Jugement dans le cadre de l'affaire dite "LuxLeaks"

Jugt no 1981/2016                                                                                                                       

Not. : 14950/12/CD

Audience publique du 29 juin 2016

 

Le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, douzième chambre, siégeant en matière correctionnelle a rendu le jugement qui suit:

 

Dans la cause du Ministère Public contre

1) P.1.),

né le (...) à (...) (France),

demeurant à F-(...) ;

 

2) P.2.),

né le (...) à (...) (France),

demeurant à F-(...) ;

 

3) P.3.),

né le (...) à (...) (France),

demeurant à F-(...) ;

 

 - p r é v e n u s  -

 

 

en présence de

 

la société coopérative SOC.1.),

 

inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B(...), établie et ayant son siège social à L-(...),

 

comparant par Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, et Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, les deux demeurant à Luxembourg,

 

partie civile constituée contre les prévenus P.1.) et P.3.), préqualifiés.

 

 

F A I T S :

 

Par citation du 5 janvier 2016, le Procureur d'Etat près le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg a requis les prévenus de comparaître à l’audience publique des 26 avril 2016, 27 avril 2016, 28 avril 2016, 29 avril 2016, 3 mai 2016 et 4 mai 2016 devant le Tribunal correctionnel de ce siège, pour y entendre statuer sur les préventions suivantes :

 

P.1.) : vol domestique, fraude informatique, violation du secret professionnel, violation du secret des affaires, blanchiment-détention ;

 

P.2.) : violation du secret professionnel, violation du secret des affaires, blanchiment-détention ;

 

P.3.) : vol domestique, fraude informatique, violation du secret professionnel, violation du secret des affaires, blanchiment-détention.

 

 

A l'appel de la cause à l’audience publique du 26 avril 2016, le vice-président constata l'identité des prévenus P.1.), P.2.) et P.3.) et leur donna connaissance de l’acte qui a saisi le Tribunal.

 

Le témoin T.1.) fut entendu en ses déclarations orales, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 27 avril 2016.

 

A cette audience, le témoin T.2.) fut entendu en ses déclarations orales, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Le témoin T.3.), assisté par l’interprète assermentée Martine WEITZEL, fut entendu en ses déclarations orales, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Les témoins T.4.) et T.5.) furent entendus en leurs déclarations orales, chacun séparément, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 28 avril 2016.

 

A cette audience, les témoins T.6.) et T.7.) furent entendus en leurs déclarations orales, chacun séparément, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Le témoin T.8.), assisté par l’interprète assermentée Martine WEITZEL, fut entendu en ses déclarations orales, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 29 avril 2016.

 

A cette audience, Maître Philippe PENNING renonça à l’audition du témoin T.9.).

 

Le témoin T.10.) fut entendu en ses déclarations orales, après avoir prêté le serment prévu par la loi.

 

Le prévenu P.3.) fut entendu en ses explications et moyens de défense, qui furent plus amplement développés par Maître May NALEPA, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, et Maître Bernard COLIN, avocat au barreau de Metz.

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 3 mai 2016.

 

A cette audience, le prévenu P.1.) fut entendu en ses explications et moyens de défense, qui furent plus amplement développés par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, et Maître William BOURDON, avocat au barreau de Paris.

 

Le prévenu P.2.) fut entendu en ses explications et moyens de défense, qui furent plus amplement développés par Maître Roland MICHEL, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, et Maître Olivier CHAPPUIS, avocat au barreau de Paris.

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 4 mai 2016.

 

A cette audience, Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, et Maître Michel NICKELS, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, les deux demeurant à Luxembourg, se constituèrent oralement partie civile au nom et pour compte de la société coopérative SOC.1.) contre les prévenus P.1.) et P.3.).

 

Maître Hervé HANSEN développa ensuite les moyens de la partie civile.

 

Maître May NALEPA et Maître Bernard COLIN développèrent plus amplement les moyens de défense pour le prévenu P.3.).

 

Maître Olivier CHAPPUIS développa plus amplement les moyens de défense pour le prévenu P.2.).

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 10 mai 2016.

 

A cette audience, Maître Roland MICHEL développa plus amplement les moyens de défense pour le prévenu P.2.).

 

Maître Philippe PENNING et Maître William BOURDON développèrent plus amplement les moyens de défense pour le prévenu P.1.).

 

Le représentant du Ministère Public, David LENTZ, Procureur d’Etat adjoint, résuma l’affaire et fut entendu en son réquisitoire.

 

Le Tribunal ordonna la suspension des débats et la continuation de l'affaire à l'audience publique du 11 mai 2016.

 

A cette audience, Maître Hervé HANSEN répliqua pour la partie civile, la société coopérative SOC.1.).

 

Maître Bernard COLIN et Maître May NALEPA répliquèrent pour le prévenu P.3.).

 

Maître Philippe PENNING répliqua pour le prévenu P.1.).

 

Maître Roland MICHEL et Maître Olivier CHAPPUIS répliquèrent pour le prévenu P.2.).

 

Les prévenus P.2.), P.3.) et P.1.) eurent la parole en dernier.

 

Le Tribunal prit l’affaire en délibéré et rendit à l'audience de ce jour, date à laquelle le prononcé avait été fixé, le

 

 

J U G E M E N T   q u i   s u i t :

 

 

Vu la citation à prévenus du 5 janvier 2016, régulièrement notifiée à P.2.), P.3.) et P.1.).

                                                     

Vu l’ordonnance numéro 2961/15 de la Chambre du conseil du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 25 novembre 2015 renvoyant P.3.) et P.1.) devant une Chambre correctionnelle pour y répondre du chef d’infractions aux articles 309, 458, 461, 463, 464, 506-1 et 509-1 du code pénal respectivement P.2.) du chef d’infractions aux articles 309, 458 et 506-1 du code pénal et prononçant un non-lieu à poursuite en faveur de P.2.) du chef de vols domestiques sinon vols et fraude informatique.

 

Vu l’instruction menée par le juge d’instruction et les commissions rogatoires internationales.

 

Vu les procès-verbaux de police dressés en cause par le Service de Police Judiciaire, Section Criminalité Générale.

 

Vu les rapports d’audit interne de la société coopérative SOC.1.).

 

Vu la plainte de la société coopérative SOC.1.) du 5 juin 2012.

 

I. Au pénal

 

Le Ministère Public reproche à P.2.), P.3.) et P.1.) suivant la citation introductive d’instance du 5 janvier 2016 ce qui suit : 

 

a) l’ordonnance numéro 2961/15 de la Chambre du conseil du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 25 novembre 2015 :

 

« Vu le réquisitoire du Ministère public ainsi que les pièces de l’instruction.

 

Vu l’information adressée par lettres recommandées à la poste aux inculpés, à la partie civile et à leurs conseils respectifs conformément à l’article 127 (6) du Code d’instruction criminelle.

 

Vu le mémoire déposé par la société SOC.1.) S.C., partie civile, en date du 16 octobre 2015 au greffe de la chambre du conseil en application de l’article 127 (7) du Code d’instruction criminelle.

 

Vu le mémoire déposé par l’inculpé P.3.) en date du 22 octobre 2015 au greffe de la chambre du conseil en application de l’article 127 (7) du Code d’instruction criminelle.

 

Vu le mémoire déposé par l’inculpé P.2.) en date du 22 octobre 2015 au greffe de la chambre du conseil en application de l’article 127 (7) du Code d’instruction criminelle.

 

La chambre du conseil a examiné le dossier en date du 23 octobre 2015 et, après avoir délibéré conformément à la loi, a rendu l’

 

ORDONNANCE

 

qui suit:

 

1. Réquisitions du Ministère public

 

Par réquisitoire du 13 mai 2015, le procureur d’État demande le renvoi des inculpés P.1.), P.3.) et P.2.) devant une chambre correctionnelle du Tribunal d’arrondissement de ce siège, pour y répondre du chef de

1.      vol domestique, subsidiairement vol (article 464, sinon article 461 du Code pénal),

2.      infractions aux articles 509-1 à 509-4 du Code pénal,

3.      violation de secrets d’affaires (article 309 du Code pénal),

4.      violation du secret professionnel (article 458 du Code pénal, article 22 de la loi du 18 décembre 2009 sur la profession de l’audit et article 6 de la loi du 10 juin 1999 sur l’expertise comptable),

5.      blanchiment-détention (article 506-1 du Code pénal),

dans les circonstances suivantes :

A.     P.1.), « comme auteur ayant lui-même exécuté les délits ; depuis l’été 2010 et entre le 13 et le 14 octobre 2010 dans la société SOC.1.) Sàrl, ci-après « SOC.1.) », à Luxembourg et, dans la suite, notamment au cours de l’été 2011 à (...) (F) » ;

B.     P.3.) et P.2.), « comme auteurs (…) sinon comme co-auteurs (…) sinon comme complices (…) ; entre octobre 2012 et décembre 2012 dans la société SOC.1.) Sàrl, ci-après « SOC.1.) », à Luxembourg, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à Paris (F) et à Metz (F) ».

 

2. Moyens présentés dans les mémoires déposés en application de l’article 127 (7) du Code d’instruction criminelle 

 

2.1. – La partie civile SOC.1.) S.C. se rallie aux réquisitions du procureur d’État.

 

2.2. – L’inculpé P.2.) conclut à un non-lieu à poursuite en sa faveur, au motif que le dossier serait « dépourvu de charges suffisantes à [son encontre] ». À cet effet, il souligne en premier lieu, en se référant à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’aux dispositions de la loi luxembourgeoise du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias, qu’il est journaliste d’investigation et que pour assurer « son rôle de chien de garde de la démocratie », il ne saurait se limiter à recueillir des informations, mais devrait les rechercher activement, ne serait-ce que pour veiller à son devoir de véracité et d’exactitude qui impliquerait des opérations de vérification des informations reçues. Il estime par ailleurs que la protection des sources du journaliste se trouverait « en jeu » dans le présent dossier. Dans un second temps, il procède à une analyse des éléments à sa charge contenus dans le dossier d’instruction, pour en déduire, en substance, qu’il existerait des contradictions entre les déclarations en cause et que les écrits recueillis au cours de l’instruction « pris isolément ne permettent pas de reconstituer l’historique de la relation entre [P.3.)] et [sa personne] et encore moins d’en déduire qu’il existe des indices graves et concordants ».

 

2.3. – De son côté, l’inculpé P.3.) demande également à voir ordonner un non-lieu à poursuite en sa faveur. À cet effet, il soutient que les éléments constitutifs des infractions de vol domestique, de violation de secrets d’affaires ainsi que de l’infraction prévue à l’article 509-1 du Code pénal, qui lui sont reprochées aux termes du réquisitoire de règlement de la procédure par le Ministère public, ne seraient pas donnés. Il expose dans cette optique, en substance et respectivement, que les données en cause ne constitueraient pas une chose corporelle, que le dol spécial requis ferait défaut alors qu’il n’existerait ni intention de nuire, ni volonté de se procurer un avantage illicite dans son chef et qu’il n’aurait « forcé aucun système de sécurité » informatique. Il soulève encore la prescription de l’action publique quant aux seuls faits qualifiés d’infractions à l’article 509-1 du Code pénal. En ce qui concerne l’infraction de violation du secret professionnel, il se réfère à l’article 10 de de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’à certains arrêts rendus entre 2008 et 2013 en matière de lanceurs d’alerte par la Cour européenne des droits de l’homme, pour conclure qu’il devrait bénéficier de la protection que lui conférerait l’article en question « à titre de fait justificatif ».

