivi la même formation de base afin d’intégrer la police grand-ducale, pour avoir profité des mêmes avancements en grade et en traitement et pour effectuer le même travail policier, la partie demanderesse relevant encore plus particulièrement, dans ce cadre, que la différenciation opérée n’aurait pas été expliquée ni justifiée objectivement par le pouvoir législatif, de sorte que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 violerait l’article 10bis de la Constitution.

 

La même différenciation de traitement existerait par rapport aux expéditionnaires informaticiens qui pourraient bénéficier du mécanisme de la voie expresse, conformément à l’article XII de la loi du 9 mai 2018, portant notamment modification de la loi du 25 mars 2015, ci-après désignée par « la loi du 9 mai 2018 », sans limitation du contingent d’agents admissibles. Interpellée par une réserve formulée dans l’avis du Conseil d’Etat du 21 novembre 2017, la commission de la Fonction publique et de la Réforme administrative aurait motivé la différenciation de traitements des expéditionnaires informaticiens par rapport à d’autres expéditionnaires par la considération que lesdits fonctionnaires, classés au groupe de traitement C1, accompliraient le même travail, et parfois dans la même équipe, que les expéditionnaires techniques ayant obtenu un reclassement au groupe de traitement B1 en 2015, de sorte que la mesure envisagée tendrait à rétablir l’équilibre hiérarchique ayant antérieurement existé entre ces deux catégories d’agents. Suite à cette explication, le Conseil d’Etat aurait levé sa réserve sur base de la considération qu’il n’existerait pas d’autres expéditionnaires informaticiens qui se trouveraient dans une situation comparable. Or, selon la partie demanderesse, ce ne serait pas le cas au sein de la police grand-ducale, selon la partie demanderesse, du fait de la fixation du contingent litigieux. La différence de traitement subie du fait que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 prévoyant un mécanisme de la voie expresse plus restrictif que celui applicable aux expéditionnaires informaticiens relevant du champ d’application de l’article XII de la loi du 9 mai 2018, constituerait ainsi une atteinte à l’article 10bis de la Constitution. La partie demanderesse ajoute encore que l’explication fournie par la commission de la Fonction publique et de la Réforme administrative au sujet des expéditionnaires informaticiens par rapport aux expéditionnaires techniques, en ce qui concerne l’équilibre hiérarchique, aurait également dû trouver application, en ce qui concerne le mécanisme de la voie expresse prévu à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, dans la mesure où les policiers, ainsi que les membres de l’IGP effectueraient, selon la partie demanderesse, le même travail, mais que les policiers appartiendraient pour les uns au groupe de traitement C1 et les autres au groupe de traitement B1, et ce uniquement à cause de la limitation litigieuse du contingent d’agents admissibles au bénéfice du mécanisme de la voie expresse.

 

Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse conteste l’argumentation ministérielle consistant à soutenir que les policiers et les membres de l’IGP ne pourraient pas être comparés pour ne pas accomplir le même travail, en donnant à considérer, sur base d’extraits des travaux parlementaires de la loi du 18 juillet 2018 IGP, qu’ils procèderaient, tous les deux, à des enquêtes judiciaires sur des faits délictueux et qu’ils bénéficieraient des mêmes avantages en termes de congés, de primes, de pension et de la gratuité médicale, de sorte qu’ils se trouveraient dans une situation comparable, sans que la différence de traitement, en ce qui concerne le mécanisme de la voie rapide, ne serait rationnellement justifiée, adéquate, voire proportionnée à son but. Dans ce cadre, elle réfute encore les développements étatiques expliquant la différence de traitement par la circonstance que les membres de l’IGP, bien qu’issus de la police grand-ducale, ne pourraient plus y retourner, dans le but de renforcer leur indépendance vis-à-vis de celle-ci, explication qui ne pourrait cependant valoir que pour une comparaison avec le statut général et non pas avec la police grand-ducale. Ainsi le moyen tiré d’une violation de l’article 10bis de la Constitution devrait être accueilli, sans devoir saisir la Cour Constitutionnelle, alors que la violation de l’article 10bis de la Constitution serait manifeste.

