Arrêt n° 145 de la Cour constitutionnelle - La question posée traite de la conformité de l'art. 631-3 du Code de procédure pénale avec l'art.10bis de la Constitution

Arrêt de la Cour constitutionnelle

24 avril 2020

Dans l’affaire n° 00145 du registre ayant pour objet une question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par la Cour de cassation, suivant arrêt n° 115/2018 pénal, rendu le 29 novembre 2018 sous le numéro 4041 du registre, déposé au greffe le 29 novembre 2018, dans le cadre d’un litige

Entre :

A, née le (…), demeurant à (…),

et :

le Ministère public,

La Cour,

composée de

Francis DELAPORTE, vice-président,

Henri CAMPILL, conseiller,

Roger LINDEN, conseiller,

Odette PAULY, conseiller,

Ria LUTZ, conseiller,

 

Lily WAMPACH, greffier,

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 7 décembre 2018 par Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY, et celles déposées le 12 décembre 2018 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour A,

Ayant entendu Maître Catherine LEIDNER, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Monsieur le Procureur général d’Etat adjoint John PETRY, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 28 février 2020,

rend le présent arrêt :

Par arrêt du 24 mai 2016, la Cour d’appel avait condamné  A du chef de plusieurs infractions à une peine d’emprisonnement de 12 mois assortie du sursis probatoire à l’exécution de l’intégralité de la peine. Par arrêt du 12 décembre 2017, la Cour d’appel a révoqué le sursis probatoire et a ordonné l’exécution de la peine d’emprisonnement prononcée par l’arrêt du 24 mai 2016.

Par arrêt du 29 novembre 2018, la Cour de cassation, saisie par A d’un pourvoi contre l’arrêt du 12 décembre 2017, a saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :

 

« l’article 631-3 du Code de procédure pénale est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution qui garantit l’égalité des Luxembourgeois devant la loi, dans la mesure où en application de l’article visé, le prévenu condamné en première instance à une peine d’emprisonnement assortie du sursis probatoire bénéficie en cas de révocation de ce sursis de la possibilité de faire appel contre la décision de révocation, alors que le prévenu condamné en appel à une peine d’emprisonnement assortie du sursis probatoire, ne bénéficie pas de ce double degré de juridiction ? »

 

L’article 631-3 du Code de procédure pénale dispose :

 

«Si, au cours du délai prévu par l’article 629 , le condamné ne satisfait pas aux mesures de surveillance et d’assistance ou aux obligations imposées, le ministère public saisit la juridiction qui a ordonné le sursis, dans les délais, conditions et formes qui y sont applicables, afin de faire ordonner l’exécution de la peine.

En cas d’urgence, le ministère public peut faire écrouer le condamné à charge d’en saisir la juridiction qui a ordonné le sursis.

Cette juridiction statue dans un délai de huit jours à dater de l’arrestation. Si elle décide qu’il n’y a pas lieu de révoquer le sursis probatoire, l’intéressé sera immédiatement mis en liberté nonobstant appel.

Dans le cas où le sursis probatoire n’est pas révoqué, la juridiction peut l’assortir de nouvelles conditions. ».

 

L’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution dispose que: « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».

 

La mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée.

 

En l’espèce, les personnes condamnées à une peine privative de liberté dont la révocation du sursis probatoire a été prononcée par le tribunal d’arrondissement et celles dont la révocation du sursis probatoire a été prononcée par la Cour d’appel se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée, en ce que le sursis probatoire a été révoqué par la juridiction qui l’avait ordonné par suite du non-respect des conditions imposées.

 

En l’occurrence, la différence de traitement des personnes dont le sursis probatoire a été révoqué résulte de ce que la décision de révocation prise sur base de l’article 631-3 du Code de procédure pénale par la juridiction qui l’avait ordonné obéit aux règles de droit commun régissant les voies de recours.

 

Si la décision de révocation du sursis probatoire a été prise par le tribunal d’arrondissement, elle peut faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel en application des articles 202 et 221 du Code de procédure pénale, tandis que la décision de révocation du sursis probatoire prise par la Cour d’appel n’est pas susceptible de faire l’objet d’un appel, mais uniquement d’un pourvoi en cassation.

 

Le législateur peut, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but. 

 

La compétence confiée par la loi à la juridiction qui a accordé le sursis probatoire de le révoquer se justifie par le fait que cette juridiction qui, par suite d’une appréciation de la situation du condamné et de la gravité de l’infraction, a décidé de le placer sous le régime du sursis probatoire, est la mieux placée pour apprécier si le non-respect des conditions, imposées par elle, justifie la révocation du sursis probatoire. Dans le cas de figure visé au principal d’une remise en cause du sursis probatoire devant la seule Cour d’appel, elle constitue de plus une garantie pour le condamné de ne pas se voir retirer le bénéfice du sursis probatoire par une autre juridiction sans l’accord de celle qui lui avait accordé cette mesure de faveur.

 

La compétence confiée par le Code de procédure pénale à la Cour d’appel de décider de la révocation du sursis probatoire qu’elle avait ordonné, même si elle implique que la décision n’est pas susceptible de faire l’objet d’un appel, contrairement au cas d’une révocation d’un sursis probatoire prononcée par le tribunal d’arrondissement, procède donc d’une différenciation rationnellement justifiée qui se trouve dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but poursuivi.

 

Il y a partant lieu de dire, par rapport à la question préjudicielle posée, que l’article 631-3 du Code de procédure pénale est conforme au principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution.

 

PAR CES MOTIFS,

La Cour constitutionnelle :

dit que par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 631-3 du Code de procédure pénale est conforme au principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution ;

dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;

dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de A lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle à la Cour de cassation, dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le vice-président Francis DELAPORTE en présence du greffier Lily WAMPACH.

s. Lily WAMPACH

greffier

s. Francis DELAPORTE

vice-président

 

 

 

 

 

 

 

 

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