Le Conseil arbitral de la Sécurité sociale a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle

La question préjudicielle dont la Cour constitutionnelle a été saisie est la suivante:

« L’article 271 du Code de la sécurité sociale disposant en son paragraphe 2 que le droit à l’allocation familiale est maintenu jusqu’à l’âge de 25 ans accomplis :

a) si l’enfant poursuit effectivement, sur place dans un établissement d’enseignement, à titre principal d’au moins vingt-quatre heures par semaine des études secondaires, secondaires techniques ou y assimilées ;

est-il conforme au principe d’égalité devant la loi édicté par l’article 10bis, § 1er de la Constitution

1) en ce qu’il pratique une différenciation entre l’enfant majeur à charge du ménage et poursuivant des études secondaires sur place lequel continue à bénéficier de l’allocation familiale et l’enfant majeur à charge du ménage et poursuivant des études secondaires à distance lequel ne peut plus continuer à bénéficier de l’allocation familiale alors que le diplôme de fin d’études secondaires visé par les deux enfants est reconnu équivalent,

voire

2) en ce qu’il pratique une différenciation entre l’enfant mineur à charge du ménage et poursuivant des études secondaires à distance, lequel bénéficie de l’allocation familiale, et l’enfant devenu majeur en cours d’année scolaire à charge du ménage lequel poursuit des études secondaires à distance toujours dans les mêmes conditions, et lequel ne peut plus bénéficier de l’allocation familiale ? »

Voir le détail dans le jugement ci-après:

Reg. N° AF 20/19

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG

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Conseil Arbitral de la Sécurité Sociale

Audience publique du 23 octobre 2020

Composition:  M. Frank Schaffner,                                        président du siège,

                               Mme Véronique Szymanski,                        secrétaire,

 

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Entre:

1)      A,(...), demeurant à (...) ;

2)      B, épouse A, née le (…), demeurant à  (...) ;

demandeurs,

comparant par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, Luxembourg ;

                                                                            Et:

la Caisse pour l’avenir des enfants, dont le siège est à Luxembourg, représentée par la présidente de son conseil d’administration, Madame Myriam Schanck, demeurant à Luxembourg ;

défenderesse,

 comparant par Maître Betty Rodesch, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, Luxembourg ;

 

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Par requête déposée au siège du Conseil arbitral de la sécurité sociale en date du 1er février 2019, la partie requérante forma recours contre une décision du conseil d’administration de la Caisse pour l’avenir des enfants du 14 décembre 2018.

Après avoir été fixée au rôle général en date du 8 novembre 2019, l’affaire fut réappelée à l’audience publique du 25 septembre 2020 à laquelle les requérants comparurent par Maître Cathy Arendt, préqualifiée.

La partie défenderesse comparut par sa mandataire Maître Betty Rodesch, préqualifiée.

Le président du siège ouvrit les débats par un exposé de l’affaire.

Sur ce, les parties, pour autant qu’elles comparurent en personne ou par mandataire, présentèrent leurs conclusions.

En ordre principal, la partie requérante conclut à la réformation de la décision attaquée et, en ordre subsidiaire, elle conclut à voir saisir la Cour Constitutionnelle de la question préjudicielle formulée dans sa note de plaidoiries versée à l’audience.

La partie défenderesse contesta les moyens et arguments exposés par la partie requérante et conclut à la confirmation de la décision attaquée. Quant à la question préjudicielle en question, elle conclut que celle-ci était dénuée de tout fondement et de pertinence.

