Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du Tribunal administratif du 16 décembre 2015 (n° 35489 du rôle) dans un litige l’opposant à la société anonyme … S.A., L-…, en matière d’impôts.
Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 37448C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 22 janvier 2016 par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d’un mandat afférent lui conféré par le ministre des Finances le 7 janvier 2016, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 16 décembre 2015, par lequel ledit tribunal a déclaré fondé le recours introduit par la société anonyme de droit luxembourgeois … S.A., ayant son siège social à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son administrateur unique en fonctions, tendant à la réformation :
- du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2012, émis par le bureau d’imposition Sociétés 6 en date du 15 janvier 2014,
- du bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2012, émis par le bureau d’imposition Sociétés 6 en date du 15 janvier 2014,
- de la décision prise par le bureau d’imposition Sociétés 6 en date du 14 février 2014,
de manière que le tribunal a, par réformation desdits bulletins et décision déférés, dit que l’apport caché d’un know how, correspondant à 80 % des bénéfices nets, est déductible du revenu imposable soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités et à l’impôt commercial communal, rejeté la demande en paiement d’une indemnité de procédure de 1.000 euros et condamné l’Etat aux frais ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 février 2016 par Maître Stéphane EBEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la société … S.A. ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 mars 2016 par Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 mars 2016 par Maître Stéphane EBEL pour compte de la société … S.A. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Eric PRALONG et Maître Stéphane EBEL en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2016.
Par un courrier de sa fiduciaire du 15 juin 2012, Monsieur ..., résident en Belgique, soumit au bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », un projet suivant lequel il entendait constituer une société de droit luxembourgeois, dénommée … S.A., ci-après désignée par la « société … », à laquelle il entendait apporter son savoir-faire, qu’il proposait de voir considérer comme apport de capital caché correspondant à 80% du bénéfice commercial, de manière à conclure que 80% des dividendes devraient être considérés comme un remboursement de capital ne subissant aucune retenue à la source luxembourgeoise, et sollicita l’accord du bureau d’imposition avec cette interprétation de la loi fiscale luxembourgeoise.
Par un courrier du 28 janvier 2013, le préposé du bureau d’imposition, ci-après le « préposé », répondit de la manière suivante :
« En référence à votre lettre du 18 juin 2012 concernant ... S.A., je confirme par la présente que les conséquences fiscales mentionnées dans votre courrier sont conformes à la législation fiscale et à la position administrative en vigueur.
Il est bien entendu que ma confirmation ne peut être utilisée que dans le cadre de la présente structure et que les principes détaillés dans votre lettre ne sont pas transposables ipso facto à d’autres cas d’espèce ».
Par un courrier du 22 novembre 2013, le bureau d’imposition informa la société ... de ce qu’il avait l’intention, en application du § 205 (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », de s’écarter de la déclaration fiscale pour l’année 2012 sur le point suivant :
« La contribution en capital caché à raison de 80% n’a pu être retenue par le bureau d’imposition Sociétés 6. En effet, en cas d’apport caché, le bureau d’imposition Sociétés 6 préfère se baser sur une étude effectuée par un tiers indépendant, alors que l’approche forfaitaire a été fournie par la fiduciaire même de la société « ... S.A. ».
En date du 15 janvier 2014, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société ... le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2012, ci-après désigné par le « bulletin IRC », ainsi que le bulletin de l’impôt commercial communal de la même année, ci-après désigné par le « bulletin ICC », le bulletin IRC mentionnant plus particulièrement que l’imposition avait été effectuée conformément à la prédite lettre du 22 novembre 2013 et que l’étude de valorisation d’un apport caché, entre-temps fournie, aurait été jugée insuffisante puisqu’elle n’apporterait pas d’éléments nouveaux par rapport à l’étude déjà présentée antérieurement.
Par un courrier du 6 février 2014, la société ... s’adressa par l’intermédiaire de son mandataire au bureau d’imposition par rapport aux prédits bulletins d’imposition.
