Arrêt de la Cour d'appel dans le cadre de l'affaire dite "LuxLeaks"

Arrêt N° 117/17 X.

du 15 mars 2017

(Not. 14950/12/CD)

 

 

 

La Cour d'appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, a rendu en son audience publique du quinze mars deux mille dix-sept l’arrêt qui suit dans la cause

 

 

e n t r e :

 

 

le Ministère Public, exerçant l'action publique pour la répression des crimes et délits,

 

appelant

 

 

e t :

 

 

1)    A, né le () à (), demeurant à (),

 

2)    B, né le () à (), demeurant à (),

 

prévenus, défendeurs au civil, appelants

 

3)    C, né le () à (), demeurant à (),

 

prévenu

 

 

e n   p r é s e n c e   d e :

 

 

la société coopérative D, établie et ayant son siège social à (), inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro (),

 

demanderesse au civil

 

_____________________________________________________________________

 

F A I T S :

 

Les faits et rétroactes de l'affaire résultent à suffisance de droit d'un jugement rendu contradictoirement par le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, chambre correctionnelle, le 29 juin 2016, sous le numéro 1981/2016, dont le dispositif est conçu comme suit:

 

 

 

 

 

 

« 

P A R   C E S   M O T I F S

 

le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, douzième chambre, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, A, B et C ainsi que leurs mandataires entendus en leurs explications et moyens de défense, tant au pénal qu’au civil, les mandataires de la demanderesse au civil entendus en leurs conclusions et le représentant du Ministère Public entendu en son réquisitoire,

 

au pénal

 

quant à C

 

a c q u i t t e   C des infractions non établies à sa charge ;

 

r e n v o i e   C des fins de sa poursuite pénale sans peine ni dépens ;

 

l a i s s e   les frais de la poursuite pénale d’C à charge de l’Etat ;

 

quant à B

 

c o n d a m n e   B du chef des infractions retenues à sa charge à une peine d’emprisonnement de neuf (9) mois, à une amende de mille (1.000) euros ainsi qu'aux frais de sa poursuite pénale, ces frais liquidés à 100,34 euros ;

 

f i x e   la durée de la contrainte par corps en cas de non-paiement de l'amende à vingt (20) jours ;

 

d i t   qu'il sera sursis à l'exécution de l’intégralité de cette peine d’emprisonnement ;

 

a v e r t i t   B qu’au cas où, dans un délai de cinq ans à dater du présent jugement, il aura commis une nouvelle infraction ayant entraîné une condamnation à une peine privative de liberté ou à une peine plus grave pour crimes ou délits de droit commun, la peine de prison prononcée ci-devant sera exécutée sans confusion possible avec la nouvelle peine et que les peines de la récidive seront encourues dans les termes de l’article 56 al. 2 du code pénal ;

 

quant à A

 

c o n d a m n e   A du chef des infractions retenues à sa charge à une peine d’emprisonnement de douze (12) mois, à une amende de mille cinq cents (1.500) euros ainsi qu'aux frais de sa poursuite pénale, ces frais liquidés à 100,34 euros ;

 

f i x e   la durée de la contrainte par corps en cas de non-paiement de l'amende à trente (30) jours ;

 

d i t   qu'il sera sursis à l'exécution de l’intégralité de cette peine d’emprisonnement ;

 

a v e r t i t   A qu’au cas où, dans un délai de cinq ans à dater du présent jugement, il aura commis une nouvelle infraction ayant entraîné une condamnation à une peine privative de liberté ou à une peine plus grave pour crimes ou délits de droit commun, la peine de prison prononcée ci-devant sera exécutée sans confusion possible avec la nouvelle peine et que les peines de la récidive seront encourues dans les termes de l’article 56 al. 2 du code pénal ;

 

au civil

 

partie civile de la société coopérative D contre A et B

 

d o n n e   acte à la société coopérative D de sa constitution de partie civile ;

 

s e   d é c l a r e   compétent pour connaître de la demande civile ;

 

d é c l a r e   la demande recevable en la forme ;

 

d é c l a r e   la demande fondée du chef de préjudice moral pour le montant réclamé de l’euro symbolique ;

 

c o n d a m n e   A et B solidairement à payer à la société coopérative D le montant de un (1) euro ;

 

c o n d a m n e   A et B solidairement aux frais de cette demande civile.

 

Par application des articles 14, 15, 16, 27, 28, 29, 30, 44, 60, 65, 66, 309, 458, 461, 463, 464, 506-1 et 509-1 du code pénal et des articles 1, 3, 155, 179, 182, 183-1, 184, 185, 189, 190, 190-1, 191, 194, 195, 196, 626, 627, 628 et 628-1 du code d’instruction criminelle, dont mention a été faite.

 

Ainsi fait et jugé par Marc THILL, vice-président, Gilles MATHAY, premier juge, et Paul LAMBERT, juge, et prononcé par le vice-président en audience publique au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, en présence de David LENTZ, Procureur d’Etat adjoint, et de Pierre SCHMIT, greffier, qui, à l'exception du représentant du Ministère Public, ont signé le présent jugement. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De ce jugement, appel fut relevé au greffe du tribunal d’arrondissement de Luxembourg le 29 juin 2016 au pénal et au civil par la mandataire du prévenu et défendeur au civil B, le 28 juillet 2016 au pénal et au civil par le mandataire du prévenu et défendeur au civil A et le 29 juillet 2016 par le représentant du ministère public.

 

En vertu de ces appels et par citation du 16 septembre 2016, les parties furent régulièrement requises de comparaître aux audiences publiques des 12, 19 et 21 décembre 2016 devant la Cour d'appel de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, pour y entendre statuer sur le mérite des appels interjetés.

 

A l’audience publique du 12 décembre 2016, Maître Bernard COLIN, avocat au barreau de Metz (France), mandataire du prévenu et défendeur au civil B, fut entendu en ses moyens.

 

Il sollicita, par conclusions écrites, la désignation d’un médecin-expert avec mission de se rendre au domicile de E, témoin défaillant ayant communiqué un certificat médical justifiant son absence, et de dresser rapport sur la capacité de ce dernier à se présenter devant la Cour d’appel sous huitaine.

 

Maître Olivier CHAPPUIS, avocat au barreau de Paris (France), mandataire du prévenu C, fut entendu en ses moyens.

 

Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, mandataire du prévenu et défendeur au civil A, fut entendu en ses moyens.

 

Maître Christel HENON, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, mandataire du prévenu C, fut entendu en ses moyens.

 

Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, mandataire de la société D, fut entendu en ses moyens.

 

Monsieur le premier avocat général John PETRY, assumant les fonctions de ministère public, fut entendu en ses déclarations.

 

Le Président décida de joindre l’incident au fond.

 

Les prévenus et défendeurs au civil A et B furent entendus en leurs explications et moyens de défense.

 

Maître William BOURDON, avocat au barreau de Metz (France), mandataire du prévenu et défendeur au civil A, fut entendu en ses moyens.

 

L’affaire fut remise contradictoirement à l’audience publique du 19 décembre 2016 pour continuation des débats.

 

A l’audience publique du 19 décembre 2016, Monsieur le premier avocat général John PETRY, assumant les fonctions de ministère public, fut entendu en son réquisitoire concernant le prévenu C.

 

Le prévenu C fut entendu en ses explications et moyens de défense.

 

Monsieur le premier avocat général John PETRY, assumant les fonctions de ministère public, fut entendu en son réquisitoire.

 

L’affaire fut remise contradictoirement à l’audience publique du 21 décembre 2016 pour continuation des débats.

 

A l’audience publique du 21 décembre 2016, Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, conclut au nom de la demanderesse au civil, la société D.

 

Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, développa plus amplement les moyens de défense et d’appel du prévenu et défendeur au civil A.

 

Maître William BOURDON, avocat au barreau de Metz (France), développa plus amplement les moyens de défense et d’appel du prévenu et défendeur au civil A.

 

L’affaire fut remise contradictoirement à l’audience publique du 4 janvier 2017 pour continuation des débats.

 

A l’audience publique du 4 janvier 2017, Maître Bernard COLIN, avocat au barreau de Metz (France), développa plus amplement les moyens de défense et d’appel du prévenu et défendeur au civil B.

 

Maître May NALEPA, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, développa plus amplement les moyens de défense et d’appel du prévenu et défendeur au civil B.

 

Maître Christel HENON, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, développa plus amplement les moyens de défense et d’appel du prévenu C.

 

Maître Olivier CHAPPUIS, avocat au barreau de Paris (France), développa plus amplement les moyens de défense et d’appel du prévenu C.

 

L’affaire fut remise contradictoirement à l’audience publique du 9 janvier 2017 pour continuation des débats.

 

A l’audience publique du 9 janvier 2017, Monsieur le premier avocat général John PETRY, assumant les fonctions de ministère public, fut réentendu en son réquisitoire.

 

Maître Hervé HANSEN, Maître Philippe PENNING, Maître William BOURDON, Maître Bernard COLIN, Maître May NALEPA, Maître Christel HENON et Maître Olivier CHAPPUIS répliquèrent aux conclusions du ministère public.

 

Les prévenus et défendeurs au civil A et B et le prévenu C eurent la parole en derniers.

 

 

 

L A     C O U R

 

 

 

prit l'affaire en délibéré et rendit à l'audience publique du 15 mars 2017, à laquelle le prononcé avait été fixé, l'arrêt qui suit:

 

Par déclaration du 29 juin 2016, au greffe du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, la mandataire de B a interjeté appel au pénal et au civil du jugement n°1981/2016 rendu contradictoirement le 29 juin 2016, par une chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, jugement dont la motivation et le dispositif sont reproduits aux qualités du présent arrêt.

 

Par déclaration du 28 juillet 2016, au greffe du même tribunal d’arrondissement, le mandataire d’A a fait relever appel au pénal et au civil du prédit jugement, rendu contradictoirement à son encontre.

 

Par déclaration du 28 juillet 2016, entrée au greffe du tribunal d’arrondissement le 29 juillet 2016, le procureur d’Etat a interjeté appel général contre ce jugement, dirigé contre A, B et C.

 

Ces appels introduits dans les forme et délai de la loi et conformément à l’article 203 du Code d’instruction criminelle, sont recevables.

 

Par ledit jugement A a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois, assortie du sursis, et à une amende de 1.500.- euros, pour avoir :

 

-       entre le 13 et le 14 octobre 2010 soustrait frauduleusement, en sa qualité de salarié au préjudice de son employeur, la société D, plus de 45.000 pages de documents de formations internes et des documents concernant des « Advanced Tax Agreements » (des ATAs) de 400 clients, approuvés par l’Administration des contributions directes du Luxembourg, partant des documents confidentiels,

-       le 13 octobre 2010, frauduleusement accédé au système de traitement automatisé de données de la société D, pour copier lesdits ATAs ,

-       en sa qualité d’ancien salarié de la société D, dans l’intention de nuire à son ancien employeur, divulgué, dans les deux années qui suivent l’expiration de son engagement, les secrets d’affaires de son employeur, à savoir les demandes d’ATAs de 400 clients, préparées par la société D et avisées favorablement par l’Administration des contributions directes du Luxembourg,

-       en sa qualité de personne dépositaire par profession, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, à savoir les demandes d’ATAs avisées favorablement par l’Administration des contributions directes et

-       commis le délit de blanchiment-détention en détenant et en utilisant en connaissant leur origine frauduleuse, les documents confidentiels à savoir les ATAs de 400 clients de la société D, préalablement soustraits.

 

B a été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois, assortie du sursis, et à une amende de 1.000.- euros pour avoir :

 

-       entre octobre et décembre 2012, en sa qualité de salarié de la société D, soustrait au préjudice de son employeur, 16 déclarations fiscales (« Tax returns ») de clients de la société D,

-       le 31 octobre 2012, le 16 novembre 2012 et le 7 décembre 2012, frauduleusement accédé au système de traitement automatisé de données de la société D, afin de copier lesdites déclarations fiscales,

-       en sa qualité de salarié, dans l’intention de nuire à son employeur, divulgué les secrets d’affaires dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en divulguant lesdites déclarations fiscales de clients de la société D,

-       en sa qualité de personne dépositaire par profession, révélé des secrets lui confiés, à savoir les 16 déclarations fiscales et

-       commis le délit de blanchiment-détention pour avoir détenu et utilisé les 16 déclarations fiscales de clients de la société D, partant des documents confidentiels, préalablement soustraits.

 

Le journaliste C, mis en prévention en relation avec les seuls faits reprochés à B, a été acquitté des préventions mises à sa charge, à savoir, d’avoir

 

comme coauteur ou complice de B :

-       entre octobre 2012 et décembre 2012, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à … (…) et à … (…) participé avec B à la commission de la violation du secret d’affaires et de la violation du secret professionnel commises par B en lui demandant de créer l’adresse électronique «…» et d’en avoir proposé les modalités de l’utilisation (dépôt des documents dans un message et laisser celui-ci en « draft », consultation à des horaires précis) pour récupérer le produit des infractions, et,

-       commis le délit de blanchiment-détention par le fait d’avoir acquis, détenu ou utilisé les biens formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, de l’infraction d’accès et le maintien frauduleux dans un système informatique commis par B, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient des infractions reprochées à B.

 

 

I. Les faits acquis en cause

 

En date du 4 avril 2012, F, responsable du département TAX de la société coopérative D (ci-après D) a été interviewé par G, journaliste de France 2, dans le cadre de la préparation de l’émission Cash Investigation, projetée pour le mois suivant, sur la fiscalité internationale des sociétés multinationales et les services prestés par D. A un moment donné, la journaliste exhiba, à la stupéfaction de son interlocuteur, une demande de rescrit fiscal (« Advanced Tax Agreement » ou « ATA ») sur entête de D, présentée à l’Administration des contributions directes - Sociétés VI, document strictement confidentiel, de même que la lettre d’accord de cette administration, signée par le préposé du bureau, E.

 

Fin avril 2012, une dizaine de clients de D ont ensuite été contactés par lettre par la chaîne de télévision britannique BBC, afin de répondre à des questions concernant leurs structures fiscales impliquant des sociétés luxembourgeoises et mises en place avec l’aide de D.

 

Au cours de l’émission Cash Investigation du 11 mai 2012 diffusée sur la chaîne France 2 et portant sur le thème « Paradis fiscaux : Les petits secrets des grandes entreprises », les journalistes font référence à 47.000 pages de documents de travail de D, obtenues par une source anonyme et montrent diverses images apparaissant comme des ATAs ou des lettres de confirmation signées par E. Ces demandes confidentielles de « rescrits fiscaux » sur entête de D, approuvées par l’Administration des contributions, ont été exhibées et commentées par les intervenants. Les structures sociétaires mises en place par les sociétés multinationales aux fins d’optimisation fiscale et approuvées par l’Administration des contributions directes luxembourgeoise ont été invoquées. Au total 24 clients différents de D ont été cités ou pu être identifiés.

 

En date du 14 mai 2012, l’émission Panorama portant sur le sujet « All the truth about TAX » a été diffusée sur la chaîne télévisée britannique BBC. Les spectateurs ont vu un journaliste consulter et commenter des dossiers composés de documents confidentiels de D.

 

Le 18 mai 2012, le magazine anglais Private Eye a publié un article intitulé « Tax avoidance - Grand Duchy Originals ». Dans celui-ci, six clients sont mentionnés et il apparaît clairement que le journaliste H a obtenu des ATAs de ces sociétés. Il avait d’ailleurs collaboré à l’émission Cash Investigation du 11 mai 2012 et à celle préparée par la BBC.

 

L’enquête interne de D a établi que les documents en possession des journalistes ne provenaient ni des clients ni d’un tiers, mais d’une fuite interne.

 

L’enquête a fait découvrir que les accès au répertoire dans lequel se trouvaient les documents « Advance Tax Agreement » étaient limités à un nombre restreint de personnes (essentiellement les archivistes ainsi que les administrateurs système IT). Cependant, une spécificité de Microsoft Windows méconnue des archivistes, a permis aux auditeurs d’avoir accès à un certain nombre de documents sauvegardés dans ce répertoire. En effet, les archivistes utilisaient le scanner programmé pour copier les états financiers audités des clients et de les sauvegarder dans un répertoire appelé « office copy » auquel ils avaient accès. Cependant, dès que les ATAs étaient scannés, ils étaient, vu leur caractère confidentiel, déplacés dans un répertoire spécifique « ATA » sécurisé. Or, lorsque l’on déplace des documents en faisant un « copier-coller », Windows conserve les droits d’accès provenant du répertoire de départ pour les documents déplacés. C’est ainsi que des ATAs ont pu être accessibles à un grand nombre d’auditeurs, nonobstant le fait qu’ils se trouvaient dans un répertoire sécurisé.

 

Le 5 juin 2012, D a déposé une plainte contre « Inconnu » au Parquet de Luxembourg du chef de vol, violation du secret professionnel et blanchiment-détention.

 

Le 10 juin 2013, la chaîne de télévision France 2, a présenté une nouvelle émission  Cash Investigation qui comportait un reportage dont le sujet était « Le scandale de l’évasion fiscale : Révélations sur les milliards qui nous manquent ». Dans celle-ci, différents documents fiscaux préparés par D ont été montrés. Parmi ceux-ci figure un ATA dont il était connu que le journaliste C était en possession pour avoir été soustrait, suivant enquête interne par A, mais également 4 déclarations fiscales, documents nouveaux émis postérieurement à la date de départ d’A.

 

Les 5 et 6 novembre 2014, l’International Consortium of Investigative Journalists (ci-après ICIJ) en collaboration avec une quarantaine de médias partenaires, a mis en ligne sur son site Internet, 28.000 pages d’accords fiscaux établis entre le cabinet d’audit D et l’Administration des contributions directes luxembourgeoise, correspondant à 554 dossiers, dont 538 rescrits fiscaux de sociétés multinationales, précédemment soustraits à D par A, ainsi que 14 déclarations fiscales, une lettre d’accompagnement et une lettre de notification adressée à l’Administration des contributions directes, pour lesquels D avait découvert, par une enquête interne, qu’elles avaient été soustraites par B.

 

L’investigation et l’analyse des documents par l’ICIJ a mis en lumière la pratique des rescrits fiscaux pour la période de 2002 à 2010, c'est-à-dire des accords fiscaux très avantageux passés entre le cabinet d’audit D pour compte de sociétés multinationales et l’Administration des contributions directes luxembourgeoise en mettant en œuvre des mécanismes et constructions permettant le transfert intergroupe de revenus, aboutissant à un taux d’imposition effectif bien en dessous du taux d’imposition légal.

 

Ces dernières révélations ont finalement - deux années après la fuite reprochée à A et B - déclenché l’affaire dite Luxleaks.

 

Le 9 décembre 2014 une nouvelle vague de documents fiscaux et notamment les déclarations fiscales de multinationales de renommée, est publiée par l’ICIJ venant compléter la première divulgation et mettant à nouveau en lumière les pratiques fiscales d’une trentaine de sociétés multinationales, révélations désignées par « LuxLeaks 2 ».

 

La société D a déposé un complément de plainte en date du 23 décembre 2014 en raison du vol de 16 documents prémentionnés, dont 14 déclarations fiscales, commis postérieurement au départ d’A et dont une enquête interne supplémentaire a permis d’identifier B comme étant l’auteur. Ce dernier a été licencié avec préavis en raison de ces faits par lettre du 29 décembre 2014.

 

D est une société prestant des services d’audit, de conseil fiscal et de conseil en gestion d’entreprise et possède le statut de cabinet de révision agréé au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2009 en vigueur au moment des faits et d’expert-comptable au sens de la loi modifiée du 10 juin 1999 portant organisation de la profession d’expert-comptable.

 

En tant que cabinet de révision agréé et d’expert-comptable, D est soumis au secret professionnel sanctionné par l’article 458 du Code pénal auquel renvoient l’article 22 de la loi du 18 décembre 2009 sur la profession de l’audit en vigueur au moment des faits et l’article 6 de la loi du 10 juin 1999 sur l’organisation de la profession d’expert-comptable.

