Arrêt n°129 de la Cour constitutionnelle dans le cadre de l’appel contre un jugement du Conseil arbitral de la sécurité sociale

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 7 juillet 2017 un arrêt dans l'affaire n° 00129 du registre ayant pour objet une question préjudicielle introduite, conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, par le Conseil supérieur de la sécurité sociale, suivant arrêt No 2017/0101 du 9 mars 2017, No. du reg. : PESU 2016/0092, parvenu au greffe de la Cour constitutionnelle le 13 mars 2017, dans un litige opposant

X, né le (…), demeurant à L-(…),

à

LA CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION,  établie à Luxembourg, représentée par le président de son comité-directeur actuellement en fonction,

La Cour,

composée de

Jean-Claude WIWINIUS, président,

Henri CAMPILL, conseiller,

Nico EDON, conseiller,

Eliane EICHER, conseiller,

Michel REIFFERS, conseiller,

greffier : Lily WAMPACH

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 6 avril 2017 par Maître Sébastien COÏ, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de X,

ayant entendu Maître Sébastien COÏ en ses plaidoiries,

rend le présent arrêt :

Considérant que dans le cadre de l’appel contre un jugement du Conseil arbitral de la sécurité sociale ayant rejeté le recours formé par X contre les décisions des instances compétentes de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION refusant de faire droit à la demande de X en obtention d’une pension de survie, suite au décès, le 16 février 2014, d’Y, titulaire d’une pension de vieillesse anticipée depuis le 9 mai 1999 et avec lequel X avait contracté le 14 mars 2011 un partenariat enregistré, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a déféré à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

«  L’article 196, alinéa 2, point c) du code de la sécurité sociale en ce qu’il interdit au partenaire, dans l’hypothèse où le bénéficiaire d’une pension de vieillesse ou d’invalidité est son aîné de plus de quinze années, de percevoir une pension de survie au décès de ce dernier, alors que pareille restriction est exclue dans l’hypothèse où le bénéficiaire de pension est son aîné de moins de quinze années, est-il conforme à l’article 10bis alinéa 1er de la Constitution? » ;

Considérant que le Code de la sécurité sociale dispose en son article 196, alinéa 1, que « La pension de survie du conjoint ou du partenaire au sens de l’article 2 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, n’est pas due : - lorsque le mariage ou le partenariat a été conclu moins d’une année soit avant le décès, soit avant la mise à la retraite pour cause d’invalidité ou pour cause de vieillesse de l’assuré ; - lorsque le mariage ou le partenariat a été contracté avec un titulaire de pension de vieillesse ou d’invalidité.» ;

Que l’alinéa 2 du même article 196 dispose ensuite, sous les points c) et d), que « Toutefois, l’alinéa 1 n’est pas applicable, si au moins une des conditions ci-après est remplie : (….) c) lorsque le bénéficiaire de pension décédé n’a pas été l’aîné de son conjoint ou de son partenaire de plus de 15 années et que le mariage ou le partenariat a duré, au moment du décès, depuis au moins une année ; d) lorsque le mariage ou le partenariat a duré au moment du décès du bénéficiaire de pension depuis au moins dix années .» ;

Considérant que la question préjudicielle, bien que focalisée sur la différence d’âge entre partenaires, opérée par l’article 196, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale pour l’obtention d’une pension de survie par le partenaire survivant en cas de décès du partenaire titulaire d’une pension d’invalidité ou de vieillesse au moment de la conclusion du partenariat, doit être considérée comme soumettant à l’examen de la Cour constitutionnelle également la condition de la durée du partenariat posée par le même article 196, alinéa 2, dans la mesure où la condition de la différence d’âge entre partenaires est combinée, par ladite disposition légale, avec une condition de durée du partenariat, les deux conditions étant cumulatives ;

Considérant que l’article 196, alinéa 1, du Code de la sécurité sociale, exclut en principe du bénéfice de la pension de survie, le conjoint ou le partenaire survivant, du moment qu’au moment de la conclusion du mariage ou du partenariat, le conjoint ou le partenaire prédécédé était titulaire d’une pension de vieillesse ou d’invalidité ;

Que par exception, l’article 196, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale, admet, sous certaines conditions, le conjoint ou le partenaire survivant au bénéfice de la pension de survie ;

 

Que dans le cas de X cette condition est, au regard des dispositions combinées des points c) et d) de l’alinéa 2 de l’article 196 du Code de la sécurité sociale, une durée du partenariat enregistré de 10 ans, compte tenu de la différence d’âge de plus de 15 ans ayant existé entre le partenaire prédécédé et le partenaire survivant ;

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dispose que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. » ;