Par un courrier du 14 février 2014, le bureau d’imposition prit position comme suit :
« En réponse au courrier nous adressé par l'« Etude … » en date du 6 février 2014, je vous informe que le bureau d'imposition Sociétés 6 n'envisage pas de reconnaître l'apport caché tel que présenté par la fiduciaire … le 4 novembre 2013 respectivement l'étude fournie par « … » le 5 décembre 2013.
Le bureau d'imposition Sociétés 6 a confirmé en date du 28 janvier 2013 le traitement fiscal proposé par la société « … s.à r.l. » (courrier du 15 juin 2012) en l'absence d'une étude de valorisation du savoir-faire de M. ....
Comme le bureau d'imposition est de plein droit de vérifier la véracité des éléments décrits dans la demande de traitement fiscal du 15 juin 2012, cette étude de valorisation a été demandée dans le cadre de l'imposition de l'année 2012. D'abord une étude a été produite par la fiduciaire-même, une étude que le bureau d'imposition n'a pas acceptée vu qu'elle n'a pas été faite par un expert ou un tiers indépendant. Une deuxième étude a donc été livrée par la société « … ». Cependant cette étude n'apporte pas d'éléments nouveaux en la comparant à la première étude.
Je vous rappelle que la preuve des faits libérant de l'obligation fiscale ou réduisant la cote d'impôt appartient au contribuable (§ 170 et suivants de la L.G.I. et art. 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives). Il appartient donc à votre société de justifier l'apport caché annuel à raison de 80% par une étude satisfaisante. En l'absence d'une telle justification le bureau d'imposition Sociétés 6 estime que la restructuration par M. ... est menée avec la seule intention d'éviter l'impôt par le montage d'une structure artificielle c'est-à-dire motivée principalement à des fins de considérations fiscales (voir également le §6 StAnpG). De ce fait le bureau d'imposition Sociétés 6 n'est pas tenu de se conformer à l'accord fiscal obtenu le 28 janvier 2013 (§ 96 L.G.I.).
Compte tenu de ce qui procède, le bureau d'imposition ne procédera pas à une imposition rectificative suivant § 94 L.G.I. de l'année en question.
Je vous rends également attentif au fait que la retenue sur tantièmes est de 20%, c'est-à-dire que la reconnaissance de 80% des tantièmes en tant que capital fiscal n'est pas acceptée non plus (voir art. 91 al.1 n°2 et 152 titre 2 L.LR.).
Au cas où vous ne seriez pas d'accord avec la décision prise par le bureau d'imposition Sociétés 6, je vous prie d'envoyer une lettre de réclamation au directeur de l'Administration des contributions directes (§ 228 L.G.I.) ».
Par un courrier du 4 avril 2014, la société ... fit introduire une réclamation contre les prédits bulletins ainsi que contre la décision du 14 février 2014 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur ».
A défaut de réponse de la part du directeur suite à cette réclamation, la société ... fit introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2014, un recours en réformation contre le bulletin IRC, le bulletin ICC et la décision du bureau d’imposition du 14 février 2014.
Dans son jugement du 16 décembre 2015, le tribunal conclut au caractère justifié de ce recours et, par réformation desdits bulletins et décision déférés, dit que l’apport caché d’un know how, correspondant à 80 % des bénéfices nets, était déductible du revenu imposable soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités et à l’impôt commercial communal, rejeta la demande de la recourante en paiement d’une indemnité de procédure de 1.000 euros et condamna l’Etat aux frais.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 22 janvier 2016, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 16 décembre 2015.
A l’appui de son appel, l’Etat reproche au tribunal d’avoir retenu que l’administration aurait été en l'espèce tenue de respecter l'accord préalable du 22 janvier 2013, alors même que les conditions pour que la décision administrative puisse avoir une quelconque force obligatoire n'auraient pas été réunies et que par ailleurs la situation serait entachée d'un abus de droit manifeste.
