Dans un arrêt de principe, la Cour administrative vient de soumettre à la Cour de Justice de l’Union européenne une question préjudicielle sur l’applicabilité du principe de proportionnalité et, plus loin, du principe d’égalité couverts par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne en matière de sanctions administratives.
L’affaire au fond concerne une moyenne entreprise luxembourgeoise dans le domaine de l’aviation soumise au transfert de droits d’émission dans le contexte du Protocole de Kyoto et de la directive européenne 2004/39/CE aux instances compétentes à la date butoir du 30 avril suivant l’année d’exercice pour laquelle les droits sont redus.
Il s’agit d’une entreprise qui avait collecté les droits nécessaires pour l’année 2015 sur le marché, mais n’avait pas réussi à les transmettre utilement par la voie informatique à la date du 30 avril 2016. En conséquence, une amende de 100 € par droit non transmis dans les délais, en l’occurrence plus de 640.000 €, avait été prononcée par le ministre de l’Environnement.
Le recours formé par l’opérateur contre cet arrêté ministériel a été déclaré non fondé par le tribunal administratif dans son jugement dont appel du 28 février 2018 (n° 38776 du rôle). Le tribunal n’avait fait qu’appliquer l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne dans une affaire Billerud Karlsborg du 17 octobre 2013 (affaire C-203/12), logée quasiment à l’identique, dans laquelle la Cour européenne avait retenu que, sauf le cas de force majeure, l’amende prévue par le législateur européen (100 € par droit d’émission non transmis dans les délais) était redue dans son intégralité vu l’objectif écologique important mis en avant par ce législateur. Plus particulièrement, il ne serait plus possible au juge national d’appliquer le principe de proportionnalité à pareille situation.
La Cour administrative a décidé de ne pas suivre cette jurisprudence et de soumettre à la Cour de Justice de l’Union européenne une question préjudicielle devant lui permettre d’affiner sa position, étant entendu que dans l’arrêt de référence de 2013, il n’avait pas été tenu compte des principes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Or, cette Charte consacre à la fois le principe d’égalité et surtout le principe de proportionnalité (art. 49, paragraphe 3), plus particulièrement en matière pénale dont, aux yeux de la Cour administrative, dépendent les sanctions administratives. La Cour administrative a adressé à la Cour de Justice de l’Union européenne 6 questions préjudicielles avec sous-questions s’appuyant plus particulièrement sur les principes d’égalité et de proportionnalité – le principe de proportionnalité étant vu par la Cour administrative comme étant l’âme du droit pénal – mais encore sur base des principes de confiance légitime, de bonne foi, « fraus omnia corrumpit » et des préceptes du réseau judiciaire de l’Union européenne et leurs implications par rapport au dialogue des juges.
En suivant l’arrêt de référence de 2013, aucune marge de manouvre ne serait plus laissée au juge national en matière pénale, dont relèvent les sanctions administratives, du moment qu’il lui est interdit d’appliquer le principe de proportionnalité. De même, le juge national serait-il forcé, si cette jurisprudence devait être suivie, de traiter de la même manière l’opérateur frauduleux, même avec préméditation, et l’opérateur de bonne foi, simplement négligent, n’ayant pas réussi, plus particulièrement pour des raisons techniques, de transférer en temps utile les droits d’émission redus, mais pourtant utilement achetés sur le marché aux fins voulues.