 

3. Vérifications préalables au règlement de la procédure opérées par la chambre du conseil

 

Lorsqu’elle statue en application des articles 127 et 128 du Code d’instruction criminelle, la chambre du conseil est amenée à vérifier d’office certains aspects juridiques de la procédure lui soumise, que ce soient des questions d’ordre public, à l’instar de celle de la compétence territoriale (3.1.) ou celle de la prescription de l’action publique (3.2.), ou encore des questions relatives à la clôture de l’instruction et aux devoirs demandés au juge d’instruction par les parties intéressées (3.3), ces derniers points ayant également fait l’objet de contestations présentées respectivement par P.3.) et P.2.).

 

 

3.1. Compétence territoriale

 

La chambre du conseil constate que le Ministère public reproche à P.1.) d’avoir commis des faits à (...)[1] ainsi qu’à P.3.) et P.2.) d’avoir commis des faits à Paris[2] et à Metz[3], sans prendre plus amplement position à cet égard.

 

En matière pénale, toutes les règles de compétence, y compris celles de la compétence territoriale, ont un caractère d’ordre public et doivent être examinées d’office par les juridictions saisies (R. Thiry, Précis d’instruction criminelle en droit luxembourgeois, T. 1, n° 362), de sorte que la chambre du conseil est amenée à se prononcer sur la compétence territoriale des juridictions luxembourgeoises en ce qui concerne les faits reprochés à P.1.), P.3.) et P.2.) qui ont été commis, d’après le Ministère public, sur le territoire de la France.

 

La compétence territoriale en matière répressive des tribunaux luxembourgeois est réglée par les articles 3 – qui consacre, à l’instar des droits étrangers, le principe de la territorialité – et 4 du Code pénal ainsi que par les articles 5 à 7-4 du Code d’instruction criminelle.

 

Il se dégage de ces dispositions que les juridictions répressives luxembourgeoises sont compétentes pour connaître des infractions commises sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et, en vertu de l’article 7-2 du Code d’instruction criminelle qui consacre la théorie de l’ubiquité[4], « est réputée commise sur le territoire du Luxembourg toute infraction dont un acte caractérisant un de ses éléments constitutifs a été accompli au Grand-Duché de Luxembourg ».

 

Or il convient de relever qu’un examen détaillé des éléments constitutifs des infractions en cause se situerait au-delà des attributions de la juridiction d’instruction appelée à régler la procédure lorsque l’information est terminée (voir not. Ch.c.C., 9 décembre 2014, n° 894/14 et également infra sous 4.1.1.).

 

En tout état de cause, même au-delà des dispositions textuelles susvisées, les juridictions luxembourgeoises peuvent être compétentes en cas de prorogation de compétence.

 

Il y a prorogation de compétence lorsqu’il existe entre des infractions ressortissant à des juridictions différentes un lien si étroit qu’il est dans l’intérêt d’une bonne justice que toutes ces infractions soient jugées par le même juge (Encyclopédie Dalloz, Pénal, v° compétence, n° 254).

 

Ces cas de prorogation de la compétence internationale des juridictions nationales sont ceux de la connexité et de l’indivisibilité, pour lesquels, en raison d’un lien logique, plus ou moins étroit, entre plusieurs infractions, le juge compétent pour juger les unes est aussi compétent pour juger les autres, alors même qu’à l’égard de celles-ci, envisagées seules et en elles-mêmes, il ne le serait peut-être pas (R. Thiry, op. cit., n° 375).

 

L’indivisibilité est définie comme la situation dans laquelle il y a lieu de considérer un crime ou un délit comme rattachés l’un à l’autre par des liens de l’indivisibilité, lorsqu’ils ont été commis dans le même trait de temps, dans le même lieu, qu’ils ont été déterminés par le même mobile, qu’ils procèdent de la même cause et qu’en outre l’indivisibilité de l’accusation comme de la défense sur l’ensemble des faits commande de les soumettre simultanément à l’appréciation des mêmes juges (Cass. crim. fr., 13 févr. 1926, Bull. crim. 1926, n° 64).

 

En cas d’indivisibilité, la jonction des poursuites est obligatoire. C’est une conséquence de la règle fondamentale d’instruction criminelle qui veut que l’unité de l’infraction entraîne l’unité et l’indivisibilité de la procédure à condition qu’il y ait simultanéité des poursuites (R.P.D.B., Compétence en matière répressive, n° 36, n° 44 à 46 ; JurisClasseur Procédure pénale, Art. 191 à 230, v. chambre de l’instruction-connexité et indivisibilité, n° 56 s.).

 

En l’occurrence, l’ensemble des faits reprochés par le Ministère public sub A. à P.1.) et sub B. à P.3.) ainsi qu’à P.2.) se caractérisent par des appropriations de données au Luxembourg auprès et au préjudice d’une même partie civile, opérées respectivement par P.1.) et P.3.), ainsi que par une utilisation de ces mêmes données par P.2.) en France, ce dont il est permis de déduire, à ce stade de la procédure, qu’il existe au moins une indivisibilité emportant prorogation de compétence au profit des juridictions luxembourgeoises, qui sont partant territorialement compétentes pour connaître de l’ensemble des faits en cause et, par voie de conséquence, la chambre du conseil du Tribunal d’arrondissement de ce siège est compétente pour régler la procédure.

 

3.2. Prescription de l’action publique

 

Dans son mémoire, P.3.) soulève la prescription de l’action publique en ce qui concerne les seuls faits qualifiés d’infractions à l’article 509-1 du Code pénal, en soutenant qu’une prescription de trois ans serait applicable à ces faits.

 

Il appartient en tout état de cause à la chambre du conseil d’analyser s’il y a prescription ou non de l’action publique dans son ensemble, les règles de la prescription étant d’ordre public et la prescription ayant pour effet d’ôter aux faits poursuivis tout caractère délictueux.

 

Aux termes du réquisitoire du procureur d’État, les faits reprochés à P.1.) se sont produits « depuis l’été 2010 et entre le 13 et le 14 octobre 2010 », ceux reprochés à P.3.) et P.2.) se situant « entre octobre 2012 et décembre 2012 ».

 

Les articles 637 et 638 du Code d’instruction criminelle relatifs à la prescription en matière de crimes et délits ont été modifiés par la loi du 6 octobre 2009 renforçant le droit des victimes d’infractions pénales, qui a allongé le délai de la prescription de l’action publique pour les délits de trois à cinq ans. L’article 34 de cette loi prévoit son entrée en vigueur pour le 1er janvier 2010 et dispose qu’elle n’est applicable qu’aux faits qui se sont produits après son entrée en vigueur hormis les exceptions y mentionnées.

 

En l’espèce, il y a lieu de constater que l’ensemble des faits reprochés aux inculpés s’est produit après l’entrée en vigueur de la loi susvisée du 6 octobre 2009 en date du 1er janvier 2010, de sorte qu’aucun des faits libellés n’est actuellement prescrit.

 

3.3. Clôture de l’instruction

 

Dans son mémoire, P.2.) fait soutenir qu’« il [ne lui a] pas été possible de demander des mesures d’instruction complémentaires alors que l’instruction a été close le 8 mai 2015 avant même que la partie requérante ne reçoive ce document (transmis le 11 [mai] 2015) la mettant dans l’impossibilité de solliciter des mesures d’instruction complémentaires malgré sa demande expresse de ne pas clôturer l’instruction, le 7 mai 2015 (pièces dans dossier correspondances ».

 

La chambre du conseil de la Cour d’appel a pu retenir « qu’il ne pourra être procédé au règlement de la procédure que si le juge d’instruction a statué sur l’ensemble des demandes dont il a été saisi » (Ch.c.C., 22 octobre 2012, n° 674/12) et que dans le cas contraire, la chambre du conseil n’est « pas en droit de régler la procédure » (voir pour cette formulation : Ch.c.C., 1er avril 2011, n° 193/11).

 

Le dossier soumis à la chambre du conseil renseigne que :

¡ le 28 avril 2015, le juge d’instruction, tout en ayant fait part de sa volonté de clôturer l’instruction, a demandé aux mandataires concernés de lui indiquer avant le 8 mai 2015 s’ils voulaient faire procéder à des actes d’enquête supplémentaires ;

¡ par fax du 7 mai 2015 à 17.12 heures, la mandataire d’P.2.) a demandé au juge d’instruction de se voir communiquer, avant la clôture de l’instruction, une pièce mentionnée, mais non contenue au dossier ;

¡ le document en question a été demandé à la partie civile par le juge d’instruction dès le 8 mai 2015 au matin et transmis par fax le 11 mai 2015 à 14.29 heures à la mandataire d’P.2.), avec l’information que l’instruction avait été clôturée le 8 mai 2015.

 

P.2.), qui s’est ainsi vu transmettre le document sollicité, manque à ce jour d’indiquer quelles mesures d’instruction complémentaires il aurait voulu demander au juge d’instruction au moment de la clôture de l’instruction.

 

Par ailleurs, « le juge d’instruction [restant] saisi de l’instruction de l’affaire jusqu’au prononcé de la décision de règlement, l’ordonnance de clôture, en tant que telle, ne l’empêchait pas de procéder aux devoirs d’instruction complémentaires qui auraient pu être demandés par l’inculpé » (Ch.c.C., 6 mars 2013, n°146/13, cité in Gilles Petry, « Survol de la jurisprudence récente des juridictions d’instruction », Pas. 36, n° 3/2014, p. 587).

 

Dans ces circonstances, la chambre du conseil retient que le dossier est présentement en état de recevoir une décision de règlement de la procédure.

 

4. Règlement de la procédure

 

La mission de la chambre du conseil, lorsqu’elle statue en application des articles 127 et 128 du Code d’instruction criminelle, est de régler la procédure, c’est-à-dire d’apprécier les mérites de l’instruction et de décider de la suite à donner à l’affaire.

 

Les juridictions d’instruction appelées à statuer sur les charges ont pour seule mission de se demander si les éléments du dossier constituant les charges sont suffisants pour opérer le renvoi et saisir le juge du fond ; celui-ci aura la mission d’en apprécier la portée avec pour obligation de répondre à la question de savoir s’ils font preuve de l’infraction et, en conséquence, de statuer sur la culpabilité en acquittant ou en condamnant (A. Jacobs, « Les notions d’indices et de charges en procédure pénale », J.L.M.B. n° 6/2001, p. 262).

 

Il y a en l’occurrence lieu de régler la procédure successivement à l’égard des trois inculpés, en tenant compte des moyens présentés dans les mémoires déposés.

 

4.1. P.3.)

 

4.1.1. – P.3.) soutient en premier lieu, pour conclure à un non-lieu à poursuite en sa faveur, que les éléments constitutifs des infractions de vol domestique, de violation de secrets d’affaires, de blanchiment-détention ainsi que de l’infraction prévue à l’article 509-1 du Code pénal, qui lui sont reprochées aux termes du réquisitoire du Ministère public, ne seraient pas donnés.

 

En matière de règlement de la procédure, la chambre du conseil n’est pas habilitée à procéder à un examen détaillé des éléments constitutifs des infractions en cause (voir not. Ch.c.C., 9 décembre 2014, n° 894/14, préc.). L’étendue de sa compétence en matière de qualification des faits se dégage de l’article 128 du Code d’instruction criminelle, dont il ressort qu’elle doit prononcer un non-lieu à poursuite « si elle si estime que les faits ne constituent ni crime, ni délit, ni contravention ». Il faut déduire des prémisses qui viennent d’être énoncées que la chambre du conseil procède à une qualification prima facie des faits sous toutes les formes possibles au stade du règlement de la procédure.

