La première chambre civile du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a rendu le 27 mars 2019 un jugement sur un des volets judiciaires qui touchent le Luxembourg dans le contexte des attentats du 11 septembre 2001. Dans le dossier traité dans le jugement du 27 mars 2019, des victimes des attentats demandent à obtenir l’exequatur au Luxembourg de jugements rendus par un tribunal de New York au sujet de la réparation de leurs préjudices. Un tel exequatur est nécessaire pour pouvoir exécuter au Luxembourg une décision rendue à l’étranger, par exemple par le biais d’une saisie-arrêt sur comptes bancaires. Une telle procédure de saisie-arrêt est par ailleurs pendante et fera l’objet d’une décision ultérieure.
Dans une motivation longue de 160 pages, le tribunal traite de façon exhaustive les deux problèmes juridiques majeurs qui étaient soumis à son examen.
Une première question examinée est celle de savoir si certains des défendeurs, notamment la République islamique d’Iran et la Banque centrale d’Iran, peuvent bénéficier d’une immunité juridictionnelle. L’immunité juridictionnelle est une règle du droit international public coutumier d’après laquelle les juridictions d’un Etat souverain ne peuvent pas juger les actes d’un autre Etat souverain et de ses émanations, sauf certaines exceptions.
Sur ce point, le jugement du 27 mars 2019 dégage d’abord quelles sont les exceptions au principe de l’immunité des Etats qui sont admises par le droit international public. Dans ce cadre, le tribunal retient notamment que la règle sur laquelle le tribunal américain s’était appuyé pour écarter l’immunité juridictionnelle n’est pas conforme au droit international public et ne peut être appliquée dans le cadre du procès au Luxembourg. Le tribunal décide ensuite que les conditions des exceptions dont il admet l’existence ne sont pas remplies en l’espèce. Il en résulte en fin de compte que les demandeurs ne peuvent pas poursuivre au Luxembourg l’exequatur des décisions américaines contre la République islamique d’Iran et ses démembrements souveraines.
Une deuxième matière traitée concerne la question de savoir si les jugements rendus à New York remplissent les conditions pour recevoir l’exequatur, à savoir s’ils présentent tous les aspects de leur régularité internationale. Cette vérification est importante dans la mesure où l’exequatur a pour conséquence de donner au jugement étranger les mêmes effets qu’un jugement rendu par un tribunal luxembourgeois. Cette question se posait pour différentes parties défenderesses qui ne pouvaient pas invoquer à leur profit une immunité juridictionnelle.
Sur cet aspect, le tribunal examine les différentes conditions posées par le droit international privé luxembourgeois à l’exequatur, qui sont pour l’essentiel destinées à préserver l’ordre public sous différentes facettes. Certaines conditions sont remplies : les jugements sont exécutoires aux Etats-Unis d’Amérique, le tribunal américain était internationalement compétent, le droit d’accès à un juge indépendant et impartial a été respecté, les jugements sont motivés. Le tribunal décide ensuite que les jugements américains ne répondent pas à ces conditions de la régularité internationale sur deux points. D’une part, tous les éléments de la demande telle que portée devant le tribunal américain et sur base desquels le tribunal américain devait prendre sa décision n’avaient pas été portés à la connaissance des parties défenderesses. Cette information est essentielle dans toutes les procédures pour que les défendeurs sachent ce qui leur est reproché et dans quel cadre juridique le tribunal prend sa décision. D’autre part, à la fin de la procédure, toute la motivation développée par tribunal américain à l’appui de sa décision n’avait pas été signifiée aux parties condamnées. Cette information est aussi nécessaire dans toutes les procédures pour permettre d’apprécier le raisonnement du tribunal et les possibilités d’exercer un recours. Il en résulte que les jugements américains ne peuvent pas être rendus exécutoires au Luxembourg.