Arrêt de principe de la Cour administrative dans l'affaire du « verger litigieux de Schieren »

Dans l’affaire du verger de Schieren ayant connu un certain retentissement en avril/mai 2018 après le prononcé du jugement du tribunal administratif du 28 mars 2018 (n° 38859 du rôle) ayant déclaré qu’il ne ressortait pas à suffisance des pièces versées au dossier que le verger en question était à considérer comme un biotope au sens de l’article 17 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, la Cour administrative vient de rendre en appel son arrêt en date du 13 décembre 2018 (n° 41111C du rôle).

L’arrêt est d’abord un arrêt de principe, parce que, pour la première fois, la Cour a été amenée à trancher la question de savoir dans quelle sorte de recours le juge administratif est dorénavant appelé à statuer au regard de la loi nouvelle du 18 juillet 2018, prise dans la même matière, entrée en vigueur début septembre 2018, 4 jours après sa publication au Journal Officiel.

Il faut savoir que l’ancienne loi, de même que toutes les lois antérieures, prévoyaient un recours en réformation permettant au juge administratif de prendre en considération tous les éléments de fait et de droit tels qu’ils se présentent au jour où le juge est appelé à rendre son jugement.

Par contre, la nouvelle loi du 18 juillet 2018 prévoit uniquement un recours en annulation dans le cadre duquel le juge administratif contrôle si, à la date où l’administration a rendu sa décision, celle-ci n’a pas dépassé sa marge d’appréciation. Dans pareil cadre, le juge ne tient pas compte des éléments de fait et de droit tels qu’ils se sont déroulés après que la décision administrative attaquée ait été rendue.

La Cour a tout d’abord retenu que la question de l’aiguillage en vertu duquel il fallait trancher suivant que le juge statue comme juge de la réformation ou juge de l’annulation était une question de fond et non une question de forme, parce qu’elle implique beaucoup de conséquences corrélatives quant aux pouvoirs du juge et aux conséquences de son contrôle.

Par rapport à une question de fond, il est classiquement jugé que la juridiction saisie statue suivant le recours prévu à l’époque où la décision critiquée a été rendue, voire le recours initial formé.

En l’occurrence, la juridiction administrative connaissait à l’époque d’un recours en réformation. Partant de là, la Cour était amenée tout d’abord à se placer au jour où elle a rendu son arrêt – 13 décembre 2018 – pour voir quels étaient les éléments de fait et de droit applicables. Or, à cette date, la loi du 18 juillet 2018 se trouvait en vigueur et elle avait abrogé la loi antérieure du 19 janvier 2004. Cependant, la loi du 18 juillet 2018 prévoit bien un recours en annulation, mais uniquement pour les décisions rendues en vertu de cette nouvelle loi. Or d’évidence, les décisions critiquées dans le cas du verger de Schieren sont celles du ministre de l’Environnement des 20 janvier et 19 septembre 2016.

Dès lors, la disposition de la loi du 18 juillet 2018 prévoyant un recours en annulation – l’article 68 – ne pouvait trouver application dans la présente affaire. La Cour restait donc toujours en principe saisie d’un recours en réformation.

Seulement, la Cour a constaté que le verger litigieux avait été abattu entièrement peu de jours après que le tribunal eût rendu son jugement le 28 mars 2018. Ce fait est constant en cause. Si dès lors un biotope avait dû exister en tant que verger, il aurait cessé d’exister au début du mois d’avril 2018.

La Cour constate encore que si les décisions ministérielles critiquées concernent la question de la nécessité ou non d’une autorisation d’abattage, laquelle aurait été requise si effectivement le verger en question avait pu être considéré comme biotope, il s’ajoutait l’autre considération que les mêmes décisions ont considéré le fait pour le propriétaire d’abattre successivement des arbres dudit verger comme étant une destruction de biotope. Or, la destruction de biotope relevait d’après la loi du 19 janvier 2004 du domaine pénal en vertu de son article 64. La loi du 18 juillet 2018 est par ailleurs venue changer les critères d’existence d’un biotope ainsi que les peines prévues au cas où l’infraction de destruction de biotope (nouvelle définition) se trouvait vérifiée. Or d’évidence encore, le biotope avait en l’occurrence cessé d’exister au mois d’avril 2018. Il ne pouvait dès lors plus tomber sous la nouvelle définition prévue par la loi postérieure du 18 juillet 2018 entrée en vigueur au début du mois de septembre 2018.

A partir de toutes ces considérations, la Cour a dû estimer que dans la matière précise où un lieu de vie avait cessé d’exister comme tel en avril 2018, la loi postérieure ne pouvait pas lui être rendue applicable. Autrement dit, la Cour devait se placer, dans le temps, par exception, non pas au jour de son arrêt, mais au début du mois d’avril 2018 et, partant, dans le cadre de la loi applicable à l’époque, c’est‑à-dire de celle du 19 janvier 2004 dans sa version pertinente et non dans celui de la loi du 18 juillet 2018.

Par rapport à l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, la Cour a été amenée à appliquer l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 juin 2018 (n° 138/18) ayant déclaré inconstitutionnel ledit article 17 contenant les indications au sujet d’un biotope dans la mesure des cas non prévus dans l’énumération y fournie par le législateur. Autrement dit, la Cour constitutionnelle avait retenu dans ledit arrêt du 6 juin 2018 que pour les lieux de vie y énumérés, l’article 17 en question suffisait aux exigences de précision par rapport aux dispositions des articles 12 et 14 de la Constitution (il y va du principe de la légalité de l’incrimination chaque fois que les mêmes faits sont potentiellement également de nature à pouvoir être qualifiés pénalement). Or, il n’y suffisait pas pour les autres lieux de vie. Il est constant en cause que le verger ne se trouvait pas énuméré parmi les lieux de vie énoncés à l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004.

A partir des considérations de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 juin 2018, la Cour administrative a dès lors été amenée à déclarer les décisions ministérielles de refus d’autorisation d’abattage des arbres du verger non fondées en ce qu’elles présupposaient l’existence d’un biotope, qui, en vertu de la définition défaillante dudit article 17, ne pouvait pas être légalement considéré comme tel.

En conséquence, bien que pour d’autres motifs, la Cour a été amenée à confirmer le jugement du tribunal administratif du 28 mars 2018 dans son résultat consistant à dire que l’existence d’un biotope ne se trouvait pas suffisamment vérifiée dans le chef du ci-avant verger de Schieren, litigieux en l’espèce.

App : Verger de Schieren : en application de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 juin 2018 en matière de biotope, le dit verger n’a pas pu être valablement considéré comme biotope, à défaut de définition valable dans l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, applicable en l’espèce.

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