 

En l’espèce, les faits ayant fait l’objet de l’instruction sont, dans l’appréciation de la chambre du conseil, susceptibles de revêtir les qualifications de vol domestique (voir en ce sens : Cass., 3 avril 2014, n° 17/2014 pénal ; pour une application : T. arr. Lux. corr., 3 juillet 2014, n° 1912/2014 ; contra : T. arr. Lux. corr., 16 octobre 2014, n° 2628/2014) sinon de vol, d’infraction à l’article 509-1 du Code pénal (voir à ce sujet notamment : Cour, 27 juin 2012, n° 342/12 X[5]), de violation du secret professionnel, de violation des secrets d’affaires et également de blanchiment-détention.

 

4.1.2. – La chambre du conseil est appelée à se prononcer sur les charges rassemblées en cause et à analyser si ces charges sont suffisantes pour justifier un renvoi des faits devant une juridiction de jugement afin que celle-ci puisse apprécier, sur base d’un ensemble d’éléments de preuve fiables et concordants, si l’inculpé a commis les faits qui lui sont reprochés dans les circonstances de réalisation qui tombent sous l’application de la loi pénale (Ch.c.C., 3 juin 2014, n° 380/14).

 

En l’espèce, l’instruction menée en cause, au vu des aveux de P.3.), des pièces versées au dossier par la partie civile et notamment du « Rapport d’audit interne - Résultats de l’enquête interne suite à la diffusion sur le site SITE.) de documents de SOC.1.) postérieurs à octobre 2010 » du 7 janvier 2015[6], du résultat des perquisitions et saisies ainsi que des constatations faites par les enquêteurs, a dégagé des charges suffisantes pour justifier un renvoi des faits reprochés à P.3.) devant une juridiction de jugement.

 

4.1.3. – P.3.) demande toutefois, en ce qui concerne la seule infraction de violation du secret professionnel, de se voir appliquer l’article 10 de la de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « à titre de fait justificatif », sur base d’un courant de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de lanceurs d’alerte que représentent « quatre arrêts récents – GU.) c/ Moldavie de 2008, MA.) c/ Ukraine de 2009, HE.) c/ Allemagne de 2011 et BU.) et TO.) c/ Roumanie de 2013 ».

 

La chambre du conseil considère à titre liminaire que l’incidence de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la qualification pénale, voire la poursuite des faits, ne saurait s’analyser « à titre de fait justificatif » – les faits justificatifs étant des dispositions légales faisant disparaître l’infraction – mais doit être examinée sous l’angle de vue de la hiérarchie des normes.

 

Dans son arrêt HE.) c/ Allemagne du 21 juillet 2011 (n° 28274/08), la Cour européenne des droits de l’homme a retenu, à propos d’une infirmière gériatrique licenciée par une société à responsabilité limitée pour avoir dénoncé des dysfonctionnements dus à un manque de personnel, que « pour ce qui est de l’application de l’article 10 de la Convention à la sphère professionnelle, la Cour considère que la dénonciation, par des agents de la fonction publique, de conduites ou d’actes illicites constatés sur leur lieu de travail doit être protégée dans certaines circonstances. Pareille protection peut s’imposer lorsque l’employé ou le fonctionnaire concerné est seul à savoir – ou fait partie d’un petit groupe dont les membres sont seuls à savoir – ce qui se passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans l’intérêt général en avertissant son employeur ou l’opinion publique (GU.)[7] […] § 72, et MA.) c. Ukraine, no 4063/04, § 46, 19 février 2009). Il convient toutefois de garder à l’esprit que les employés sont tenus à un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers leur employeur (voir notamment MA.), précité, § 45). Si ce devoir de loyauté peut être plus accentué pour les fonctionnaires et les employés de la fonction publique que pour les salariés travaillant sous le régime du droit privé, il constitue sans nul doute aussi une composante de ce régime. En conséquence, la Cour considère […] que les principes et critères énoncés dans sa jurisprudence aux fins de la mise en balance du droit des employés d’exercer leur liberté d’expression en dénonçant un comportement ou un acte illicite de leur employeur avec le droit de celui-ci à la protection de sa réputation et de ses intérêts commerciaux sont également applicables en l’espèce. La nature et l’étendue de ce devoir de loyauté dans telle ou telle affaire ont des incidences sur la mise en balance des droits des employés avec les intérêts concurrents de leur employeur ».

 

Cette mise en balance amène la Cour européenne des droits de l’homme à se prononcer sur les questions suivantes : « le requérant disposait-il d’autres moyens que la divulgation publique en saisissant son employeur ou une autre autorité ? Les informations divulguées présentent-elles un intérêt public ? Le requérant avait-il des motifs raisonnables de considérer que ces informations sont authentiques ? Le préjudice causé à l’employeur est-il disproportionné au regard des intérêts d’une divulgation ? Le requérant est-il de bonne foi ? La sanction est-elle appropriée ? » (v. É. Alt, « Lanceurs d’alerte : un droit en tension », JCP G, 20 octobre 2014, doctr.  1092 ; v. également, pour une analyse complète : V. Junod, « Lancer l’alerte : quoi de neuf depuis GU.) ? », Rev. Trim. D.H., 2014/98, pp. 459-482).

 

La chambre du conseil estime qu’un tel examen du dossier lui soumis dépasse le cadre du règlement de la procédure, étant donné qu’une analyse des circonstances de l’affaire telle qu’opérée par la Cour européenne des droits de l’homme implique nécessairement un examen au fond[8] de l’affaire en cause, au vu de la nature et de la précision des critères susvisés et au regard du fait qu’il convient également d’apprécier concrètement le caractère licite ou illicite des « conduites ou actes constatés sur le lieu de travail ». Par ailleurs, s’agissant d’un moyen de défense formulé en réponse à une accusation en matière pénale, il appartient à la personne qui se prévaut de la protection en cause de soumettre à la juridiction l’ensemble des éléments susceptibles d’appuyer son moyen, étant entendu que cette action ne saurait se limiter – comme en l’espèce – à l’énumération des jurisprudences en cause et des critères qu’elles ont dégagés. Enfin, le simple fait pour la Cour européenne des droits de l’homme de faire de la « sévérité de la sanction »[9] un critère d’appréciation est suffisamment révélateur de l’impossibilité de transposer l’examen effectué par la Cour au règlement de la procédure opéré par la chambre du conseil, dont l’issue n’est pas une décision sur la culpabilité de la personne en cause, mais une réponse à la question de savoir si le dossier mérite un procès au fond devant une juridiction de jugement. Il importe de souligner dans ce contexte que le renvoi devant les juges du fond ordonné par la chambre du conseil est de nature à préserver entièrement la présomption d’innocence[10], droit garanti par l’article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Il se dégage de ce qui vient d’être exposé que le moyen tiré du bénéfice de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour conclure à non-lieu à poursuite est à déclarer non fondé.

 

4.1.4. – Compte tenu des développements qui précèdent, la chambre du conseil décide de renvoyer P.3.) devant une chambre correctionnelle du Tribunal d’arrondissement de ce siège pour y répondre du chef des faits libellés à sa charge par le Ministère public.

 

4.2. P.1.)

 

P.1.) n’a pas déposé de mémoire en application de l’article 127 (7) du Code d’instruction criminelle.

 

L’instruction menée en cause, eu égard notamment aux aveux d’P.1.), aux pièces versées au dossier par la partie civile, au résultat des perquisitions et saisies ainsi qu’aux constatations faites par les enquêteurs, a dégagé des charges suffisantes de culpabilité pour justifier le renvoi d’P.1.) devant une chambre correctionnelle du Tribunal d’arrondissement de ce siège, conformément au réquisitoire du procureur d’État.

 

 

4.3. P.2.)

 

Pour conclure à un non-lieu à poursuite en sa faveur, P.2.) fait valoir deux types d’arguments : d’une part il conclut à l’inexistence de charges suffisantes de culpabilité et d’autre part il se prévaut de la protection des sources journalistiques et de la liberté d’expression, valeurs protégées par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Il convient d’analyser successivement ces argumentaires.

 

4.3.1. Examen des charges de culpabilité

 

Il est reproché à P.2.) d’avoir « comme auteur (…) sinon comme co-auteur (…) sinon comme complice (…) ; entre octobre 2012 et décembre 2012 dans la société SOC.1.) Sàrl, ci-après « SOC.1.) », à Luxembourg, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à Paris (F) et à Metz (F) » commis des faits pouvant être répertoriés comme suit :

 

Réquisitoire du Ministère public

Nature des faits

Qualification(s) pénale(s)

Points

B.1. et B.2.

Faits de consultation et d’appropriation illicites de données

¡ vol domestique, subsidiairement vol (article 464, sinon article 461 du Code pénal),

¡ infractions aux articles 509-1 à 509-4 du Code pénal,

Points

B.3. et B.4.

Faits de révélation de données en violation d’un secret protégé par la loi

¡ violation de secrets d’affaires (article 309 du Code pénal),

¡ violation du secret professionnel (article 458 du Code pénal, article 22 de la loi du 18 décembre 2009 sur la profession de l’audit et article 6 de la loi du 10 juin 1999 sur l’expertise comptable),

Point B.5.

Faits de détention de données ayant fait l’objet d’une appropriation illicite et/ou d’une révélation en violation d’un secret protégé par la loi

blanchiment-détention (article 506-1 du Code pénal)

 

4.3.1.1. – Points B.1. et B.2. du réquisitoire du Ministère public – Les faits de consultation et d’appropriation illicites de données au préjudice de la société SOC.1.) S.C. peuvent recevoir les qualifications reprises aux points B.1. et B.2. du réquisitoire du Ministère public.

 

Les soupçons justifient l’ouverture d’une instruction ; les indices permettent de mettre l’affaire à l’instruction, d’inculper les personnes sur lesquelles ils pèsent et d’ordonner un certain nombre de mesures d’instruction mettant éventuellement en cause des droits fondamentaux ; les charges sont évaluées à l’issue de l’instruction et constituent en quelque sorte la synthèse des recherches menées tout au long de celle-ci (A. Jacobs, « Les notions d’indices et de charges en procédure pénale », J.L.M.B. n° 6/2001, p. 262).

 

Les charges suffisantes de culpabilité justifiant un renvoi des faits devant une juridiction de jugement se matérialisent par un ensemble d’éléments de preuve fiables et concordants (Ch.c.C., 3 juin 2014, n° 380/14).

 

La chambre du conseil estime qu’aucune des hypothèses prévues par l’article 66 du Code pénal n’est susceptible de s’appliquer à P.2.) en ce qui concerne les faits de consultation et d’appropriation illicites de données.

 

En ce qui concerne la complicité, prévue par l’article 67 du Code pénal, il y a lieu de mettre en évidence les éléments suivants du dossier :

¡ la complicité pour avoir « donné les instructions » ne saurait être en cause, étant donné que les seules instructions données par P.2.) – par voie de courriel les 21 et 29 décembre 2012 (« Si vous pouviez me transmettre ce que vous pouvez sur X.), ce serait parfait! » ; « Faites le max pour X.), c’est clairement vital d’avoir qqch là-dessus ») – n’ont, au vu du dossier soumis, pas été suivies d’effet et la « déclaration TVA annuelle 2010 de SOC.2.) SA », seul autre document concernant le groupe SOC.2’.) en cause, avait à ce moment-là déjà été consulté par P.3.)[11], sans que le dossier ne renseigne quel était le rôle d’P.2.) en relation avec ce document ;

¡ les déclarations du co-inculpé P.3.) au sujet du rôle d’P.2.) devant le juge d’instruction sont soit pour le moins imprécises (par exemple, « le nom d’SOC.3.) était aussi ressorti de ma discussion avec le journaliste », « ce nom avait été évoqué avec le journaliste P.2.), SOC.4.) l’intéressait »), soit d’ores et déjà contredites par les échanges de courriels (notamment, « je ne pense pas que moi je lui ai dit que ces sociétés étaient des clients de SOC.1.) ») ;

¡ le fait pour P.2.) d’avoir suggéré la création de l’adresse « MAIL.1.)@gmail.com » et le mode de fonctionnement pour réceptionner les documents ne saurait, aux yeux de la chambre du conseil, être considéré comme acte d’aide ou d’assistance au sens de l’article 67 du Code pénal « dans les faits qui [ont] préparé ou facilité, ou dans ceux qui [ont] consommé » en ce qui concerne les infractions visées par le Ministère public dans son réquisitoire sub 1. et 2., alors que l’utilisation de cette adresse dans le présent contexte se situe postérieurement aux faits de consultation et d’appropriation illicites de données.

