Arrêt n° 149 de la Cour constitutionnelle - Communauté universelle - enfant naturel - droits successoraux

Dans l’affaire n° 00149 du registre

ayant pour objet une question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, suivant jugement du 12 mars 2019 (Numéro 21473 du rôle), déposé au greffe le 18 mars 2019, dans le cadre d’un litige

Entre :

A, demeurant à L-

et :

1)    B, demeurant à L-

2)    C, demeurant à L-

3)    D, demeurant à L-

 

La Cour,

composée de :

Jean-Claude WIWINIUS, président,

Francis DELAPORTE, vice-président,

Carlo HEYARD, conseiller,

Michel REIFFERS, conseiller,

Roger LINDEN, conseiller,

 

Lily WAMPACH, greffier,

 

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 5 avril 2019 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, au nom d’Esther NEFF, C et D, et les 11 avril et 3 mai 2019 par Maître Lony THILLEN, avocat à la Cour, assistée de Maître Marisa ROBERTO, avocat à la Cour, au nom d’A,

 

ayant entendu Maître Jean-Paul WILTZIUS et Maître Hélène RUYER, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Lony THILLEN, en leurs plaidoiries à l’audience publique du 24 mai 2019,

 

rend le présent arrêt :

Considérant que E et B se sont mariés le 21 mars 1975 ; que sont issues de cette union C et D ; que le 16 janvier 1987 A est né d’une relation extraconjugale de E ; que le 15 septembre 1997 les époux E-B ont conclu un contrat de mariage prévoyant un régime de communauté universelle avec attribution de la communauté au conjoint survivant ;

 

Considérant que suite au décès de E, son fils naturel A a assigné B, C et D devant le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière civile, pour voir ordonner le partage et la liquidation de l’indivision successorale existant entre les parties quant à la succession laissée par feu E ; qu’A a déclaré qu’il entendait faire valoir ses droits dans la succession de son père en sa qualité d’héritier réservataire en soutenant que conformément à l’article 757 du Code civil, l’enfant naturel a les mêmes droits successoraux que l’enfant légitime ;

 

Considérant que pour s’opposer à la prétention de B de se voir attribuer l’intégralité de la communauté universelle, A a invoqué les dispositions des articles 1527, alinéa 2, et 1094 du Code civil pour conclure que le contrat de mariage des époux E-B ne pouvait recevoir exécution que dans les proportions prévues à l’article 1094 du Code civil et qu’il ne pouvait donc pas comporter l’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant ;

 

Considérant que l’article 1527, alinéa 2, du Code civil dispose :

 

« Néanmoins dans le cas où il y aurait à la date du mariage soit des enfants d’un précédent mariage, soit des enfants dont la filiation est établie à l’égard d’un des conjoints, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l’un des conjoints au-delà de la portion réglée par l’article 1094, au titre « Des donations entre vifs et des testaments » sera sans effet pour tout l’excédent ; (…) » ;

 

Considérant que B et ses filles ont soutenu que l’article 1527, alinéa 2, du Code civil ne trouvait pas application, étant donné qu’A, enfant naturel, est né postérieurement au mariage des époux E-B, de sorte que la condition de l’antériorité de la naissance des enfants réservataires au mariage de leur auteur ne serait pas remplie ;

 

Considérant que le tribunal d’arrondissement de Diekirch a estimé que se posait la question de la conformité de l’article 1527, alinéa 2, du Code civil à l’article 10bis de la Constitution en ce qu’il n’accorde l’action en réduction ou en retranchement, destinée à sauvegarder ses droits successoraux, qu’au seul enfant naturel né avant le mariage de son auteur, lié à son conjoint par une convention qui aurait pour conséquence de donner au conjoint survivant au-delà de la portion réglée par l’article 1094 du Code civil, mais non à l’enfant naturel né après ce mariage;

 

Qu’il a en conséquence soumis à la Cour Constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

 