Relativement à la prétendue violation du principe de la confiance légitime, l’Etat se réfère à la jurisprudence relative au respect du principe de sécurité juridique pour en déduire que la réponse que l'administration fiscale aura donné le cas échéant à un contribuable ne liera celle-ci à ce dernier que dans la seule hypothèse où quatre conditions déterminées sont cumulativement réunies, à savoir, premièrement, que le contribuable a soumis une question par écrit de façon à permettre à l'administration fiscale d'analyser convenablement la situation exposée par le contribuable, deuxièmement, que la réponse individuelle fournie doit ensuite émaner d'un fonctionnaire compétent, ou à tout le moins d'un fonctionnaire dont le contribuable a légitimement pu croire qu'il était investi des pouvoirs suffisants, troisièmement, que l'administration doit encore avoir voulu se lier par les renseignements donnés au contribuable et, quatrièmement, que les renseignements fournis par l’administration doivent avoir eu une influence déterminante sur le contribuable.
Quant à la première de ces conditions, l’Etat soutient que la demande de décision anticipée soumise pour compte de l’intimée ne satisferait nullement à cette exigence qui impliquerait que les demandes adressées à l'administration devraient être, dès leur introduction, complètes et exhaustives et accompagnées, le cas échéant, de toutes les pièces nécessaires à une bonne compréhension, de sorte que l'administration puisse se prononcer en connaissance de cause. Un contribuable qui sollicite une décision anticipée devrait être lui-même transparent et fournir l'ensemble de la documentation susceptible d'étayer son propos. Il appartiendrait de la sorte au contribuable d'être exhaustif et sincère dans sa présentation des faits. Selon l’Etat, la demande litigieuse du 15 juin 2012 serait sommaire voire lacunaire et elle ne serait appuyée ni par un rapport d'évaluation du prétendu goodwill que constitueraient les droits de propriété du savoir-faire de Monsieur ..., ni par un contrat relatif à l'apport de ce savoir-faire. Ainsi, la demande litigieuse n'aurait été accompagnée, hormis l'acte de constitution de la société ..., d'aucune annexe permettant au préposé de toiser la demande en connaissance de cause et aurait de la sorte été manifestement incomplète. L'intimée aurait, par son omission dolosive, induit en erreur le préposé qui n'aurait certainement jamais donné son accord si elle lui avait soumis tous les éléments du dossier. L’Etat considère qu'en d'autres termes, une relation de confiance légitime supposerait qu'elle soit réciproque et que le contribuable joue d'emblée franc-jeu, ce qui n'aurait nullement été le cas en l'espèce. L’Etat conteste dès lors que la question posée en l’espèce par le contribuable ait permis à l'administration fiscale d'analyser convenablement la situation exposée par le contribuable et il estime que les rapports d'évaluation versés ex post sur demande de l'administration auraient été écartés à bon droit par celle-ci.
Relativement à la deuxième des conditions, l’Etat admet qu’elle se trouverait remplie en l’espèce.
En ce qui concerne la troisième des conditions, l’Etat fait valoir qu’au vu des éléments dont l'administration aurait disposé à la date de la demande de décision anticipée, son accord n’aurait pas pu être ferme et définitif, mais qu'il s'agirait tout au plus d'un accord donné prima facie, subordonné au fait que le contribuable soit en mesure de verser sur demande les pièces justificatives nécessaires, le préposé n'ayant pu se prononcer que sur base des seuls faits qui lui avaient été soumis et non pas sur ceux qui ne lui avaient pas été communiqués, à l'instar d'un rapport d'évaluation du savoir-faire.
L’Etat insiste en outre que la mention des « conséquences fiscales mentionnées dans votre courrier » qui figure dans le courrier du préposé du 28 janvier 2013 devrait être lue à la lumière de cet impératif de communication par le contribuable au préposé des informations et pièces pertinentes dans le cadre d'une demande formée par le contribuable « nach bestem Wissen und Gewissen », de manière qu’elle devrait être considérée comme une réserve dont le juge de première instance n'aurait pas tenu compte. Le préposé n'aurait en effet pu se prononcer que sur base des seuls faits qui lui avaient été soumis et non pas sur ceux qui ne lui avaient pas été communiqués à l'instar d'un rapport d'évaluation du savoir-faire. Dans ces conditions, l'accord du préposé ne saurait en aucune manière s'interpréter comme un blanc-seing, destiné à couvrir une situation éventuellement abusive ou frauduleuse, surtout dans la mesure où aucun rapport d'évaluation n'avait été fourni à l'appui de la demande formée par l'intimée. En outre, dans le cadre d'un contrôle ultérieur et en présence de doutes se manifestant à l'occasion d'un contrôle, le bureau d'imposition serait fondé de s'écarter significativement de la déclaration du contribuable conformément et selon les modalités prévues au § 205 AO. L’Etat en déduit que la condition de pouvoir produire un rapport d'évaluation n’aurait pas dû expressément figurer dans la décision anticipée, mais que le contribuable devait nécessairement pouvoir y satisfaire, conformément aux dispositions de l’AO.