 

Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que l’instruction n’a, faute d’existence d’un ensemble d’éléments de preuve fiables et concordants, pas permis de mettre en évidence des charges suffisantes de culpabilité à charge d’P.2.) qui auraient justifié son renvoi devant une juridiction de jugement pour les faits de consultation et d’appropriation illicites de données, qualifiés provisoirement de vols domestiques sinon vols et d’infractions à l’article 509-1 du Code pénal par le Ministère public.

 

Il y a partant lieu d’ordonner un non-lieu à poursuite en faveur d’P.2.) en ce qui concerne ces faits[12].

 

4.3.1.2. – Points B.3. et B.4. du réquisitoire du Ministère public – La chambre du conseil constate qu’en ce qui concerne ces points, le Ministère public n’opère aucune individualisation par rapport à P.2.), en demandant notamment son renvoi pour avoir agi « en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.) ».

 

Or, P.2.) n’ayant jamais été au service de la société SOC.1.) S.C., il n’est ni détenteur du secret professionnel afférent ni détenteur d’un secret d’affaires.

 

Les journalistes ne sauraient commettre eux-mêmes les délits de violation de secrets puisqu’ils n’en sont généralement pas les gardiens. Ils peuvent néanmoins être coauteurs ou complices de violations de secrets, l’action punissable résultant ainsi de toute aide ou incitation à violer un secret protégé (v. à ce sujet, JurisClasseur Communication, v. secret des sources journalistiques, not. n° 77 à 79).

 

La révélation punissable d’un secret protégé par la loi consiste, pour le professionnel, à communiquer les informations qu'il détient, à les faire connaître, à les sortir de la sphère réservée dans laquelle elles se trouvent et cette révélation est constituée dès la production d'un document relevant du secret (JurisClasseur Pénal Code, art. 226-13 et 226-14, fasc. 20 - révélation d'une information à caractère secret, n° 42 et 50).

 

En l’espèce, il ressort tant des échanges de courriels que des déclarations de l’inculpé P.3.)[13] qu’P.2.) a demandé[14] à ce dernier de créer l’adresse « MAIL.1.)@gmail.com » et qu’il en a déterminé les modalités de l’utilisation (dépôt des documents dans un message et laisser celui-ci en « draft », consultation à des horaires précis[15]) pour récupérer les documents en cause.

 

Dans ces conditions, la chambre du conseil estime qu’il existe des charges suffisantes de culpabilité à l’égard d’P.2.), qui, contrairement à ses déclarations devant le juge d’instruction, ne pouvait ignorer[16] que les documents en cause étaient non pas publics, mais protégés par un secret professionnel, pour justifier son renvoi, en qualité de coauteur sinon de complice, devant une juridiction de jugement en ce qui concerne les infractions de violation du secret professionnel et de violation de secrets d’affaires.

 

4.3.1.3. – Point B.5. du réquisitoire du Ministère public – L’instruction menée en cause a dégagé des charges suffisantes pour justifier le renvoi d’P.2.) devant une juridiction de jugement du chef des faits de détention et d’utilisation de données ayant fait l’objet d’une appropriation illicite et d’une révélation en violation d’un secret protégé par la loi, sous la qualification pénale de blanchiment-détention.

 

4.3.2. Examen de l’incidence des valeurs protégées par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

 

4.3.2.1. – Protection des sources des journalistes – P.2.) estime que la protection des sources journalistiques se trouve « en jeu » dans le présent dossier.

 

La protection des sources du journaliste est assurée au niveau national par l’article 7 de la loi modifiée du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias. Ses deux caractéristiques principales sont que d’une part « tout journaliste professionnel entendu comme témoin par une autorité administrative ou judiciaire dans le cadre d’une procédure administrative ou judiciaire a le droit de refuser de divulguer des informations identifiant une source, ainsi que le contenu des informations qu’il a obtenues ou collectées »[17] et que d’autre part « les autorités de police, de justice ou administratives doivent s’abstenir d’ordonner ou de prendre des mesures qui auraient pour objet ou effet de contourner ce droit, notamment en procédant ou en faisant procéder à des perquisitions ou saisies sur le lieu de travail ou au domicile du journaliste professionnel concerné »[18].

 

Au vu du dossier lui soumis, la chambre du conseil constate que les sources du journaliste P.2.) ont pu être identifiées par la seule action de la société plaignante sur base des traces informatiques que ses employés ont laissées, sans que le recours à des mesures ordonnées par le juge d’instruction sous forme de perquisitions ou de saisies en vue de cette identification n’ait été nécessaire. Dans la suite, ces sources, à savoir les inculpés P.1.) et P.3.), ont fait des aveux dans leurs interrogatoires respectifs auprès du juge d’instruction et ont précisément indiqué avoir été en relation avec le journaliste P.2.). Force est dès lors de constater que l’identité des inculpés a pu être établie sans qu’il n’eût été besoin de recourir à cet effet à l’action des autorités judiciaires, ni en interrogeant un journaliste sur ses sources, ni en opérant une perquisition en vue de les identifier.

 

Il y a partant lieu de retenir que la protection des sources journalistiques ne s’oppose pas à une poursuite d’P.2.) devant une juridiction de jugement.

 

4.3.2.2. – Protection de la liberté d’expression des journalistes – Dans son arrêt de Grande chambre ST.) c/ Suisse du 10 décembre 2007 (n° 69698/01), la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par un journaliste s’étant vu condamner à une amende de 800 francs suisses pour avoir publié dans un journal des extraits d’un rapport classé confidentiel de l’ambassadeur suisse aux États-Unis, a rappelé « que toute personne, fût-elle journaliste, qui exerce sa liberté d’expression, assume ‘des devoirs et des responsabilités’ dont l’étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé […]. Ainsi, malgré le rôle essentiel qui revient aux médias dans une société démocratique, les journalistes ne sauraient en principe être déliés, par la protection que leur offre l’article 10, de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun[19]. Le paragraphe 2 de l’article 10 pose d’ailleurs les limites de l’exercice de la liberté d’expression, qui restent valables même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général ». Elle a encore souligné que « dans un monde dans lequel l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue ». La Cour se livre dans la suite à un examen détaillé des circonstances de la cause « pour déterminer si la [sanction pénale] était néanmoins nécessaire en l’espèce », basé sur les critères suivants : « (β)  les intérêts en présence ; (γ)  le contrôle exercé par les juridictions internes ; (δ)  le comportement du requérant ainsi que (ε) la proportionnalité de la sanction prononcée ».

 

La chambre du conseil considère qu’un tel examen du dossier lui soumis dépasse le cadre du règlement de la procédure, étant donné qu’une analyse des circonstances telle qu’opérée par la Cour européenne des droits de l’homme implique nécessairement un examen au fond de l’affaire en cause. Par ailleurs, s’agissant d’un moyen de défense formulé en réponse à une accusation en matière pénale, il appartient à la personne qui s’en prévaut de soumettre à la juridiction un argumentaire complet susceptible d’appuyer son moyen, étant entendu que cette action ne saurait se limiter – comme en l’espèce – à se référer à l’article 10 et à la notion de « chien de garde de la démocratie ». Enfin, le simple fait pour la Cour de faire de la « proportionnalité de la sanction prononcée » un critère d’appréciation révèle l’impossibilité d’appliquer l’examen effectué par la Cour européenne des droits de l’homme au règlement de la procédure opéré par la chambre du conseil, dont l’issue n’est pas une décision sur la culpabilité de la personne en cause, mais une réponse à la question de savoir si le dossier mérite un procès au fond devant une juridiction de jugement. Il importe de souligner dans ce contexte que le renvoi devant les juges du fond ordonné par la chambre du conseil est de nature à préserver entièrement la présomption d’innocence, droit garanti par l’article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Il s’ensuit que le moyen tiré du bénéfice de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour conclure à un non-lieu à poursuite est à déclarer non fondé.

 

4.3.3. – Compte tenu des développements qui précèdent, la chambre du conseil décide de renvoyer P.2.) devant une chambre correctionnelle du Tribunal d’arrondissement de ce siège pour y répondre du chef des seuls faits libellés au dispositif de la présente ordonnance.

 

5. Synthèse

 

Il y a partant lieu d’adopter partiellement les réquisitions du procureur d’État, de faire partiellement droit aux conclusions développées par P.2.) dans son mémoire et de ne pas faire droit aux conclusions de P.3.).

 

Plus particulièrement, en ce qui concerne P.3.) et P.2.), la décision de la chambre du conseil peut être résumée comme suit :

 

Nature des faits

P.3.)

P.2.)

Faits de consultation et d’appropriation illicites de données

Renvoi

Points B.1. et B.2.

Non-lieu

Faits de révélation de données en violation d’un secret protégé par la loi

Renvoi

Points B.3. et B.4.

Renvoi

Point C.1. (libellé au dispositif de la présente ordonnance)

Faits de détention de données ayant fait l’objet d’une appropriation illicite et/ou d’une révélation en violation d’un secret protégé par la loi

Renvoi

Point B.5.

Renvoi

Point C.2. (libellé au dispositif de la présente ordonnance)

 

PAR CES MOTIFS :

 

la chambre du conseil du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg,

 

fait partiellement droit aux conclusions développées par P.2.) dans son mémoire,

 

ne fait pas droit aux conclusions développées par P.3.) dans son mémoire,

 

dit qu’il n’y a pas lieu à poursuite d’P.2.) du chef des faits de consultation et d’appropriation illicites de données, ayant été qualifiés de vols domestiques sinon de vols et d’infractions à l’article 509-1 du Code pénal sub B.1. et B.2. du réquisitoire du Ministère public,

 

pour le surplus, décide conformément au réquisitoire du procureur d’État, sauf à dire que le point « B. » se rapporte uniquement à P.3.) et à ajouter un point « C. » relatif à P.2.) et libellé comme suit :

 

« C. P.2.), pré-qualifié

 

entre octobre 2012 et décembre 2012, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à Paris (F) et à Metz (F), sans préjudice quant aux dates, heures et lieux exacts,

 

1. comme coauteur, ayant coopéré directement à l’exécution des délits,

 

sinon comme complice, ayant donné des instructions pour commettre les délits, ou, ayant procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui a servi aux délits, sachant qu’ils devaient y servir, ou, ayant, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs des délits dans les faits qui les ont préparés ou facilités, ou dans ceux qui les ont consommés,

 

en l’espèce, d’avoir demandé à P.3.) de créer l’adresse électronique « MAIL.1.)@gmail.com » et d’en avoir proposé les modalités de l’utilisation (dépôt des documents dans un message et laisser celui-ci en « draft », consultation à des horaires précis) pour récupérer le produit des infractions suivantes, reprochées sub B.3. et B.4. à P.3.), à savoir :

 

B.3. : d’avoir, en infraction à l’article 309 du Code pénal, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à son employeur, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l’expiration, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en l’espèce les documents fiscaux (Tax Returns et ATA) confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) ;