 

A, auditeur au sein de D, a été identifié comme étant la personne ayant copié en date du 13 octobre 2012, des documents de formation ainsi que les 554 dossiers, dont 538 dossiers d’accords fiscaux -les ATAs- dont certains avaient été exhibés aux cours des émissions télévisées.

 

Il a été inculpé et auditionné par le juge d’instruction en date du 12 décembre 2014.

 

Tout comme en première instance, A est en aveu quant à la matérialité des faits, à savoir d’avoir copié, à partir du serveur de son employeur, plus de 45.000 pages de documents confidentiels sur son ordinateur portable professionnel pour les recopier ensuite sur le disque dur de son ordinateur personnel. Il admet de même, indigné de ces pratiques qui permettent aux entreprises multinationales de réduire amplement l’assiette fiscale imposable et donc de contourner une imposition juste et équitable, avoir transmis une copie de l’ensemble de cette documentation au journaliste C aux fins de publication « pour que les choses changent ».

 

B maintient qu’il a copié les déclarations fiscales de 14 entreprises multinationales connues du grand public, afin de les communiquer au journaliste C et ainsi le soutenir dans ses investigations et ses révélations par les médias. B a été inculpé et interrogé par le juge d’instruction le 23 janvier 2015.

 

Aux audiences du tribunal correctionnel et de la Cour, C, journaliste d’investigation, a reconnu avoir lui-même contacté A suite à la publication par ce dernier, d’un commentaire sur le site du journal La Libération sur l’optimisation fiscale, alors qu’il était en train de préparer un documentaire sur l’évasion fiscale. Il reconnaît avoir reçu une copie de l’intégralité des documents par ce dernier et de les avoir analysés, utilisés et exhibés en partie au cours de la première émission Cash Investigation. Il admet avoir été contacté par B qui lui proposait la remise de documents pour le soutenir dans son travail et confirme lui avoir conseillé de créer une boîte électronique, spécialement pour échanger les données. B lui aurait ainsi remis quatorze déclarations fiscales d’entreprises multinationales de réputation, dont il aurait utilisé quelques-unes dans le cadre de la deuxième émission. C a, à son tour, été inculpé et interrogé par le juge d’instruction le 23 avril 2015.

 

Les trois prévenus contestent résolument avoir continué les documents au Consortium International of Investigative Journalisme.

 

 

II. La demande d’audition comme témoin de E, absent pour cause de maladie

 

Le mandataire de B a informé la Cour qu’il avait fait citer par exploit d’huissier de justice du 1er décembre 2016, E en sa qualité de responsable du bureau d’imposition « Sociétés VI » en charge d’aviser et d’avaliser les demandes d’ATAs introduites par D, à titre de témoin, afin de le faire interroger sur le fonctionnement et la pratique administrative des ATAs.

 

Il considère que le certificat médical du 2 décembre 2016, attestant à E pour la période couvrant, à nouveau et comme en première instance, l’ensemble des audiences, une maladie avec interdiction de sortie, constitue un certificat de complaisance et sollicite la nomination d’un médecin de contrôle.

 

Il expose à l’appui de sa demande que l’audition de ce témoin qui s’était déjà dérobé à son audition en première instance, serait importante afin d’être en mesure d’élucider les conditions matérielles et opérationnelles des traitements des rescrits fiscaux, afin de permettre à la défense d’établir l’illégalité des mécanismes fiscaux mis en œuvre dans le cadre des rescrits fiscaux accordés par le Luxembourg, afin d’établir que E a créé la norme contenue dans les rescrits fiscaux négociés avec les quatre plus importants cabinets de réviseurs d’entreprise, appelés les Big4, ainsi que d’établir l’illégalité des pratiques dénoncées et donc, la légitimité de la communication par B, des documents au journaliste et ainsi se voir reconnaître le statut de lanceur d’alerte.

 

Il fonde sa demande sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et estime que l’audition de ce témoin est nécessaire et utile et se justifie pleinement au regard du principe fondamental des droits de la défense.

 

Le mandataire relève que la jurisprudence citée par le ministère public pour s’opposer à cette audition, viserait les demandes de ré-audition de témoins d’ores et déjà entendus en première instance ou bien l’hypothèse où un témoin n’aurait pas été cité en première instance puisque son témoignage n’était pas jugé essentiel à ce moment, mais qui s’avère nécessaire en instance d’appel.

 

Toute jonction de la décision statuant sur la demande d’audition du témoin, avec la procédure au fond conduirait nécessairement à une atteinte grave aux droits de la défense.

 

Les mandataires d’C, qui avaient également fait citer par voie d’huissier de justice, E, se rallient et soutiennent cette demande, tandis que les mandataires d’A se rapportent à la sagesse de la Cour.

 

Le ministère public, en se basant sur l’article 210 du Code d’instruction criminelle, rappelle que l’instruction d’une affaire ne sera pas reprise à l’audience de la Cour d’appel et considère que de toute façon l’audition est sans pertinence étant donné que B n’est pas mis en prévention en relation avec la divulgation des ATAs et spécialement que la question de la légalité ou de l’illégalité des ATAs n’est pas en cause.

 

La Cour a joint l’incident au fond.

 

La Cour considère que B, qui n’a été mis en cause qu’en relation avec la divulgation des déclarations fiscales de quatorze entreprises multinationales et non pas avec la révélation des ATAs, a néanmoins un intérêt personnel à présenter la demande d’audition de E, alors que sa dénonciation publique, par la communication des déclarations fiscales, s’inscrit dans le cadre de la pratique fiscale des rescrits fiscaux favorables aux multinationales, initialement dénoncée par A.

 

Quant au bien-fondé de la demande, il convient de relever que la licéité ou l’illégalité de l’acte ou de la conduite divulguée n’est, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pas un critère d’application du statut du lanceur d’alerte, l’information divulguée pouvant même porter sur un dysfonctionnement ou des pratiques discutables de sorte que l’audition de E n’est pas utile et nécessaire sous cet angle.

 

Même dans l’appréciation du critère de l’intérêt public des informations divulguées et de la proportionnalité, c'est-à-dire des intérêts respectifs mis en balance, la Cour européenne des droits de l’homme ne se réfère pas à la légalité ou l’illégalité de l’acte dénoncée, mais prend en compte le dommage causé.

 

Par ailleurs les faits dont la défense de B veut établir l’existence, à savoir la pratique des rescrits fiscaux, les conditions matérielles et opérationnelles de leur traitement au sein du bureau VI de l’Administration des contributions directes, les conditions dans lesquelles étaient traités les rescrits fiscaux, la circonstance que E prenait seul les décisions de les accorder ou de les refuser, fixant ainsi la norme juridique, l’absence d’une législation détaillée régissant cette pratique, la préparation des ATAs à l’initiative de D et le maintien de cette pratique jusqu’en 2014, ne sont remis en cause par aucune partie.

 

E, entendu comme témoin, ne pourra se prononcer que sur des faits matériels par lui constatés et non pas sur la légalité de la pratique des rescrits fiscaux, tout comme la Cour, en tant que juridiction de l’ordre judiciaire, ne se prononcera pas sur la légalité d’une décision administrative individuelle qu’est le rescrit fiscal, ni sur la légalité d’une pratique administrative.

 

Il s’ensuit que l’audition de E n’est ni nécessaire ni utile, les éléments dont la défense de B entend faire déposer E en tant que témoin, sont soit documentés par les pièces, les décisions et la documentation versées au dossier, soit acquis en cause et non contestés.

 

Il n’y a dès lors pas lieu de nommer un médecin-expert avec la mission de vérifier l’état de santé de E et de se prononcer sur son aptitude médicale à se présenter devant la Cour, respectivement d’ordonner que la Cour et la défense se rendent à son domicile pour procéder à un interrogatoire contradictoire.

 

 

III. Quant au fond

 

 

1) Le lanceur d’alerte en droit luxembourgeois

 

Les défenseurs d’A et de B invoquent avant toute défense quant au fond, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la Convention européenne des droits de l’homme ou la Convention), tel qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la Cour européenne). Ils demandent à se voir reconnaître en application de cet article, le statut de « lanceur d’alerte » et à voir prononcer leur acquittement sur le fondement de l’article 10 de la Convention.

 

C conclut principalement à son acquittement pur et simple, sinon, à titre subsidiaire, son acquittement sur le fondement de l'article 10 de la Convention.

 

Le représentant du ministère public expose que la jurisprudence de la Cour européenne reconnaît, sous certaines conditions, au lanceur d’alerte une protection contre les poursuites judiciaires et les condamnations pénales. Cette protection constituerait une application du principe que l’ingérence étatique dans la liberté d’expression doit être nécessaire dans une société démocratique et se traduirait en droit luxembourgeois, par la reconnaissance d’une cause de justification neutralisant l’élément légal de l’infraction, emportant l’acquittement du prévenu.

 

Si l’agent ne remplit pas l’ensemble des critères dégagés par la Cour européenne, il ne bénéficiera que d’une protection moindre, se traduisant par la condamnation à une peine moins élevée.

 

La Cour relève que les deux textes luxembourgeois qui reconnaissent le statut du lanceur d’alerte, à savoir l’article L.271-1 du Code du travail et l’article 38-12 de la loi du 5 mai 1993 sur le secteur financier, ne donnent ni une définition du « lanceur d’alerte » ni ne précisent les critères d’application.

 

Limités au droit du travail pour protéger le salarié qui refuse de collaborer à des faits ou qui dénonce des faits, pouvant constituer l’infraction de prise illégale d’intérêt, de corruption ou de trafic d’influence, contre toute mesure de représailles, et au secteur financier où il s’applique au salarié dénonçant des infractions potentielles ou avérées au règlement (UE) n°575/2013, à la loi sur le secteur financier ou aux mesures prises pour son exécution, ces textes ne s’appliquent pas au cas d’espèce.

 

La Constitution luxembourgeoise ne règle pas explicitement la question de la hiérarchie des normes de droit international et de droit national. Cependant toute violation de la Convention européenne et de ses Protocoles additionnels qui, selon la jurisprudence produisent des effet directs dans l’ordre juridique interne, pourra être invoquée devant les tribunaux nationaux : les juridictions de l’ordre judiciaire ainsi que les juridictions de l’ordre administratif, procèdent à un contrôle de « conventionalité » pouvant conduire, en cas de conflit entre la disposition de la Convention et la norme nationale ordinaire, à faire prévaloir la disposition de la Convention, que la norme nationale soit antérieure ou postérieure à la Convention (Marie-Paule Engel, La Cour de cassation dans la tourmente –Allocution prononcée à l’audience solennelle de la Cour supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, P. 34.276).

 

L’autorité interprétative et l’effet d’orientation des arrêts de la Cour européenne, se déduisent des articles 1er et 32 de la Convention et impliquent que les Cours et Tribunaux luxembourgeois prennent en considération ces arrêts, reflétant l’état de développement de la Convention, afin que les droits garantis soient effectifs et concrets.

 

La Convention, telle qu’interprétée par la Cour européenne, incorporée dans le droit luxembourgeois par la loi d’approbation du 29 août 1953, s’appliquera dès lors au cas d’espèce, dont notamment son article 10 reconnaissant et garantissant la liberté d’expression.

 

La Cour européenne rappelle régulièrement que la violation de l’article 10 de la Convention, réside notamment dans la nature dissuasive d’une procédure ou d’une sanction. L’effet dissuasif serait d’autant plus grand si le lanceur d’alerte se voit exposé à une procédure pénale.

 

D’un autre côté, la Convention, en général, ne prescrit pas aux Etats contractants une manière déterminée d’assurer dans leur droit interne l’application effective de toutes les dispositions de cet instrument (CEDH Syndicat suédois des conducteurs de locomotives, §50). Il revient dès lors aux Etats de fixer la manière dont ces dispositions seront mises en œuvre de manière efficace.

 

Les mandataires d’A et de B précisent qu’ils n’entendent pas invoquer l’article 10 de la Convention comme cause de justification, mais au contraire, demandent à la Cour d’appel de vérifier si l’atteinte portée à leur droit de la liberté d’expression, en particulier leur droit de communiquer des informations, est ou non nécessaire dans une société démocratique.

 

Ni la Convention européenne, ni le droit luxembourgeois, ne prévoient spécialement en faveur du lanceur d’alerte, une exemption des poursuites pénales, une cause de non-responsabilité pénale, une cause absolutoire ou une cause de non-imputabilité.

 

Dès lors que l’infraction est établie en fait et en droit suivant le droit pénal luxembourgeois, l’article 10 de la Convention permet de constater en matière pénale que la poursuite n’a pas été nécessaire dans une société démocratique, mais non pas d’acquitter purement et simplement le prévenu d’une infraction légalement établie dans tous ses éléments.

 

A défaut de texte spécial, l’acquittement ne saura être prononcé que si la Cour retient une cause de non imputabilité, une cause de justification, une cause d’irresponsabilité ou une cause absolutoire.

 

Il est admis que les causes de justification sont d’origine légale ou jurisprudentielle (Belgique : J.J Haus, Principes généraux de droit belge, n°603, Kuty, Principes généraux du droit pénal belge, « La justification de la faute constitutive de la responsabilité pénale », n°1237-1241, et jurisprudences citées ; France : R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, T I, n°364-366).

 

Si la justification d’un comportement au regard du droit pénal procède classiquement d’une disposition législative ou règlementaire, la jurisprudence dégage parfois un fait justificatif original, sui generis, afin d’exonérer des actes qui constituent normalement des infractions. Les causes de justification instituées par un texte ne constituent ainsi qu’autant d’applications du principe général de la non-imputabilité. La pratique a extrait du cadre légal, un véritable principe général de la justification pénale.

 

Le fait justificatif est ainsi la solution logique d’un conflit de loi : le législateur ne peut sans contradiction punir ce que d’autres dispositions législatives non abrogées ordonnent ou permettent de faire (Merle et Vitu, précité n° 365).

 

Les Cours et tribunaux peuvent admettre, exceptionnellement, un fait justificatif original, sui generis, afin d’exonérer des actes qui constituent normalement une infraction, dès lors qu’il y a conflit de lois, que la dérogation est motivée par le caractère socialement utile de l’acte critiqué, qu’il y a légitimité intrinsèque du fait ou que l’application stricte de la loi est inadéquate ou inappropriée.

 

L’admission d’une cause justificative sui generis est d’autant plus permise, alors qu’il n’existe, en ce qui concerne les faits justificatifs, pas de texte équivalent à l’article 72 du Code pénal qui interdit au juge pénal de retenir d’autres causes d’excuses absolutoires, que celles, spécialement et limitativement énumérées par la loi.

 

Ainsi la cause de justification de l’état de nécessité a pu être déduite de l’article 71 du Code pénal  (Cass 15 juin 1946, P.14.268 ; Cass. 22 février 1996, P.30.2) et la cause de justification de l’exercice effectif des droits de la défense devant le tribunal du travail, au profit du salarié produisant des documents soustraits au préjudice de son employeur, a été déduite, de façon prétorienne, de l’article 6 de la Convention européenne (Cour d’appel 10 juin 2013, arrêt 395/13 X). La Cour de cassation a implicitement reconnu cette cause de justification en cassant un arrêt de la Cour d’appel sur le grief du défaut de base légale, pour avoir omis de vérifier si les documents soustraits étaient strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense.

 

Il résulte des dispositions de l’article 10 de la Convention européenne que toute personne a droit à la liberté d’expression. L’exercice de ce droit, qui comprend, notamment, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ne peut comporter de conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi que lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

 

Cette liberté essentielle, consacrée par un texte supranational, ne saurait être mise en échec par les règles nationales internes. Ainsi, dans le cadre d’un débat sur une question d’intérêt général portant sur l’évitement fiscal, la défiscalisation et l’évasion fiscale, la liberté d’expression du lanceur d’alerte peut, le cas échéant et sous certaines conditions, prévaloir et être invoquée comme fait justifiant la violation de la loi nationale.

 

Le fait justificatif du lanceur d’alerte neutralisera l’illicéité de la violation de la loi, nécessairement commise en divulguant, de bonne foi, d’une manière mesurée et adéquatement, une information d’intérêt général.

 

C’est l’élément légal de l’infraction qui se trouve neutralisé et emporte l’acquittement du prévenu, de sorte qu’il convient de vérifier en premier lieu si les faits reprochés aux trois prévenus constituent des infractions pénales.

 

 

2. Les différentes préventions

 

a) quant à A

 

Le tribunal correctionnel, après avoir constaté qu’A avait copié les données sur son ordinateur professionnel pour ensuite les recopier sur son ordinateur personnel, tout en sachant qu’il n’en avait pas le droit, l’a retenu dans les liens de la prévention de vol domestique de documents stockés sous forme numérique sur le serveur de D, en se référant à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2014 (n°17/2014), disant pour droit qu’une donnée électronique enregistrée sur un serveur constitue un bien incorporel qui peut faire l’objet d’une appréhension par voie de téléchargement.

 

La défense conteste cette analyse. Une information sous forme d’une donnée électronique représenterait une chose incorporelle et serait de ce fait exclue du champ d’application de l’article 461 du Code pénal définissant le vol comme la soustraction frauduleuse d’une « chose » appartenant à autrui. Elle se voit confortée dans son analyse par l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2014 portant approUion de la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, complétant l’article 461 du Code pénal en ce qu’elle a élargi l’infraction de vol en rajoutant l’expression de « clé électronique », ce qui signifierait que les choses incorporelles étaient auparavant exclues de l’incrimination de « vol ».

 

Le représentant du ministère public considère que l’arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2014 garde toute sa valeur nonobstant la précision relative à la clé électronique introduite par la loi postérieure précitée, étant donné que la clé électronique constitue un simple mot de passe sans consistance, se distinguant d’une information numérique qui, elle, est au contraire comprise dans le terme de « chose » pour avoir une certaine présence matérielle.

 

La façon d’appréhender une chose varie avec la nature de celle-ci.

 

Contrairement au mot de passe composé d’une suite de caractères servant de moyen d’authentification à son utilisateur et n’ayant aucune présence matérielle, l’information numérique ou donnée informatique, n’est pas une information au sens stricte, mais existe sous forme d’une suite de chiffres intelligible, sur un support informatique qui, traduite par un programme informatique, permet la réalisation de certaines tâches.

 

Les données ou programmes informatiques sont en effet susceptibles d’être enregistrés, transmis ou reproduits sous la forme d’impulsions dans des circuits électroniques ou sur des bandes, disques magnétiques ou clés USB et dont la délivrance peut être constatée matériellement.

 

La donnée informatique, qui n’est pas complètement immatérielle, est susceptible d’appréhension par extraction du système de traitement automatisé de données.

 

L’arrêt de la Cour de cassation garde dès lors toute sa valeur. Les données électroniques enregistrées sur le serveur de l’employeur sont juridiquement la propriété exclusive du propriétaire du serveur et constituent des choses qui peuvent faire l’objet d’une appréhension par voie de téléchargement.

 

Est coupable de vol celui qui, s’étant introduit ou maintenu dans un système de traitement automatisé de données, y soustrait des données informatiques en les fixant sur son propre support et qu’il utilise sans le consentement du propriétaire (cf. Cass.crim.fr. 4 mars 2008, nr 07-84.002 ; Crim.fr. 20 mai 2015 n°14-81336).

 

Le fait que le propriétaire n’a pas perdu la possession des données, est indifférent à partir du moment où sa volonté n’a pas été respectée et il suffit à l’intention délictuelle que l’auteur ait su que l’objet volé n’était pas sa propriété. Le dol général est matérialisé par la conscience que le téléchargement de la donnée informatique s’effectue sans droit et le dol spécial par le fait de se comporter comme véritable propriétaire. La raison de la soustraction, variable à l’infini, vil ou noble, est le mobile, indifférent pour caractériser l’infraction, qui a inspiré à l’agent sa conduite.

 

En se maintenant dans le système de traitement automatisé de la société D, en extrayant et en téléchargeant, sans le consentement du propriétaire, les documents de formations internes, ainsi que les ATAs, soit des données numériques stockées sur le serveur de D pour les fixer sur le disque dur de son ordinateur professionnel, A a soustrait une chose appartenant à autrui, sauf à préciser qu’il a soustrait des ATAs, non pas de 400, mais de 538 clients.

