Question préjudicielle à la Cour constitutionnelle émanant de la Cour de cassation

La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg, formée conformément à la loi du 7 mars 1980 sur l'organisation judiciaire, a rendu en son audience publique du jeudi, huit mars deux mille dix-huit, 

sur le pourvoi de :

 X, né le (…) à (…), demeurant à (…),

demandeur en cassation,

comparant par Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 

en présence du Ministère public,

l’arrêt qui suit :

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LA   COUR   DE   CASSATION :

Vu le jugement attaqué rendu le 2 mars 2017 sous le numéro 136/2017 par le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en instance d’appel en matière de police ;

Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, demeurant à Diekirch, assisté de Maître Henri FRANK, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour et au nom de X, suivant déclaration du 30 mars 2017 au greffe du tribunal d’arrondissement de Diekirch ;

Vu le mémoire en cassation déposé le 24 avril 2017 au greffe du tribunal d’arrondissement de Diekirch ;

Sur le rapport du président Jean-Claude WIWINIUS et sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY ;

Sur les faits :

Attendu, selon le jugement attaqué, que le tribunal de police de Diekirch avait condamné X du chef d’infractions à la loi du 19 janvier 2004 relative à la protection de la nature et des ressources naturelles (ci-après « la loi du 19 janvier 2004 ») pour avoir réduit, détruit, sinon changé un biotope, et plus précisément avoir abattu un arbre de type noyer, et pour avoir détruit ou détérioré, sans autorisation, un habitat que constituait cet arbre pour les chauves-souris, à une amende de 2000 euros et au rétablissement des lieux ; que le tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en instance d’appel en matière de police, a annulé le jugement entrepris pour avoir prononcé une peine illégale et, après évocation, a condamné X à une amende de 250 euros, tout en confirmant le jugement pour le surplus ;

Sur le premier moyen de cassation :

tiré « de la violation de l'article 89 de la Constitution, qui exige que << Tout jugement doit être motivé. >>,

en ce que, le jugement attaqué s'est contenté sous le regard de l'applicabilité du concept biotope à la présente affaire de citer l'article 17 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, de citer de surcroît une décision à savoir un arrêt de la Cour du 9 décembre 2015 (CSJ, 9 décembre 2015, no. 558/15 X), de relever que << L'énumération fournie par l'article 17 précité n'est pas exhaustive >>, de se référer à un << rapport d'un bureau d'études dans le cadre du plan d'aménagement général de la commune de A)>>, de relever << qu'une étude récente élaborée dans le cadre du PAG de A) indique que l'arbre solitaire en question est à considérer comme biotope respectivement comme habitat d'espèces de l'annexe 2 au sens de l'article 17 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. >>, de se référer à la décision ministérielle du 22 octobre 2015 du Ministre de l'Environnement, de relever qu'<< il appert de cette décision ministérielle que la Ministre a entendu avaliser la classification de cet arbre solitaire, à tort ou à raison, en tant que biotope respectivement comme habitat d'une des espèces figurant à l'annexe 2 de la loi. >>, de constater que X était dès lors au courant qu'aussi bien du point de vue du PAG que du point de vue ministériel, l'arbre en question était considéré non seulement comme arbre remarquable mais également comme biotope >>, que << X n'a pas introduit un recours administratif >> contre le rejet de son recours gracieux, pour en arriver à la conclusion que << Le noyer abattu par X constituait ainsi un biotope susceptible de servir d'abri pour animaux (…) >>,

alors que ce faisant, nonobstant les multiples considérations et références, la décision attaquée a néanmoins tourné autour du pot en ne motivant d'aucune façon sa décision concernant la violation d'un biotope, les différentes références ne constituant pas une preuve qu'un arbre isolé tel qu'en l'espèce est susceptible de constituer un biotope. » ;

Attendu qu’en tant que tiré de la violation de l’article 89 de la Constitution, le moyen vise le défaut de motifs qui est un vice de forme ;

Qu’une décision judiciaire est régulière en la forme, dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré ;

Attendu qu’il résulte de l’énoncé même du moyen que le tribunal a motivé son jugement ;

Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation :

tiré « de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et notamment du principe du procès équitable,

en ce que le Ministère public a procédé à la convocation de la partie demanderesse en cassation en lui reprochant sous le point 2) << En l'espèce, d'avoir - sans disposer d'une dérogation du Ministère compétent - détruit ou détérioré un habitat de l'espèce visée à l'annexe 2 de la loi, à savoir de l'espèce des Chiroptera (Chauves-souris, Fledermäuse) comme confirmé dans l'extrait de la partie écrite du PAG de A),

alors que ce faisant, sans renvoyer à une quelconque loi précise ou à un article précis, mais en renvoyant de manière lapidaire à << la loi >> et à << l'extrait de la partie écrite du PAG de A) >>, le tribunal, en tenant compte de ce libellé imprécis et obscur sans pour autant dire irrecevable, sinon non fondée l'infraction libellée sub. 2), a violé les droits de la défense et notamment le principe du procès équitable alors que tout prévenu a le droit d'être renseigné de manière claire et compréhensible dans la citation à prévenu des infractions qui lui sont reprochées. » ;

Attendu qu’il ne résulte ni du jugement attaqué ni d’aucun autre élément du dossier soumis à la Cour de cassation que l’actuel demandeur en cassation ait contesté devant les juges d’appel la recevabilité de la citation à prévenu et la violation consécutive du droit à un procès équitable ;

Qu’il en suit que le moyen est nouveau et, en ce qu’il comporterait l’examen de la question de savoir dans quelle mesure l’insuffisance alléguée de la citation à comparaître a pu violer les droits de la défense du demandeur en cassation, mélangé de fait et de droit et partant irrecevable ;

Sur le troisième moyen de cassation :

tiré « de la violation de l'article 89 de la Constitution, motif dubitatif valant absence de motif,

en ce que le tribunal a lui-même dans son jugement à la page 7, avant dernier alinéa, décrété << L'énumération fournie par l'article 17 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles n'est pas exhaustive et un noyer ou un arbre isolé semble ne pas y tomber à première vue, le libellé de cet article ne 1'excluant toutefois pas. >>,

alors que ce faisant, le tribunal a lui-même émis des doutes concernant le fait qu'un arbre isolé soit de nature à constituer un biotope, ce doute constituant un motif dubitatif, motif valant absence de motif. » ;

Attendu que le moyen procède d’une lecture et d’une interprétation incorrectes du passage critiqué du jugement entrepris ; que le motif critiqué, loin d’exprimer un doute des juges d’appel quant à la question de savoir si un arbre isolé est susceptible de constituer un biotope, a pour unique but de relever qu’une réponse négative résulterait d’une lecture superficielle de la disposition légale visée au moyen, qui méconnaîtrait le caractère non exhaustif de l’énumération y reprise ;

Qu’il en suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen de cassation :

tiré « de la violation de l'article 14 de la Constitution et donc du principe de nulla poena sine lege,

en ce que le tribunal a condamné le demandeur en cassation sur base d'un texte incomplet et imprécis ne fournissant pas de définition du concept de <<biotope>> que le demandeur en cassation aurait violé,

alors que ce faisant, le jugement attaqué a violé l'article 14 de la Constitution et le principe de la légalité des délits et des peines en vertu duquel aucune peine ne peut être prononcée que sur base d'une loi précise et claire et ne pouvant donner lieu à interprétation. » ;

Attendu que le principe de la légalité de la peine implique la nécessité de définir les infractions en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnés ; que le principe de la spécification de l’incrimination est partant le corollaire de celui de la légalité de la peine consacré par l’article 14 de la Constitution ;

Attendu que le demandeur en cassation soulève la question de la constitutionnalité de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 ;

Attendu que l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle dispose que lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle ;

Attendu qu’en l’occurrence, la question soulevée est nécessaire pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée ; que la question n’est pas dénuée de tout fondement et que la Cour constitutionnelle n’a pas encore statué sur une question ayant le même objet ;

Qu’il y a partant lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question ci-après énoncée au dispositif ;  

Par  ces  motifs, 

                        avant tout autre progrès en cause, 

                        saisit la Cour Constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :

« L’article 17 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 relative à la protection de la nature et des ressources naturelles est-il conforme à l’article 14 de la Constitution en ce qu’il ne définit pas le terme de << biotope >>, mais se limite à en illustrer la portée par une liste non limitative d’exemples ? >> ;

                        réserve les dépens.

           Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, huit mars deux mille dix-huit, à la Cité Judiciaire , Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Jean-Claude WIWINIUS, président de la Cour,

Romain LUDOVICY, conseiller à la Cour de cassation,

Nico EDON, conseiller à la Cour de cassation,

Carlo HEYARD, conseiller à la Cour de cassation,

Marianne HARLES, premier conseiller à la Cour d’appel,

          qui ont signé le présent arrêt avec le greffier Viviane PROBST.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Jean-Claude WIWINIUS, en présence de Madame Elisabeth EWERT, avocat général, et de Madame Viviane PROBST, greffier à la Cour.

 

 

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