 

B.4. : d’avoir, en infraction à l’article 458 du Code pénal, à l’article 22 de la loi du 18 décembre 2009 sur la profession de l’audit et à l’article 6 de la loi du 10 juin 1999 sur l’expertise comptable, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, et cela hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, en l’espèce d’avoir révélé les Tax Returns et ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) ;

 

2. comme auteur ayant lui-même exécuté le délit,

 

d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect,

– d’une infraction aux articles 463 et 464 du Code pénal,

– d’une infraction aux articles 184, 187, 187-1, 191 et 309 du Code pénal,

– d’une infraction aux articles 509-1 à 509-7 du Code pénal,

ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées ci-devant ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions,

 

en l’espèce, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions susvisées, énumérées au point 1) de l’article 506-1, en l’occurrence les Tax Returns et ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.), sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions reprochées sub B.1., B.2. et B.3. à P.3.), ou de la participation lui reprochée sub C.1. »,

 

 

b) le réquisitoire du Ministère Public du 13 mai 2015 :

« Vu l’instruction ouverte à charge des dénommés

       I.            P.1.), né le (...) à (...) (France), demeurant à F-(...) ;

    II.            P.3.), né le (...) à (...), demeurant à  F-(...) ;

 III.            P.2.), né le (...) à (...), demeurant à  F-(…) ;

Attendu que l’instruction a permis de relever des indices graves et concordants à charge de :

A.    P.1.), pré-qualifié,

Comme auteur ayant lui-même exécuté les délits ;

Depuis l’été 2010 et entre le 13 et le 14 octobre 2010 dans la société SOC.1.) Sàrl, ci-après « SOC.1.) », à Luxembourg et, dans la suite, notamment au cours de l’été 2011 à (...) (F), sans préjudice quant aux indications de temps et de lieux plus exacts,

1.                 Principalement

d'avoir soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas avec la circonstance que le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient soit dans la maison du maître, soit dans celle où il l'accompagnait, ou si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou le magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé,

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait, en sa qualité de salarié de SOC.1.), plus de 45.000 pages de documents au sujet de formations internes et au sujet d’environ 400 clients SOC.1.) et notamment des documents confidentiels concernant des « Advance Tax Agreements » approuvés par l’Administration fiscale, partant des documents ne lui appartenant pas,

Subsidiairement

d'avoir soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas,

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait au préjudice de SOC.1.) plus de 45.000 pages de documents au sujet de formations internes et au sujet d’environ 400 clients SOC.1.) et notamment des documents confidentiels concernant des « Advance Tax Agreements » approuvés par l’Administration fiscale, partant des documents ne lui appartenant pas ;

2.                 d’avoir frauduleusement accédé, ou s’être maintenu dans tout ou partie d’un système de traitement ou de transmission automatisé de données,

en l’espèce, notamment le 13 octobre 2010 entre 18.48 heures et 19.17 heures, d’avoir frauduleusement accédé à, ou s’être frauduleusement maintenu dans, la partie du système de traitement ou de transmission automatisé de données de SOC.1.) concernant les « Advance Tax Agreements », ci-après « ATA » approuvés par l’Administration fiscale et concernant certains clients de SOC.1.) ;

3.                 d'avoir, en tant qu'actuel ou ancien employé, ouvrier ou apprenti d'une entreprise commerciale, ou industrielle, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à son patron, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l'expiration, les secrets d'affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, ou d'avoir, en tant que personne ayant eu connaissance des secrets d'affaires ou de fabrication appartenant à une personne, soit par l'intermédiaire d'un employé, ouvrier ou apprenti agissant en violation des prescriptions de l'alinéa qui précède, soit par un acte contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, utilisé ou divulgué ces secrets, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite,  ou d'avoir, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé sans en avoir le droit ou communiqué à autrui des modèles, dessins ou patrons qui lui ont été confiés pour l'exécution de commandes commerciales ou industrielles,

en l'espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à son employeur, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l’expiration, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en l’espèce les ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) approuvés par l’Administration fiscale ;

4.                 d'avoir, en sa qualité de médecin, chirurgien, officier de santé, pharmacien, sage-femme et toute autre personne dépositaire, par état ou par profession, révélé des secrets leur confiés, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets,

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, et cela hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, en l’espèce d’avoir révélé les ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) approuvés par l’Administration fiscale ;

5.                 d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect,

– d’une infraction aux articles 112-1, 135-1 à 135-6, 135-9 et 135-11 à 135-13 du Code pénal;

– de crimes ou de délits dans le cadre ou en relation avec une association au sens des articles 322 à 324ter du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 368 à 370, 379, 379bis, 382-1, 382-2, 382-4 et 382-5 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 383, 383bis, 383ter et 384 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 496-1 à 496-4 du Code pénal;

– d’une infraction de corruption;

– d’une infraction à la législation sur les armes et munitions;

– d’une infraction aux articles 184, 187, 187-1, 191 et 309 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 463 et 464 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 489 à 496 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 509-1 à 509-7 du Code pénal;

– d’une infraction à l’article 48 de la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique;

– d’une infraction à l’article 11 de la loi du 30 mai 2005 relative aux dispositions spécifiques de protection de la personne à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques;

– d’une infraction à l’article 10 de la loi du 21 mars 1966 concernant a) les fouilles d’intérêt historique, préhistorique, paléontologique ou autrement scientifique; b) la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier;

– d’une infraction à l’article 5 de la loi du 11 janvier 1989 réglant la commercialisation des substances chimiques à activité thérapeutique;

– d’une infraction à l’article 18 de la loi du 25 novembre 1982 réglant le prélèvement de substances d’origine humaine;

– d’une infraction aux articles 82 à 85 de la loi du 18 avril 2001 sur le droit d’auteur;

– d’une infraction à l’article 64 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la

nature et des ressources naturelles;

– d’une infraction à l’article 9 de la loi modifiée du 21 juin 1976 relative à la lutte contre la pollution de l’atmosphère;

– d’une infraction à l’article 25 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés;

– d’une infraction à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de

l’eau;

– d’une infraction à l’article 35 de la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets;

– d’une infraction aux articles 220 et 231 de la loi générale sur les douanes et accises;

– d’une infraction à l’article 32 de la loi du 9 mai 2006 relative aux abus de marché;

– de toute autre infraction punie d’une peine privative de liberté d’un minimum supérieur à 6 mois;

ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où ils les recevaient, qu'ils provenaient de l'une ou de plusieurs des infractions visées ci-avant ou de la participation à l'une ou plusieurs de ces infractions,

en l’espèce, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de l’article 506-1, en l’espèce les ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) approuvés par l’Administration fiscale, ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où il les recevait qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions.

B.    P.3.)et P.2.), pré-qualifiés

Comme auteurs ayant eux-mêmes exécuté les délits ;

sinon comme co–auteurs ayant coopéré directement à l’exécution des délits, ou, ayant, par un fait quelconque, prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, les délits n’eussent pu être commis, ou, ayant, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué à ces délits, ou, ayant, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, provoqué directement à les commettre ;

sinon comme complices ayant donné des instructions pour commettre les délits, ou, ayant procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui a servi aux délits, sachant qu’ils devaient y servir, ou, ayant, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs des délits dans les faits qui les ont préparés ou facilités, ou dans ceux qui les ont consommés ;

Entre octobre 2012 et décembre 2012 dans la société SOC.1.) Sàrl, ci-après « SOC.1.) », à Luxembourg, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à Paris (F) et à Metz (F), sans préjudice quant aux dates, heures et lieux exacts ;

1.                 Principalement

d'avoir soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas avec la circonstance que le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient soit dans la maison du maître, soit dans celle où il l'accompagnait, ou si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou le magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé,

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait au préjudice de SOC.1.) des documents concernant les clients de cette société, notamment, et au moins, 16 fichiers contenant des déclarations fiscales (Tax Returns) de clients de SOC.1.), partant des documents ne leur appartenant pas, avec la circonstance que P.3.) était au service de la société SOC.1.),

Subsidiairement

d'avoir soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas,

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait au préjudice de SOC.1.) des documents concernant les clients de cette société, notamment, et au moins, 16 fichiers contenant des déclarations fiscales (Tax Returns) de clients de SOC.1.), partant des documents ne leur appartenant pas ;

2.                 d’avoir frauduleusement accédé, ou s’être maintenu dans tout ou partie d’un système de traitement ou de transmission automatisé de données,

En l’espèce, notamment le 31 octobre 2012, le 16 novembre 2012, le 30 novembre 2012 et le 7 décembre 2012, d’avoir frauduleusement accédé à, ou s’être frauduleusement maintenu dans, la partie du système de traitement ou de transmission automatisé de données de SOC.1.) concernant les documents fiscaux (Tax Returns et ATA) de certains clients de SOC.1.) ;

3.                 d'avoir, en tant qu'actuel ou ancien employé, ouvrier ou apprenti d'une entreprise commerciale, ou industrielle, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à son patron, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l'expiration, les secrets d'affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, ou d'avoir, en tant que personne ayant eu connaissance des secrets d'affaires ou de fabrication appartenant à une personne, soit par l'intermédiaire d'un employé, ouvrier ou apprenti agissant en violation des prescriptions de l'alinéa qui précède, soit par un acte contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, utilisé ou divulgué ces secrets, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite,  ou d'avoir, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à celui à qui ils appartiennent, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé sans en avoir le droit ou communiqué à autrui des modèles, dessins ou patrons qui lui ont été confiés pour l'exécution de commandes commerciales ou industrielles,

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à son employeur, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l’expiration, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en l’espèce les documents fiscaux (Tax Returns et ATA) confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) ;

4.                 d'avoir, en sa qualité de médecin, chirurgien, officier de santé, pharmacien, sage-femme et toute autre personne dépositaire, par état ou par profession, révélé des secrets leur confiés, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets,

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, et cela hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, en l’espèce d’avoir révélé les Tax Returns et ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) ;

5.                 d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect,

– d’une infraction aux articles 112-1, 135-1 à 135-6, 135-9 et 135-11 à 135-13 du Code pénal;

– de crimes ou de délits dans le cadre ou en relation avec une association au sens des articles 322 à 324ter du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 368 à 370, 379, 379bis, 382-1, 382-2, 382-4 et 382-5 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 383, 383bis, 383ter et 384 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 496-1 à 496-4 du Code pénal;

– d’une infraction de corruption;

– d’une infraction à la législation sur les armes et munitions;

– d’une infraction aux articles 184, 187, 187-1, 191 et 309 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 463 et 464 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 489 à 496 du Code pénal;

– d’une infraction aux articles 509-1 à 509-7 du Code pénal;

– d’une infraction à l’article 48 de la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique;

– d’une infraction à l’article 11 de la loi du 30 mai 2005 relative aux dispositions spécifiques de protection de la personne à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques;

– d’une infraction à l’article 10 de la loi du 21 mars 1966 concernant a) les fouilles d’intérêt historique, préhistorique, paléontologique ou autrement scientifique; b) la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier;

– d’une infraction à l’article 5 de la loi du 11 janvier 1989 réglant la commercialisation des substances chimiques à activité thérapeutique;

– d’une infraction à l’article 18 de la loi du 25 novembre 1982 réglant le prélèvement de substances d’origine humaine;

– d’une infraction aux articles 82 à 85 de la loi du 18 avril 2001 sur le droit d’auteur;

– d’une infraction à l’article 64 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles;

– d’une infraction à l’article 9 de la loi modifiée du 21 juin 1976 relative à la lutte contre la pollution de l’atmosphère;

– d’une infraction à l’article 25 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés;

– d’une infraction à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau;

– d’une infraction à l’article 35 de la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets;

– d’une infraction aux articles 220 et 231 de la loi générale sur les douanes et accises;

– d’une infraction à l’article 32 de la loi du 9 mai 2006 relative aux abus de marché;

– de toute autre infraction punie d’une peine privative de liberté d’un minimum supérieur à 6 mois;

ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où ils les recevaient, qu'ils provenaient de l'une ou de plusieurs des infractions visées ci-avant ou de la participation à l'une ou plusieurs de ces infractions,

en l’espèce, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de l’article 506-1, en l’espèce les Tax Returns et ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.), ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où il les recevait qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions.