 

A a encore été mis en prévention pour avoir téléchargé frauduleusement des documents de formations internes.

 

Le prévenu considère qu’il était en droit de télécharger et de copier ces documents de formation, ce qui aurait constitué une pratique courante au sein de D qui permettrait de « capitaliser des supports auxquels il avait droit pendant qu’il travaillait chez D ».

 

D conteste cette affirmation en s’appuyant sur l’article 10 du contrat de travail d’A, qui stipule que tous les documents y compris les documents électroniques mis à disposition de l’employé ou d’une manière générale, utilisés par celui-ci et plus particulièrement les manuels, restent la propriété exclusive de l’employeur et qu’aucune copie de ces documents ne peut être retenue par l’employé.

 

Si le prévenu allègue une circonstance exclusive de responsabilité, comme en l’occurrence la permission ou la tolérance du propriétaire, il n’est pas exigé qu’il en fournisse la preuve complète, mais il doit invoquer des faits précis de manière à ce que son affirmation ne soit pas dépourvue de tout élément permettant de lui rendre crédit. Il faut que son affirmation soit au moins vraisemblable de manière à permettre au ministère public de prouver son inexactitude. Le ministère public n’a pas à prouver l’inexistence d’une cause de non responsabilité, s’il s’agit d’une simple affirmation.

 

En l’occurrence, les affirmations d’A selon laquelle il aurait existé un usage ou une tolérance, sont restées à l’état de pures allégations.

 

La soustraction de l’ensemble des documents - ATAs et documents de formation - a eu lieu le 13 septembre 2010 entre 18.48 et 19.17 heures, soit l’avant-veille de la fin de son préavis, dans les locaux de D partant dans le lieu où il travaillait habituellement, de sorte que la circonstance aggravante de la domesticité est donnée.

 

La prévention reste dès lors établie en instance d’appel.

 

Le ministère public reproche ensuite à A, d’avoir, en téléchargeant les ATAs approuvés par l’Administration des contributions directes, du système informatisé de traitement de données, frauduleusement accédé, sinon de s’être maintenu frauduleusement dans la partie du système automatisé de D où étaient stockés ces ATAs approuvés.

 

Le tribunal condamna A pour avoir frauduleusement accédé au système de traitement ou de transmission automatisé de données de D.

 

A conclut à son acquittement en réitérant son moyen selon lequel cette disposition suppose le forçage d’un dispositif de sécurité et ne s’applique pas à l’agent, qui, habilité à accéder à une partie autorisée, aura accédé à une autre partie où il s’est maintenu volontairement dans le système.

 

A avait pour les besoins de son travail de comptable, un accès libre sur une partie bien délimitée du réseau de D. Toutefois une particularité du logiciel, lui permit fortuitement, d’avoir librement accès aux ATAs, soumis normalement à un accès restreint.

 

Aux termes de l’article 509-1 du Code pénal « Quiconque, frauduleusement, aura accédé ou se sera maintenu dans tout ou partie d’un système de traitement ou de transmission automatisé de données sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 euros à 25.000 euros ou de l’une de ces deux peines. »

 

Le réseau de D est à considérer comme un système de traitement de données automatisé au sens de l’article 509-1 du code, pour constituer, conformément à la définition donnée par la décision-cadre du 24 février 2005 relative aux attaques visant les systèmes d’information, un ensemble composé de plusieurs unités de traitement, de mémoire, de logiciel, de données, d'organes d'entrées-sorties et de liaisons, qui concourent à un résultat déterminé, cet ensemble étant protégé par des dispositifs de sécurité.

 

Le délit de l’article 509-1 du Code pénal réprime non seulement l’accès frauduleux à un système de traitement, mais également le maintien irrégulier dans ce système. L’un ou l’autre suffit à caractériser l’élément matériel du délit.

 

Le fait d’accéder de manière autorisée à un serveur ou à un réseau n’implique pas que le maintien dans le système soit forcément régulier. Il est admis que le fait pour un employé, autorisé à accéder de manière inconditionnelle au réseau pour exécuter des tâches relevant de son activité, de se maintenir dans le réseau pour exécuter des opérations non autorisées, rend le maintien frauduleux (Thierry Reisch, Internet et les nouvelles technologies de la communication face au droit luxembourgeois, p.389, éd. Promoculture).

 

Il n’est pas nécessaire que l’agent se soit introduit au système par malice ou volonté de briser ou franchir quelque barrage. La loi incrimine le maintien irrégulier de la part de celui qui sera entré par inadvertance, le maintien de la part de celui qui, y ayant régulièrement pénétré, s’y sera maintenu, privé de toute habilitation, de même que le maintien dans le système après avoir profité d’une défaillance technique.

 

Le « maintien » suppose précisément un accès légitime au système de traitement, sinon l’incrimination serait couverte par l’incrimination de l’accès frauduleux.

 

En l’espèce, A, a régulièrement accédé aux fichiers de la formation professionnelle, qu’il a copiés, mais s’est maintenu sans droit, c’est-à-dire frauduleusement selon les termes de la loi, dans le système afin de télécharger un nombre considérable de données confidentielles, les ATAs, auxquels il n’avait aucunement droit. Il a ainsi outrepassé en connaissance de cause, les limites de son autorisation.

 

Le dol consiste dans le maintien volontaire malgré sa prise de conscience qu’il n’était plus autorisé à y demeurer. L’intention de nuire n’est pas indispensable.

 

L’arrêt de la Cour cité par la défense (Cour 10 juillet 2013, nr. 395/13 X), diffère de la présente espèce en ce sens que le prévenu avait fait imprimer des e-mails échangés dans le cadre de son travail et qu’il avait amenés par la suite à son domicile. Il a été décidé que cette manière de procéder n’est pas une infraction à l’article 509-1 du Code pénal puisque la boîte à lettre ne constitue pas un système de traitement automatisé de données. En ce qui concerne les documents téléchargés à partir du système de traitement automatisé de données, le salarié s’est vu reconnaître, après l’arrêt de cassation, la cause justificative que les documents étaient strictement nécessaires à la défense de ses intérêts, ce qui présuppose que les faits constituent une infraction, mais étaient justifiés par l’exercice de son droit de défense.

 

Il est de principe que les juridictions de fond ont le droit et même l’obligation d’examiner les faits dont ils sont saisis sous toutes leurs qualifications possibles et de retenir la véritable qualification que ces faits comportent. Le juge ne peut toutefois changer la qualification que si les faits, sous la qualification nouvelle, restent identiques à ceux qui lui avaient été déférés sous la qualification originaire (abstraction faite de l’hypothèse de la comparution volontaire).

 

Il y a dès lors lieu de préciser dans le libellé de l’infraction retenue qu’il est convaincu de s’être frauduleusement maintenu dans le système de traitement ou de transmission automatisé de données de D.

 

En ce qui concerne la prévention de la violation du secret d’affaires, le tribunal a considéré que les structures mises en place, difficilement accessibles, n’étaient connues que d’un cercle restreint de personnes qui avaient intérêt à les tenir secret et que la divulgation intentionnelle par A, faite dans un but de nuire à son employeur, a causé un préjudice à D.

 

La défense et le représentant du ministère public concluent, par réformation, à l’acquittement d’A du chef de cette prévention étant donné que le prévenu n’a pas agi avec l’intention spéciale de nuire à son ancien employeur ou avec une quelconque animosité.

 

Les juges de première instance ont fourni une définition correcte du secret d'affaires, définition à laquelle la Cour se rallie, à savoir une divulgation dans l’un des buts prévus par la loi, de faits qui ne sont connus que d'un cercle restreint de personnes et que le secret couvre des informations difficilement accessibles à un tiers, qu’il y a lieu de tenir secret.

 

Il est reproché au prévenu d’avoir communiqué les rescrits fiscaux au journaliste C.

 

Il appert du dossier et du plumitif d’audience du tribunal, qu’A n’a nourri aucune animosité ou rancune à l’égard de son ancien employeur, mais a agi par conviction, dans le but de permettre au journaliste C de préparer un documentaire consacré à l’optimisation fiscale internationale afin de dévoiler et de dénoncer la pratique luxembourgeoise systémique des ATAs qui permettent aux sociétés multinationales d’optimiser la charge fiscale. Il entendait provoquer le débat public sur un système qu’il réprouvait.

 

Il résulte encore des dépositions d’C, qu’A ne souhaitait, dans un premier temps, pas que les noms de son ancien employeur et des clients soient divulgués. Ce n’est que sur insistance du journaliste qu’il a cédé.

 

Il est également acquis en cause qu’il n’a tiré aucun profit de cette révélation.

 

La Cour retient dès lors qu’A n’a pas divulgué les rescrits fiscaux avec le dol spécial consistant soit dans un but de concurrence, soit avec l’intention de nuire, soit avec l’intention de se procurer un avantage illicite et est dès lors, par réformation, à acquitter de cette prévention, à savoir :

 

« Comme auteur ayant lui-même exécuté les délits ;

 

Depuis l’été 2010 et entre le 13 et le 14 octobre 2010 dans la société D Sàrl, ci-après « D », à … et, dans la suite, notamment au cours de l’été 2011 à … (…), sans préjudice quant aux indications de temps et de lieux plus exacts,

 

3. d'avoir, en tant qu'actuel ou ancien employé, ouvrier ou apprenti d'une entreprise commerciale, ou industrielle, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à son patron, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l'expiration, les secrets d'affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, ou d'avoir, en tant que personne ayant eu connaissance des secrets d'affaires ou de fabrication appartenant à une personne, soit par l'intermédiaire d'un employé, ouvrier ou apprenti agissant en violation des prescriptions de l'alinéa qui précède, soit par un acte contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, utilisé ou divulgué ces secrets, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite,  ou d'avoir, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé sans en avoir le droit ou communiqué à autrui des modèles, dessins ou patrons qui lui ont été confiés pour l'exécution de commandes commerciales ou industrielles,

 

en l'espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de D, soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à son employeur, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l’expiration, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en l’espèce les ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de D approuvés par l’Administration fiscale ».

 

Le tribunal a condamné A du chef de violation du secret professionnel au sens de l’article 458 du Code pénal pour avoir, en sa qualité d’ancien salarié, en connaissance de cause, révélé des secrets lui confiés en laissant C prendre copie des ATAs qui n’étaient pas destinés à être divulgués.

 

A reconnaît qu’il était soumis au secret professionnel et admet la matérialité des faits. Il se rapporte toutefois à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la caractérisation de cette infraction en faisant valoir que le secret professionnel vise à protéger non pas la société D, mais les clients de celle-ci. Or, aucun client n’avait porté plainte du chef de la violation du secret professionnel. Il met encore en doute le caractère secret des informations : tant la pratique des « rulings », que les structures des sociétés clientes et donc le contenu des ATAs ne constituent de véritables « secrets » puisqu’elles sont susceptibles d’être vérifiées au Registre de commerce et des sociétés.

 

La violation du secret professionnel consiste en la révélation effective à une tierce personne, par n’importe quel procédé, d’un secret confié, que celle-ci ignorait.

 

D possède le statut de cabinet de réviseur agréé au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2009 relative à la profession de l’audit.

 

L’article 22 de la loi du 18 décembre 2009, abrogée par la loi du 23 juillet 2016 relative à la profession de l’audit, mais en vigueur au moment des faits, disposait que :

 

(1) Les réviseurs d’entreprises, réviseurs d’entreprises agréées, cabinets de révision et cabinets de révision agréées ainsi que les personnes qui sont à leur service sont obligés de garder secrets les renseignements confiés à eux dans le cadre de leur activité professionnelle. La révélation de tels renseignements est punie des peines prévues à l’article 458 du Code pénal. L’obligation au secret cesse lorsque la révélation d’un renseignement est autorisée ou imposée par ou en vertu d’une disposition législative, même antérieur à la présente loi ».

 

Le contrat de travail d’A comprenait en outre une clause de confidentialité.

 

Le secret des professions du réviseur d’entreprises est organisé par une loi spéciale qui renvoie à l’article 458 du Code pénal et est dès lors, comme toute disposition impérative de droit pénal, d’ordre public. Il n’est donc pas requis qu’un client dépose plainte et la poursuite pénale n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice.

 

Le secret professionnel du réviseur d’entreprises a une portée plus large que la protection de l’intimité de tel ou tel individu. Il ne s’applique pas seulement aux faits et renseignements dont le réviseur reçoit la confidence, mais aussi aux faits et renseignements dont il prend connaissance, qu’il découvre ou qu’il surprend et couvre les faits de la vie économique, financière et comptable de l’entreprise.

 

En imposant le secret d’une manière générale aux personnes qui sont en leur service et en visant les renseignements confiés, le législateur a étendu l’obligation au secret à tous les employés de l’entreprise, quel que soit leur rang professionnel et leur tâche et ce pour l’ensemble des activités de la société, la loi ne distinguant pas selon le type de la mission confiée au réviseur.

 

A est tenu de taire les données confiées aux autres employés et dont il a pu prendre connaissance, les clients étant en droit d’attendre à ce qu’aucun des employés ne divulgue les éléments confidentiels conservés auprès de D (Cass. belge 2 juin 2010, nr P.10.0247.F).

 

Il importe dès lors peu qu’A ait soustrait frauduleusement des documents élaborés par un autre département, donc des secrets qui ne lui avaient pas été confiés personnellement et ait divulgué des documents qu’il n’avait pas élaborés, le secret présentant un caractère général, nécessaire pour l’exercice de la profession de son employeur.

 

Le caractère secret des ATAs est encore illustré par le fait qu’ils n’étaient accessibles qu’à un nombre très restreint de personnes au sein de D.

 

L’employé reste tenu par son obligation de respecter le secret professionnel lorsqu’il a mis fin définitivement à son activité. A restait dès lors soumis au secret professionnel lorsqu’il communiquait en été 2011 les ATAs à C.

 

Cette communication n’a pas été faite par imprudence, mais intentionnellement et en connaissance de cause.

 

C’est dès lors à juste titre que le tribunal a retenu A dans les liens de cette prévention.

 

Le tribunal a encore condamné A du chef de blanchiment-détention du produit du vol domestique, du produit de la fraude informatique et de la violation du secret d’affaires.

 

Au vu de la décision d’acquittement de la prévention de violation du secret d’affaires, il y a également lieu d’acquitter A du chef de blanchiment du produit de la violation du secret d’affaires.

 

Le blanchiment du produit de la fraude informatique n’ayant été incriminé que par la loi du 18 juillet 2014, publiée au Mémorial du 25 juillet 2014, partant postérieurement aux présents faits, il y a lieu d’acquitter encore A de l’infraction d’avoir :

 

« Comme auteur ayant lui-même exécuté les délits ;

 

Entre le 13 et le 14 octobre 2010 dans la société D Sàrl, ci-après « D », à … et, dans la suite, notamment au cours de l’été 2011 à … (…), sans préjudice quant aux indications de temps et de lieux plus exacts,

 

5) d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect,

– d’une infraction aux articles 112-1, 135-1 à 135-6, 135-9 et 135-11 à 135-13 du Code pénal;

– de crimes ou de délits dans le cadre ou en relation avec une association au sens des articles 322 à 324ter du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 368 à 370, 379, 379bis, 382-1, 382-2, 382-4 et 382-5 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 383, 383bis, 383ter et 384 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 496-1 à 496-4 du Code pénal;

– d’une infraction de corruption;

– d’une infraction à la législation sur les armes et munitions;

d’une infraction aux articles 184, 187, 187-1, 191 et 309 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 489 à 496 du Code pénal;

d’une infraction aux articles 509-1 à 509-7 du Code pénal;

– d’une infraction à l’article 48 de la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique;

– d’une infraction à l’article 11 de la loi du 30 mai 2005 relative aux dispositions spécifiques de protection de la personne à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques;

– d’une infraction à l’article 10 de la loi du 21 mars 1966 concernant a) les fouilles d’intérêt historique, préhistorique, paléontologique ou autrement scientifique; b) la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier;

– d’une infraction à l’article 5 de la loi du 11 janvier 1989 réglant la commercialisation des substances chimiques à activité thérapeutique;

– d’une infraction à l’article 18 de la loi du 25 novembre 1982 réglant le prélèvement de substances d’origine humaine;

– d’une infraction aux articles 82 à 85 de la loi du 18 avril 2001 sur le droit d’auteur;

– d’une infraction à l’article 64 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles;

– d’une infraction à l’article 9 de la loi modifiée du 21 juin 1976 relative à la lutte contre la pollution de l’atmosphère;

– d’une infraction à l’article 25 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés;

– d’une infraction à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de

l’eau;

– d’une infraction à l’article 35 de la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets;

– d’une infraction aux articles 220 et 231 de la loi générale sur les douanes et accises;

– d’une infraction à l’article 32 de la loi du 9 mai 2006 relative aux abus de marché;

– de toute autre infraction punie d’une peine privative de liberté d’un minimum supérieur à 6 mois;

ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où ils les recevaient, qu'ils provenaient de l'une ou de plusieurs des infractions visées ci-avant ou de la participation à l'une ou plusieurs de ces infractions,

 

en l’espèce, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de l’article 506-1, en l’espèce les ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de D approuvés par l’Administration fiscale,

- obtenu par son maintien frauduleux dans le système de traitement automatisé de D, et

- obtenu par la violation du secret d’affaire,

 

sachant, au moment où il les recevait qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions ».

 

L'article 506-1 du Code pénal énumère les faits constitutifs du délit de blanchiment en spécifiant quelles sont les catégories d’infractions primaires qui pourront donner lieu à ce délit.

 

Ainsi, depuis la loi du 11 août 1998 portant introduction de l’incrimination des organisations criminelles et de l’infraction de blanchiment au Code pénal, le blanchiment est également constitué notamment par le fait d’avoir « détenu » l’objet ou le produit d’une infraction primaire de blanchiment, parmi lesquelles figurent, depuis la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, l’infraction de vol. Ce « blanchiment-détention » est prévu par l’article 506-1 sous 3) tel qu’il a été introduit en 1998 au Code pénal. L’article 506-4 du même code ajoute, depuis la loi du 11 août 1998, précitée, que « les infractions visées à l’article 506-1 sont également punissables, lorsque l’auteur est aussi l’auteur ou le complice de l’infraction primaire ».

 

Seules les personnes qui auront sciemment effectué un acte de blanchiment-détention, c’est-à-dire qui ont détenu l’objet ou le produit d’une infraction primaire en connaissance de cause de son origine délictuelle et criminelle au moment où ils l’ont reçu seront punies comme auteur du délit de blanchiment.

 

Pour que l’article 506-1 du Code pénal trouve à s’appliquer il faut que le prévenu ait su, avec certitude, au moment où il recevait les documents, constituant l’objet d’une infraction, qu’il provenait d’une infraction.

 

A est à retenir dans les liens de la prévention de blanchiment-détention du produit du vol domestique commis par lui-même, par le fait d’avoir détenu les documents de formations professionnelles et les ATAs, tout en sachant au moment de leur réception et pendant leur détention, que les documents provenaient d’un vol.

 

 

b) quant à B

 

B exerça au moment des faits les fonctions d’agent administratif ayant principalement consisté à collecter les déclarations fiscales et les ATAs, de les centraliser auprès de son équipe, de les scanner et de les sauvegarder sur un répertoire informatique hautement sécurisé ainsi que, le cas échéant, à envoyer les déclarations fiscales aux clients concernés.

 

De par sa fonction, il faisait partie du nombre restreint de personnes qui avaient accès au répertoire « Tax process », support dans lequel était sauvegardée une partie des déclarations fiscales.

 

Les juges de première instance ont considéré que B, en joignant, sans l’autorisation de son employeur, les déclarations fiscales (Tax returns ) de clients de D, à des courriers électroniques qu’il gardait sous forme de brouillon dans sa boîte aux lettres électronique, spécialement créée à cet effet, et en permettant au journaliste C d’accéder à ladite boîte, en lui fournissant le mot de passe, pour récupérer les documents, tout en sachant que lesdits documents appartenaient à son employeur et que ledit journaliste les utilisera dans le cadre de son investigation, a commis l’infraction de vol domestique.

