La Cour constitutionnelle a rendu en date du 18 mai 2018 un arrêt dans l’affaire
n° 00136 du registre ayant pour objet une question préjudicielle introduite conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, première chambre, suivant jugement civil no 14/2018 rendu le 17 janvier 2018 sous le numéro 175619 du rôle, parvenu au greffe de la Cour constitutionnelle le 19 janvier 2018, dans le cadre d’un litige
Entre :
A, demeurant à L-,
et
l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, établie à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, représentée par son directeur,
La Cour,
composée de
Jean-Claude WIWINIUS, président,
Francis DELAPORTE, vice-président,
Romain LUDOVICY, conseiller,
Nico EDON, conseiller,
Michel REIFFERS, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 12 février 2018 par Maître Frédérique LERCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines,ayant entendu Maître Frédérique LERCH en ses plaidoiries à l’audience publique du 23 mars 2018,
rend le présent arrêt :
Considérant que dans le cadre d’un litige pendant entre A et l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, et portant sur une demande de remise gracieuse d’une dette de TVA introduite par A suite à la taxation d’office opérée par l’administration en l’absence de dépôt de déclarations afférentes par le requérant et non contestée par ce dernier, demande rejetée par le directeur au motif que depuis l’abrogation de l’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits par l’article 97, paragraphe 4, de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, il n’existerait plus de base légale pour accorder des remises gracieuses, le tribunal a relevé que ladite loi du 7 novembre 1996 a procédé à la suppression du pouvoir de modération de l’impôt du directeur de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines en ce qui concerne la TVA, tout en consacrant et en encadrant un tel pouvoir du directeur de l’Administration des contributions directes en ce qui concerne les impôts directs ;
Considérant que ce constat a amené le tribunal à saisir la Cour constitutionnelle des questions préjudicielles suivantes :
a) en ordre principal :
la situation juridique créée par la combinaison de l’article 97, paragraphe 4 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en ce qu’il abroge l’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits, et supprime tout pouvoir dans le chef de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines d’accorder une remise gracieuse en matière de dettes de TVA, respectivement confirme l’inexistence d’un tel pouvoir dans le chef de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, et l’article 97, paragraphe 3, point 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en ce qu’il modifie le § 131 de la Abgabenordung (loi générale des impôts) en confirmant et en encadrant le pouvoir d’accorder une remise gracieuse en matière de dettes d’impôts directs dans le chef de l’Administration des Contributions Directes, est-elle conforme à l’article 10bis, paragraphe 1 de la Constitution et à l’article 101 de la Constitution, ces articles pris individuellement ou conjointement, dans la mesure où il en résulte une différence de traitement entre redevables débiteurs de ces deux catégories d’impôts et à l’égard d’un même contribuable selon qu’il est redevable de ces deux catégories d’impôts ?
Est-ce qu’au regard de la question posée, il convient de différencier entre les assujettis à la TVA selon qu’ils font l’objet d’une taxation sur déclaration ou d’une taxation d’office ?
b) en ordre subsidiaire :
l’article 97, paragraphe 4 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en ce qu’il abroge l’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits, et supprime tout pouvoir dans le chef de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines d’accorder une remise gracieuse en matière de dettes de TVA, respectivement confirme l’inexistence d’un tel pouvoir dans le chef de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1 de la Constitution et à l’article 101 de la Constitution, ces articles pris individuellement ou conjointement, alors que l’article 97, paragraphe 3, point 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en ce qu’il modifie le § 131 de la Abgabenordung (loi générale des impôts) confirme et encadre le pouvoir d’accorder une remise gracieuse en matière de dettes d’impôts directs dans le chef de l’Administration des Contributions Directes, en instaurant ainsi une différence de traitement entre redevables débiteurs de ces deux catégories d’impôts et à l’égard d’un même contribuable selon qu’il est redevable de ces deux catégories d’impôts ?
Est-ce qu’au regard de la question posée, il convient de différencier entre les assujettis à la TVA selon qu’ils font l’objet d’une taxation sur déclaration ou d’une taxation d’office ?
c) en ordre encore plus subsidiaire :
l’article 97, paragraphe 3, point 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en ce qu’il modifie le § 131 de la Abgabenordung (loi générale des impôts), et confirme et encadre le pouvoir d’accorder une remise gracieuse en matière de dettes d’impôts directs dans le chef de l’Administration des Contributions Directes, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1 de la Constitution et à l’article 101 de la Constitution, ces articles pris individuellement ou conjointement, alors que l’article 97, paragraphe 4 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, en ce qu’il abroge l’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits supprime tout pouvoir dans le chef de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines d’accorder une remise gracieuse en matière de dettes de TVA, respectivement confirme l’inexistence d’un tel pouvoir dans le chef de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, en instaurant ainsi une différence de traitement entre redevables débiteurs de ces deux catégories d’impôts et à l’égard d’un même contribuable selon qu’il est redevable de ces deux catégories d’impôts ?