 

A titre subsidiaire, la partie demanderesse sollicite de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle « L’article 94, paragraphe 3, alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il limite le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police, qui ne prévoit aucune limitation du nombre de policiers pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe ? ».

 

La partie demanderesse, dans son mémoire, réitère encore son argumentation relative à la comparabilité de sa situation, en ce qui concerne le mécanisme de la voie expresse, par rapport à celle des expéditionnaires informaticiens, tout en mettant en exergue le problème de l’équilibre hiérarchique au sein de la police grand-ducale, en ce qu’un policier relevant du groupe de traitement C1 pourrait être le supérieur hiérarchique d’un agent relevant du groupe de traitement B1. Il s’agirait d’une situation similaire, voire identique à celle des expéditionnaires informaticiens et expéditionnaires techniques, pour lesquels le mécanisme de la voie expresse n’aurait pas prévu de limitation du contingent d’agents admissibles. L’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 violerait partant manifestement l’article 10bis de la Constitution.

 

A titre subsidiaire, la partie demanderesse sollicite encore de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle « L’article 94, paragraphe 3, alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il limite le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, sans considérer particulièrement les policiers de la catégorie de traitement C qui sont détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme équivalent, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015, modifié par l’article XII de la loi du 9 mai 2018 portant (notamment) modification de la loi modifiée du 25 mars 2015, qui ne prévoit, pendant une période de deux ans, aucune limitation du nombre d’expéditionnaires informaticiens détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalant pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe ? ».

 

Quant au critère de l’ancienneté de service, la partie demanderesse fait valoir qu’elle serait, par le biais de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, traitée différemment par rapport au fonctionnaire relevant de l’article 54 du statut général et par rapport aux agents de l’IGP. Pour ces derniers, l’accès au mécanisme de la voie expresse, d’une part, serait encore soumis à la condition d’occuper un poste comportant l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial, et, d’autre part, ne serait pas soumis à un critère de sélection lié à l’ancienneté de service, sans que le législateur n’aurait fourni une cause objective, proportionnée et rationnellement justifiée quant à ce traitement différencié opéré à travers l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 par rapport au fonctionnaires soumis au statut général, de sorte à avoir ainsi violé l’article 10bis de la Constitution.

 

Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse précise encore que la condition d’occuper un poste comportant l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial serait également prévue à l’article 30 de la loi du 18 juillet 2018 IGP, ainsi qu’à l’article 51 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2017, tout en expliquant qu’en ne soumettant pas les policiers, par le biais de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, à une telle condition, le nombre de policiers susceptibles de solliciter l’application du mécanisme de la voie expresse aurait été plus important. Elle précise encore que l’intention du législateur, en instaurant le mécanisme de la voie expresse aurait été de permettre aux fonctionnaires ayant acquis une certaine expérience professionnelle et occupant des postes à responsabilité plus importants que ceux d’autres fonctionnaires de leur groupe de traitement, d’accéder au groupe de traitement supérieur, lequel correspondrait au travail réalisé et aux responsabilités endossées par lesdits fonctionnaires. Dans la mesure où les policiers seraient dans une situation comparable, en ce qui concerne le mécanisme de la voie expresse, par rapport à celle des membres de l’IGP, des fonctionnaires relevant du statut général, ainsi que des fonctionnaires communaux, sans que la différence de traitement ne reposerait sur cause objective, rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but, l’article 10bis de la Constitution serait violée.

 

A titre subsidiaire, la partie demanderesse sollicite encore de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle « L’article 94, paragraphe 3, alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il ne prévoit que deux conditions d’accès à la voie expresse, à savoir une ancienneté de quinze ans depuis la nomination et une fonction relevant du niveau supérieur, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police et l’article 51 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2017, qui prévoient tous comme condition d’accès supplémentaire par rapport à ces deux conditions l’occupation d’un poste qui comporte l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial ? », tout en précisant qu’au regard de ses fonctions et attributions, telles que relevées dans le cadre du recours sous examen, ladite condition litigieuse serait remplie dans son chef.