 

La mandataire conclut à l’acquittement de son mandant en exposant que la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’article 7 de la Convention, qui consacre le principe de la légalité des délits et des peines et qui interdit que le droit pénal soit interprété de façon extensive, ne permet pas d’appliquer de façon rétroactive un revirement jurisprudentiel plus sévère.

 

Etant donné que la jurisprudence suivant laquelle les données et informations seraient susceptibles de soustraction, ne s’est développée que postérieurement aux faits actuellement reprochés à son mandant et que les Cours et tribunaux décidaient à l’époque des faits que l’appréhension de données et d’informations n’était pas constitutive de l’infraction de vol, alors qu’elles ne représentent pas des choses corporelles, la décision récente de la Cour de cassation, citée par le tribunal correctionnel et le ministère public, ne saurait être suivie pour condamner B.

 

Il convient de relever que la Cour européenne considère en premier lieu que l’article 7 de la Convention doit être interprété et appliqué de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et sanctions arbitraires et qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de l’accusé, notamment par analogie (S.W. c/ Royaume-Uni §34-35).

 

Elle constate encore qu’en raison même du principe de généralité des lois, le libellé de celles-ci ne peut présenter de précision absolue et que l’une des techniques types de réglementation consiste précisément à recourir à des catégories générales, plutôt qu’à des listes exhaustives. Elle reconnaît qu’il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire et qu’il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation.

 

Suivant la Cour européenne, l’article 7 de la Convention ne saurait ainsi être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité́ pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, dès lors que le résultat est « cohérent avec la substance de l’infraction » et « raisonnablement prévisible », notamment dans les éléments constitutifs de l’infraction (cf. S.W. c/ Royaume-Uni §36 et Streletz, Kessler et Krenz c/ Allemagne §50). Même une interprétation nouvelle de la portée d’une infraction existante peut être raisonnablement prévisible au regard de l’article 7, pourvu qu’elle soit « raisonnable au regard du droit interne » et « cohérente avec la substance de l’infraction » (pour une interprétation nouvelle de la notion de « fraude fiscale » : Khodorkovskly et Lebedev c/ Russie, §§ 791-821).

 

Dès lors que l’interprétation jurisprudentielle opère une évolution manifeste, cohérente avec la substance même de l’infraction, du droit pénal qui tendait à traiter d’une manière générale pareille conduite comme relevant de l’infraction pénale pour laquelle le prévenu était accusé et que cette évolution était telle, que la décision nationale litigieuse constituait une étape raisonnablement prévisible de la loi, l’article 7 de la Convention ne se trouve pas violé.

(cf. Cour européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, p.13-14, éd 2016).

 

En ce qui concerne le caractère raisonnablement prévisible de l’interprétation judiciaire, la Cour européenne examine si le requérant pouvait raisonnablement prévoir au moment des faits, qu’il risquait d’être accusé et reconnu coupable du crime en question. La Cour vérifie notamment si l’interprétation judiciaire de la loi pénale se bornait à̀ poursuivre une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence des tribunaux ou bien si les juridictions internes ont opéré un véritable revirement jurisprudentiel qui ne pouvait pas être prévu par l’intéressé.

 

En l’occurrence, au moment des faits, tant la jurisprudence française que luxembourgeoise se développaient en retenant la qualification de vol à l’encontre de l’auteur qui s’appropria un document pour le photocopier, pour l’avoir soustrait à son légitime propriétaire et s’être comporté comme propriétaire pendant le temps nécessaire à le photocopier.

 

Puis la Cour évoque dans l’affaire S le vol « du contenu informationnel de ces disquettes durant le temps nécessaire à la reproduction des informations ». Quoiqu’il y avait vol des disquettes le temps nécessaire pour procéder à la copie du contenu, la Cour se réfère néanmoins au « contenu informationnel » (Cass.crim. 12 janvier 1989 n° pourvoi 87-82265).

 

D’autres décisions d’espèces ont ensuite évoqué un vol de données comptables et commerciales (Crim 1er mars 1989 n° pourvoi 88-82815), une liste de clients, des données commerciales et des « informations » (Crim. 19 janvier 1994 n° pourvoi 93-80633). La Cour de cassation évoque ensuite indirectement le vol de donnés en retenant le plus souvent que la Cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable (Crim.fr 9 septembre 2003, n°02-87098, Crim.fr. 30 mars 2005, n°04-81911, Crim.fr. 4 mars 2008, n°07-84002).

 

A encore été reconnu comme vol, en 2011, le transfert d’une messagerie électronique professionnelle à une messagerie personnelle (Crim.fr. 16 juin 2011, nr 10-85079).

 

Les Cour et tribunaux luxembourgeois suivaient ces décisions et distinguaient déjà antérieurement aux faits reprochés à B, d’un côté entre le vol d’une information, même imprimée, (arrêt cité du 5 décembre 2007, nr 575/07 X, arrêt K) et du mot de passe, non punissables (arrêt du 14 juin 2010 nr 261/10 X, arrêt KK) et, d’un autre côté, le vol de données numériques stockées sur un support informatique qui sera puni sur base de l’article 461 du Code pénal (arrêt du 29 janvier 2008, nr 57/08 V, arrêt KKK et arrêt du 27 juin 2012, n°342/12 X, arrêt KKKK).

 

Avec l’évolution, le développement et l’accroissement de l’informatique et des données électroniques dans la vie quotidienne et en tenant compte de la valeur économique certaine de ces données stockées sur un serveur, il était prévisible en octobre/décembre 2012, que les Cours et tribunaux continueraient à développer l’évolution jurisprudentielle et donneraient une interprétation plus large à la manière dont la soustraction peut être opérée, respectivement donneraient une interprétation plus large à la notion de la « chose »susceptible d’appréhension, afin d’y englober les données informatiques.

 

Il ne s’agit dès lors pas d’un revirement jurisprudentiel imprévisible, mais d’une tendance perceptible dans l’évolution de la jurisprudence.

 

De surcroit le fait reproché à B, à savoir l’appréhension de données confidentielles contre le gré et à l’insu de son employeur, n’est pas en soi un acte neutre, permettant de douter de sa légalité ou illégalité. Cette conscience de commettre une illégalité résulte encore des échanges de courriels entre B et C dans lequel le premier déclare vouloir garder l’anonymat afin de ne pas perdre son travail.

 

A titre subsidiaire, la défense maintient son moyen selon lequel, les déclarations fiscales numérisées ne constitueraient pas une chose susceptible de soustraction.

 

Comme il a été exposé ci-avant, les données numériques sont susceptibles d’une appréhension frauduleuse, constitutive du vol (Cass. 3 avril 2014, nr 17/2014), jurisprudence non remise en cause par l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2014.

 

B est entré en contact avec le journaliste C le 21 mai 2012, suite à la diffusion de l’émission Cash Investigation présentée le 11 mai 2012 sur France 2, par l’envoi d’un e-mail par le biais de son adresse e-mail privée « … ». Ils se sont rencontrés physiquement à … le 24 octobre 2012. Le 26 octobre 2012, C demande à B de créer une nouvelle adresse e-mail dans laquelle il déposera le cliché d’identification dans la rubrique « Brouillon » en lui communicant par un autre moyen l’adresse et le mot de passe ce qui lui permettait de les récupérer directement dans la boîte Gmail.

 

Il appert de l’enquête que les documents ont été transmis entre le 26 octobre 2012 et mi-décembre 2012.

 

C’est dès lors à bon droit que les juges de première instance ont retenu que la soustraction des données numériques a eu lieu au moment où elles étaient jointes aux brouillons des différents courriels, étant donné que c’était à ce moment qu’elles ont été transférées hors de la possession de D, du serveur de celle-ci vers le serveur de la messagerie électronique où elles étaient seulement accessibles aux détenteurs du mot de passe, donc C et B.

 

Il y a toutefois lieu de préciser que B n’a pas soustrait « au moins 16 déclarations fiscales », mais 14 déclarations, une lettre d’accompagnement et une notification aux autorités fiscales.

 

B a encore agi en connaissance de cause sachant que son employeur D était le propriétaire des données et qu’il n’était pas autorisé à les transmettre à un tiers.

 

Il convient dès lors de confirmer encore le jugement entrepris sur ce point.

 

B a encore été retenu dans les liens de la prévention d’avoir accédé frauduleusement dans le système de traitement automatisé de données de D en accédant au système pour copier les déclarations fiscales.

 

La défense maintient ses arguments développés en première instance aux termes desquels B était autorisé à accéder et à se maintenir dans le système de traitement automatisé de données et que le délit suppose que soit rapporté le forçage d’un dispositif de sécurité.

 

Le ministère public requiert à voir retenir cette infraction tout en précisant le libellé et en retenant que B s’est « frauduleusement maintenu » dans le système de traitement ou de transmission automatisé de données de D.

 

Il appert du dossier que B avait, dans le cadre de ses fonctions, un accès autorisé au système de traitement automatisé de données.

 

Le maintien frauduleux dans le système de traitement automatisé de D aux fins d’y exécuter des opérations non-autorisées rentre, ainsi qu’il a été développé ci-dessus, dans les prévisions de l’article 509-1 du Code pénal.

 

La fraude se manifeste dans cette hypothèse par un maintien volontaire de l’agent dans le système malgré sa prise de conscience qu’il n’était plus autorisé à y demeurer en dehors de ses occupations professionnelles. Le maintien présuppose en tout cas un accès légitime, à défaut son incrimination autonome apparaîtrait inutile. L’intention de nuire n’est pas requise.

 

En l’espèce, B, autorisé à accéder au système de traitement automatisé de données dans le cadre de son travail, s’est, à trois reprises, maintenu sans droit, c’est-à-dire frauduleusement selon les termes de la loi, dans le système afin de télécharger quatorze déclarations fiscales de clients de D et deux courriers. Il a ainsi outrepassé en connaissance de cause, les limites de son autorisation de se maintenir dans une partie du système informatique.

 

La mandataire invoque encore en instance d’appel une violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’au moment des faits qui se situaient entre octobre et décembre 2012, la jurisprudence n’avait pas défini les notions d’« accès et maintien frauduleux », la première décision connue remonterait à deux mois avant la commission des faits et aurait été remise en cause par un arrêt de la Cour d’appel du 10 juillet 2013, lui-même cassé par arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2014. La mandataire en déduit l’absence d’une position jurisprudentielle stable et établie au moment des faits et rappelle que le principe de la non-rétroactivité des décisions jurisprudentielles qui étendent une infraction pénale à des faits qui jusque-là n’en relevaient pas, est contraire à l’article 7 de la Convention.

 

La Cour européenne considère, que, pour apprécier la prévisibilité́ d’une interprétation judiciaire, il ne doit pas être accordé une importance déterminante à l’absence de précédents jurisprudentiels comparables (K.A. et A.D. c/ Belgique §§ 55-58). Lorsque les juridictions internes doivent interpréter une disposition de la loi pénale pour la première fois, une interprétation de la portée d’une infraction qui se trouve être cohérente avec la substance de cette infraction doit, en principe, être considérée comme prévisible (Jorgic c/ Allemagne §109).

 

Au moment des faits commis par B, la Cour d’appel avait par arrêt du 27 juin 2012, par confirmation du jugement de première instance du 15 juin 2011, retenu que le prévenu, autorisé à accéder aux bases de données consultées au moyen de son mot de passe pour exécuter des tâches relevant de ses missions, s’est maintenu dans lesdits fichiers pour y effectuer des recherches excédant le cadre professionnel, des recherches purement personnelles. En agissant de la sorte, le prévenu s’est maintenu frauduleusement dans un des éléments d’un système de données au sens de l’article 509-1 du code pénal » (arrêt nr 342/12 X du 27 juin 2012, arrêt KKKK), solution confirmée d’ailleurs postérieurement aux faits par un arrêt du 13 janvier 2016 (n°23/16 X, arrêt KKKKK).

 

Selon la doctrine et la jurisprudence françaises, le maintien dans un système automatisé de données constitue la suite logique de l’accès frauduleux et il est possible que les deux comportements se dissocient parfaitement (Cass 3 octobre 2007, nr 07-81.045, Cour Paris 5 avril 1994, cité AJ Pénal 2007, p.535).

 

Il y a lieu de constater qu’il existait déjà quelques rares applications de cette loi au moment des faits reprochés à B, mais surtout qu’il n’y avait pas lieu à interpréter la notion de « maintien frauduleux dans un système de traitement ou de transmission automatisé de données » et que la jurisprudence applique la notion d’une manière littérale.

 

L’intention frauduleuse de B existait au regard des éléments retenus par les juges de première instance, à savoir qu’il accéda de manière régulière au système et s’y maintenait aux fins de s’approprier des documents professionnels, en vue de les transmettre à un journaliste.

 

Il convient toutefois de préciser, le cas échéant, le libellé de la prévention en ce sens que B s’est « frauduleusement maintenu » dans ce système, conformément au réquisitoire du ministère public.

 

En ce qui concerne la prévention de la violation du secret d’affaires, le tribunal a retenu que B a, en communiquant les documents à C pour le soutenir dans son investigation et en acceptant leur publication, divulgué, avec intention de nuire à son employeur, les secrets d’affaires de celui-ci et dont il a eu connaissance en raison de sa situation.

 

Le représentant du ministère public expose que les déclarations fiscales des clients, nonobstant leur caractère confidentiel, ne constituent pas un secret d’affaires puisqu’elles ne reprennent pas les constructions juridiques et fiscales complexes des ATAs, mais renseignent des indications sur la situation financière du contribuable, inscrites sur un formulaire préimprimé.

 

La défense en se ralliant au réquisitoire du ministère public, demande l’acquittement de son mandant.

 

Pour qu'il y ait infraction à l'article 309 du Code pénal, il faut une utilisation ou la divulgation (1) méchante (2) dans l’un des buts énumérés par la loi (3) d'un secret de fabrication ou d'affaires (4) par une personne employée ou anciennement employée (5). Il faut encore que cette personne ait eu connaissance de ce secret par suite de sa situation au sein de l'entreprise.

 

Le secret visé à l’article 309 du Code pénal doit être un fait connu d’un cercle restreint de personnes, relatif à une entreprise commerciale ou industrielle et sa divulgation doit être de nature à causer un préjudice à la personne qu’il concerne, notamment à sa capacité de concurrence.

 

Une déclaration fiscale constitue un acte juridique unilatéral d’information, portant la signature du contribuable-déclarant ou de son mandataire, par lequel le contribuable communique à l’Administration, des données servant de base à l’imposition. Par le biais de cette déclaration, par laquelle débute véritablement la procédure d’imposition, le contribuable porte à la connaissance du fisc, des informations relatives à des opérations, faits matériels et situations juridiques qui le concernent, nécessaires à l’établissement de l’impôt et aux contrôles de l’Administration. La déclaration renseigne également l’Administration sur les choix d’ordre fiscal effectués par le contribuable et constitue une véritable déclaration d’intention en ce sens qu’elle formule des demandes visant à obtenir des abattements ainsi que l’exercice de différentes options fiscales prévues par la loi (Alain Steichen, Manuel de Droit fiscal général, tome I, p. 575-576).

 

B, en communiquant les quatorze déclarations fiscales de clients de D ainsi que deux courriers, n’a pas divulgué des données qui seraient à considérer comme des secrets d’affaires ou de fabrication au sens de l’article 309 du Code pénal de son employeur, les déclarations constituent de simples déclarations unilatérales du contribuable quant à sa situation financière et ses choix fiscaux.

 

A l’instar d’A, B n’a pas non plus agi dans un but de lucre ou pour nuire à son employeur, mais dans le but de soutenir C dans son enquête sur l’évasion fiscale et d’informer le public.

 

Cette infraction n’est dès lors pas établie en droit.

 

Il convient dès lors, par réformation du jugement entrepris, d’acquitter B de cette prévention, à savoir, d’avoir :

 

« Comme auteur, ayant lui-même exécuté le délit

 

entre octobre 2012 et décembre 2012 dans la société D Sàrl, ci-après « D », à …, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à … (…) et à … (…), sans préjudice quant aux dates, heures et lieux exacts ;

 

3. d'avoir, en tant qu'actuel ou ancien employé, ouvrier ou apprenti d'une entreprise commerciale, ou industrielle, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à son patron, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l'expiration, les secrets d'affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, ou d'avoir, en tant que personne ayant eu connaissance des secrets d'affaires ou de fabrication appartenant à une personne, soit par l'intermédiaire d'un employé, ouvrier ou apprenti agissant en violation des prescriptions de l'alinéa qui précède, soit par un acte contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, utilisé ou divulgué ces secrets, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite,  ou d'avoir, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé sans en avoir le droit ou communiqué à autrui des modèles, dessins ou patrons qui lui ont été confiés pour l'exécution de commandes commerciales ou industrielles,

 

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de D, soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à son employeur, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l’expiration, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en l’espèce les documents fiscaux (Tax Returns et ATA) confidentiels d’un certain nombre de clients de D ».

 

Pour retenir B dans les liens de la prévention de la violation de son secret professionnel, le tribunal a constaté que le prévenu était une personne soumise, de par sa profession, au secret professionnel, que l’acte de révélation avait eu lieu librement, qu’il était susceptible de causer un préjudice à D, avait été fait hors les cas où la loi autorise la révélation et avait été commis avec une intention coupable.

 

La défense s’interroge en premier lieu sur la question de savoir si l’archiviste B sans formation en comptabilité et sans avoir pu profiter d’un enseignement en déontologie, puisse être considéré comme personne soumise au secret professionnel et si les documents remis à son mandant en vue de l’archivage, sont couverts par le secret professionnel.

 

Elle considère ensuite que l’employeur ne pourrait se prévaloir devant une juridiction pénale de la clause de confidentialité qui lie son salarié, que l’employeur ne pourrait demander la protection du secret à son profit et que B n’avait nullement conscience de violer le secret professionnel tel qu’appliqué aux experts-comptables et de n’en avoir pris conscience que plus tard lors de ses interrogatoires.

 

Ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, le secret des professions organisées par la loi et renvoyant à l’article 458 du Code pénal, est d’ordre public et l’employeur peut donc s’en prévaloir non seulement devant le tribunal de travail, mais également devant toute juridiction pénale. La prévention porte non pas sur une violation de l’article 9 du contrat de travail, mais de l’article 458 du Code pénal.

 

Instauré par une loi spéciale qui organise la profession, le secret professionnel a une portée plus large que la protection de l’intimité de tel ou tel individu et vise à garantir tous les particuliers qui pourraient être en contact avec ce professionnel. Cette confiance est indispensable au bon fonctionnement de la profession de réviseur d’entreprises et de comptable et ne pourrait être pleinement garantie si l’interlocuteur du client était seul soumis au secret, tandis que tout autre employé ou l’archiviste qui manipule l’intégralité de la documentation, n’était pas soumis au secret.

 

L’obligation au secret, touchant à l’ordre public, est générale et s’étend à toute l’activité du réviseur (Michel Franchimont, Le secret du réviseur d’entreprise, p. 15, Etudes et Documents du Centre belge de Normalisation de la Comptabilité et du Révisorat, 1986).

 

En imposant le secret d’une manière générale aux personnes qui sont en leur service et en visant d’une manière générale les renseignements confiés, le législateur a étendu l’obligation au secret à toutes les personnes employées dans l’entreprise, quel que soit leur rang professionnel et ce pour l’ensemble des activités de la société, la loi ne distinguant pas selon le type de mission confiée à l’entreprise de réviseur (cf. Doc.parl. 5872, Exposé des motifs, p.67).

 

L’article 22 de la loi précitée du 18 décembre 2009 visant sans distinction, l’ensemble des renseignements confiés à l’entreprise de réviseur d’entreprise, comprend nécessairement les documents créés par le réviseur, comme les déclarations fiscales.