Vu les articles 66, 67, 309, 458, 461, 463, 464, 506-1 et 509-1 du Code Pénal,

et les articles 127 et 131(1) du Code d’instruction criminelle,

requiert

qu’il plaise à la Chambre du Conseil du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg,

renvoyer P.1.), P.3.)et P.2.), pré-qualifiés,

pour les infractions ci-dessus libellées devant une CHAMBRE CORRECTIONNELLE du Tribunal d’arrondissement de ce siège. »

 

 

A. Les faits

 

Les éléments tels qu’ils résultent du dossier répressif, de l’instruction à l’audience et des déclarations des témoins peuvent se résumer comme suit :

 

Le 5 juin 2012, Maître Marc ELVINGER a porté plainte au nom et pour le compte de la société coopérative SOC.1.) (ci-après la société SOC.1.)) auprès du Parquet de Luxembourg du chef de vol, violation du secret professionnel et blanchiment-détention.

 

Dans le cadre de la plainte, il a été exposé que la société SOC.1.) a reçu en mars 2012 une demande d’interview de la part de France 2 pour son émission « Cash Investigation ».

 

Suivant les informations du journaliste P.2.), le contexte convenu était la fiscalité internationale des grandes entreprises et les services fiscaux rendus par la société SOC.1.) au Luxembourg.

 

Le 4 avril 2012 une équipe de télévision s’est rendue auprès de la société SOC.1.) pour réaliser l’interview.

 

Cet entretien s’est déroulé de façon non prévue pour la société alors que la journaliste A.) a exhibé des documents confidentiels relatifs à la société SOC.5.), plus précisément une demande « Advance Tax Agreement » (ci-après ATA) préparée par la société SOC.1.) et avisée favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg.

 

Lors de la diffusion de l’émission « Cash Investigation » sur France 2 le 11 mai 2012, il est apparu que les journalistes détenaient encore d’autres documents identiques pour les sociétés SOC.6.) et SOC.7.).

 

Comme ces documents n’ont pas été divulgués par les sociétés concernées, ni d’ailleurs par la société SOC.1.), il était évident que les journalistes sont entrés illégalement en possession de ces documents couverts par le secret professionnel.

 

Dans l’émission « Cash Investigation » du 11 mai 2012, il a été question d’un dossier « SOC.1.) » de plus de 47.000 pages détaillant des structures sociétaires de sociétés multinationales. Des documents ont été montrés à l’écran et les noms de clients de la société SOC.1.) y étaient visibles.

 

Le 14 mai 2012, la BBC dans une émission « PANORAMA » a abordé le même sujet en montrant des documents de la société SOC.1.) et une interview du journaliste P.2.).

 

La société SOC.1.) a enquêté ensuite sur le vol de ces documents confidentiels et a découvert qu’un ancien collaborateur, le prévenu P.1.), s’est procuré, la veille de son départ de la société SOC.1.), soit le 13 octobre 2010, un accès à un grand nombre d’ATA et à d’autres documents destinés notamment à des formations professionnelles internes de la société SOC.1.).

 

P.1.) a ainsi accédé et copié des centaines de fichiers représentant plus de 45.000 pages de documents au sujet de formations internes et sur plus de 400 clients de la société SOC.1.) pour lesquels des ATA avaient été obtenus.

 

P.1.) a travaillé à partir du 15 septembre 2008 comme auditeur auprès de la société SOC.1.) et il a démissionné de ses fonctions le 13 septembre 2010 en vue de son départ de la société le 14 octobre 2010.

 

Suite à une commission rogatoire internationale du juge d’instruction, le domicile d’P.1.)  en France est perquisitionné par la Police le 11 juin 2014 – 1 ordinateur, 4 clés USB, 1 disque dur externe, 2 Laptops sont saisis et remis le 16 octobre 2014 à la Police luxembourgeoise.

 

Entendu le même jour, P.1.) nie les faits. Il conteste avoir accédé et recopié les documents et les avoir ensuite transmis au journaliste P.2.).

 

Le 6 novembre 2014 le journal belge « LE SOIR » publie un article de presse intitulé « Luxleaks : Comment le Luxembourg dribble le fisc belge ». Il y est renseigné  que 26 sociétés belges et 340 sociétés multinationales ont bénéficié de dumping fiscal au Grand-Duché, et obtenu par l’intermédiaire de la société SOC.1.) des ATA approuvés par les autorités luxembourgeoises.

 

Il y est fait référence à « The International Consortium of Investigative Journalist » (ci-après SITE.))  qui a publié un grand nombre de documents sur internet identifiés comme ceux soustraits en 2010 à la société SOC.1.).

 

P.1.) est inculpé par le juge d’instruction le 12 décembre 2014 et avoue les faits. Le prévenu admet avoir volé plus de 45.000 pages de documents de son employeur en les copiant sur l’ordinateur portable mis à sa disposition par la société SOC.1.) et ensuite en les recopiant chez lui sur le disque dur de son ordinateur personnel.

 

P.1.) parle de documents de formation professionnelle qu’il voulait capitaliser et également d’un dossier contenant des ATA. Il admet encore qu’il n’avait pas de droit d’accès aux ATA et qu’il s’agissait de documents confidentiels.

 

La société SOC.1.) a expliqué qu’P.1.) a eu accès à ces documents confidentiels à cause d’une spécificité informatique du système mis en place. Après avoir scanné les ATA, les archivistes déplaçaient ces documents dans un répertoire auquel des droits d’accès restreints s’appliquaient. Pour ce faire les archivistes avaient deux possibilités – le « copy/paste » avec effacement des données au répertoire des documents scannés, sinon le « drag and drop » des données qui, dans ce cas, n’étaient pas protégées par des droits d’accès restreints.

 

P.1.) affirme qu’il n’avait pas de stratégie préméditée et qu’il a copié les ATA sans intention précise. Il admet ensuite d’avoir conservé tous les documents dans l’intention de les utiliser par la suite s’il devait exercer une fonction similaire.

 

P.1.) admet encore que bien qu’il ait été soumis au secret professionnel, il a laissé recopier le journaliste P.2.) tous les documents ATA chez lui en été 2011.

 

Le prévenu explique que, suite à des propos qu’il avait tenus sur internet quant à l’optimisation fiscale, il a été contacté par le journaliste P.2.) auquel il a indiqué être en possession de documents confidentiels et qu’il les lui a laissés en copie.

 

P.1.) indique également avoir eu conscience de violer la confidentialité à laquelle il a été soumis, mais qu’il a agi par conviction qui est que certaines pratiques d’optimisation fiscale agressives sont contraires à l’intérêt général. Cette conviction a également entraîné sa démission auprès de la société SOC.1.).

 

Le prévenu déclare encore avoir voulu que le système change et avoir des convictions communes avec le journaliste P.2.) auquel il a transmis les ATA confidentiels.

 

P.1.) affirme enfin qu’il ne voulait pas qu’P.2.) publie le nom de la société SOC.1.) ou ceux de ses clients.

 

Le prévenu a indiqué que certains documents publiés sur internet par l’SITE.) ne viennent pas de lui, mais d’une deuxième source, ce qui a pu être confirmé par la société SOC.1.) qui précisait qu’il s’agissait de 16 documents.

 

À l’audience du Tribunal correctionnel, P.1.) a maintenu ses déclarations antérieures faites auprès du juge d’instruction. Il confirme qu’il a agi par conviction et dans l’intérêt général et demande au Tribunal de le considérer comme lanceur d’alerte et non comme un voleur de droit commun.

 

Les 16 documents publiés par l’SITE.) en novembre 2014 et ayant une date postérieure au 13 octobre 2010 ne peuvent pas avoir été volés par P.1.) qui a quitté la société SOC.1.) à cette date.

 

La société SOC.1.) a donc mené une deuxième enquête interne qui a pu démontrer que les fichiers électroniques de déclarations fiscales (Tax returns) de certains de ses clients lui avaient été soustraits entre octobre 2012 et novembre 2012 par un autre de ses employés, le prévenu P.3.).

 

P.3.) était employé par la société SOC.1.) depuis le 7 septembre 2006 et ses fonctions étaient de récolter les déclarations fiscales, les centraliser, les scanner, les sauvegarder dans un répertoire informatique et les envoyer aux clients concernés.

 

Comme tous les autres employés de la société SOC.1.), P.3.) était également soumis à la confidentialité lui interdisant toute divulgation de documents de son employeur à un tiers, sauf autorisation préalable.

 

La société SOC.1.) savait donc qui était la deuxième fuite mais elle ignorait en novembre 2014 le volume et le genre exacte des documents soustraits par P.3.).

 

La société SOC.1.) ignorait surtout si le prévenu avait encore continué d’autres documents confidentiels à des journalistes et qui n’étaient pas encore publiés.

 

Suite à une requête civile avisée favorablement par le Tribunal de Grande Instance de Metz, la société SOC.1.) accompagnée d’un huissier de justice et d’un expert en informatique a pu accéder en date du 28 novembre 2014 aux ordinateurs de P.3.) à son domicile en France, prendre copie de fichiers électroniques et des échanges de courriels entre P.3.) et le journaliste P.2.).

 

Tout le matériel informatique de P.3.) a été emporté par l’huissier de justice.

 

Il s’est confirmé que P.3.) avait dérobé « uniquement » 16 Tax returns et pas d’autres documents confidentiels comme par exemple des ATA.

 

Suite à une réunion entre la société SOC.1.) et P.3.) en date du 2 décembre 2014, P.3.) a admis avoir recopié les 16 documents et les avoir continués au journaliste P.2.).

 

P.3.) a expliqué avoir contacté le journaliste P.2.) pour le rencontrer en vue de connaître l’identité de l’auteur de la première fuite, alors qu’il soupçonnait un membre de son équipe d’être à l’origine des premières révélations.

 

La société SOC.1.) et le prévenu P.3.) ont signé un accord transactionnel « confidentiel » le 2 décembre 2014 qui reprend ses aveux, et en échange limite les prétentions de la société SOC.1.) à un euro symbolique avec cependant un mandat donné pour une éventuelle inscription hypothécaire au bénéfice de la société SOC.1.) pour le montant de 10 millions d’euros et prévoyant le licenciement de P.3.) à l’issue de son congé de maladie. Cette convention confidentielle a également été signée par l’épouse du prévenu.

 

P.3.) a été licencié avec préavis le 29 décembre 2014.

 

P.3.) a été inculpé par le juge d’instruction en date du 23 janvier 2015 où il a confirmé le vol de 16 fichiers informatiques publiés par l’SITE.) le 6 novembre 2014.

 

Il a expliqué qu’il a joint ces documents à des emails personnels qu’il a gardé en « draft » dans une boîte électronique spécialement créée à cet effet avec l’adresse MAIL.1.)@gmail.com et qui permettait au journaliste P.2.), disposant du mot de passe, d’y accéder et de récupérer ainsi les documents attachés.