Après prise en délibéré de l’affaire, le Conseil arbitral de la sécurité sociale rendit à l’audience publique de ce jour, à laquelle le prononcé avait été fixé, le jugement qui suit :

 

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Vu le recours introduit auprès du Conseil arbitral de la sécurité sociale le 1er février 2019 et dirigé contre une décision du conseil d’administration de la Caisse pour l’avenir des enfants rendue en séance du 14 décembre 2018, laquelle porte, premièrement, refus avec effet rétroactif des allocations familiales sollicitées au titre de l’année académique 2017/2018 pour le compte de l’enfant C, né le (...), en application de l’article 271, alinéa 2 du Code de la sécurité sociale, deuxièmement, fixation à 1'736,20 euros du montant des prestations considérées comme indûment touchées au cours de la période du 1er mars 2018, soit le premier jour du mois suivant celui du dix-huitième anniversaire de l’enfant, au 31 juillet 2018 et, troisièmement, demande de restitution dudit montant ;

Vu le dossier administratif déposé par la partie défenderesse ;

Attendu que le recours a été introduit dans la forme et le délai de la loi ;

 

Attendu que la partie requérante maintient ses conclusions introductives d’instance tendant à voir réformer la décision entreprise aux moyens et arguments plus amplement développés dans sa requête et qu’elle maintient sa demande tendant à voir soumettre à la Cour Constitutionnelle la question préjudicielle plus amplement formulée dans sa note de plaidoiries versée en cause ;

 

Attendu que la partie défenderesse conclut à voir confirmer la décision entreprise pour la motivation qui lui a servi de fondement tout en se prévalant des enseignements à retenir d’un arrêt récemment rendu par la Cour Constitutionnelle en rapport avec la conformité de l’article 271, paragraphe 2 du Code de la sécurité sociale à l’article 10bis, paragraphe 1 de la Constitution et en concluant dès lors au rejet de la question préjudicielle soulevée par la partie requérante suivant sa propre note du 24 septembre 2020 ;

 

Attendu qu’il résulte des seuls éléments soumis au Conseil arbitral de la sécurité sociale que le 29 mars 2000, l’ancienne Caisse nationale des prestations familiales a enregistré comme reçue une demande d’allocations familiales et de naissance formulée par la dame B, ressortissante française soumise à la législation luxembourgeoise, pour le compte de son fils C, né le (...),

 

que rien n’indique qu’il n’y aurait pas été fait droit, jusqu’au moment où le sieur C introduit une demande concernant le maintien de l’allocation familiale signée le 5 janvier 2018 et accompagnée d’un certificat de scolarité émis le 2 août 2017 par le CNED (Centre national d’études à distance) de Rennes en rapport avec l’année académique 2017/2018,

 

que cette demande se heurte à la décision présidentielle du 31 octobre 2018 confirmée par la décision dont recours, alors que l’opposition a notamment été motivée par le choix d’un enseignement à distance officiel, reconnu et réglementé en classe complète en vue de permettre au sieur C de suivre de nombreux stages et immersions en studio qu’une poursuite des études secondaires sur le lieu même de l’établissement d’enseignement n’aurait pas rendu possible en raison d’un calendrier scolaire standard trop contraignant ;

 

Attendu que l’article 271, paragraphe 2 du Code de la sécurité sociale lequel a servi de fondement légal à la décision entreprise dispose dans ses dispositions pertinentes pour l’affaire comme suit :

 

«  Le droit à l’allocation familiale est maintenu jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans accomplis :

 

a) si l’enfant poursuit effectivement, sur place dans un établissement d’enseignement, à titre principal d’au moins vingt-quatre heures par semaine des études secondaires, secondaires techniques ou y assimilées ; »,

 

que dans son arrêt n° 00153 rendu le 24 avril 2020 suite à sa saisine par arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale du 19 décembre 2019 (N° 2019/0258), la Cour Constitutionnelle a déclaré irrecevable la question préjudicielle sur la conformité à l’article 10bis, paragraphe 1 de la Constitution de l’article 271, paragraphe 2 du Code de la sécurité sociale qui lui a été soumise en rapport avec la poursuite d’études secondaires à distance au motif que ni le jugement du Conseil arbitral de la sécurité sociale, ni l’arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, ni encore les conclusions échangées entre parties ne lui ont permis de vérifier le libellé précis de la question soumise à défaut notamment pour les parties d’avoir pu en débattre en première ou en deuxième instance,