 

Il ne s’applique ainsi pas exclusivement aux faits et renseignements dont le réviseur reçoit la confidence, mais aussi aux faits et renseignements dont il prend connaissance, qu’il découvre ou qu’il surprend et couvre les faits de la vie économique, financière et comptable de l’entreprise, même si ces faits et renseignements peuvent être découverts par une autre voie.

 

Il importe dès lors peu que B ait soustrait frauduleusement les déclarations fiscales élaborées par un autre département, donc des secrets qui ne lui avaient pas été confiés personnellement, le secret présentant, d’une manière générale, un caractère nécessaire pour l’exercice de la profession de son employeur.

 

En l’occurrence, la révélation a eu lieu par la communication de quatorze déclarations fiscales à C entre octobre 2012 et décembre 2012 et précisément au moment où B communiqua le mot de passe de la boîte aux lettres électronique à C.

 

Cette communication n’a pas été faite par imprudence, mais avec volonté consciente et en connaissance de cause.

 

Le jugement est donc à confirmer sur ce point.

 

Quant à la prévention de blanchiment, les mandataires de B ainsi que le ministère public concluent à l’acquittement de B en ce qui concerne la prévention du blanchiment-détention du produit de l’infraction du maintien frauduleux dans le système de traitement ou de transmission automatisé de données de D, étant donné que la loi du 18 juillet 2014 incriminant le blanchiment-détention du produit du maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, est postérieure à la date de la commission des faits.

 

Le blanchiment du produit de fraude informatique a été incriminé par la loi du 18 juillet 2014, publiée au Mémorial du 25 juillet 2014, partant postérieurement aux faits reprochés à B, de sorte qu’il y a lieu de l’acquitter de cette prévention.

 

Au vu de la décision d’acquittement du chef de la prévention de violation du secret des affaires, B est de même à acquitter d’avoir blanchi par détention le produit de la violation du secret d’affaires.

 

B est dès lors à acquitter du chef de :

 

« Comme auteur ayant lui-même exécuté les délits ;

 

Entre octobre 2012 et décembre 2012 dans la société D Sàrl, ci-après « D », à …, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à … (…) et à … (…), sans préjudice quant aux dates, heures

 

5. d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect,

– d’une infraction aux articles 112-1, 135-1 à 135-6, 135-9 et 135-11 à 135-13 du Code pénal;

– de crimes ou de délits dans le cadre ou en relation avec une association au sens des articles 322 à 324ter du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 368 à 370, 379, 379bis, 382-1, 382-2, 382-4 et 382-5 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 383, 383bis, 383ter et 384 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 496-1 à 496-4 du Code pénal;

– d’une infraction de corruption;

– d’une infraction à la législation sur les armes et munitions;

d’une infraction aux articles 184, 187, 187-1, 191 et 309 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 489 à 496 du Code pénal;

d’une infraction aux articles 509-1 à 509-7 du Code pénal;

– d’une infraction à l’article 48 de la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique;

– d’une infraction à l’article 11 de la loi du 30 mai 2005 relative aux dispositions spécifiques de protection de la personne à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques;

– d’une infraction à l’article 10 de la loi du 21 mars 1966 concernant a) les fouilles d’intérêt historique, préhistorique, paléontologique ou autrement scientifique; b) la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier;

– d’une infraction à l’article 5 de la loi du 11 janvier 1989 réglant la commercialisation des substances chimiques à activité thérapeutique;

– d’une infraction à l’article 18 de la loi du 25 novembre 1982 réglant le prélèvement de substances d’origine humaine;

– d’une infraction aux articles 82 à 85 de la loi du 18 avril 2001 sur le droit d’auteur;

– d’une infraction à l’article 64 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles;

– d’une infraction à l’article 9 de la loi modifiée du 21 juin 1976 relative à la lutte contre la pollution de l’atmosphère;

– d’une infraction à l’article 25 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés;

– d’une infraction à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau;

– d’une infraction à l’article 35 de la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets;

– d’une infraction aux articles 220 et 231 de la loi générale sur les douanes et accises;

– d’une infraction à l’article 32 de la loi du 9 mai 2006 relative aux abus de marché;

– de toute autre infraction punie d’une peine privative de liberté d’un minimum supérieur à 6 mois;

ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où ils les recevaient, qu'ils provenaient de l'une ou de plusieurs des infractions visées ci-avant ou de la participation à l'une ou plusieurs de ces infractions,

 

en l’espèce, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de l’article 506-1, en l’espèce les déclarations fiscales d’un certain nombre de clients de D, ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où il les recevait qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infraction ».

 

Ainsi qu’il a été relevé ci-avant, le blanchiment est également constitué notamment par le fait d’avoir « détenu » l’objet ou le produit d’une infraction primaire de blanchiment, parmi lesquelles figurent, depuis la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, donc antérieurement aux faits de l’espèce, l’infraction de vol.

 

B est, à retenir dans les liens de la prévention de blanchiment-détention, du produit du vol domestique, vu qu’au moment où les données numériques étaient jointes aux brouillons des différents courriels de sa boîte à lettres morte, il les avait soustraits frauduleusement au préjudice de son employeur.

 

 

c) quant à C

 

C était mis en prévention, après rectification du réquisitoire de renvoi par la chambre du conseil d’avoir :

 

1)    comme auteur ou complice de B, participé à la violation du secret d’affaires et à la violation du secret professionnel de ce dernier,

 

2)    comme auteur, ayant commis lui-même l’infraction, le délit de blanchiment-détention du produit du vol domestique reproché à B, du produit résultant de la fraude informatique et du produit de la violation du secret d’affaires reprochés à B.

 

Le tribunal correctionnel a acquitté le journaliste C quant à la première prévention, en retenant d’un côté que la circonstance d’avoir suggéré à B de créer l’adresse de la boîte électronique « …» pour la transmission des données, acte tout à fait légal afin de protéger les sources du journaliste, ne constitue pas un acte de participation punissable et d’un autre côté qu’il ne résulte pas du dossier ou des débats à l’audience, que ce dernier aurait pris une quelconque initiative ou aurait dirigé B dans la recherche des documents à soustraire au préjudice de D.

 

Les mandataires d’C concluent à la confirmation du jugement sur ce point en argumentant, principalement, que le conseil de la création d’une boîte électronique « morte » ne saurait être considéré comme un acte de participation aux infractions commises par B, sinon que l’élément matériel et l’élément moral font défaut tant pour l’infraction de violation de secret d’affaires, que pour l’infraction de violation de secret professionnel.

 

Ils rappellent que la technique de la boîte électronique « morte » est une technique ouvertement enseignée aux journalistes visant à assurer la protection de leurs sources. Elle consiste à partager une boîte aux lettres électronique et en n’y écrivant qu’au mode brouillon : les e-mails ne seront pas échangés et ne circuleront dès lors pas sur l’Internet où ils seraient exposés au piratage. Ils ne peuvent être consultés que dans la boîte à lettres sous la rubrique « brouillons non envoyés », par ceux qui se sont connectés moyennant les codes d’accès.

 

Le ministère public conclut à l’acquittement d’C pour avoir participé à la violation du secret d’affaires par B, au motif que les documents lui transmis ne répondaient pas aux critères du secret d’affaires.

 

La Cour rappelle que les déclarations fiscales ne constituent pas un secret d’affaires ou de fabrique au sens de l’article 309 du Code pénal, qui vise une information ou un renseignement relatif à une entreprise commerciale ou industrielle, connue d’un nombre restreint de personnes ou des informations difficilement accessibles à un tiers et qu’il y a intérêt à tenir secret, sa divulgation étant de nature à causer un préjudice à l’entreprise concernée.

 

Il convient dès lors de confirmer la décision d’acquittement d’C, quoique pour d’autres motifs.

 

Quant à sa participation à la violation du secret professionnel, le représentant du ministère public considère qu’C serait, sous réserve de la cause de justification tirée de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, à considérer comme complice de l’auteur principal B, pour lui avoir conseillé de créer la nouvelle adresse électronique « … », dans laquelle il pourra recueillir les documents laissés en brouillon par B, participant ainsi en connaissance de cause à la commission de l’infraction, en fournissant une aide utile à B.

 

L’obligation au secret couvre toutes les informations confiées aux employés du réviseur dans le cadre de leur mission et qui portent sur le client, sur son patrimoine ou sa situation économique, financière et comptable. Le secret couvre d’une manière générale tout ce qui concerne l’entreprise, ses dirigeants, son personnel, ses fournisseurs, ses concurrents, ses clients.

 

Le secret ne porte pas sur des informations dont la publication, est requise par la loi, ces faits ne sont par nature pas « secret ».

 

Quoique les déclarations fiscales comportent entre autres des informations rendues publiques par l’obligation légale du dépôt des comptes annuels, la déclaration élaborée par le réviseur, n’est pas publiée, renseigne des informations supplémentaires dont notamment le choix fiscal et les abattements sollicités et reste soumise au secret professionnel.

 

L’élément matériel de l’infraction principale est donc réalisé.

 

Les articles 66 et 67 du Code pénal s’appliquent à tous les crimes et délits du Code pénal et, par conséquent, au délit défini à l’article 458 du même code.

 

Aux termes de l’article 67 al. 4 du code, sont considérés comme complices, ceux qui ont, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs du crime ou du délit dans les faits qui l’ont préparé ou facilité ou ceux qui l’ont consommé.

 

Cette aide accessoire et secondaire, ainsi que l’assistance, doivent être préalables ou concomitantes à la commission de l’infraction aux fins de la préparer ou de l’exécuter.

 

Le complice est celui qui, sciemment et volontairement, adopte en connaissance de cause un comportement constitutif d’une forme de participation punissable déterminée par la loi. L’aide fournie par le complice n’est donc pas nécessaire ou indispensable, mais accessoire ou simplement utile, et fournie dans l’intention de favoriser l’infraction. Si l’aide est indispensable, l’agent serait l’auteur de l’infraction (Franklin Kuty, Principes généraux de droit belge, T. III, « La participation punissable », n°1996-1998).

 

Il est établi qu’C a donné instruction à B de créer une boîte électronique morte dans laquelle seront déposées les données soustraites, jointes comme brouillons, à des courriers non envoyés et lui a expliqué la manière de procéder afin qu’il garde l’anonymat, circonstance essentielle pour B.

 

La mise en place de cette adresse électronique visait à sécuriser les échanges entre le journaliste et sa source afin de limiter au maximum les risques que ces échanges puissent être repérés par un tiers quelconque. Elle visait à renforcer la garantie de l’anonymat de B, ce que celui-ci avait expressément demandé dans ses mails.

 

Un acte légal, inoffensif en soi et anodin, peut constituer une acte de complicité. La simple assistance dans les faits constitue de même, un acte de complicité.

 

Ainsi la technique de la boîte « morte », ouvertement enseignée dans la communauté des journalistes d’investigation, afin de protéger les sources, n’est pas illégale ou suspecte en soi, a toutefois été utilisée en l’occurrence pour communiquer des documents frauduleusement soustraits.

 

En fournissant les explications quant au fonctionnement et les instructions pour installer une boîte à lettre morte et faire communiquer les documents par ce biais, C a fourni non pas un simple conseil, mais une aide, qui certes n’était pas indispensable, mais utile à B, même si la technique de la boîte à lettre morte n’est pas une technique illicite ou suspecte en soi.

 

Toute intention coupable implique d’un côté la connaissance positive que ses actes doivent servir à la perpétration d’une infraction et d’un autre côté l’intention ou l’acceptation de s’associer à la réalisation de l’infraction. Le complice doit savoir qu’il favorise la réalisation d’un crime ou d’un délit suffisamment déterminé et vouloir y concourir.

 

C a pu réaliser une première émission sur l’optimisation fiscale grâce aux ATAs soustraits par A, circonstance dont il avait été au courant. Il est ensuite contacté anonymement par une personne se faisant appeler « T » qui lui expliquait avoir vu sa première émission sur l’optimisation fiscale, et qui annonçait lui procurer d’autres pièces pour documenter l’évasion fiscale par le biais du Grand-Duché de Luxembourg. Lors de leurs entretiens sont mentionnés les documents fiscaux d’Z, Y, X et W. C, ne pouvait raisonnablement douter que son interlocuteur se les procurerait de manière légale.

 

Il savait qu’il devait protéger sa source et, dans ce but, il lui conseilla l’installation d’une boîte électronique morte.

 

C est dès lors à retenir à titre de complice dans cette prévention sous réserve de la cause de justification du journalisme responsable.

 

En ce qui concerne la deuxième prévention, à savoir le blanchiment-détention du produit de la violation du secret d’affaires, C a, en l’absence d’infraction primaire, à juste titre, été acquitté de cette prévention.

 

Le blanchiment du produit du secret professionnel n’était pas libellé par le ministère public, étant donné que ce type de blanchiment n’est pas visé par l’article 509-1 du Code pénal.

 

Le blanchiment-détention en relation avec la fraude informatique n’était ainsi qu’il a été rappelé ci-avant, pas incriminé à l’époque des faits. Il convient d’acquitter C de cette prévention.

 

Le tribunal a toutefois omis de se prononcer sur le délit de blanchiment-détention du produit du vol domestique commis par B.

 

En détenant les quatorze déclarations fiscales et les deux courriers, partant des documents confidentiels, C a détenu le produit du vol commis par B, tout en sachant au moment de les recevoir qu’ils provenaient d’une infraction.

 

En effet C ne pouvait ignorer l’origine frauduleux des déclarations fiscales, dès lors qu’une personne disant se nommer « T » et veillant à pouvoir garder l’anonymat, travaillant auprès d’une entreprise luxembourgeoise, lui remit quatorze déclarations fiscales relatives à des entreprises multinationales ce d’autant plus que cette personne s’était vantée dans un échange de courriels que de nombreux ATAs et déclarations fiscales passaient entre ses mains. Au vu de la pertinence réduite des documents remis, il ne pouvait pas non plus être certain qu’il était en face d’un lanceur d’alerte véritable.

 

Ainsi, depuis la loi du 11 août 1998 portant introduction de l’incrimination des organisations criminelles et de l’infraction de blanchiment au Code pénal, le blanchiment est également constitué notamment par le fait d’avoir « détenu » l’objet ou le produit d’une infraction primaire de blanchiment, parmi lesquelles figurent, depuis la loi du 17 juillet 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, donc antérieurement aux faits de l’espèce, l’infraction de vol.

 

L’article 506-4 du même code ajoute, depuis la loi du 11 août 1998, précitée, que « les infractions visées à l’article 506-1 sont également punissables, lorsque l’auteur est aussi l’auteur ou le complice de l’infraction primaire ».

 

Il y a dès lors lieu de le retenir dans les liens de la prévention de blanchiment-détention du produit du vol domestique commis en sa qualité de complice de B, sous réserve d’une cause de justification pouvant jouer en sa faveur.

 

 

3. Les causes justificatives

 

a) l’état de nécessité

 

L’état de nécessité implique une situation dans laquelle se trouve une personne lorsqu’elle n’a, raisonnablement, pas d’autre ressource que de commettre une infraction pour sauvegarder un intérêt supérieur ou équivalent à l’intérêt sacrifié, protégé par l’infraction. L’intérêt à protéger doit être sous la menace d’un danger grave, certain, actuel ou imminent et il doit être impossible de sauvegarder l’intérêt menacé autrement que par la commission de l’infraction.

 

Dans leurs conclusions écrites les mandataires d’A demandent à voir déclarer l’état de nécessité applicable à leur mandant et partant de l’acquitter de toutes les préventions en estimant que les valeurs sacrifiées, à savoir les intérêts de D, son droit de propriété et le secret professionnel, méritaient de l’être eu égard à la nécessité de protéger des intérêts d’une valeur largement supérieure et fondamentale, à savoir la transparence et l’équité fiscale.

 

Ils considèrent que l’optimisation fiscale agressive telle que pratiquée par les sociétés multinationales, constitue un danger grave, certain et imminent, qui aurait obligé A à commettre le vol de données informatiques, une fraude informatique, à violer son secret professionnel et à commettre le délit de blanchiment-détention.

 

La cause de justification de l’état de nécessité, différente de la contrainte, vise essentiellement une situation de crise, exceptionnelle et caractérisée par un dilemme : observer la loi entraînera des conséquences néfastes immédiates.

 

Ainsi qu’il a été retenu ci-avant, A n’avait au moment de l’appropriation des documents pas encore l’intention de les publier et ne les publia d’ailleurs pas dans les jours, voire les semaines après sa démission. Il ne ressentait donc pas le danger comme « imminent » exigeant une réaction prompte de sa part.

 

L’état de nécessité ne saurait dès lors justifier le vol domestique, la fraude informatique et le blanchiment-détention.

 

Au moment de leur divulgation par la remise au journaliste, il n’y a eu ni « danger », ni « imminence ».

 

Il faut être en présence d'un danger réel et imminent, peu importe sa nature, danger physique, moral ou matériel. Cette situation n'est donc pas celle qui est caractérisée par les inconvénients normaux de la vie de tous les jours par un sentiment d’injustice qui ne sauraient dispenser l'agent du respect de la règle pénale.

 

Le péril à l’origine de l’état de nécessité, menace tant la personne humaine que les biens. Ainsi l’agent n’est fondé à invoquer le bénéfice de l’état de nécessité, et à justifier l’infraction qu’il a commise, que lorsqu’il a été confronté à un événement mettant en danger un droit ou un intérêt qu’il était tenu ou est en droit de protéger en priorité.

 

Il y a lieu d’avoir égard aux circonstances concrètes de la cause, non aux caractéristiques personnelles de l’agent.

 

Tout d’abord et nonobstant le danger allégué, A n’a pas procédé à la divulgation des documents durant au moins huit mois pour faire cesser le danger.

 

Ensuite le « danger » invoqué ne constituait pas le danger au sens de la théorie de l’état de nécessité : le danger avancé par A visait l’iniquité fiscale et la non-transparence en matière fiscale. Le danger avancé résulte de ses considérations politiques et de ses préoccupations morales.

 

La condition essentielle du danger imminent et inévitable faisant défaut, cette cause de justification ne saurait être retenue.

 

 

b) Le fait justificatif du lanceur d’alerte

 

Tant A, que B, en aveu quant à la matérialité des faits, invoquent la protection de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme pour conclure à leur acquittement de toutes les préventions. C qui conclut à titre principal à son acquittement pur et simple au motif qu’il n’a commis aucune infraction pénale, invoque, à titre subsidiaire, la protection de l’article 10 de la Convention, pour conclure pareillement à son acquittement.

 

La définition donnée par la Recommandation CM/Rec (2014)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 30 avril 2014 sur la protection des lancers d’alerte considère comme lanceur d’alerte « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé ».

 

La recommandation est en ce sens plus restrictive que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, puisque, d’un côté, elle limite le lancement de l’alerte au contexte de la relation de travail et, d’un autre côté, prévoit que les règles de la protection à établir par les Etats membres, ne devraient pas porter atteinte aux règles garantissant la protection du secret professionnel.

 

Les « recommandations » prises en application de l’article 15 b des statuts du Conseil de l’Europe s’adressent aux Etats-membres et sont relatives à la « politique commune » à poursuivre, afin d'assurer le respect des libertés que le Conseil entend protéger. Elles permettent de donner aux gouvernements membres des pistes d'action, des lignes directrices. Elles ne sont en aucun cas contraignantes, mais simplement incitatives.

 

Plus particulièrement, la Recommandation CM/Rec (2014)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 30 avril 2014, représente un instrument juridique sur la protection des personnes qui signalent des actions ou des omissions sur le lieu de travail constituant une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général ou qui divulguent des informations sur de tels faits. Elle énonce une série de principes destinés à guider les Etats membres lorsqu’ils passent en revue leurs législations nationales ou lorsqu’ils adoptent ou modifient les mesures législatives et réglementaires qui peuvent être nécessaires et appropriées dans le cadre de leur système juridique afin d’organiser légalement la protection des lanceurs d’alerte.

 

La Cour d’appel se réfère donc à la jurisprudence de la Cour européenne, lorsqu’elle interprète les dispositions de la Convention et non pas aux recommandations du Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe.