 

Elle conteste ensuite les explications avancées par le délégué du gouvernement quant au critère de sélection lié à l’ancienneté de service retenu à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, en ce que lesdites explications ayant trait, d’une part, au fait que l’article litigieux appliquerait la limitation du contingent aux groupes de traitement C1 et C2, contrairement à l’article 54 de la loi du 25 mai 2015 qui appliquerait ladite limitation au seul groupe de traitement dont relèverait le fonctionnaire en question, et, d’autre part, au fait que le mécanisme de la voie expresse, tel que prévu au prédit article 94, aurait suscité un très grand intérêt, de sorte à avoir exigé la prévision d’un critère objectif en vue de pouvoir départager les candidats, n’auraient pas été mentionnées dans les travaux parlementaires de sorte à ne jamais avoir existé et à devoir être rejetées. La partie demanderesse relève encore, dans ce contexte, que le très grand intérêt, de la part des policiers, pour le mécanisme de la voie expresse de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, aurait été créé par le législateur par l’omission de la condition ayant trait à l’occupation d’un poste qui comporte l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial et en prévoyant le critère de sélection lié à l’ancienneté de service, ce qui aurait conduit à une dénaturation du mécanisme de la voie expresse en procédant « (…) à un favoritisme totalement injustifié des policiers les plus anciens (…) », en violation de l’article 10bis de la Constitution.

 

A titre subsidiaire, la partie demanderesse sollicite encore de poser la question préjudicielle suivante à la Cour Constitutionnelle « L’article 94, paragraphe 3, alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il prévoit que la sélection des candidatures se basera également sur le critère de l’ancienneté de service, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police et l’article 51 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2017, qui ne prévoient pas de tel critère de l’ancienneté de service pour la sélection des candidatures ? ».

 

La partie étatique conclut au rejet du moyen basé sur une violation de l’article 10bis de la Constitution en ce que le législateur aurait prévu, à travers l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, une limitation du contingent d’agents admissibles au mécanisme de la voie expresse, contrairement à ce qui serait le cas pour les membres de l’IGP, ainsi que pour les expéditionnaires informaticiens. La situation des policiers ne serait en effet pas comparable avec celle des membres de l’IGP, même si ces derniers seraient issus des rangs de la police grand-ducale et auraient partant reçu la même formation initiale. Le travail de l’IGP aurait la spécificité, par rapport à celui de la police grand-ducale, de porter sur la police grand-ducale, leur mission étant de veiller au respect des lois et règlements par celle-ci, de contrôler la qualité, l’efficacité et l’efficience de son travail et de procéder à des enquêtes judiciaires et des instructions disciplinaires visant exclusivement des policiers, conformément aux articles 3 et suivants de la loi du 18 juillet 2018 IGP. Par ailleurs, dans la mesure où, afin de garantir l’indépendance et l’objectivité des membres de l’IGP, l’article 19 de la loi du 18 juillet 2018 IGP prévoirait que les membres du cadre policier et du cadre civil de l’IGP ne pourraient pas procéder à un changement d’administration vers la Police, le législateur aurait entendu créer des perspectives de carrière sensiblement différentes de celles existant pour la police grand-ducale en ne prévoyant pas de limitation de contingent dans le cadre de l’accès au mécanisme de la voie expresse par les membres de l’IGP.

 

En ce qui concerne la comparaison entre les policiers et les expéditionnaires informaticiens, le législateur, par le biais de l’article XII de la loi du 9 mai 2018, aurait également prévu un régime dérogatoire pour l’accès au mécanisme de la voie expresse, en raison de la nécessité du rétablissement de l’équilibre hiérarchique entre les expéditionnaires informaticiens et les expéditionnaires techniques. En effet, tel qu’il ressortirait des travaux parlementaires cités par la partie demanderesse elle-même, les deux catégories d’expéditionnaires effectueraient le même travail et travailleraient, souvent, dans la même équipe, sachant que les expéditionnaires techniques auraient déjà bénéficié d’un reclassement au groupe de traitement B1 en 2015, contrairement aux expéditionnaires informaticiens pour lesquels un tel reclassement n’aurait été opéré que par le biais de l’article XII de la loi du 9 mai 2018 et lesquels auraient pu être, en étant classés au groupe de traitement C1, les supérieurs hiérarchiques des expéditionnaires techniques classés au groupe B1.