«  La législation relative à l’action en réduction, et plus particulièrement l’article 1527, alinéa 2 du code civil limitant les enfants pouvant agir suivant la date de leur naissance par rapport aux engagements matrimoniaux de leurs auteurs, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution qui prescrit que les luxembourgeois sont égaux devant la loi, respectivement à l’article 11-3 de la Constitution qui dispose que l’Etat garantit la protection de la vie privée sauf les exceptions fixées par la loi ? » ;

 

Considérant qu’B et ses filles concluent à l’irrecevabilité de la question préjudicielle pour manque de pertinence, dès lors que la réponse à celle-ci ne permettrait pas de résoudre utilement le litige ;

 

Considérant que ce moyen d’irrecevabilité est à rejeter, dès lors qu’il résulte de la motivation du jugement de renvoi que la réponse à la question préjudicielle est nécessaire pour la solution du litige ;

 

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution dispose :

 

« Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. » ;

 

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle de l’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans des situations comparables au regard de la disposition légale critiquée ;

 

Considérant qu’en l’occurrence, la question de comparabilité au regard de l’article 1527, alinéa 2, du Code civil se pose entre l’enfant naturel né avant le mariage de son auteur, lié à son conjoint par une convention qui aurait pour conséquence de donner à celui-ci au-delà de la portion réglée par l’article 1094 du Code civil, et l’enfant naturel, dit enfant adultérin, né après ce mariage ;

 

Considérant qu’il y a dès lors lieu de recadrer la question préjudicielle en les termes suivants :

 

«  L’article 1527, alinéa 2, du Code civil, en conférant l’action en retranchement à l’enfant naturel né avant le mariage de son auteur, lié à son conjoint par une convention qui aurait pour conséquence de donner à celui-ci au-delà de la portion réglée par l’article 1094 du Code civil, sans prévoir cette action au profit de l’enfant naturel né après le mariage, est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution qui dispose que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, et à l’article 11-3 de la Constitution qui dispose que l’Etat garantit la protection de la vie privée sauf les exceptions fixées par la loi ? » ;

 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnelle à son but ;

 

Considérant que l’action en retranchement est une mesure de protection ouverte à l’enfant d’un époux défunt, non issu des œuvres de celui-ci et de son conjoint survivant, conjoint survivant par rapport auquel l’enfant n’a pas de vocation héréditaire, en vue de rétablir ses droits en qualité d’héritier réservataire ;

 

Considérant qu’il résulte de l’article 757 du Code civil que l’enfant naturel, qu’il soit né avant ou après le mariage de son auteur avec un tiers, a les mêmes droits successoraux que l’enfant légitime ;

 

Considérant qu’il n’y a dès lors aucune de raison de refuser à l’enfant naturel né après le mariage de son auteur avec un tiers la mesure de protection que constitue l’action en retranchement ;

 

Considérant que la différence de traitement opérée à cet égard par la disposition sous examen ne procède donc pas d’une disparité objective et n’est pas rationnellement justifiée, ni adéquate, ni proportionnée à son but ;

 

Considérant qu’il y a partant lieu de dire que, par rapport à la question préjudicielle, telle que recadrée, l’article 1527, alinéa 2, du Code civil, en ce qu’il ne prévoit pas l’action en retranchement au profit de l’enfant naturel né après le mariage de son auteur avec un tiers, n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution ;

 

Considérant qu’il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner la conformité de l’article 1527, alinéa 2, du Code civil à l’article 11-3 de la Constitution ;

 

 

Par ces motifs,

 

 

dit que, par rapport à la question préjudicielle, telle que recadrée, l’article 1527, alinéa 2, du Code civil, en ce qu’il ne prévoit pas l’action en retranchement au profit de l’enfant naturel né après le mariage de son auteur avec un tiers, n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution ;

 

dit que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;

 

dit qu’il sera fait abstraction des noms et prénoms d’A, d’B, de C, de D et de E lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel ;

 

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au tribunal d’arrondissement de Diekirch, juridiction dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

 

La lecture du présent arrêt a été faite en sa susdite audience publique extraordinaire par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Madame le greffier Lily WAMPACH.

 

 

 

s. Lily WAMPACH

greffier

s. Jean-Claude WIWINIUS

président

 

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