 

La Cour européenne ne définit pas le lanceur d’alerte, mais il appert à travers ses arrêts qu’elle vise d’une manière très large, à protéger la personne, qui, en s’adressant à des autorités ou aux médias, signale, révèle ou dénonce des faits non apparents ou dissimulés, qui, d’intérêt général, dépassent le cas échéant sa sphère professionnelle et qui sont contraires au droit, à l’éthique ou à l’intérêt public.

 

Il se dégage encore de cette jurisprudence que l’illicéité du comportement divulgué n’est pas un critère de l’application du statut protecteur du lanceur d’alerte ; peut le cas échéant invoquer la protection de la Convention, l’agent qui dénonce un dysfonctionnement grave.

 

La Cour européenne subordonne la protection du lanceur d’alerte au respect de six critères. Dès lors que ces critères sont réunis, le lanceur d’alerte, qu’il soit fonctionnaire, salarié privé ou mandataire, est susceptible de protection, même s’il ne publie pas lui-même l’information qu’il dénonce, le tout à la condition, qu’il révèle des faits qui ne soient pas notoires.

 

Contrairement à la recommandation CM/RE (2014)7, la Cour, tout en prenant en considération les obligations de confidentialité du lanceur d’alerte, admet que la dénonciation par le salarié peut être justifiée, même si le fonctionnaire ou l’employé privé, est lié par un devoir de loyauté, un devoir de discrétion, une clause de confidentialité ou même par le secret professionnel, étant donné que l’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand  qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la loi (arrêt R §74).

 

La Cour européenne vérifie ainsi si l’information publiée présente un réel intérêt public (1). L’information divulguée doit, ensuite, être authentique, c'est-à-dire exacte et digne de crédit (2). Afin de bénéficier de la protection de la Convention, la divulgation au public ne doit être envisagée qu’en dernier ressort en cas d’impossibilité manifeste d’agir autrement (3). L’intérêt du public d’obtenir cette information doit peser plus fort que le dommage que la divulgation a causé à l’employeur, respectivement à l’entité concernée (4) et le lanceur d’alerte doit avoir agi de bonne foi avec la conviction que l’information était authentique (5). Afin d’évaluer la proportionnalité de l’ingérence étatique par rapport au but légitime poursuivi, la Cour vérifie les poursuites auxquelles le lanceur d’alerte est exposé et procède à une analyse attentive de la sanction, civile ou pénale, infligée et de ses conséquences (6).

 

En ce qui concerne le critère de l’intérêt public de l’information, les défenseurs des trois prévenus et le représentant du ministère public s’accordent pour dire que les révélations faites par A et B, par l’intermédiaire du journaliste d’investigation C, sur la pratique systémique des rulings fiscaux relèvent de l’intérêt public.

 

La Cour européenne considère comme relevant de l’intérêt public ou de l’intérêt général, les questions très importantes, relevant du débat politique dans une société démocratique, dont l’opinion publique a un intérêt légitime à être informée sans que l’acte, l’omission, la pratique, la conduite ou le dysfonctionnement doive constituer nécessairement une infraction pénale.

 

Ainsi que l’a relevé le représentant du ministère public, la dénonciation de la pratique de l’optimisation fiscale par des entreprises transnationales soulève une importante question dans la discussion sur le respect du principe d’égalité de traitement des contribuables et sur la transparence fiscale. Les divulgations ont révélé des distorsions de concurrence nées entre entreprises transnationales bénéficiant des ATAs et petites entreprises nationales qui n’en bénéficient pas.

 

Ces révélations ont été, et sont encore, au cœur de l’actualité européenne et la Commission européenne a fait de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale une priorité absolue. Celle-ci a notamment présenté, suite aux révélations LuxLeaks, un paquet de mesures contre l’évasion fiscale et un paquet de mesures sur la transparence fiscale, ainsi qu’un plan d’action pour une fiscalité des entreprises équitable et efficace dans l’Union européenne et le 18 mars 2015 une proposition de directive modificative sur l’échange obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.

 

Le 8 décembre 2015 le Conseil a présenté la directive (UE) 2015/2376 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal et visant dorénavant les rescrits fiscaux.

 

En tenant compte de ces éléments ainsi que des initiatives prises aux niveaux nationaux des Etats-membres, de différentes commissions au niveau européen (Commission TAX et Commission JURI), et des enquêtes ouvertes par la Commission concernant les traitements fiscaux accordés par le Luxembourg à certaines entreprises multinationales et qui ont été qualifiées d’aides étatiques octroyant des avantages injustifiés aux sociétés bénéficiaires, il est acquis que la révélation a permis en Europe et au Luxembourg, le débat public sur l’imposition des sociétés, notamment des sociétés multinationales, sur la transparence fiscale, la pratique des rescrits fiscaux et sur la justice fiscale en général.

 

L’information rendue publique relève donc de l’intérêt général.

 

L’exactitude et l’authenticité des documents divulgués tant par C, que par B ne sauraient être remises en cause.

 

En ce qui concerne le point de savoir si A et B disposaient ou non d’autres moyens pour procéder à la divulgation, le représentant du ministère public considère que ce critère de la « subsidiarité » comporte deux éléments : le premier concernant le destinataire de la divulgation, la divulgation au public ne devant être envisagée qu’en dernier ressort, et, le second, concernant l’objet de la divulgation, qui ne devrait pas aller au-delà  de ce qui est nécessaire.

 

En ce qui concerne le premier élément, le représentant du ministère public reconnaît qu’A et B ne pouvaient en l’occurrence pas agir autrement que par la voie de la communication au public.

 

Les mandataires d’A expliquent que l’information de la Commission de surveillance du secteur financier, du Parquet économique ou la Direction des contributions directes était exclue, alors que ces autorités ne considéraient pas la pratique des ATAs comme étant illégale.

 

Il est encore apparu lors des débats en première instance que la procédure interne de D, appelée « complain allegation procedure » prévue pour signaler des anomalies rencontrées durant une mission, n’aurait pas été appliquée, puisque D ne considérait les ATAs ni comme une infraction ou une illégalité ni comme une anomalie, de sorte que la procédure n’avait pas vocation à s’appliquer.

 

La Cour considère qu’en l’espèce, A et B ne pouvaient agir autrement, et, qu’une information du public par un média était, en l’occurrence et vu les circonstances, la seule alternative réaliste pour lancer l’alerte.

 

En ce qui concerne la seconde composante du principe de subsidiarité, le représentant du ministère public considère par contre qu’A, en confiant 20.000 pages d’ATAs au journaliste, en vue de leur publication, sans aucune garantie de restriction d’usage, ne s’est pas limité au strict nécessaire, de sorte que le critère de la subsidiarité ne serait pas rempli dans son chef.

 

Quant à B, il relève la faible pertinence des documents remis -de simples déclarations fiscales- divulgués de surcroit à un moment où leur communication n’était plus opportune, puisque le débat avait été lancé par la première publication faite sur base des ATAs remis par A, de sorte que B ne remplirait pas non plus le critère de la subsidiarité.

 

Il expose sur ce point que « La Cour (européenne) retient que la divulgation au public ne doit être envisagée qu’en dernier ressort. Elle n’accepte dès lors le recours à ce moyen que par exception (…) Ces réserves à l’égard de la divulgation au public sur lesquelles repose le principe de subsidiarité, devraient également, dans cette même logique, avoir pour conséquence d’obliger l’auteur à se limiter dans cette divulgation au strict nécessaire. Une telle divulgation est, d’une toute autre façon qu’un simple signalement à une autorité, de nature à mettre en cause les intérêts de son employeur au respect de l’obligation de loyauté et, par exemple, du secret d’affaires par son salarié, ainsi que ceux des clients de l’employeur au respect, par exemple, du secret professionnel. La mise en cause de ces intérêts par la divulgation au public impose de limiter celle-ci de façon à les léser aussi peu que possible ».

 

La défense conteste ce raisonnement. Exiger que le lanceur d’alerte ne divulgue que ce qui est « strictement nécessaire» ou « nécessaire » reviendrait à rajouter une condition, non prévue par la jurisprudence.

 

La Cour d’appel constate que la Cour européenne examine la question de ce qui est nécessaire pour lancer une alerte efficace, non pas en relation avec le critère de la subsidiarité, mais lorsqu’elle met en balance les intérêts de l’employeur ou l’entité qui a subi le dommage suite à la divulgation, et l’intérêt que le public pouvait avoir à obtenir cette information (cf. arrêt R §76), c’est-à-dire lorsqu’elle met en balance les intérêts respectifs et apprécie le poids respectif du dommage que la divulgation telle qu’elle a été faite a causé à l’employeur et de l’intérêt que le public pouvait avoir à en obtenir cette divulgation.

 

L’élément de l’objet de la divulgation, c’est-à-dire le nombre des ATAs communiqués, sans aucune restriction, à C et la pertinence des documents remis par B, seront dès lors examinés en relation avec le critère de la mise en balance des intérêts en jeu, ci-après.

 

Par le biais du critère du « préjudice causé » et de la « mise en balance des intérêts respectifs », la Cour apprécie le poids respectif du dommage que la divulgation litigieuse a causé à l’autorité publique ou l’employeur privé et l’intérêt que le public pouvait avoir à obtenir cette information.

 

 

- en ce qui concerne A

 

En l’espèce, l’intérêt public à la diffusion des informations portant sur les ATAs, se heurte à l’intérêt privé de D et à l’intérêts privé de ses clients à ne pas les voir soumis au public et aux concurrents.

 

Le représentant du ministère public après avoir souligné le caractère confidentiel des documents couverts par le secret professionnel et contenant des constructions fiscales couvertes par le secret d’affaires, de surcroit soustrait frauduleusement, reproche à A d’avoir communiqué l’intégralité de ces documents, soit 20.000 pages, sans aucune restriction d’utilisation au journaliste C et aurait, ce faisant, méconnu le principe de proportionnalité.

 

Le préjudice causé à D en termes d’atteinte à la réputation, de perte de confiance de la part de ses clients, de violation du secret professionnel, ainsi que le préjudice causé aux clients consistant dans l’atteinte à leur réputation et à voir révéler à leurs concurrents, leurs structures patrimoniales ainsi que le préjudice moral subi suite à la violation du secret professionnel, ne se trouverait dès lors plus en balance avec l’intérêt de leur publication telle que réalisée.

 

Les mandataires d’A estiment que l’intérêt public fondamental à connaître la pratique systématique des ATAs au Grand-Duché de Luxembourg et le faible taux d’imposition qui en résulte, prévaut très largement sur tout dommage - d’ailleurs contesté en son principe - qu’auraient pu subir D et ses clients.

 

Il appert de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle ne vérifie pas le préjudice in concreto en tenant compte des circonstances et conséquences précises de l’espèce ou en chiffrant le préjudice. Elle se borne à vérifier que le préjudice ne soit pas hypothétique et examine le préjudice en termes abstraits, apprécié objectivement, indépendamment de la prise en compte du préjudice subjectif réel.

 

Ainsi dans l’affaire R, la Cour observe d’une manière générale et abstraite qu’il est dans l’intérêt général de maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuites d’un Etat (§90) tout en reconnaissant que cette confiance peut être ébranlée suite aux révélations, sans toutefois vérifier si les habitants de la Moldavie avaient effectivement perdu la confiance en leurs autorités de poursuites, respectivement dans l’affaire L, dans l’institution du service secret.

 

Dans une affaire Q, elle estime que la divulgation par un ingénieur aéronautique servant dans l’armée de l’air, portant sur un missile téléguidé d’un type précis et un transfert des connaissances techniques correspondantes, sont de nature à causer à la sécurité nationale un préjudice considérable (§45). Elle ne vérifie pas si l’Etat concerné a abandonné ou modifié le projet.

 

Dans l’affaire P, la Cour estime que les allégations de I ont assurément porté atteinte à la réputation professionnelle et aux intérêts commerciaux de son employeur, sans vérifier s’il y avait eu une atteinte concrète, une diminution consécutive du nombre des patients au foyer ou une diminution du chiffre d’affaires.

 

Il n’y a dès lors pas lieu de vérifier si, en raison des divulgations d’A et de B, le chiffre d’affaires de D a diminué ou si des clients se sont plaints, ont introduit des actions civiles en responsabilité ou ont quitté D.

 

La Cour d’appel retient que le fait de divulguer des documents couverts par le secret d’affaires et le secret professionnel, cause assurément un préjudice à D, notamment un préjudice moral en sa qualité de victime d’infractions pénales, un préjudice résultant de l’atteinte à sa réputation et par la perte de confiance de ses clients quant au dispositif de sécurité au sein de cette entreprise.

 

L’intérêt général pour ces informations est toutefois indéniable et considérable et prévaut largement sur tout dommage qu’ont pu subir D et ses clients.

 

Il se pose ensuite la question de savoir si A peut prétendre avoir agi proportionnellement et avoir mis en balance d’un côté les intérêts de D et de ses clients et d’un autre côté l’intérêt général, dès lors qu’il a remis sans restriction d’utilisation, l’intégralité des ATAs soustraits, soit 20.000 pages, concernant 538 entreprises.

 

Le représentant du ministère public souligne qu’A aurait eu la possibilité de refuser de remettre les documents à C, qu’il aurait de même pu faire accompagner sa divulgation, d’un résumé, sans mention du nom des entreprises et de celui de D, exposant la substance du type des techniques et mécanismes employés dans ces documents, ainsi que le résultat de ces techniques et mécanismes, à savoir la réduction de la charge fiscale des sociétés bénéficiaires. Il aurait tout aussi bien pu remettre à C un vaste échantillon de documents après avoir pris soin de les anonymiser en caviardant les noms et en fournissant, le cas échéant, des explications sur les mécanismes ou bien en ne lui remettant que quelques-uns des documents même non anonymisés.

 

Chacune de ces hypothèses aurait ainsi à suffisance permis à A d’illustrer et de préciser sa critique de l’optimisation fiscale internationale. La circonstance pour A d’avoir remis l’intégralité des documents au journaliste sans avoir pris la précaution d’imposer au journaliste une restriction de l’usage des documents remis, aurait causé un préjudice disproportionné empêchant qu’A puisse bénéficier d’une protection intégrale au titre de lanceur d’alerte, mais entrainerait suivant le ministère public, une protection moindre, se manifestant par une diminution de la peine.

 

Il est acquis en cause qu’A a remis l’intégralité des ATAs qu’il a soustrait à D, à C afin que celui-ci s’en serve pour préparer un documentaire sur la fiscalité des multinationales.

 

Le but a été la production d’un documentaire fouillé sur l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale diffusée en France pour susciter une discussion publique vu que certaines multinationales parvenaient par des mécanismes très complexes relevant de l’ingénierie fiscale et parfois artificiels, à être imposé au Grand-Duché de Luxembourg à des taux d’imposition extrêmement faibles, tout en évitant de payer des impôts dans les pays de leur implantation réelle.

 

A, n’a toutefois pas pris l’initiative de publier lui-même l’intégralité de la documentation sur internet comme un « fuiteur d’informations » (les « leaker »), mais s’est précisément remis au savoir-faire d’un journaliste d’investigation spécialisé en la matière, puisque lui-même n’avait pas les connaissances nécessaires pour procéder à l’analyse des documents et pour se faire une idée précise sur le fonctionnement des ATAs. Il précise ainsi lors de son interrogatoire de première comparution au juge d’instruction le 12 décembre 2014, ainsi qu’à l’audience du tribunal correctionnel, qu’il n’avait pas une connaissance générale des ATAs avant de les copier, mais qu’il n’avait découvert leur valeur que postérieurement. Il admet également ne pas avoir analysé de manière détaillée les documents copiés étant donné qu’il n’est pas expert en fiscalité et qu’il fallait aborder ces questions avec des experts en fiscalité.

 

En raison du manque des connaissances nécessaires, il contacta d’abord une organisation non gouvernementale sur les pratiques fiscales, sans recevoir la confirmation du caractère préjudiciable des ATAs.

 

Suivant les dépositions concordantes d’A et d’C, c’est ce dernier qui le contacta suite à son intervention sur l’optimisation fiscale, dans un forum de discussion sur Internet. C’était grâce aux contacts de celui-ci, notamment avec le journaliste anglais H de Private Eye et ancien inspecteur fiscal, que les ATAs ont pu être interprétés et expliqués.

 

C explique ainsi dans une interview publié sur le site de l’ICIJ : When I first saw the material itself, I immediately realized the importance of the data. The sheer number of agreements, the names of companies involved and the amounts of transactions disclosed (…). My first concern regarding the documents was to make sens of them. Even thought I was aware of the tools used in the proposed strategies, I had to understand their intricate workings. On my own, there was no way to exploit them properly and thoroughtly. I had to find somebody I could trust, an expert who could decipher them and who would work with me. I finally meet H, a reporter for Private Eye and former tax inspector” (cote A 24).

 

Ainsi en remettant 20.000 pages de documents, concernant 538 entreprises, A entendait mettre le journaliste en mesure de procéder à une sélection des sociétés bénéficiaires d’ATAs qui étaient susceptibles d’intéresser le spectateur, soit que l’optimisation fiscale était particulièrement flagrante, soit qu’elle concernait une société au-dessus de tout soupçon, soit qu’elle permettait de contredire les affirmations de ses dirigeants quant à la charge fiscale.

 

Lors de l’émission Cash Investigation du 11 mai 2012, les dossiers de 24 clients différents ont été cités, respectivement, le client a pu être identifié (courrier du mandataire de D du 9 décembre 2014, cote A7).

 

Il était évident qu’A a dû communiquer les documents à C. Celui-ci refusait toutefois de travailler sur les dires d’une source, mais exigeait des documents, des pièces. Afin de pouvoir respecter le contradictoire en confrontant les dirigeants responsables des sociétés concernées avec la documentation et afin de mener l’enquête sur le terrain en visitant les sièges sociaux des firmes, il était pour le journaliste, hors question de travailler sur base de documents anonymisés.

 

Les deux prévenus s’accordent encore pour dire qu’C a expliqué à A, que le caractère nominatif des documents était pour lui décisif. Afin d’établir le caractère massif des ATAs, et le cas échéant d’être en mesure de prouver en cas de contestation, l’existence et l’envergure des rulings fiscaux, C a sollicité la remise de l’intégralité de la documentation.

 

A était conscient qu’C allait se servir des documents pour préparer une émission sur l’évasion fiscale, que des entreprises seraient nommément désignées et que des documents seraient exhibés. Il n’avait toutefois à aucun moment envisagé de les mettre en ligne et n’était à aucun moment informé de la forme de publication. Ressortissant français, A, contacté par un journaliste français afin de le soutenir dans son enquête lui a cédé le matériel brut pour son émission, diffusée par une chaîne française, pour lui permettre d’étayer ses affirmations sur l’optimisation fiscale et provoquer un débat public.

 

L’on ne saurait dès lors reprocher à A de s’être tourné vers un journaliste spécialisé, travaillant sur ce sujet et d’avoir cédé à l’exigence de ce dernier de lui remettre l’intégralité des documents non censurés et de citer les sociétés bénéficiaires nommément à l’émission.

 

Il n’y a pas lieu d’imposer au lanceur d’alerte un travail préparatoire de conditionnement du matériel avant de lancer l’alerte, de le soumettre à une obligation d’opérer une sélection, de travailler ou de synthétiser le matériel, de rédiger un ouvrage ou de donner une conférence de presse, sous peine de restreindre la latitude et la liberté d’action du lanceur d’alerte.

 

En les communiquant à un journaliste, A avait toutefois perdu la maîtrise quant aux publications futures. Il ne pouvait toutefois anticiper que l’une des personnes ayant eu à disposition l’intégralité des documents les copierait pour les continuer au ICIJ, qui, deux années après la diffusion de la première émission Cash Investigation, mettait en ligne le 5 novembre 2014, non pas l’échantillon choisi par C pour l’émission Cash Investigation, mais l’intégralité des ATAs, et que l’ICIJ agirait comme « fuiteur », déclenchant, ce qui devint à ce moment seulement, l’affaire LuxLeaks.

