La Cour constitutionnelle a rendu en date du 1er juillet 2016 un arrêt dans l'affaire n° 00125 du registre ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la decision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.
La question avait été introduite par le Conseil supérieur de la sécurité sociale suivant arrêt no 2016/0043 (No. du reg. : PDIV 2015/0102) rendu le 22 février 2016, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 2 mars 2016, dans le cadre d’un litige opposant
XXXX, demeurant à F-XXXX,
à
la Caisse nationale d’assurance pension, établie à Luxembourg, représentée par le président de son comité-directeur,
La Cour,
composée de
Georges SANTER, président,
Francis DELAPORTE, vice-président,
Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,
Henri CAMPILL, conseiller,
Étienne SCHMIT, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 29 mars 2016 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour XXXX,
ayant entendu Me Jonathan HOLLER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, mandataire de XXXX, en ses plaidoiries,
rend le présent arrêt :
Considérant qu’il résulte de l’arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale du 22 février 2016 que par jugement du 26 juillet 2013 du Conseil arbitral de la sécurité sociale XXXX a été déclarée invalide à titre permanent à partir du 8 mars 2010 et que par jugement du 24 avril 2015, après avoir constaté que XXXX a touché des indemnités pécuniaires de maladie de la part d’une caisse de maladie luxembourgeoise du 14 février 2010 au 18 janvier 2011, a bénéficié d’une pension d’invalidité à titre temporaire du 19 janvier au 1er février 2011, a bénéficié d’une prestation de la part de la Caisse nationale d’assurance pension du 2 au 27 février 2011 et a perçu des prestations d’une caisse de maladie non-luxembourgeoise du 28 février 2011 au 26 septembre 2013, le Conseil arbitral a retenu que la Caisse nationale d’assurance pension a fixé le début de la pension d’invalidité au 27 septembre 2013, à l’expiration des prestations par une caisse de maladie non-luxembourgeoise, en conformité avec l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale ;
Considérant que XXXX a déféré le jugement du 24 avril 2015 au Conseil supérieur de la sécurité sociale qui, par arrêt du 22 février 2016, a saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :
« L’article 190 alinéa 3 du Code de la sécurité sociale, est-il conforme à l’article 10 bis de la Constitution en tant qu’il exclut le mécanisme de la compensation tel que prévu par l’article 190 alinéa 2 pour les assurés ayant bénéficié d’une indemnité pécuniaire d’un régime d’assurance maladie non luxembourgeois »,
Considérant que l’article 190 du code de la sécurité sociale dispose en ses alinéas 1 à 3:
« La pension d’invalidité court du premier jour de l’invalidité établie, mais au plus tôt du jour où la condition de stage prévue à l’article 186 est remplie; en cas d’exercice d’une activité non salariée soumise à l’assurance, elle ne commence à courir qu’à partir du jour de la cessation de cette activité. Toutefois en cas de conservation légale ou conventionnelle de la rémunération de l’activité salariée exercée avant l’échéance du risque elle ne court qu’à partir du jour de la cessation de cette rémunération. …
Pour la période pendant laquelle l’assuré bénéficiaire d’une pension d’invalidité a touché également une indemnité pécuniaire de maladie découlant de l’activité salariée exercée avant l’échéance du risque, la pension d’invalidité est versée à la caisse de maladie compétente qui transmet la différence éventuelle à l’assuré.
Toutefois, si l’assuré a bénéficié d’une indemnité pécuniaire d’un régime d’assurance maladie non luxembourgeois, la pension d’invalidité ne prend cours qu’à l’expiration du droit à cette indemnité.