Considérant que le législateur, en reconnaissant, par exception à l’exclusion prévue par l’article 196, alinéa 1, du Code de la sécurité sociale, un droit à la pension de survie à certains conjoints survivants ou partenaires survivants, est tenu de mettre en œuvre cette exception dans le respect de la règle constitutionnelle d’égalité ;

Considérant que la règle constitutionnelle d’égalité s’oppose à ce que des catégories de personnes, se trouvant dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée, soient traitées de manière différente, à moins que la différence de traitement instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ;

Considérant que les risques liés à la vieillesse ou l’invalidité sont couverts, dans le système de protection sociale luxembourgeois, par un régime contributif à caractère professionnel, financé par les cotisations, notamment des assurés, même si les pouvoirs publics contribuent aux charges du régime de pension par le biais des recettes fiscales générales ;

Que le système de protection sociale luxembourgeois prend également en charge le risque lié à la disparition du conjoint ou du partenaire, titulaire d’une pension personnelle d’invalidité ou de vieillesse, par l’allocation au conjoint ou au partenaire survivant d’une pension de survie, sous réserve des exclusions prévues par la loi ;

Que le conjoint ou le partenaire survivant qui est en droit d’obtenir une pension de survie est titulaire d’un droit dérivé, en ce sens qu’il peut bénéficier de prestations de réversion sans avoir payé des cotisations;

Considérant qu’au regard des bases du régime de pension et de la nature du droit des titulaires d’une pension de survie, le législateur a exclu du bénéfice de la pension de survie les conjoints ou partenaires survivants qui se sont mariés ou ont contracté un partenariat avec un assuré qui était titulaire d’une pension d’invalidité ou de vieillesse au moment du mariage ou de la conclusion du partenariat ;

Considérant que par exception à la règle d’exclusion, précitée, l’article 196, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale, permet à certains conjoints ou partenaires survivants d’être admis au bénéfice de la pension de survie ;

Que la différence d’âge entre conjoints ou partenaires prévue par la loi est en elle-même un critère objectif ;

Qu’a priori ce critère permet d’éviter que l’exclusion des conjoints ou des partenaires survivants du bénéfice de la pension de survie prévue par l’article 196, alinéa 1, du Code de la sécurité sociale soit vidée de toute substance ;

Considérant qu’avec la fixation d’un seuil de différence d’âge entre le conjoint ou le partenaire prédécédé et le conjoint ou le partenaire survivant, le législateur a entendu restreindre les situations dans lesquelles, au droit à la pension de l’assuré, qui découle de ses cotisations personnelles, viennent s’ajouter des prestations de réversion dans le chef du conjoint ou du partenaire survivant sans que ces prestations n’aient fait l’objet ni directement ni indirectement de cotisations ;

Que le risque de perturbation des bases du régime de pension est d’autant plus accentué que la différence d’âge, au moment de la conclusion du mariage ou du partenariat, entre les conjoints ou les partenaires est plus grande ;

Que la fixation d’un seuil de différence d’âge à plus ou à moins de 15 ans n’apparaît ainsi pas comme manifestement déraisonnable ou comme inadéquate ;

Considérant qu’au regard des développements qui précèdent, et compte tenu du fait qu’il appartient au seul législateur de fixer les exceptions à la règle d’exclusion du bénéfice de la pension de survie instituée par l’article 196, alinéa 1, du Code de la sécurité sociale, la fixation d’un seuil de différence d’âge entre conjoints ou partenaires, combinée avec une condition de durée du mariage ou du partenariat, se trouve également dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but poursuivi ;

Que le fait que la condition de durée du mariage ou du partenariat varie suivant que la différence d’âge entre conjoints ou partenaires est de plus ou de moins de 15 ans, n’affecte pas cette proportionnalité, le législateur disposant à cet égard d’une marge d’appréciation relative à la durée du mariage ou du partenariat pouvant être considérée comme suffisante pour compenser la différence d’âge entre conjoints ou partenaires ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 196, alinéa 2, point c), du Code de la sécurité sociale n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution.

                                              Par ces motifs,

dit que l’article 196, alinéa 2, point c), du Code de la sécurité sociale n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution,

dit que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A,

dit qu’il sera fait abstraction du nom des personnes physiques dans l’affaire au fond lors de la publication de l’arrêt au Journal officiel,

dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au Conseil supérieur de la sécurité sociale dont émane la saisine et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique extraordinaire par le président Jean-Claude WIWINIUS en présence du greffier Lily WAMPACH.

 

           Le greffier,                                              Le président,

   s. Lily WAMPACH                                 s. Jean-Claude WIWINIUS

 

 

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