 

A ne saurait être contredit s’il explique qu’il ignorait l’amplitude et l’envergure qui pouvait résulter de la diffusion de ces documents n’ayant pas été informé que ceux-ci allaient être mis en ligne et qu’il a en quelque sorte été dépassé par les événements n’ayant absolument pas anticipé sur l’amplitude et la diffusion que ces révélations ont provoqué en Europe et dans le monde.

 

A n’est donc pas à l’origine direct de la divulgation de l’intégralité du matériel ni de sa divulgation au niveau européen, voire mondial.

 

En l’occurrence, l’information divulguée est d’intérêt général, l’intérêt public à connaître ces informations, pèse plus fort que l’intérêt privé de D et de ses clients, de sorte que ce critère est donc également rempli.

 

 

- en ce qui concerne B

 

Il est reproché, entre autres, à B d’avoir remis au journaliste C, quatorze déclarations fiscales de clients et deux courriers d’accompagnement.

 

Il aurait ainsi causé un préjudice certain à son employeur sous forme d’atteinte à la réputation et en tant que victime de l’infraction de vol domestique. Il aurait encore causé un préjudice aux clients de D qui ont vu leurs déclarations fiscales - documents confidentiels - publiées au cours de l’émission Cash Investigation diffusée le 10 juin 2013 sous le titre « Le scandale de l’évasion fiscale : Révélations sur les milliards qui nous manquent ».

 

La faible valeur des documents en soi et leur divulgation à un moment où la question avait déjà été amplement illustrée par suite des révélations d’A, ensemble les alternatives dont aurait disposé B pour s’exprimer sur le sujet sans violer son secret professionnel, font, selon le représentant du ministère public, pencher la balance des intérêts en défaveur de l’intérêt public à l’information. B ne pourrait dès lors prétendre à une protection totale de la Convention, mais à une protection amoindrie, se soldant par une réduction de peine.

 

B conteste tout préjudice dans le chef de D. Il souligne que D aurait, bien au contraire, annoncé une augmentation de son chiffre d’affaires et une augmentation de ses effectifs. Il estime plus particulièrement que les déclarations fiscales communiquées sont nécessairement en rapport avec la pratique des ATAs telle que dénoncée par A, dès lors que celles-ci permettent d’exploiter ces derniers, de quantifier les prix des transferts pratiqués et de vérifier la substance économique de l’entité créée au Luxembourg.

 

Ainsi qu’il a été exposé ci-avant, la Cour européenne n’analyse pas concrètement le préjudice subi, mais considère que le dommage causé à l’employeur peut résulter d’une atteinte à son image, d’une perte de confiance et, en général, de l’impact que la dénonciation a pu avoir sur le public. Plus l’affaire et donc l’information que l’employeur avait voulu tenir secret, connait un fort retentissement, plus la confiance du public est ébranlée.

 

En l’occurrence, D est associée à une pratique d’évasion fiscale, sinon à une optimisation fiscale décrite comme inacceptable. Elle a été victime d’infractions pénales et a subi nécessairement un préjudice.

 

Il appert des déclarations de B au cours de l’instruction et aux audiences du tribunal correctionnel qu’il n’a pas choisi les déclarations fiscales pour compléter les ATAs déjà en possession d’C et ce afin d’illustrer de quelle façon les ATAs se traduisaient dans la déclaration fiscale, mais son choix avait été dirigé, au contraire, par le degré de notoriété de la multinationale.

 

Il s’ajoute que les documents remis constituent de simples « déclarations fiscales », donc les affirmations des entreprises multinationales quant à leur situation patrimoniale et financière, quant au chiffre d’affaires réalisé et leur compte profit/perte. Le décompte fiscal de l’Administration qui fixe l’assiette, l’imposition et la dette fiscale, donc par lequel l’administration accepte ou refuse la déclaration n’est pas communiqué.

 

Les documents fournis ne permettaient pas d’illustrer la pratique des ATAs, ni ne fournissaient des exemples ni ne renseignent l’attitude de l’Administration des contributions directes confrontée à ces déclarations. Ils n’avaient qu’une pertinence limitée étant donné que la pratique des ATAs a été dévoilée moyennant les documents fournis par A lors de la première émission de Cash Investigation, une année plus tôt, ce dont B était au courant pour l’avoir vue. Il savait donc qu’un journaliste d’investigation avait fait une enquête et que le débat public était nourri.

 

La Cour européenne attache généralement une grande importance au fait que l’information révélée soit réellement secrète au point de ne pouvoir être obtenue par un autre canal. Elle considère que la protection s’impose lorsque l’agent concerné est seul à savoir - ou fait partie d’un petit groupe dont les membres sont seuls à savoir - ce qui se passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans l’intérêt général en avertissant son employeur ou l’opinion publique (R §72 et P §63).

 

Or, au vu du nombre de documents soustraits l’année précédente et la diffusion de l’émission Cash Investigation, il n’existait aucune raison impérieuse pour B de procéder à une nouvelle violation de la loi pour s’approprier et divulguer des documents confidentiels, ce d’autant plus que les quatorze déclarations fiscales versées, ne révélaient rien sur la pratique des ATAs, sur leur nombre ou la technique de l’optimisation fiscale.

 

Les documents soustraits par B ont été utilisés par C dans le cadre de la deuxième émission Cash Investigation, portant sur l’évasion fiscale et « les milliards qui nous manquent », et non pas sur la pratique des ATAs.

 

Cette émission était divisée en trois volets : le premier et le dernier volet étaient consacrés au lanceur d’alerte J, ancien informaticien de la banque V à …, qui avait emporté des fichiers informatiques répertoriant des milliers de clients, tandis que le deuxième volet portait sur l’évasion fiscale de trois multinationales dont des filiales sont implantées en France : Y, W et U (U).

 

Pour illustrer l’évasion fiscale de ces multinationales sur laquelle portait le reportage, les déclarations fiscales d’Y et d’W avaient été exhibées à titre d’illustration.

 

C qui avait collecté de nombreux documents pour les besoins de cette enquête, s’était rendu au siège social des sociétés et avait rencontré des élus français, des fonctionnaires et d’anciens employés ayant désiré garder l’anonymat. Les déclarations fiscales d’Y et d’W avaient été exhibées à titre d’illustration.

 

Le journaliste fait exposer dans sa note de plaidoiries en défense qu’il a démontré, notamment à l’aide des déclarations fiscales qu’il s’est procurées, que les filiales luxembourgeoises du groupe Y réalisent des chiffres d’affaire considérables – l’une d’entre elles ayant déclaré un profit de 519 millions d’euros en 2009, mais qu’il n’existerait aucune trace d’activité au siège de ces filiales et qu’aucun responsable de ces sociétés n’était présent lors de son passage. Le documentaire révèle encore que l’administration fiscale française réclame dans le même temps au groupe Y un arriéré d’impôts de 198 millions d’euros, et ce alors qu’Y bénéficie simultanément de subventions publiques pour installer des sites logistiques en France.

 

En ce qui concerne le groupe W, la déclaration de TVA pour l’année 2010 de l’une de ces filiales, a été exhibée au cours de l’émission, pour montrer notamment que le groupe W s’est servi de cette filiale pour faire remonter, via le Luxembourg, 173 millions d’euros en remboursement d’intérêts d’un prêt accordé à cette filiale, lesquels intérêts sont déductibles pour la filiale ; cette somme ayant ensuit été transférée vers une autre société du groupe W située à Dubaï où cette société bénéficie d’une exemption totale d’impôts, illustrant les pratiques du « nomadisme fiscal » où le Luxembourg n’est qu’une étape.

 

C rappelle à ce sujet au cours de l’émission, que le groupe W a fermé les Hauts-Fourneaux de … en novembre 2012 et a licencié 600 ouvriers métallurgistes, contre la promesse, jamais respectée, d’investir 180 millions d’euros pour la reconversion du site et que l’administration fiscale française, suivant les informations publiées dans la presse, réclamait au groupe W près d’un milliard d’euros d’arriérés d’impôts.

 

Le document exhibé en relation avec le groupe U (U), était toutefois l’un des ATAs, remis par A.

 

Les informations en relation avec les deux premières sociétés peuvent interpeler et scandaliser, mais ne constituent pas des informations essentielles ou fondamentalement nouvelles.

 

Les déclarations fiscales remises par B n’entérinent ainsi que le résultat de l’enquête journalistique menée par l’équipe d’C. Elles étaient à ce titre, certainement utiles au journaliste, mais ne fournissent toutefois aucune information cardinale jusqu’alors inconnue pouvant relancer ou nourrir le débat sur l’évasion fiscale.

 

Si la Cour européenne a considéré dans l’affaire O et N que la révélation de la déclaration fiscale du dirigeant d’un groupe automobile était dans l’intérêt du public, elle relève que l’intérêt résulte de ce que « la publication incriminée intervenait dans le cadre d’un conflit social, largement évoqué par la presse, au sein d’une des principales firmes automobiles françaises, les salariés revendiquaient des augmentations de salaires que la direction de l’entreprise présidée par J.C. refusait ». L’article démontrait que ledit dirigeant avait bénéficié, lui-même, entre 1986 à 1988, d’une augmentation de 45,9 % (§§9-10 et §50), cette affirmation ayant été démontrée par les trois dernières feuilles d’impôt. La Cour européenne conclut qu’en opérant cette comparaison dans un tel contexte, l’écrit litigieux apportait une contribution à un débat public relatif à une question d’intérêt général.

 

La déclaration d’impôt n’est dès lors pas en soi d’un intérêt public, mais peut le devenir suivant le contexte.

 

Les documents remis par B au journaliste n’ont donc ni contribué au débat public sur la pratique luxembourgeoise des ATAs ni déclenché le débat sur l’évasion fiscale ou apporté une information essentielle, nouvelle et inconnue jusqu’alors.

 

La Cour d’appel considère qu’en raison de la faible pertinence des documents cause un préjudice à son employeur, supérieur à l’intérêt général, par leur divulgation, à un moment où le débat public sur les ATAs avait été lancé et l’absence de contribuer au débat d’intérêt général sur l’évasion fiscale, B ne remplit pas la condition de la proportionnalité du dommage causé par rapport à l’intérêt général, de sorte que la cause de justification du lanceur d’alerte ne saurait être retenue dans son chef.

 

Le critère de bonne foi implique que la divulgation ait été inspirée par des motifs purs et non par une animosité ou un grief personnels ou encore par la perspective d’un avantage personnel, notamment un gain pécuniaire. Il faut que l’agent ait agi dans l’unique but de révéler une information tenue secrète, mais d’intérêt général.

 

 

- en ce qui concerne A

 

Le parquet reconnaît qu’A était, en été 2011, au moment de la remise des documents à C, partant au moment de commettre la violation de son secret professionnel, de bonne foi au sens de la jurisprudence de la Cour européenne. Il estime, au contraire, qu’il n’avait - en date du 13 octobre 2010, au moment de s’introduire dans le système de traitement automatisé de données de son employeur et au moment de les appréhender - pas encore l’intention de lancer l’alerte, cette intention ne serait apparue que postérieurement à l’appropriation.

 

Les défenseurs d’A insistent sur le fait que leur mandant a agi de manière pure et complètement désintéressée, de manière citoyenne. Ils plaident que le critère de la bonne foi n’exige pas que l’intéressé ait eu l’intention de lancer l’alerte lors de l’appréhension des documents, alors que le contraire reviendrait à rajouter une condition non exigée par la jurisprudence.

 

Ils soulignent qu’A était au moment de télécharger les documents un lanceur d’alerte potentiel, en gestation, engagé dans un processus de mûrissement lent et pénible pour devenir un lanceur d’alerte, le chemin étant parsemé de doutes et d’hésitations. Afin d’établir ses convictions et sa désapprobation préalable à la divulgation en été 2011, la défense renvoie plus particulièrement à une intervention sur la chaîne de radio France Inter en février 2010 ainsi qu’à un commentaire écrit en juillet 2010 sur la plateforme de discussion du quotidien Libération.

 

L’appréhension des documents serait en quelque sorte un acte préparatoire pour la divulgation postérieure.

 

Sous le critère de la « bonne foi » la Cour vise, d’un côté, l’absence de grief et d’animosité personnels à l’égard de l’employeur et, d’un autre côté, la motivation propre de l’agent, motivation comprise comme le but légitime poursuivi qui doit correspondre à l’intention de rendre public une information d’intérêt général, nonobstant le caractère irrégulier ou même illégal de la divulgation.

 

Il ne subsiste aucun doute qu’A n’a pas agi par animosité à l’encontre de son employeur ou pour lui nuire. Il n’a pas non plus agi dans un intérêt pécuniaire.

 

Il n’est toutefois pas établi qu’A ait poursuivi le but de procéder à la publication des documents déjà en date du 13 octobre 2010, lorsqu’il se maintenait frauduleusement dans le système de traitement automatisé de données de son employeur et copiait les ATAs.

 

Il suffit, en effet, de se reporter aux circonstances de l’espèce, à son comportement au moment des faits et à ses propres déclarations.

 

La raison de sa démission de son emploi d’auditeur auprès de D était, selon lui, une surcharge de travail et des conditions de travail déplaisantes, le stress. Il se sentait près du « burn out » et a dû consulter un médecin. Il ne trouvait plus aucune utilité sociale dans son travail. Il ne démissionne donc pas en raison de considérations morales.

 

Il y a lieu de relever que la veille de son départ, A avait l’intention de copier exclusivement, de manière ciblée et sans faire de tri, ses documents de formation et l’ensemble des « trainings », des documents de travail auxquels il avait collaboré, des « documents clients », ainsi que les archives du « managing partner ». Il n’était pas à la recherche des ATAs, mais les a découverts par hasard et copiés dans le lot. Ainsi, il a téléchargé en tout 46.000 pages dont 20.000 pages d’ATAs.

 

Il explique le téléchargement, non pas en vue d’une publication, mais par un éventuel usage futur à des fins professionnelles s’il ne devait pas réussir le concours dans la fonction publique en France. En cas d’échec au concours, il aurait utilisé la documentation auprès de son nouvel employeur dans le même secteur.

 

Il n’y a donc pas eu recherche ciblée des ATAs afin de lancer l’alerte, par la volonté de procéder à la publication de la documentation et de disposer d’une preuve en cas de contestation pour documenter la pratique administrative, mais simplement vol d’une documentation professionnelle en vue d’un éventuel usage professionnel ultérieur.

 

Questionné sur les raisons du téléchargement des ATAs, il rejette toute stratégie préméditée ou intention précise. Il confirmera cette absence de dessein à l’audience du tribunal correctionnel lorsqu’il admit qu’au moment de copier les ATAs, il n’avait aucune idée quoi faire avec et qu’il n’avait pas encore, à ce moment, l’intention de les remettre à un journaliste, nonobstant qu’il connaissait le caractère sensible des ATAs.

 

A admet de même que, n’étant pas expert en fiscalité et ne disposant pas des connaissances nécessaires, il n’avait pas analysé de manière détaillée les documents copiés. Il n’a découvert la nature réelle des ATAs, de la pratique administrative et la valeur des documents qu’après sa démission et a réalisé qu’ils lui permettaient, le cas échéant, de faire changer les choses et de susciter la discussion publique.

 

Sur question spéciale de la partie civile, s’il se voyait comme lanceur d’alerte le jour de la soustraction, il répondit par la négative. C’était le journaliste d’investigation C qui prit l’initiative de contacter A et c’est ce journaliste qui demandait l’autorisation de pouvoir utiliser les ATAs dans un futur documentaire sur l’optimisation fiscale et l’évasion fiscale. A reconnaît que sans le journaliste qui avait pris l’initiative de le contacter, les documents n’auraient probablement pas été publiés et qu’il n’aurait pas essayé absolument de les communiquer à quelqu’un et qu’il n’aurait pas cherché d’aller plus loin.

 

C’est C et les contacts de celui-ci, notamment les experts fiscalistes, qui, en été 2011, lui ont appris la valeur des ATAs.

 

Si C avait immédiatement réalisé qu’A lui avait remis des accords fiscaux passés entre une multinationale et l’Administration des contributions et se rendait compte du nombre important des accords ainsi passés, c’était toutefois le journaliste H, ancien inspecteur fiscal, qui beaucoup plus tard, a déchiffré les ATAs et pouvait expliquer à l’aide des descriptions et diagrammes y annexés, la mise en place de la structure sociétaire et financière, la raison pour laquelle l’entreprise effectuait le montage et quel était le résultat d’un point de vue de l’imposition fiscale.

 

Ni l’intervention d’A à titre d’auditeur de l’émission sur France Inter ni son commentaire sur le blog du quotidien Libération, antérieurs à l’appréhension des documents, ne remettent en question ces constats. Ses interventions confirment qu’il désapprouvait l’optimisation fiscale internationale par les entreprises multinationales, qu’il était un citoyen indigné et trouvait injuste que certaines entreprises multinationales échappent quasiment à l’impôt et se considérait comme un lanceur d’alerte potentiel.

 

Au moment de l’extraction des données informatiques et de la fraude informatique, A n’avait pas encore l’animus du lanceur d’alerte. En parcourant de manière systématique le réseau à la recherche de documents qui pouvaient lui être utiles dans sa vie professionnelle future s’il réintégrait le secteur de l’audit, ce n’est pas l’intérêt général qui le motive, mais il poursuit son propre intérêt personnel.

 

L’article 10 de la Convention ne saurait s’appliquer que si les faits ont été commis en vue d’un lancement d’alerte, avec la motivation de procéder à l’exercice de sa liberté d’expression et d’alerter le public. L’agent doit avoir agi dans le but de révéler ce qui, selon lui, devait être raisonnablement considéré comme constitutif d’irrégularité.

 

Dans les trois arrêts cités R, P et M le lanceur d’alerte commet la faute professionnelle ou la violation de son obligation de confidentialité respectivement de son secret professionnel, en lançant publiquement l’alerte. Le lancement de l’alerte et l’infraction ou la faute professionnelle sont concomitantes.

 

Dans l’affaire L, l’agent s’était extériorisé comme lanceur d’alerte et avait contacté un député afin que celui-ci dénonce les écoutes téléphoniques illégales auxquels procédait le service secret roumain, au sein du parlement national roumain et n’a commis le vol des onze casettes d’enregistrement que postérieurement à ses contacts avec le député et sur le conseil de celui-ci, afin de disposer d’une preuve au moment de la publication de l’information.

 

Si, par contre, l’auteur s’approprie frauduleusement des documents à son lieu de travail, sans avoir à ce moment, l’intention de les publier dans le cadre d’une alerte et que cette intention ne surgit que bien après l’appropriation, il ne saurait être protégé par l’article 10 de la Convention.

 

La protection de l’article 10 de la Convention, ne saurait rétroagir et justifier le vol antérieur des documents dès lors que cette intention de publier et de lancer l’alerte n’avait pas existé au moment de la soustraction. Le vol étant une infraction instantanée, ne peut pas être invalidé par une cause de justification postérieure.

 

Ni lors de son interrogatoire de la gendarmerie française, ni au cours de son interrogatoire de première comparution devant le juge d’instruction luxembourgeois, A n’a prétendu avoir agi comme lanceur d’alerte.

 

La Cour considère toutefois qu’A était de bonne foi en été 2011, lorsqu’il remit la documentation à C, afin que celui-ci puisse réaliser un documentaire sur les ATAs et la pratique fiscale des entreprises multinationales.

 

Au moment où il viole son secret professionnel en remettant la documentation à C, A est lanceur d’alerte. En l’état actuel du droit luxembourgeois, il verra s’accorder la cause de justification du lanceur d’alerte.

 

Le ministère public considère à titre subsidiaire en se référant à la Recommandation (2014)7, que le statut du lanceur d’alerte ne saurait toutefois justifier la violation du secret professionnel qui est d’ordre public.

 

Ainsi qu’il a été développé ci-avant, la Cour d’appel se réfère à l’autorité interprétative de la jurisprudence de la Cour européenne qui reconnaît le statut du lanceur même à l’agent qui a violé son secret professionnel.