 

qu’il en résulte que d’une part, la question demeure intacte et que d’autre part, le litige en question demeure pendant devant le Conseil supérieur de la sécurité sociale,

 

que dans son arrêt n° 00155 rendu le 10 juillet 2020 suite à sa saisine par arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale du 20 janvier 2020 (N° 2020/0031), la Cour Constitutionnelle a, d’une part, déclaré recevable une autre question préjudicielle sur la conformité de l’article 271, paragraphe 2 du Code de la sécurité sociale qui lui a été soumise en rapport avec la poursuite d’études secondaires en cours du soir et, d’autre part, retenu la conformité de cet article à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution,

 

que cette affaire est également pendante devant le Conseil supérieur de la sécurité sociale,

 

que s’il serait dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’attendre le sort réservé par le Conseil supérieur de la sécurité sociale aux deux affaires précitées, toujours est-il que l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 2017 portant organisation de la Cour Constitutionnelle dispose notamment comme suit :

 

« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

 

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :

 

a) une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;

 

b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;

 

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. »,

 

qu’en l’espèce, le cas d’une question de conformité soulevée d’office ne se pose pas, les parties ayant au demeurant échangé leurs conclusions par notes et lors de l’audience de façon contradictoire,

 

que le Conseil arbitral de la sécurité sociale est dès lors appelé à résoudre la question de savoir si l’une des hypothèses légales et énumérées de façon limitative sous les points a) à c) de l’article 6 précité comme l’autorisant à se dispenser d’une saisine de la Cour Constitutionnelle est donnée, à défaut de quoi la saisine s’impose à lui,

 

qu’en considérant les enseignements à retenir des arrêts de la Cour Constitutionnelle cités ci-avant et référencés sous les n° 00153 et n° 00155, le Conseil arbitral de la sécurité sociale arrive à la conclusion qu’un jugement à intervenir sur le fond en la présente affaire nécessite une réponse à la question préjudicielle soumise par la partie requérante, de sorte que la dispense visée sous le point a) de l’article 6 précité n’est pas donnée,

 

qu’en effet, il convient notamment de retenir que tantôt, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a jugé nécessaire de soumettre les questions préjudicielles en cause à la Cour Constitutionnelle et qu’à aucun moment, celles-ci n’ont été jugées comme inutiles pour la résolution des litiges déférés, et que tantôt, au vu des moyens et arguments exposés par la partie requérante dans sa requête, dans sa note de plaidoiries et lors des débats, rien ne permet au Conseil arbitral de la sécurité sociale de rejeter la question préjudicielle comme surabondante ou inutile,

 

qu’en considérant en outre que la question préjudicielle soumise par la partie requérante n’est pas dénuée de tout fondement dès lors notamment qu’elle met en évidence des faits, des circonstances et des éléments objectifs engendrant des différenciations de régime juridique au sujet desquelles il convient de résoudre la question de savoir si elles sont objectives, rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées au but de la loi, ce pour quoi le Conseil arbitral de la sécurité sociale est manifestement incompétent pour connaître alors qu’en l’espèce, une absence de tout fondement de nature à le dispenser de la saisine n’est ni évidente, ni manifeste, il y a lieu de conclure que le cas de dispense d’une saisine visé au point b) n’est pas établi non plus,

 

qu’en considérant en fin de compte qu’au regard du libellé de la question préjudicielle soumise par la partie requérante, dont notamment sa branche présentant un aspect nouveau en rapport avec une différence de régime en raison d’une simple différence d’âge entre l’étudiant mineur poursuivant ses études secondaires à distance et un étudiant majeur poursuivant les mêmes études dans les mêmes conditions, le Conseil arbitral de la sécurité sociale arrive à la conclusion que la Cour Constitutionnelle n’a pas encore statué sur une question ayant le même objet alors que l’arrêt n° 00153 porte irrecevabilité tout court de la question préjudicielle ayant trait à des faits très similaires pour une motivation sans rapport avec un examen de constitutionnalité au fond, et que l’arrêt n° 00155, lequel a porté recevabilité de la question préjudicielle, a trait à une différence de régime juridique en raison de la poursuite d’études en cours du soir, hypothèse non donnée en la présente espèce,