Quant à la quatrième des conditions, l’Etat considère que l’intimée n'apporterait nullement la preuve que son comportement, voire sa structuration fiscale, eurent été conditionnés par une décision anticipée du préposé, de sorte que ce serait à tort que les premiers juges ont considéré que les renseignements donnés ont eu une influence déterminante sur le contribuable, sur base du seul fait que la structure, telle qu'elle a été exposée dans le cadre du courrier du 15 juin 2015, a été mise en place par la suite.
L’Etat conclut à partir de ces développements que l'examen des faits de la cause suffirait à se convaincre que les conditions requises pour que la décision anticipée puisse lier l'administration ne sont nullement réunies et que ce serait donc à tort que l’intimée invoque une violation du principe de la confiance légitime en l'espèce.
Il convient de relever que suivant la législation applicable au courant de l’année d’imposition litigieuse, les conditions d’une décision préalable de l’administration sur un cas d’imposition individuel n’étaient pas réglementées. Toutefois, cette pratique est basée sur le principe de confiance légitime qui répond au souci du respect de la sécurité juridique ayant pour objectif d’assurer la prévisibilité de l’administration. C’est ce principe de confiance légitime qui protège l’administré contre les changements brusques et imprévisibles de l’administration en lui reconnaissant le droit de se fier à un comportement habituellement adopté par cette dernière ou à des engagements pris par elle (Cour adm. 28 avril 2015, n°35430C, Pas. adm. 2016, V° Lois et Règlements, n° 20 et autres références).
En cas d’existence d’une relation étroitement personnelle entre le contribuable et l’administration, notamment à l’occasion d’une demande de renseignements individuelle dans le cadre d’un cas d’imposition, le contribuable peut requérir de la part de l’autorité compétente ayant fourni, suite à cette demande, une réponse quant au traitement fiscal de la situation factuelle décrite dans la demande, le respect de ce « pré-comportement » objectif de la personne publique auquel il s’est raisonnablement fié, et la légitimité de sa confiance subjective peut être présumée et ce avec d’autant plus de force lorsqu’il existe des dispositions concrètes et objectives indéniablement prises dans la confiance. En effet, pour des raisons tenant au respect du principe de sécurité juridique, il faut que les autorités fiscales qui ont donné des assurances ou fait une promesse soient tenues d’honorer les expectatives ainsi créées. Dans cette hypothèse, la réponse personnelle que l’administration fiscale aura donné le cas échéant au contribuable liera celle-ci à ce dernier si des conditions déterminées sont réunies (Trib. adm. 23 octobre 2013, n° 30943 du rôle, Pas. adm. 2016, v° Impôts, n° 19).
Le tribunal a qualifié à juste titre comme série de quatre critères à cet égard, premièrement, le fait par le contribuable d’avoir soumis une question par écrit de façon à permettre à l'administration fiscale d'analyser convenablement la situation exposée par le contribuable, deuxièmement, que la réponse individuelle fournie doit ensuite émaner d'un fonctionnaire compétent, ou à tout le moins d'un fonctionnaire dont le contribuable a légitimement pu croire qu'il était investi des pouvoirs suffisants, troisièmement, que l'administration doit encore avoir voulu se lier par les renseignements donnés au contribuable, c’est-à-dire que la réponse fournie l’aura été sans restrictions ni réserves et, quatrièmement, que les renseignements fournis par l’administration doivent avoir eu une influence déterminante sur le contribuable.
