ARRET de la Cour constitutionnelle - 12 février 2021
Dans l’affaire n° 00161 du registre ayant pour objet une question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, suivant jugement rendu le 9 septembre 2020 ( n° 43290 du rôle), déposé au greffe le 18 septembre 2020, dans le cadre d’un litige
Entre :
X, demeurant à (…),
et :
l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, place de Clairefontaine,
La Cour,
composée de
Jean-Claude WIWINIUS, président,
Francis DELAPORTE, vice-président,
Eliane EICHER, conseiller,
Michel REIFFERS, conseiller,
Christiane RECKINGER, conseiller,
Viviane PROBST, greffier,
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 9 octobre 2020 par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour X, et celles déposées le 12 octobre 2020 par le délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives Nancy CARIER, pour l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG,
l’affaire ayant été prise en délibéré de l’accord des mandataires et sans leur parution à l’audience publique de la Cour constitutionnelle du 8 janvier 2021, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale,
rend le présent arrêt :
Par décision du 20 mai 2019, le Ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural avait rejeté la demande de X en remboursement des frais d’enregistrement relatifs à un acte de donation entre vifs et à un acte de partage d’ascendants du 29 avril 2014 au motif qu’elle était tardive pour ne pas avoir été introduite avant le 31 mars 2014.
Le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, statuant sur le recours en annulation formé par X contre la prédite décision a, par jugement du 9 septembre 2020, soumis à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
« L’article 1er, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 2013 en ce qu’il permet au pouvoir exécutif de fixer une date de recevabilité des demandes d’aides qui est antérieure à la date limite de validité des mesures, de sorte à exclure les personnes dont les actes notariés ont été signés entre le 1er avril et le 30 juin 2014, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution ? ».
La loi du 18 avril 2008 concernant le renouvellement du soutien au développement rural a trait à des mesures d’aides financières au secteur agricole en permettant aux acquéreurs à titre onéreux ou gratuit de biens à usage agricole de solliciter le remboursement des droits d’enregistrement et de transcription réglés à cette occasion.
Suivant l’article 63 de cette loi, celle-ci produit ses effets à partir du 1er janvier 2007 pour une durée de sept années expirant le 31 décembre 2013.
L’article 1er, paragraphe 1, de la loi du 23 décembre 2013 portant modification de la loi précitée du 18 avril 2008 a prolongé les effets des dispositions relatives à l’octroi d’aides jusqu’au 30 juin 2014.
Le droit au remboursement des droits d’enregistrement a par la suite été réglé par la loi du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales ayant un effet rétroactif au 1er juillet 2014.
Suivant l’article 1er, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 2013, précitée, « Un règlement grand-ducal détermine les modalités quant à la recevabilité des demandes d’aides. La date de recevabilité des demandes d’aides, à fixer par règlement grand-ducal, peut être antérieure à la date limite de la validité des mesures visées au paragraphe précédent. ».
Le règlement grand-ducal du 23 janvier 2014 pris en exécution de la loi du 23 décembre 2013 a prévu en son article 1er que les demandes d’aides sont à déposer avant le 31 mars 2014.
La différence de traitement invoquée résulte de la loi habilitante du 23 décembre 2013 elle-même dans la mesure où elle prévoit, au paragraphe 2 de l’article 1er, que la date de recevabilité des demandes d’aides peut être antérieure à la date limite de la validité des mesures relatives à l’octroi des aides prévues par la loi de 2008, le règlement grand-ducal du 23 janvier 2014 pris en exécution de la loi du 23 décembre 2013 ayant été appelé à fixer les modalités de recevabilité des demandes d’aides, et notamment celles qui ont trait au délai d’exercice de celles-ci.
L’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution dispose que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. ».
La mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.
En l’espèce, les personnes sollicitant le remboursement des droits d’enregistrement et de transcription se trouvent dans une situation comparable qu’elles aient acquis les biens à usage agricole avant le 31 décembre 2013, auquel cas elles étaient recevables à introduire une demande de remboursement jusqu’à la fin de la période de validité des mesures d’aides, ou qu’elles aient acquis lesdits biens entre le 1er janvier et le 30 juin 2014, la demande ayant alors dû être déposée avant le 31 mars 2014. En effet, dans les deux hypothèses elles sont éligibles au remboursement des droits d’enregistrement pour les actes signés pendant la période de programmation 2007-2013, prolongée par la loi du 23 décembre 2013 jusqu’au 30 juin 2014, donc pendant la période de validité desdites mesures d’aides.
Le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.
La loi du 18 avril 2008, précitée, permet aux acquéreurs de biens à usage agricole de solliciter le remboursement des droits d’enregistrement et de transcription et la loi du 23 décembre 2013 a prolongé les dispositions y relatives jusqu’au 30 juin 2014.
Le fait d’avancer de trois mois par rapport à la fin de la période d’application prolongée de la loi le délai pour l’introduction de la demande de remboursement, dans la mesure où il aboutit à exclure du bénéfice du remboursement les signataires des actes intervenus entre le 31 mars 2014 et le 30 juin 2014, donc pendant la période de validité des mesures d’aides expirant le 30 juin 2014 et qui sont dès lors éligibles aux prédites mesures d’aides, n’est pas rationnellement justifié, ni proportionné au but de la loi.
Il en suit que par rapport à la question préjudicielle posée, il convient de dire que l’article 1er, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 2013 n’était dès l’origine pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution.
L’article 16 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle disposant que la procédure devant la Cour est gratuite et que les arrêts de la Cour ne donnent pas lieu à la liquidation de frais et dépens, la demande en obtention d’une indemnité de procédure est renvoyée devant la juridiction du fond pour être toisée ensemble avec les frais et dépens.
PAR CES MOTIFS,
la Cour constitutionnelle :
dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 1er, paragraphe 2, de la loi du 23 décembre 2013 n’était pas conforme à l’article 10bis , paragraphe 1, de la Constitution ;
dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;
dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénoms de X lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;
dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence du greffier Viviane PROBST.
s. Viviane PROBST greffier |
s. Jean-Claude WIWINIUS président |