 

P.3.) a affirmé avoir contacté P.2.) pour l’aider dans son enquête, alors qu’il avait vu l’émission « Cash investigation » et qu’il pensait que les montages financiers étaient illégaux, et l’avaient choqué.

 

Il a indiqué qu’il pensait que quelqu’un de son équipe était à l’origine de la fuite et que le climat de travail était difficile depuis les révélations.

 

Il voulait donc aider le journaliste et en même temps découvrir le nom de la taupe pour le révéler à son patron.

 

P.2.) a insisté à le rencontrer à Metz et le journaliste lui a donné les noms d’SOC.4.) et SOC.3.) qui étaient susceptibles d’intéresser le public. Il a également été question d’SOC.2’.) et d’SOC.8.).

 

P.3.) précise encore qu’il n’a jamais été question d’une quelconque rémunération pour les informations confidentielles données au journaliste et que ce dernier a refusé de lui indiquer le nom de l’auteur de la première fuite.

 

P.2.) lui a demandé de créer une nouvelle boîte électronique et de lui révéler le mot de passe pour y accéder à des heures convenues d’avance pour récupérer les documents attachés par P.3.).

 

La transmission des données électroniques s’est faite en date du 31 octobre 2012, 16 novembre 2012 et 7 décembre 2012.

 

À l’audience du Tribunal correctionnel, P.3.) a précisé qu’P.2.) ne lui a pas demandé de documents précis sur un client spécifique de la société SOC.1.). Il a indiqué que c’est lui qui a pris l’initiative pour choisir les documents qu’il a transmis au journaliste.

 

P.3.) a encore affirmé que, sauf une seule rencontre, leur relation s’est limitée aux échanges de courriels saisis le 28 novembre 2014 sur son ordinateur à son domicile.

 

P.2.) a été inculpé par le juge d’instruction en date du 23 avril 2015 en tant que coauteur sinon complice en relation avec les infractions reprochées à P.3.).

 

P.2.) n’a cependant pas été inquiété en ce qui concerne les infractions reprochées à P.1.).

 

P.2.) a confirmé son adresse email et il a indiqué qu’il a réalisé deux émissions « Cash Investigation » en mai 2012 et juin 2013.

 

Il a confirmé ne pas avoir partagé les documents utilisés avec d’autres journalistes sauf ceux qui travaillaient avec lui. Il a précisé qu’il a coopéré avec l’SITE.) après qu’ils aient eu accès aux mêmes documents que lui.

 

P.2.) a encore affirmé que les documents en sa possession sont des documents officiels du gouvernement luxembourgeois et qu’ils ne sont donc pas confidentiels.

 

Sur les 25 autres questions posées par le juge d’instruction, P.2.) a répondu qu’il ne répondra pas pour protéger ses sources.

 

À l’audience du Tribunal correctionnel P.2.) a pris position pour la première fois sur les préventions mises à sa charge et ses relations avec P.3.).

 

Il explique que P.3.) a pris contact avec lui et lui a proposé des documents confidentiels de sa propre initiative.

 

Il conteste avoir formulé une demande précise quant à une société spécifique et affirme que c’est P.3.) qui a choisi les documents avant de les lui remettre.

 

P.2.) admet encore avoir indiqué à P.3.) comment procéder pour la transmission des documents appartenant à la société SOC.1.) – création d’une nouvelle boîte électronique et d’y laisser les documents attachés à un brouillon, transmission du mot de passe et accès à des heures différentes convenues à l’avance.

 

En ce qui concerne P.1.), le journaliste admet qu’il a pris l’initiative de le contacter suite à un article intéressant de celui-ci sur l’optimisation fiscale publié sur internet.

 

Il a, par la suite, su convaincre P.1.) de lui laisser prendre copie de tous les ATA en sa possession.

 

Pour le journaliste, il était clair qu’il allait utiliser les documents en original en montrant les noms tant de SOC.1.) que de ses clients.

 

Il confirme que ni P.1.) ni P.3.) n’ont été rémunérés.

 

B. En droit

 

Remarque liminaire

 

À l’audience du Tribunal correctionnel le Procureur d’Etat, la partie civile et la défense d’P.1.) et de P.3.) s’affrontaient sur la question de savoir si les deux prévenus étaient à considérer comme des lanceurs d’alerte (« whistleblower »), sur leur statut juridique, sur le moment où ils étaient devenus des lanceurs d’alerte et surtout pour savoir si leur qualité éventuelle de lanceurs d’alerte entraînait des conséquences juridiques, et plus précisément devait engendrer leur relaxe.

 

Pour couper court à toute discussion superflue, le Tribunal correctionnel retiendra comme acquis le fait qu’P.1.) et P.3.) sont aujourd’hui à considérer comme des lanceurs d’alerte.

 

Effectivement on ne peut pas sérieusement, en 2016 – après l’éclatement du scandale LUXLEAKS et de ses conséquences mondiales, admettre le contraire.

 

Il est encore incontestable que les divulgations d’P.1.) et également celles de P.3.) relèvent aujourd’hui de l’intérêt général ayant eu comme conséquence une plus grande transparence et équité fiscale.

 

Il restera cependant à déterminer si ce statut de lanceurs d’alerte protègera les deux prévenus au niveau national sinon européen ou bien, dans la négative, si le Conseil de l’Europe et plus précisément l’application de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales assure leur protection.

 

Pour plus de facilités, il y a cependant d’abord lieu d’analyser la situation d’P.2.).

 

Cet ordre chronologique inversé peut être critiquable, alors qu’il faudrait d’abord déterminer si P.3.) a commis les infractions lui reprochées pour établir ensuite si P.2.) peut être considéré comme coauteur ou complice de ces mêmes infractions.

 

Comme P.3.) ne conteste cependant pas les infractions mises à sa charge, mais demande son acquittement suivant « les lois européennes qui le protègent » en tant que lanceur d’alerte ayant commis ces infractions dans l’intérêt général, il est possible de traiter d’abord de la situation différente du journaliste P.2.) de celle des lanceurs d’alerte.

 

Le journaliste

 

P.2.) a été renvoyé par ordonnance numéro 2961/15 de la Chambre du conseil du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 25 novembre 2015 pour :

 

« C. P.2.), pré-qualifié

 

entre octobre 2012 et décembre 2012, dans l’arrondissement judiciaire de Luxembourg, à Paris (F) et à Metz (F), sans préjudice quant aux dates, heures et lieux exacts,

 

1. comme coauteur, ayant coopéré directement à l’exécution des délits,

 

sinon comme complice, ayant donné des instructions pour commettre les délits, ou, ayant procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui a servi aux délits, sachant qu’ils devaient y servir, ou, ayant, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs des délits dans les faits qui les ont préparés ou facilités, ou dans ceux qui les ont consommés,

 

en l’espèce, d’avoir demandé à P.3.) de créer l’adresse électronique « MAIL.1.)@gmail.com » et d’en avoir proposé les modalités de l’utilisation (dépôt des documents dans un message et laisser celui-ci en « draft », consultation à des horaires précis) pour récupérer le produit des infractions suivantes, reprochées sub B.3. et B.4. à P.3.), à savoir :

 

B.3. : d’avoir, en infraction à l’article 309 du Code pénal, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), soit dans un but de concurrence, soit dans l’intention de nuire à son employeur, soit pour se procurer un avantage illicite, utilisé ou divulgué, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l’expiration, les secrets d’affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation, en l’espèce les documents fiscaux (Tax Returns et ATA) confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) ;

 

B.4. : d’avoir, en infraction à l’article 458 du Code pénal, à l’article 22 de la loi du 18 décembre 2009 sur la profession de l’audit et à l’article 6 de la loi du 10 juin 1999 sur l’expertise comptable, en sa qualité de salarié, respectivement d’ancien salarié de SOC.1.), cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, et cela hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, en l’espèce d’avoir révélé les Tax Returns et ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.) ;

 

2. comme auteur ayant lui-même exécuté le délit,

 

d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect,

– d’une infraction aux articles 463 et 464 du Code pénal,

– d’une infraction aux articles 184, 187, 187-1, 191 et 309 du Code pénal,

– d’une infraction aux articles 509-1 à 509-7 du Code pénal,

ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées ci-devant ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions,

 

en l’espèce, d’avoir acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 32-1, alinéa premier, sous 1), formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions susvisées, énumérées au point 1) de l’article 506-1, en l’occurrence les Tax Returns et ATA confidentiels d’un certain nombre de clients de SOC.1.), sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions reprochées sub B.1., B.2. et B.3. à P.3.), ou de la participation lui reprochée sub C.1. ».

 

Par la même ordonnance la chambre du conseil a prononcé un non-lieu à poursuite en faveur d’P.2.) du chef de vols domestiques, sinon vols et fraude informatique – faits qualifiés par la chambre du conseil de « consultation et d’approbation illicites de données ».

 

La chambre d’instruction a considéré qu’P.2.) n’est ni auteur ni co-auteur de ces infractions commises par P.3.) et en ce qui concerne une éventuelle complicité de sa part, la chambre du conseil a écrit ce qui suit : « En ce qui concerne la complicité, prévue par l’article 67 du Code pénal, il y a lieu de mettre en évidence les éléments suivants du dossier :

 

         la complicité pour avoir « donné les instructions » ne saurait être en cause, étant donné que les seules instructions données par P.2.) – par voie de courriel les 21 et 29 décembre 2012 (« Si vous pouviez me transmettre ce que vous pouvez sur X.), ce serait parfait! » ; « Faites le max pour X.), c’est clairement vital d’avoir qqch là-dessus ») – n’ont, au vu du dossier soumis, pas été suivies d’effet et la « déclaration TVA annuelle 2010 de SOC.2.) SA », seul autre document concernant le groupe SOC.2’.) en cause, avait à ce moment-là déjà été consulté par P.3.) , sans que le dossier ne renseigne quel était le rôle d’P.2.) en relation avec ce document ;

 

         les déclarations du co-inculpé P.3.) au sujet du rôle d’P.2.) devant le juge d’instruction sont soit pour le moins imprécises (par exemple, « le nom d’SOC.3.) était aussi ressorti de ma discussion avec le journaliste », « ce nom avait été évoqué avec le journaliste P.2.), SOC.4.) l’intéressait »), soit d’ores et déjà contredites par les échanges de courriels (notamment, « je ne pense pas que moi je lui ai dit que ces sociétés étaient des clients de SOC.1.) ») ;

 

         le fait pour P.2.) d’avoir suggéré la création de l’adresse « MAIL.1.)@gmail.com » et le mode de fonctionnement pour réceptionner les documents ne saurait, aux yeux de la chambre du conseil, être considéré comme acte d’aide ou d’assistance au sens de l’article 67 du Code pénal « dans les faits qui [ont] préparé ou facilité, ou dans ceux qui [ont] consommé » en ce qui concerne les infractions visées par le Ministère public dans son réquisitoire sub 1. et 2., alors que l’utilisation de cette adresse dans le présent contexte se situe postérieurement aux faits de consultation et d’appropriation illicites de données.

 

Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que l’instruction n’a, faute d’existence d’un ensemble d’éléments de preuve fiables et concordants, pas permis de mettre en évidence des charges suffisantes de culpabilité à charge d’P.2.) qui auraient justifié son renvoi devant une juridiction de jugement pour les faits de consultation et d’appropriation illicites de données, qualifiés provisoirement de vols domestiques sinon vols et d’infractions à l’article 509-1 du Code pénal par le Ministère public.

 

Il y a partant lieu d’ordonner un non-lieu à poursuite en faveur d’P.2.) en ce qui concerne ces faits ».

 

Cette analyse juridique procède cependant d’une erreur d’appréciation en fait en ce qui concerne le moment de la soustraction des données confidentielles par P.3.).