Quant à la première condition, la Cour rejoint les premiers juges dans leur analyse qu’il se dégage du courrier du 15 juin 2012 adressé par la fiduciaire de l’époque de l’intimée à l’administration que le cas d‘imposition et la structure qui allait être mise en place ont été exposés de façon suffisamment détaillée au préposé.
En effet, l’intimée précise que Monsieur ... apporterait son savoir-faire qu’il propose de voir considérer comme apport de capital caché d’un know-how « en consultance d’entreprise, plus particulièrement sur le plan des techniques de management, d’organisation d’entreprises, de risk management et d’actuariat », à la société ... qui, elle, « bénéficiera de la faculté d’exploiter les droits de propriété intellectuelle liés à ce know-how lui permettant de générer des revenus nets avant impôts ».
Il est ajouté dans le courrier du 15 juin 2012 que la rémunération de l’exploitation du goodwill peut être déterminée « soit par un montant fixe, soit commercialement en fonction du niveau de revenus, afin de tenir compte de la variation de l’activité ». Après avoir mis en avant la difficulté d’une évaluation de la rémunération de l’exploitation du goodwill selon un montant fixe, le courrier conclut qu’ « étant donné que la valeur de cette rémunération a un caractère variable, il convient donc de considérer que ... International SA bénéficie chaque année à compter de son premier exercice comptable, d’un apport caché pour un montant correspondant à un pourcentage de son revenu net avant impôts ».
Ledit courrier véhicule ensuite la proposition que cet apport caché d’un know-how corresponde à 80 % du bénéfice net de manière à ce que 80 % des dividendes devraient être considérés comme un remboursement de capital ne subissant aucune retenue à la source et que cet apport serait ainsi déductible du revenu imposable à l’impôt sur le revenu des collectivités et à l’impôt commercial communal tout en résumant les idées de base comme suit :
« - ... S.A. bénéficie d’un apport caché, estimé à 80 % des bénéfices nets avant impôts, résultant de l’exploitation de droit de propriété intellectuelle. Cet apport caché sera déductible chaque année du revenu imposable à l’IRC et à l’ICC.
- 20 % des dividendes distribués par ... S.A. subiront la retenue à la source sur dividendes.
- ... S.A. bénéficiera de cet accord fiscal sur une période estimée à 10 ans ».
Les premiers juges ont donc valablement retenu que la première condition décrite ci-dessus et tenant à l’exposé clair du cas d’imposition et à la formulation précise de la question d’interprétation se trouve vérifiée, de sorte à permettre à l’administration une prise de position spécifique par rapport à la situation lui exposée.
D’autre part, il n’est pas contesté par la partie étatique que la réponse fournie émane d’un fonctionnaire compétent pour ce faire.
Quant à la troisième condition tenant à la volonté de l’administration de se lier, le préposé du bureau d’imposition a confirmé que « les conséquences fiscales mentionnées dans [le courrier du 15 juin 2012] sont conformes à la législation fiscale et à la position administrative en vigueur », en ajoutant qu’« il est bien entendu que ma confirmation ne peut être utilisée que dans le cadre de la présente structure », de manière à conforter l’intimée en ce que le mode d’imposition proposé ainsi que la structure qui allait être mise en place sont conformes à la loi, sans que le préposé ait formulé une quelconque réserve, la seule restriction formulée étant celle relative au constat que cette confirmation ne couvre pas d’autres cas d’espèce.
En outre, vu que la première condition est remplie, c’est-à-dire que l’exposé complet et correct de la situation réelle par l’intimée est vérifiée et que celle-ci a elle-même mis en avant la difficulté d’évaluer le know-how à un montant déterminé, il aurait incombé à l’administration de requérir le cas échéant des précisions complémentaires, notamment sur la réalité et la valeur du know-how indiqué dans la demande, et ce au cas où la structure envisagée n’avait pas paru comme acceptable au vu des seules indications et propositions de traitement fiscal dans la demande du 15 juin 2012.