Est-ce qu’au regard de la question posée, il convient de différencier entre les assujettis à la TVA selon qu’ils font l’objet d’une taxation sur déclaration ou d’une taxation d’office ?
Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution dispose que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. » ;
Considérant que l’article 101 de la Constitution qui dispose qu’« Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi. » consacre le principe de l’égalité devant l’impôt, qui n’est qu’une application particulière du principe plus général de l’égalité devant la loi.
Considérant que l’article 97, paragraphe 4, de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif (ci-après « la loi du 7 novembre 1996 ») est de la teneur suivante : « L’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 concernant les impôts, taxes, cotisations et droits est abrogé. » ;
Considérant que l’article 8 de l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, précité, disposait que « Les réclamations ainsi que les demandes en remise ou en modération présentées par les contribuables sont vidées par le chef de l'Administration compétente ou par son délégué sauf recours à une instance à désigner par arrêté ministériel. Cette instance statuera en dernier ressort. Aucun recours n'est admissible, si le montant de l'impôt qui fait l'objet de la réclamation ou de la demande ne dépasse pas 1.000 francs. » ;
Considérant que l’article 97, paragraphe 3, point 3, de la loi du 7 novembre 1996 se lit comme suit : « Le §131 AO est remplacé comme suit : Sur demande dûment justifiée du contribuable endéans les délais du §153 AO, le directeur de l’Administration des contributions directes accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable. Sa décision est susceptible d’un recours au tribunal administratif, qui statuera au fond. » ;
Considérant que par l’article 97, paragraphe 4, de la loi du 7 novembre 1996, le législateur a abrogé le droit accordé aux contribuables de présenter des réclamations ou des demandes de remise ou de modération au chef de l’Administration compétente et que par l’article 97, paragraphe 3, point 3, de la même loi, il a introduit et déterminé les conditions d’une telle demande de remise gracieuse pouvant être adressée au directeur de l’Administration des contributions directes en matière d’impôts directs ;
Considérant que le présent litige se résume à la question de savoir si l’absence de possibilité, pour les assujettis à la TVA, de demander une remise gracieuse constitue une discrimination violant le principe de l’égalité devant la loi, respectivement de l’égalité devant l’impôt, compte tenu de l’existence d’une telle possibilité pour les contribuables redevables d’impôts directs ;
Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée ;
Considérant qu’il y a dès lors lieu de comparer la situation dans laquelle se trouve un contribuable confronté à une dette d’impôts directs à celle d’un assujetti confronté à une dette de TVA ;
Considérant que l’imposition directe frappe le contribuable suivant sa situation financière individuelle, compte tenu de ses revenus ou de sa fortune ;
Considérant que la TVA, qui est un impôt général sur la consommation, qui frappe un produit, une transaction ou une opération économique donnée et qui est fonction du prix des biens et des services vendus, ne tient pas compte de la situation financière personnelle de celui dont l’acte génère l’impôt ;
Considérant que les contribuables tenus au paiement d’impôts directs sont touchés directement dans leur patrimoine propre, tandis que les assujettis redevables de la TVA ne font que reverser à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines la TVA qu’ils ont préalablement facturée à leurs clients ;
Considérant que les situations respectives d’un contribuable devant à l’Etat des impôts directs et d’un assujetti redevable de la TVA ne sont dès lors pas suffisamment comparables pour permettre utilement l’application du principe de l’égalité devant la loi énoncé par l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution et du principe de l’égalité devant l’impôt consacré par l’article 101 de la Constitution ;
Considérant que la circonstance la TVA est due en vertu d’une taxation d’office n’est pas de nature à modifier ce constat, alors que la taxation d’office n’est qu’un procédé de détermination de la base d’imposition, compte tenu des éléments à la disposition du bureau d’imposition, et ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard de l’assujetti ;
Considérant que, par rapport aux questions préjudicielles posées, les articles 97, paragraphe 4, et 97, paragraphe 3, point 3, de la loi du 7 novembre 1996, pris individuellement ou en combinaison, sont partant conformes tant à l’article 10bis, paragraphe 1, qu’à l’article 101 de la Constitution ;
Par ces motifs,
dit que, par rapport aux questions préjudicielles posées, tant la combinaison des articles 97, paragraphe 4, et 97, paragraphe 3, point 3, de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, que lesdits articles pris individuellement, sont conformes aux articles 10bis, paragraphe 1, et 101 de la Constitution ;
dit que dans les 30 jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A ;
dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom d’A lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ;
dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au tribunal d’arrondissement de Luxembourg, première chambre, dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence du greffier Lily Wampach.
Le président, Le greffier,
s. Jean-Claude WIWINIUS s. Lily WAMPACH