 

Il s’ajoute qu’en l’espèce, l’article 22 (1) de la loi du 18 décembre 2009 relative à la profession de l’audit prévoit précisément que l’obligation au secret cesse lorsque la révélation d’un renseignement est autorisée ou imposée par une disposition législative, même antérieure à la présente loi.

 

Les dispositions de l’article 22 de la loi sur l’audit, n’excluent dès lors pas la révélation d’informations couvertes par le secret professionnel, à condition que cette révélation soit autorisée par la loi, en l’espèce l’article 10 de la Convention, tel qu’interprété par la Cour européenne.

 

Le non-respect du secret professionnel par A est dès lors justifié en raison de son statut de lanceur d’alerte, de sorte qu’il est à acquitter de cette prévention.

 

 

- en ce qui concerne B

 

B ne satisfait pas au critère de la mise en balance des intérêts en cause et ne pourra dès lors pas bénéficier de la protection complète de l’article 10 de la Convention, mais pourra invoquer une protection moindre, se traduisant en droit luxembourgeois, par la reconnaissance de circonstances atténuantes.

 

Il y a lieu de vérifier s’il a agi avec bonne foi.

 

Le ministère public, après avoir analysé les différentes dépositions quant à la motivation de B, vient à la conclusion, en se basant sur ses déclarations auprès du juge d’instruction et à l’audience de première instance, ainsi que sur le type de documents remis au journaliste, que B a agi de bonne foi. Il a critiqué l’optimisation fiscale des grandes entreprises et a offert son aide à C.

 

En tenant encore compte que B a été licencié par son employeur, le représentant du ministère public conclut à voir condamner B, qui ne pourra bénéficier de la protection complète de la convention puisque les documents n’ont pas été suffisamment pertinents, du chef des préventions retenues à sa charge à une peine d’amende.

 

Ses mandataires demandent à voir dire qu’il bénéficie de la protection intégrale de la Convention à titre de lanceur d’alerte et concluent à voir acquitter leur mandant pour l’ensemble de toutes les préventions, l’ensemble des critères pour bénéficier de la protection de l’article 10 de la Convention étant remplis : les informations divulguées sont d’intérêt public et authentiques, la communication au journaliste a été le seul moyen pour procéder à la révélation des informations, le préjudice éventuellement causé à l’employeur ne prévaudrait pas sur l’intérêt général de l’information révélé et B a agi avec bonne foi.

 

Il appert du dossier que B écrit à C, le 22 mai 2012 : « Je souhaite, comme vous l’imaginez, dénoncer ce scandale fiscal auquel je participe malgré moi. Je ne cherche pas à nuire ni à gagner de l’argent mais participer modestement à ce que les règles fiscales changent, ne serait-ce qu’un tout petit peu » et le 26 octobre 2012, il écrit au journaliste « Ce qui m’intéresse c’est de voir un peu comment elles se répartissent et surtout combien chaque boite paie d’impôt par rapport à son CA. Je pense qu’il faut en permanence mettre ce ratio en perspective par rapport à une société française « normale » qui paient 33,33 % d’impôts. Un autre principe de base étant un acte de citoyenneté assez banal mais pourtant élémentaire : payer des impôts proportionnellement aux affaires qu’elles font dans le pays ».

 

Après la publication des ATAs par le ICIJ, B leur offre son aide en écrivant « Je voudrais continuer ce travail de transparence fiscale, acceptez-vous mon aide ? ».

 

Bien qu’ayant agi de bonne foi, B ne saurait profiter de la cause de justification du lanceur d’alerte, puisque la mise en balance des intérêts en jeu penche, ainsi qu’il a été retenu ci-avant, vers les intérêts de D.

 

La Cour européenne prend encore en dernier lieu en considération la sévérité de la sanction encourue par le lanceur d’alerte.

 

A se voyant reconnaître la cause de justification du lanceur d’alerte, ne sera pas sanctionné pour avoir violé son secret professionnel.

 

En ce qui concerne B, la Cour tient compte, à titre de circonstance atténuante, du mobile qu’il pensait être honorable qui l’a poussé à agir.

 

 

c) Le fait justificatif du journalisme responsable : C

 

La Cour européenne reconnaît un rôle essentiel à la presse dans une société démocratique et accorde une protection toute particulière aux journalistes. Elle n’admet que très exceptionnellement des restrictions à la liberté d’expression du journaliste dans le domaine du discours politique et des questions d’intérêt général alors qu’il y a, par hypothèse, un « besoin social impérieux »  d’être informé. Cette protection élevée va de pair avec une marge d’appréciation restreinte pour juger de l’existence de ce besoin social et toute restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit se trouver établie de manière convaincante.

 

Il se dégage de la jurisprudence européenne que les journalistes peuvent prétendre à cette protection élevée, à condition qu’ils agissent de bonne foi, dans le respect des principes d’un journalisme responsable de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit.

 

Il est d’ailleurs reconnu qu’à la liberté de presse, s’ajoute le droit d’investigation, c’est-à-dire le droit de recevoir et de rechercher des informations.

 

En ce qui concerne la licéité du comportement du journaliste, la Cour européenne prend en compte le fait qu’un journaliste a enfreint la loi, mais considère qu’il n’est pas déterminant pour établir si le journaliste a agi de manière responsable (CEDH Grande Chambre, Pentikäinen §90).

 

Les journalistes ne sauraient en principe être déliés de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun au motif que l’article 10 de la Convention leur offrirait une protection inattaquable. En d’autres termes, un journaliste auteur d’une infraction ne peut se prévaloir d’une immunité pénale exclusive - dont ne bénéficient pas les autres personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression - du seul fait que l’infraction en question a été commise dans l’exercice de ses fonctions journalistiques (Pentikäinen précité §91).

 

La Cour européenne retient que la condamnation d’un journaliste pour divulgation d’informations considérées comme confidentielles ou secrètes, peut dissuader des médias d’informer le public sur des questions d’intérêt général. Elle met, ici encore, en balance les intérêts en présence : d’un côté la liberté d‘expression et le droit à l’information et de l’autre côté la protection des données privées et secrètes et examine concrètement le comportement du journaliste et la proportionnalité de la sanction prononcée.

 

En l’occurrence, C a, dans le cadre d’un documentaire télévisé sur l’évasion fiscale et afin d’illustrer le taux d’imposition réel très faible des entreprises multinationales, divulgué les déclarations fiscales lui communiquées par B, partant des documents couverts par le secret professionnel. Il n’a pas recouru à la ruse ou la menace pour entrer en possession des déclarations.

 

Il est acquis en cause que c’était B qui a pris l’initiative de contacter C et c’est encore le premier qui a choisi suivant le critère de la notoriété de la multinationale, les documents remis au deuxième sans être guidé par le journaliste ou que celui-ci lui aurait dicté les choix. Il n’a imposé aucune restriction d’usage au journaliste, mais lui a donné les documents « pour qu’il en fasse ce qu’il veut », afin de l’aider dans son enquête sur l’évasion fiscale.

 

Le rôle d’C se limita à proposer à B de les lui transférer de manière sécurisée en lui expliquant le mécanisme de la boîte à lettre morte et en l’invitant à en créer une pour lui permettre de garder l’anonymat.

 

Le documentaire « Le scandale de l’évasion fiscale : révélations sur les milliards qui nous manquent » qui complétait le premier documentaire Cash Investigation diffusé le 11 mai 2012, traitait le sujet de l’évasion fiscale massive d’entreprises multinationales qui, par différents mécanismes appelés optimisation fiscale agressive, échappaient presque complètement à l’impôt dans les pays où ils exercent réellement leurs activités, privant les trésors publics nationaux d’importantes recettes - le documentaire mentionne des milliards d’euros - relève de l’intérêt général et nourrit le débat public en ce sens que le sujet touche le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, éveiller son attention ou le préoccuper sensiblement.

 

Alors que le journaliste dispose du choix de décider s’il est nécessaire ou non de reproduire le support de son information pour en asseoir la crédibilité (CEDH O et N, §54), l’on ne saurait encore reprocher à C d’avoir exhibé au cours de l’émission quelques-unes des déclarations fiscales lui remises par B.

 

Suivant la Cour, l’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand qu’il peut l’emporter sur une obligation de confidentialité imposée par la loi.

 

Le principe du contradictoire a été respecté, les responsables des multinationales citées avaient été accostés pour prise de position, fournir des explications ou leur permettre de rectifier les affirmations.

 

Les faits exposés n’ont été démentis par aucune des entreprises citées et aucune affirmation n’a été considérée comme diffamatoire.

 

C n’a, par ailleurs, pas été motivé par la volonté de tirer un avantage personnel du documentaire et aucun élément ne permet de retenir qu’il n’aurait pas agi de bonne foi ou n’aurait pas respecté les règles de déontologie.

 

Même si C n’a pas pu ignorer le caractère confidentiel des documents et informations qu’il entendait publier, la jurisprudence considère que cette connaissance n’est pas déterminante pour établir si le journaliste a agi de manière responsable.

 

Le documentaire traite un sujet d’intérêt public et il y a lieu de constater le sérieux de l’enquête. Ayant agi de bonne foi, dans le respect des règles déontologiques et conformément aux critères élaborés par la jurisprudence de la Cour européenne, la condamnation du journaliste C ne saurait dès lors être justifiée, nonobstant le fait qu’il a publié des documents confidentiels.

 

C ayant agi en journaliste responsable au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, a agi de bonne foi, a divulgué des informations exactes, précises et dignes de confiance. La publication a par ailleurs contribué à un débat d’intérêt général.

 

C peut donc se voir reconnaître la cause de justification du journaliste responsable.

 

Il y a lieu de confirmer, quoique pour d’autres motifs, le jugement entrepris en ce qu’il a acquitté C du chef des préventions de complicité de violation du secret professionnel et de blanchiment-détention du produit du vol.

 

 

IV. Conclusion

 

Au vu de ce qui précède, A est à retenir, par réformation partielle et par rectification du libellé, dans les liens des préventions suivantes :

 

« comme auteur ayant lui-même commis les infractions ;

 

entre le 13 et le 14 octobre 2010, dans les locaux de la société D, à … et, par la suite, au cours de l’été 2011 à … (…),

 

1) en infraction aux articles 461, 463 et 464 du Code pénal,

 

d'avoir soustrait frauduleusement des choses qui ne lui appartiennent pas, avec la circonstance que le voleur est un domestique et a volé dans les lieux où il travaille habituellement,

 

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait dans les locaux où il travaillait habituellement, en sa qualité de salarié de la société D, plus de 45.000 pages, à savoir des documents de formations internes et des documents confidentiels, notamment des ATAs approuvés par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg, concernant 538 clients de la société D, partant des documents qui ne lui appartenaient pas,

 

2) en infraction à l’article 509-1 du Code pénal,

 

de s’être frauduleusement maintenu dans un système de traitement automatisé de données,

 

en l’espèce, le 13 octobre 2010 entre 18.48 heures et 19.17 heures, de s’être frauduleusement maintenu dans le système de traitement automatisé de données de la société D pour télécharger les demandes d’ATAs préparées par la société D et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg concernant 538 clients de la société D,

 

3) d’avoir détenu et utilisé des biens visés à l’article 32-1 alinéa premier, sous 1) du Code pénal, formant l’objet et le produit direct d’une infraction énumérée au point 1 de l’article 506-1 du même code, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient d’une des infractions visés par l’article 506-1 du code,

 

en l’espèce, d’avoir détenu et utilisé les documents de formations internes et des documents confidentiels de 538 clients de la société D concernant les demandes d’ATAs préparées par la société D et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg formant le produit direct d’une infraction à l’article 464 du Code pénal et sachant au moment de leur réception et pendant leur détention qu’ils proviennent d’un vol.

 

 

Ces infractions se trouvent en concours idéal entre elles, de sorte qu’il y a lieu de prononcer, en application de l’article 65 du Code pénal, seule la peine la plus forte qui est celle comminée par les articles 463 et 464 du Code pénal sanctionnant le vol domestique d’une peine d’emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d’une amende obligatoire de 251.- à 5.000.- euros.

 

A a soustrait frauduleusement et en connaissance de cause des documents confidentiels, en abusant de la confiance de son employeur, tout en étant indécis quant à l’usage qu’il allait faire des ATAs, connaissant toutefois leur caractère strictement confidentiel.

 

Au vu de la gravité des faits il y a lieu de condamner A à une peine d’emprisonnement, qu’il y a toutefois lieu de ramener à 6 mois.

 

Au vu de l’absence d’antécédents judiciaires, il y a lieu de l’assortir intégralement du sursis simple.

 

L’amende de 1.500.- euros prononcée en première instance, est légale et adéquate, partant à confirmer.

 

B est à retenir, par réformation partielle et par rectification du libellé, dans les liens des préventions suivantes :

 

« comme auteur ayant lui-même commis les infractions ;

 

entre octobre 2012 et décembre 2012, dans les locaux de la société D, à …, ensuite à … et à …,

 

1) en infraction aux articles 461, 463 et 464 du Code pénal,

 

avoir soustrait frauduleusement des choses qui ne lui appartiennent pas avec la circonstance que le voleur est un domestique et a volé dans les lieux où il travaille habituellement,

 

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait, en sa qualité de salarié de la société D, 14 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société D, ainsi que deux courriers, partant des documents qui ne lui appartenaient pas,

 

2) en infraction à l’article 509-1 du Code pénal,

 

de s’être frauduleusement maintenu dans à un système de traitement automatisé de données,

 

en l’espèce, le 31 octobre 2012, le 16 novembre 2012 et le 7 décembre 2012, s’être frauduleusement maintenu dans le système de traitement automatisé de données de la société D afin de télécharger 14 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société D ainsi que deux courriers ;

 

3) en infraction à l’article 458 du Code pénal,

 

d'avoir, en sa qualité de personne dépositaire par profession des secrets qu’on lui confie, révélé ces secrets lui confiés, hors le cas où il est appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets,

 

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié de la société D, cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets lui confiés, hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et hors le cas où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, et plus précisément, d’avoir révélé 14 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société D et 2 courriers en les communiquant au journaliste C ;

 

4) d’avoir détenu et utilisé des biens visés à l’article 32-1 alinéa premier, sous 1) du Code pénal, formant l’objet et le produit direct d’une des infractions énumérées au point 1 de l’article 506-1 du même code, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de plusieurs d’une des infractions visées par l’article 506-1,

 

en l’espèce, d’avoir détenu et utilisé des documents confidentiels préalablement soustraits, à savoir 14 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société PricewaterhouseCooper ainsi que 2 courriers, formant le produit direct d’une infraction à l’article 464 du Code pénal et sachant au moment de leur réception et pendant leur détention qu’ils provenaient d’un vol.

 

 

Les infractions de vol domestique, de fraude informatique et de blanchiment-détention du produit du vol se trouvent en concours idéal.

 

Ce groupe d’infractions se trouve en concours réel avec l’infraction de violation du secret professionnel.

 

En cas de concours réel de plusieurs délits il y a lieu de prononcer en application de l’article 60 du Code pénal, la peine la plus forte pouvant être porté au double du maximum, et qui, en l’espèce, est celle comminée par les articles 463 et 464 du Code pénal sanctionnant le vol domestique d’une peine d’emprisonnement de 3 mois à 5 ans et d’une amende obligatoire de 251.- à 5.000.- euros.

 

B ne saurait bénéficier du fait justificatif du lanceur d’alerte. Il y a toutefois lieu de tenir compte dans la fixation de la peine, du mobile qu’il pensait honorable et du caractère désintéressé de son geste, qui valent circonstances atténuantes, ainsi que de l’absence d’antécédents judicaires dans son chef.

 

La Cour décide, en application de l’article 20 du Code pénal, de faire abstraction d’une condamnation à une peine d’emprisonnement et de confirmer l’amende de 1.000.- euros prononcée en première instance.

 

 

AU CIVIL

 

A l’audience de la Cour d’appel du 21 décembre 2016, la partie demanderesse au civil, la société D, qui n’a pas interjeté appel, a réitéré sa demande civile dirigée contre A et B, conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à se voir allouer l’euro symbolique à titre d’indemnisation de son préjudice moral.

 

Les causes de justification exonèrent tant de la responsabilité pénale que de la responsabilité civile (Cass belge 27 juin 2008, Pas.2008, p.1732 ; Cass. belge 5 juin 2008, Pas.2008, p.1411).

 

Au vu de l’acquittement A du chef de la violation de son secret professionnel en raison de la cause de justification du lanceur d’alerte, la partie civile est irrecevable pour prétendre à l’indemnisation de son préjudice de ce chef, mais reste recevable pour demander l’indemnisation de son préjudice résultant du vol domestique et de la fraude informatique, retenues à l’encontre d’A. L’infraction de blanchiment-détention du produit du vol n’a pas causé un préjudice certain et personnel à D.

 

Les mandataires d’A et de B contestent le bien-fondé de la demande civile au motif que la partie demanderesse au civil D n’aurait subi aucun préjudice.

 

Par ailleurs, la faute exclusive de la victime consistant dans l’immoralité, voire l’illégalité de ses agissements dans le cadre de la mise en œuvre des rulings, empêcherait toute indemnisation.

 

Pour être recevable à se constituer partie civile devant la juridiction du fond, la partie demanderesse doit établir qu’elle a subi un dommage personnel, né et actuel et résultant directement de l’infraction pour laquelle le défendeur au civil sera condamné, le simple intérêt à porter plainte étant toutefois insuffisant. Le dommage peut être d’ordre pécuniaire ou d’ordre moral.

 

L’appréciation et l’étendu du dommage est abandonné à la discrétion du juge qui appréciera le mode de réparation auquel il croit devoir recourir.

 

En l’occurrence, D a souffert un dommage moral du fait qu’elle a été victime de vols domestiques et de fraudes informatiques commises par A et B et, en ce qui concerne ce dernier, d’une violation de son secret professionnel. Ces infractions lui ont causé des troubles et tracasseries de sorte qu’il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

 

 

 

P A R   C E S   M O T I F S

 

 

 

la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, les prévenus A, B et C et les défendeurs au civil A et B entendus en leurs explications et moyens de défense, la partie demanderesse au civil la société D en ses conclusions et le représentant du ministère public en son réquisitoire,

 

dit qu’il n’y a pas lieu de nommer un médecin-expert avec la mission d’examiner l’état de santé de E et de se prononcer sur son aptitude médicale à se présenter devant la Cour ;

 

déclare les appels au pénal partiellement fondés ;

 

réformant :

 

acquitte A des infractions non établies à sa charge ;

 

ramène la peine d’emprisonnement prononcée en première instance à six (6) mois et maintient la peine d’amende de mille cinq cents (1.500.-) euros, du chef des infractions retenues à sa charge ;

 

dit qu’il sera sursis à l’exécution de l’intégralité de cette peine d’emprisonnement ;

 

 

acquitte B de l’infraction non établie à sa charge ;

 

décharge B de la condamnation à une peine d’emprisonnement prononcée contre lui en première instance et maintient la peine d’amende de mille (1.000.-) euros du chef des infractions retenues à sa charge ;

 

confirme, quoique pour d’autres motifs, la décision d’acquittement d’C ;

 

 

confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

 

condamne A aux frais de sa poursuite en instance d’appel, ces frais liquidés à 15,98 euros ;

 

condamne B aux frais de sa poursuite en instance d’appel, ces frais liquidés à 15,98 euros ;

 

laisse les frais de la poursuite d’C en instance d’appel à charge de l’Etat ;

 

condamne A et B aux frais de la demande civile dirigée contre eux en instance d’appel.

 

 

 

Par application des textes de loi cités par la juridiction de première instance en ajoutant l’article 10 de la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 20 du Code pénal et les articles 202, 203, 209, 210, 211 et 212 du Code d’instruction criminelle.

 

Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, à la Cité judiciaire à Luxembourg, plateau du St. Esprit, bâtiment CR où étaient présents :

 

 

Michel REIFFERS, président de chambre,

Nathalie JUNG, conseiller,

Jean ENGELS, conseiller,

John PETRY, premier avocat général, et

Christophe WAGENER, greffier assumé,

 

qui, à l’exception du représentant du ministère public, ont signé le présent arrêt.

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