Il convient d’ajouter que le directeur ne peut pas revenir sur l’acceptation de l’accord d’interprétation dans la mesure où il ne saurait être admis qu’une administration prenne un acte administratif sur base de faits reconnus par elle, pour nier par après ces mêmes faits. Les renseignements fournis lient l’administration si la situation de fait qui s’est réalisée ne diverge pas de celle à la base des renseignements fournis, ce qui n’est pas contesté en l’espèce. En plus, les bases légales n’ont pas changé dans la période s’étendant du 15 juin 2012, jour de la demande de l’accord d’interprétation concernant la valorisation de la propriété intellectuelle de la société ..., au 22 janvier 2013, date de l’acceptation de la structure par le préposé et, plus loin, jusqu’à la date d’émission des bulletins litigieux du 15 janvier 2014.
C’est partant à bon droit que les premiers juges ont décidé que la troisième condition, tenant à la prise de position précise sur l’exposé complet de la situation décrite ci-dessus et de laquelle résulte l’intention de l’administration de se lier, est remplie en l’espèce.
Enfin, les premiers juges ont valablement constaté que les renseignements ainsi fournis ont eu une influence déterminante sur le contribuable, étant donné que la structure telle qu’elle a été exposée dans le cadre du courrier du 15 juin 2015 a été mise en place en conséquence par la suite.
Au vu de tous ces éléments, la Cour estime que l’administration était tenue de respecter en l’espèce l’accord préalable émis le 22 janvier 2013.
Il en découle que le premier moyen d’appel de l’Etat laisse d’être justifié.
A titre subsidiaire, l’Etat estime que la situation de l’espèce s’analyse en un abus de droit et met en avant que ce que l’intimé qualifie de goodwill ne correspondrait pas à l’acception normale de la notion du goodwill laquelle représenterait la différence entre l’actif du bilan d’une entreprise et la somme de son capital à la fois immatériel et matériel valorisé à la valeur du marché.
A titre incident, l’Etat se réfère à l’article 26-3 de la loi modifiée du 10 aout 1915 sur les sociétés commerciales dans sa version applicable au cas d’espèce qui précise que « Le capital souscrit ne peut être constitué que par des éléments d ́actif susceptibles d ́évaluation économique. Toutefois, ces éléments d ́actif ne peuvent être constitués par des engagements concernant l ́exécution de travaux ou la prestation de services » et au commentaire dudit article qui admet qu’en vertu de la prohibition spéciale inscrite dans l’article 26-3, alinéa 2, il ne sera pas possible de faire des apports constitués par des engagements concernant l’exécution de travaux ou la prestation de services.
En outre, il se réfère à des articles académiques pour étayer qu’il est contesté que le droit commercial permette l’apport du goodwill.
Il conclut qu’en l’espèce le prétendu goodwill consisterait en la création, par le biais d’un apport caché, d’un poste factice de l’actif dont le seul objectif serait de contrebalancer les recettes monétaires et de diminuer artificiellement la base imposable et que, par conséquent, la structure de l’intimée serait à qualifier d’abus de droit au sens du § 6 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG ».
Par rapport à la qualification de l’abus de droit, l’Etat ajoute que cette disposition devrait être lue en combinaison avec le § 11 de la même loi consacrant le principe de l’appréciation d’après des critères économiques en matière fiscale et qui régit le détournement abusif des dispositions légales de leur objectif premier en vue de bénéficier, par des constructions artificielles, d’avantages fiscaux injustifiés et non voulus par le législateur.
Or, toujours selon l’Etat, les quatre critères qui ressortiraient de la jurisprudence constante, à savoir l’utilisation de formes et institutions du droit privé, la recherche d’une économie d’impôt consistant dans un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie, seraient remplis en l’espèce.
Quant au premier critère tenant à l’utilisation des formes et institutions du droit privé par la société, l’Etat conclut que la structure consisterait notamment en la création d’une société de nationalité luxembourgeoise dont le but serait in fine l’exploitation d’un prétendu savoir-faire et que ce critère serait dès lors rempli.
Relativement au second critère, l’Etat fait valoir que la société devrait rechercher une économie d’impôt par le biais d’un contournement ou d’une réduction de la charge de l’impôt et qu’en l’espèce, ce critère serait effectivement rempli puisque la société obtiendrait une réduction de 80% sur ses bases d’imposition en se fondant sur une construction artificielle.