 

que le cas de dispense d’une saisine visé au point c) de l’article 6 précité n’est pas donné non plus,

 

qu’en considérant dès lors que d’une part, la question préjudicielle ayant fait l’objet de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle n° 00153 s’est heurtée à une irrecevabilité sans examen du fond de la question et que d’autre part, la situation d’un étudiant mineur qui poursuit des études secondaires à distance reconnues, homologuées et clôturées par un examen de fin d’études secondaires, et qui demeure à la charge de ses parents, ce à quoi les allocations familiales sont censées fournir une aide au vœu notamment de l’article 40 de la Convention OIT (N° 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum) adoptée à Genève le 28 juin 1952, est comparable à la situation d’un étudiant majeur qui poursuit les mêmes études dans les mêmes conditions, la seule différence étant constituée par le dépassement de l’âge de la majorité comme en l’espèce alors qu’en dépit de la poursuite par le sieur  de ses études secondaires à distance jusqu’au 28 février 2018 en qualité d’étudiant mineur d’âge, les allocations familiales ont continué à être versées mais qu’elles ont fait l’objet d’un retrait rétroactif avec demande de restitution avec effet au 1er mars 2018, soit le début du mois à partir duquel il a dépassé l’âge de la majorité, le Conseil arbitral de la sécurité sociale arrive à la conclusion qu’il est tenu de soumettre à la Cour Constitutionnelle la question préjudicielle formulée par la partie requérante, débattue à l’audience de façon contradictoire et plus amplement libellée au dispositif ci-après, de réserver les droits des parties quant au fond et de mettre l’affaire au rôle général.

 

Par ces motifs,

le Conseil arbitral de la sécurité sociale, statuant contradictoirement et en premier ressort,

 

quant à la forme, déclare le recours recevable,

 

avant tout autre progrès en cause, saisit la Cour Constitutionnelle de la question de constitutionnalité suivante :

 

« L’article 271 du Code de la sécurité sociale disposant en son paragraphe 2 que le droit à l’allocation familiale est maintenu jusqu’à l’âge de 25 ans accomplis :

 

a) si l’enfant poursuit effectivement, sur place dans un établissement d’enseignement, à titre principal d’au moins vingt-quatre heures par semaine des études secondaires, secondaires techniques ou y assimilées ;

 

est-il conforme au principe d’égalité devant la loi édicté par l’article 10bis, § 1er de la Constitution

 

1) en ce qu’il pratique une différenciation entre l’enfant majeur à charge du ménage et poursuivant des études secondaires sur place lequel continue à bénéficier de l’allocation familiale et l’enfant majeur à charge du ménage et poursuivant des études secondaires à distance lequel ne peut plus continuer à bénéficier de l’allocation familiale alors que le diplôme de fin d’études secondaires visé par les deux enfants est reconnu équivalent,

 

voire

 

2) en ce qu’il pratique une différenciation entre l’enfant mineur à charge du ménage et poursuivant des études secondaires à distance, lequel bénéficie de l’allocation familiale, et l’enfant devenu majeur en cours d’année scolaire à charge du ménage lequel poursuit des études secondaires à distance toujours dans les mêmes conditions, et lequel ne peut plus bénéficier de l’allocation familiale ? »,

 

réserve les droits des parties sur le fond et met l’affaire au rôle général.

 

La lecture du présent jugement a été faite à l’audience publique du 23 octobre 2020 en la salle d’audience du Conseil arbitral de la sécurité sociale à Luxembourg, par Monsieur le président du siège Frank Schaffner, en présence de Madame Véronique Szymanski, secrétaire

 

 

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