 

En ce qui concerne la question des critères d’admission, respectivement de sélection divergents prévus pour l’accès au mécanisme de la voie expresse, d’une part, des policiers, conformément à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, et, d’autre part, des membres de l’IGP, conformément à l’article 30 de la loi du 18 juillet 2018 IGP, des fonctionnaires relevant de l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, respectivement des fonctionnaires communaux soumis à l’article 51 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2017, la partie étatique, dans ses mémoires en réponse et en duplique, fait valoir que le mécanisme de la voie expresse, tel que réglementé pour la police grand-ducale à travers l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, serait le résultat de longues discussions avec les représentants syndicaux au cours desquelles il serait déjà apparu que ledit mécanisme susciterait beaucoup d’intérêt et que tant l’abandon du critère lié à l’exercice de fonctions et d’attributions supérieures à celles revenant au groupe de traitement initial que la prévision du critère de sélection lié à l’ancienneté des candidats auraient été des choix politiques.

 

Le délégué du gouvernement conclut partant, dans ses mémoires en réponse et en duplique, au rejet de l’ensemble des volets du moyen fondé sur une violation de l’article 10bis de la Constitution.

 

Aux termes de l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. (…) ».

 

Il échet de relever que ce principe constitutionnel interdit de traiter de manière différente des situations similaires, à moins que la différenciation ne soit objectivement justifiée.

 

Le contrôle de la constitutionalité d’une loi étant le monopole de la Cour Constitutionnelle, il est rappelé que l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 dispose que :

 

« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

 

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :

a)         une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement;

b)        la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;

c)         la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même           objet. (...) ».

 

Il y a, dans ce contexte, d’emblée lieu de rejeter l’argumentation de la partie demanderesse consistant à soutenir que le tribunal pourrait directement accueillir son moyen relatif à la violation de l’article 10bis de la Constitution, au motif que celle-ci serait manifeste, alors qu’une telle manière de faire est contraire à l’article 6 de la loi du 27 juillet 2017 pour empiètement sur la compétence de la Cour constitutionnelle dont la saisine s’impose, sauf dans les cas y limitativement énumérés de dispense de saisine.

 

En l’espèce, la partie demanderesse estime que se posent quatre questions de constitutionnalité tenant à une discrimination, en ce qui concerne le mécanisme de la voie expresse entre, d’un côté, la Police grand-ducale, visée par l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, et, de l’autre côté, les membres de l’IGP, conformément à l’article 30 de la loi du 18 juillet 2018 IGP, les expéditionnaires informaticiens, visés par l’article XII de la loi du 9 mai 2018, les fonctionnaires soumis à l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, respectivement les fonctionnaires communaux pouvant bénéficier de l’article 51 du règlement grand-ducal 28 juillet 2017.

 

Les quatre questions de constitutionalité ainsi soulevées visent toutes des conditions de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 ayant été appliquées, respectivement ayant, selon la partie demanderesse, dû y être prévues et lui être appliquées, - les questions soulevées ayant plus particulièrement trait à la limitation du contingent d’agents admissibles au mécanisme de la voie expresse, au critère de l’ancienneté de service pour la sélection des candidats, ainsi qu’à la condition de l’occupation d’un poste qui comporte l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial -, de sorte qu’il y a lieu de retenir que les réponses auxdites questions sont susceptibles d’avoir des répercussions directes sur la légalité de la décision déférée et doivent partant être considérées comme étant nécessaires à la solution du litige.

 

Etant donné que la Cour Constitutionnelle n’a pas encore statué sur des questions ayant le même objet, il appartient dès lors au tribunal de vérifier si les questions ne sont pas dénuées de tout fondement.

 

Il s’agit dès lors, dans un premier temps, de vérifier si les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent a priori dans une situation comparable au regard des mesures invoquées.