Enfin, les troisième et dernier critères concernant l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie seraient également remplis d’après l’Etat. Ainsi, tout en admettant que le caractère simplement inhabituel des formes, constructions ou opérations de droit privé n’est pas à lui seul suffisant pour les voir qualifier d’inadéquates au vu de la liberté en principe reconnue au contribuable de choisir la voie la moins imposée, l’Etat considère en revanche que l’objectif économique doit être atteint par cette voie et que cette dernière ne peut être adoptée aux fins de se voir accorder un avantage fiscal qui serait contraire à l’intention du législateur.
Au regard de ce deuxième moyen d’appel, il convient de relever que la théorie de l’abus de droit, consacrée par le § 6 StAnpG qui dispose que : « (1) Durch Missbrauch von Formen und Gestaltungsmöglichkeiten des bürgerlichen Rechts kann die Steuerpflicht nicht umgangen oder gemindert werden. (2) Liegt ein Missbrauch vor, so sind die Steuern so zu erheben, wie sie bei einer den wirtschaftlichen Vorgängen, Tatsachen und Verhältnissen angemessenen rechtlichen Gestaltung zu erheben wären […] », permet à l’administration d’écarter des constructions juridiques ou opérations mues exclusivement par des fins fiscales, non motivées par des considérations économiques. La reconnaissance d’un abus de droit suppose la réunion de plusieurs éléments au nombre de quatre, à savoir plus particulièrement l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie (trib. adm. 12 juillet 2012, n° 28815 du rôle, confirmé par Cour adm. 7 février 2013, n° 31320C du rôle, Pas. adm. 2016, V° Impôts, n° 13).
Or, il convient de relever que l’option d’exercer une activité indépendante sous une forme sociétaire plutôt qu’en tant qu’entreprise individuelle, ne se résout pas automatiquement dans une voie inadéquate ayant un but essentiellement, voire exclusivement fiscal.
Quant à l’élément particulier de la réalité et de l’évaluation du know-how qui a été invoqué comme apport caché, s’il est vrai qu’il s’agit d’une structuration ayant pour effet une réduction substantielle du bénéfice imposable, l’administration fiscale, en ayant reconnu et accepté, sans avoir manifesté une quelconque réserve, la réalité et la valorisation du know-how ainsi que sa légalité et sa conformité à la pratique administrative dans un accord préalable en date du 15 juin 2012, ne saurait plus revenir ex post sur sa position en qualifiant la même voie d’inadéquate et abusive. Ceci est vrai notamment si, comme c’est le cas en l’espèce, les éléments soumis au bureau d’imposition ont été clairs et précis et si ni des éléments nouveaux n’ont été relevés au moment de l’imposition, ni des changements de lois n’ont eu lieu entre le moment de la demande d’un accord préalable et le moment de l’imposition.
Il s’ensuit que le second moyen étatique relatif à l’existence d’un abus de droit en l’espèce doit également être rejeté.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel étatique n’est fondé en aucun de ses moyens, de sorte que l’appelante en est à débouter et que le jugement dont appel est à confirmer dans toute sa teneur.
L’intimée réitère pour l’instance d’appel sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros en la justifiant par le fait que la position réitérée de l’administration l’aurait conduite à user de toutes les voies de droit pour faire valoir ses droits et l’aurait amenée, dès lors, à exposer des frais qu’il serait injuste de laisser à sa charge en totalité.
La Cour estime cependant que pas plus qu’en première instance, il n’a été justifié à suffisance de droit par l’intimée en quoi il serait inéquitable de laisser à son unique charge les frais non compris dans les dépens. Sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est partant à écarter.
PAR CES MOTIFS
la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause,
reçoit l’appel du 22 janvier 2016 en la forme,
au fond, le déclare non justifié et en déboute la partie appelante,
partant, confirme le jugement entrepris du 16 décembre 2015,
rejette la demande de l’intimée en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros pour l’instance d’appel,
condamne l’Etat aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Francis Delaporte, président,
Henri Campill, vice-président,
Serge Schroeder, premier conseiller,
et lu à l’audience publique du 12 juillet 2016 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie Wiltzius.