…
…
… »
Considérant qu’il résulte de la pièce d’identité versée à la Cour constitutionnelle, à sa demande, que XXXX est de nationalité française et qu’elle réside en France ;
Considérant qu’aux termes de l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution «Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi» ;
Considérant que l’article 111 de la Constitution dispose : « Tout étranger qui se trouve sur le territoire du Grand-Duché, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi » ;
qu’au regard de la nationalité française de XXXX la question soumise n’est pertinente qu’au vu de l’article 10bis combiné avec l’article 111 de la Constitution, que la Cour prend aussi en considération;
Considérant que le législateur peut, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but;
Considérant que l’article 190 du code de la sécurité sociale prévoit en son alinéa 1 le droit à la pension d’invalidité à partir du premier jour de l’invalidité et institue en son alinéa 2 une règle qui exclut le cumul de revenus pour la même période en raison de la maladie et de l’invalidité ;
Considérant que l’article 190, alinéa 2, atteint le but du non-cumul en mettant à charge de l’institution luxembourgeoise débitrice de la pension d’invalidité l’obligation de transférer l’intégralité de la pension à l’institution luxembourgeoise qui a réglé des indemnités pécuniaires de maladie, à charge de celle-ci de payer au bénéficiaire de la pension d’invalidité le montant de la pension qui dépasse l’indemnité pécuniaire ;
que cette règle conserve au bénéficiaire d’une pension d’invalidité le droit à l’intégralité de sa pension à partir du premier jour de l’invalidité ;
Considérant que l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale dispose que la personne invalide qui touche une indemnité pécuniaire de maladie de la part d’une institution non-luxembourgeoise n’a droit à la pension d’invalidité qu’à partir du jour où cesse le droit à cette indemnité ;
que cette disposition, neutre par rapport à la nationalité et au lieu de résidence du bénéficiaire de la pension d’invalidité, est de nature à priver la personne invalide du revenu correspondant au montant de la pension d’invalidité qui dépasse l’indemnité pécuniaire du seul fait que cette prestation est fournie par une institution étrangère ;
Considérant que ce traitement différent de la personne invalide suivant qu’elle perçoit une indemnité pécuniaire de maladie de la part d’une institution luxembourgeoise ou non-luxembourgeoise n’est pas rationnellement justifié et n’est pas proportionné au but légitime d’éviter un cumul de prestations ;
qu’en raison de la privation de la personne invalide du droit à l’intégralité de la pension d’invalidité dès le premier jour d’invalidité tant qu’elle bénéficie d’une indemnité pécuniaire de maladie de la part d’une institution étrangère l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution ;
Considérant qu’aucune disposition légale ne prévoit une exception à l’application de l’article 190, alinéa 2, du code de la sécurité sociale à l’égard des étrangers ;
Considérant que l’article 186 du code de la sécurité sociale, relatif au droit à la pension d’invalidité, dispose :
« A droit à une pension d’invalidité avant l’âge de soixante-cinq ans tout assuré justifiant d’un stage de douze mois d’assurance au moins au titre des articles 171, 173 et 173bis pendant les trois années précédant la date de l’invalidité constatée par le médecin de contrôle ou de l’expiration de l’indemnité pécuniaire de maladie, s’il est atteint d’une invalidité au sens de l’article 187 ci-après. Cette période de référence de trois ans est étendue pour autant et dans la mesure où elle se superpose à des périodes visées à l’article 172 ainsi qu’à des périodes correspondant au bénéfice du complément prévu par la loi modifiée du 29 avril 1999 portant création d’un droit à un revenu minimum garanti.
Toutefois, ce stage n’est pas exigé en cas d’invalidité imputable à un accident de quelque nature que ce soit ou à une maladie professionnelle reconnue en vertu des dispositions du présent code, survenus pendant l’affiliation. »
Considérant que l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale s’applique à l’égard des personnes qui ont acquis un droit à une pension d’invalidité, en application notamment des articles 186, 170, 171, 173 et 173bis du code de la sécurité sociale, soit en raison d’un stage d’au moins douze mois d’assurance pension obligatoire durant une période de référence, ayant donné lieu, en principe, au paiement de cotisations, du fait d’une activité professionnelle exercée contre rémunération au Luxembourg ou à l’égard des personnes qui justifient de périodes assimilées à de telles périodes d’activité professionnelle, soit en raison d’une invalidité imputable à un accident de quelque nature que ce soit ou à une maladie professionnelle reconnue en vertu des dispositions du code de la sécurité sociale, survenus pendant l’affiliation;
que les étrangers auxquels s’applique l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale sont à considérer comme se trouvant sur le territoire du Luxembourg au sens de l’article 111 de la Constitution ;
Considérant que dès lors l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, qui n’est pas conforme à l’article 10bis de la Constitution, n’est pas non plus conforme à l’article 111 de la Constitution.
Par ces motifs:
dit que l’article 190, alinéa 3, du code de la sécurité sociale n’est pas conforme aux articles 10bis, paragraphe 1, et 111 de la Constitution;
dit que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation;
dit qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de XXXX lors de la publication au Mémorial;
dit que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au secrétariat du Conseil supérieur de la sécurité sociale et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.