 

Force est au tribunal de constater, tel qu’il ressort expressément des travaux parlementaires relatifs à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, dont l’objet est l’introduction du mécanisme de la voie expresse pour le cadre policier, que ledit mécanisme est « (…) inspiré du mécanisme introduit par la réforme dans la Fonction publique (…) »[2], le Conseil d’Etat, dans son avis y relatif du 5 septembre 2017, s’étant, pour le surplus, interrogé sur « (…) la nécessité de prévoir un [tel] dispositif particulier (…) ».  Le mécanisme de la voie expresse, tel qu’il est prévu à l’article 30 de la loi 18 juillet 2018 IGP, est également inspiré de l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, tout comme celui des fonctionnaires communaux, prévu à l’article 51 du règlement grand-ducal du 28 juillet 2017, ainsi que celui des expéditionnaires informaticiens, régi par l’article XII de la loi du 9 mai 2018, pour lequel le Conseil d’Etat, dans son avis du 21 novembre 2017, avait, par ailleurs, observé que la différence instituée, en ce qui concerne la suppression de la limitation du contingent d’agents admissibles, par rapport à l’article 54 de la loi du 25 mars 2015, pourrait être constitutive d’une violation de l’article 10bis de la Constitution à défaut de justification y relative dans l’exposé des motifs, respectivement dans le commentaire de l’article afférent du projet de loi.

 

Au regard du fait que la comparabilité des statuts n’est pas d’ores et déjà dénuée de tout fondement, le tribunal ne saurait conclure au caractère manifestement non fondé des questions de constitutionalité soulevées, de sorte qu’il échet de surseoir à statuer et de poser, avant tout progrès en cause, à la Cour Constitutionnelle les questions préjudicielles plus amplement détaillées au dispositif du présent jugement.

 

Par ces motifs,

 

le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

 

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre la décision du ministre de la Sécurité intérieure du 27 décembre 2017 portant rejet de la demande d’accès au mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement ;

 

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision précitée du ministre de la Sécurité intérieure du 27 décembre 2017 ;

 

au fond, avant tout autre progrès en cause, tous autres droits des parties étant réservés, soumet à la Cour Constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes : 

 

1)    « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il limite le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police, qui ne prévoit aucune limitation du nombre de policiers pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe ? » ;

 

2)    « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il limite le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, sans considérer particulièrement les policiers de la catégorie de traitement C qui sont détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme équivalent, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article XII de la loi du 9 mai 2018 portant (notamment) modification de la loi modifiée du 25 mars 2015, qui ne prévoit, pendant une période de deux ans, aucune limitation du nombre d’expéditionnaires informaticiens détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalant pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe ? ».

 

3)    « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il ne prévoit que deux conditions d’accès à la voie expresse, à savoir une ancienneté de quinze ans depuis la nomination et une fonction relevant du niveau supérieur, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police et à l’article 51 du règlement grand-ducal modifié du 28 juillet 2017 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires communaux, qui prévoient tous comme condition d’accès supplémentaire, par rapport à ces deux conditions, l’occupation d’un poste qui comporte l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial ? »

 

4)    « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il prévoit que la sélection des candidatures se basera également sur le critère de l’ancienneté de service, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police et à l’article 51 du règlement grand-ducal modifié du 28 juillet 2017 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires communaux, qui ne prévoient pas de tel critère de l’ancienneté de service pour la sélection des candidatures ? »

 

sursoit à statuer pour le surplus ;

 

réserve les frais et dépens ;

 

fixe l’affaire au rôle général.

 

 

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 avril 2021 par :

 

            Paul Nourissier,  vice-président,

            Olivier Poos, premier juge,

            Alexandra Bochet, juge,

 

            en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

 

 

s. Paulo Aniceto Lopes                                                          s. Paul Nourissier

 

Reproduction certifiée conforme à l’original

Luxembourg, le 6 avril 2021

Le greffier du tribunal administratif

 

 

 

 

[1] Cour adm. 6 mars 2014, n° 33591C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Fonction Publique, n° 466 et les autres références y citées.

[2] Doc. parl. n° 7045/000, p. 58, sous ad article 101.

Dernière mise à jour