 

La soustraction a eu lieu au moment où celui-ci attache le document au brouillon gardé dans la nouvelle boîte électronique créée à cet effet, alors que la violation du secret professionnel et du secret d’affaires s’est réalisée au moment où P.3.) a transmis le mot de passe à P.2.) (et non pas lors de la création de la boîte électronique).

 

Le constat enfin de la concomitance des différentes infractions commises par P.3.) devait entraîner le renvoi intégral du prévenu P.2.) en tant que co-auteur ou complice pour toutes les infractions commises par P.3.), sinon, en l’absence de charges suffisantes, le non-lieu intégral en sa faveur.

 

Quoiqu’il en soit, le Tribunal correctionnel saisi du renvoi d’P.2.) partage l’analyse de la chambre du conseil en ce sens que le journaliste prévenu n’est détenteur ni d’un secret professionnel ni de secrets des affaires en ce qui concerne les documents confidentiels soustraits, comme il n’en est pas le gardien.

 

Le seul fait pour P.2.) d’avoir suggéré à P.3.) – pour le protéger, de créer une nouvelle adresse électronique pour la transmission des données, ne constitue pas aux yeux du Tribunal correctionnel un acte d’aide ou d’assistance à commettre les infractions de violation du secret professionnel et du secret des affaires reprochées à P.3.) qui, rappelons-le, se sont réalisées au moment de la transmission du mot de passe de la taupe au journaliste.

 

À l’audience, l’essence des déclarations de P.3.) n’a pas permis de retenir une initiative du journaliste.

 

P.3.) n’a pas été dirigé par P.2.) dans la recherche des documents soustraits à la société SOC.1.) et sa situation est exactement pareille que celle en relation des faits reprochés à P.1.) pour lesquels le journaliste n’a pas été mis en cause.

 

L’échange des courriels entre P.3.) et P.2.) confirme encore cette analyse.

 

Il est établi que P.3.) a contacté P.2.) le 21 mai 2012 pour lui offrir son aide dans ses recherches. P.3.) a révélé des informations confidentielles sur son travail. C’est également lui qui a fait la remarque au journaliste que son enquête a connu peu de succès et qu’il aurait fallu « prendre comme exemple des sociétés françaises ou en tout cas plus connues du grand public pour que cela ait plus d’impact » (courriel du 30 juin 2012).

 

C’est encore P.3.) qui relance le journaliste en date du 11 juillet 2012 et 28 juillet 2012 pour n’obtenir une réponse que le 12 septembre 2012.

 

P.3.) a proposé enfin au journaliste en date du 13 octobre 2012 d’« ajouter au débat fiscal actuel, le volet évasion fiscale des (grosses) entreprises ».

 

P.3.) propose des informations confidentielles sur SOC.2’.) et SOC.4.) qui intéressent évidemment le journaliste qui insiste pour obtenir quelque chose sur « X.) », et qui relance à plusieurs reprises P.3.) (26 janvier 2013, 31 janvier 2013, 4 février 2013, 8 février 2013, 19 février 2013, 21 février 2013, 26 février 2013 et 23 avril 2013).

 

P.3.) ne répond cependant plus à P.2.), mais propose « son aide » à l’SITE.) le 6 novembre 2014 après leur publication de « LUXLEAKS I ».

 

Aucun autre élément du dossier répressif n’établissant une initiative du journaliste, P.2.) est par conséquent à acquitter des infractions de violation du secret professionnel et du secret des affaires reprochées à P.3.).

 

L’infraction de blanchiment-détention suppose la commission d’une infraction primaire, infraction qui n’existe pas en l’espèce, P.2.) ayant été acquitté des infractions de violation du secret d’affaires et du secret professionnel.

 

Comme le prévenu est à acquitter d’une participation aux infractions primaires de blanchiment, il est encore à acquitter de l’infraction de blanchiment-détention.

 

Les lanceurs d’alerte

 

a) la situation d’P.1.)

 

Le prévenu P.1.) ne conteste pas les infractions mises à sa charge.

 

Le prévenu invoque cependant des faits justificatifs résidant dans un état de nécessité ainsi que dans la protection du lanceur d’alerte, statut qui doit amener le Tribunal à l’acquitter sinon « de lui faire application de la loi pénale d’une façon la plus clémente possible ».

 

P.1.) fait encore exposer que toute condamnation même symbolique serait contraire à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Le Tribunal décide qu’il y a d’abord lieu de déterminer si les infractions mises à charge du prévenu sont établies pour ensuite seulement analyser si elles sont justifiées.

 

Quant au vol domestique

 

P.1.) indique qu’il a eu librement accès à tous les documents y compris les ATA sans forcer ou frauder l’accès informatique et qu’il n’a jamais caché sa démarche.

 

Il affirme qu’il n’a pas prémédité son geste et que cette démarche ne visait que des documents de formation pouvant lui être utiles ultérieurement dans un nouveau travail dans l’audit.

 

Il explique encore avoir agi par conviction alors que les pratiques d’optimisation fiscale agressive étaient contraires à l’intérêt général. Ceci constituait également une des raisons de son départ de la société SOC.1.).

 

Il fait également plaider qu’il ne pouvait pas prévoir l’impact énorme de la publication des documents remis au journaliste et qu’il regrettait que le Luxembourg, et la société SOC.1.) aient été pris comme cibles et que les noms des clients de SOC.1.) aient été révélés.

 

Il déclare cependant que les répercussions publiques et politiques lui ont donné raison.

 

Le Tribunal relève que le raisonnement mené par P.1.) sur sa motivation noble doit d’une part être nuancé en ce sens qu’il a soustrait frauduleusement au préjudice de son employeur plus de 20.000 pages de documents qui ne concernaient pas l’intérêt général et les ATA révélés plus tard au public.

 

D’autre part, si son geste n’était pas prémédité, comment expliquer alors le fait d’avoir emporté également des documents hautement confidentiels de 400 clients de la société SOC.1.) qui ne le concernaient pas.

 

Le vol domestique exige, pour être donné, la réunion cumulative des éléments constitutifs suivants :

 

1.      la soustraction d’une chose

2.      une chose mobilière

3.      une soustraction frauduleuse

4.      une chose soustraite qui n’appartienne pas à celui qui la soustrait et

5.      l’auteur du fait doit se trouver dans un cas de figure prévu par l’article 464 du code pénal.

 

P.1.) fait plaider que « la Cour d’appel de Luxembourg a jugé, s’agissant de données contenues dans un ordinateur central et imprimées par un agent pour les remettre ensuite à un autre, que « La chose formant l’objet du vol doit s’entendre comme un meuble corporel excluant de par là même tout objet incorporel ». Pour la Cour d’appel, ces données imprimées constituaient des choses immatérielles ne pouvant faire l‘objet d’une soustraction (CSJ Corr. 11 mai 2004, n° 154/04).

 

Ce principe a été rappelé par la Cour Supérieure de Justice dans un arrêt du 10 juillet 2013 qui a estimé que le prévenu n’avait fait que télécharger des données électroniques à partir du serveur d’une banque et qu’il ne s’était à aucun moment approprié un meuble corporel, de sorte que l’élément matériel du vol, à savoir la soustraction frauduleuse d’une chose, faisait défaut concernant ces documents (CSJ Corr. 10 juillet 2013, n° 395/13X).

 

(…), c’est cette même position qu’a adopté Monsieur l’Avocat Général près la Cour de cassation Monsieur John PETRY, dans le cadre du pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt précité, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une cassation, en ces termes :

« L’incrimination du vol des informations se heurte toutefois à l’exigence de ce que la chose formant l’objet du vol doit être une chose corporelle »

« (…) les données électroniques nonobstant leur appartenance au monde physique par opposition aux idées, informations et droits, ne sont pas elles-mêmes susceptibles de constituer l’objet d’une soustraction frauduleuse au sens de l’article 461 du Code pénal, mais ne le sont que par ricochet à condition de se matérialiser dans un objet matériel faisant l’objet de la soustraction.

 

Monsieur l’Avocat général poursuivait en rappelant que s’agissant de l’appropriation de données stockées sur un serveur au moyen d’un téléchargement, le droit luxembourgeois avait défini à ce sujet des incriminations spécifiques aux articles 509-1 et suivants du Code pénal et que celles-ci feraient alors double emploi avec le vol.

 

En effet, le Luxembourg a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la Cybercriminalité par une loi du 18 juillet 2014 et a modifié les articles afférents au vol en introduisant la notion de « clé électronique », à laquelle le Code a assimilé notamment les mots de passe, identifiants numériques etc.

 

Cette modification est naturellement venue confirmer le fait que ces choses incorporelles étaient auparavant exclues de l’incrimination de vol.

 

(…), plusieurs juristes se sont demandé si cette modification ne venait pas apporter une limitation aux principes énoncés par la Cour de cassation dans son arrêt du 3 avril 2014, cassant celui de la Cour Supérieure de Justice du 10 juillet 2013. En effet, alors que la Cour de cassation avait estimé que le vol s’appliquait également aux biens immatériels, cette nouvelle loi, en ajoutant le terme de clé électronique vient limiter le type précis de données immatérielles pouvant faire l’objet d’un vol.

 

C’est d’ailleurs ce qu’est venu confirmer le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg dans un jugement du 16 octobre 2014 (Jugt. 2628/2014 ; not.3723/12/CD).

 

Le jugement énonce notamment que :

 

- « Par une loi postérieure aux faits reprochés à X. [la loi du 18 juillet 2014], le législateur a encore étendu la notion de vol qui peut désormais porter sur « une chose ou une clef électronique ». Or, si dans l’intention du législateur, les choses englobaient toutes les valeurs immatérielles, cette ajoute n’aurait pas été nécessaire. Il découle de ce qui précède que le législateur n’a pas souhaité étendre le vol au-delà des biens matériels, mais a préféré créer des infractions spécifiques. »

 

- « (…) le législateur est supposé avoir fait une oeuvre utile ; si aux yeux de la loi, toutes ces atteintes à des valeurs immatérielles étaient de toute manière punies d’un emprisonnement de 5 ans à titre de vol, toutes les autres dispositions deviendraient inutile, superfétatoires et partant inopérantes. Or, rien ne permet d’admettre que le législateur ait voulu créer des dispositions inutiles, sombrant d’office dans les règles du concours avec le vol. Par conséquent, le législateur a entendu la notion de « chose » comme ne visant que les biens matériels. »

 

- « L'ensemble des considérations susmentionnées doivent encore être se mesurer au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, découlant du principe constitutionnel de la légalité des peines. Face aux incertitudes d’interprétation qui viennent d’être évoquées, l’interprétation la plus restrictive et donc la plus favorable au prévenu s’impose au juge pénal. »

 

Le Tribunal a par conséquent constaté que l’infraction de vol ne saurait porter sur des biens incorporels, et a acquitté le prévenu ».

 

Le Tribunal correctionnel ne partage cependant pas cette analyse et retient que toute cette argumentation ne saurait valoir au vu de l’arrêt de cassation numéro 17 / 2014 pénal du 3 avril 2014 qui casse et annule l’arrêt rendu le 10 juillet 2013 et qui décide :

 

« Attendu que le salarié qui prend, à des fins personnelles, à l'insu et contre le gré du propriétaire, des photocopies de documents appartenant à son employeur et dont il n'a que la détention précaire, fait un acte d'appréhension desdits documents, caractérisant l'élément matériel du vol ».

 

P.1.) a d’abord copié sur son ordinateur portable mis à disposition par son employeur un grand nombre de données confidentielles pour les recopier par la suite à son domicile sur son ordinateur personnel.

 

L’élément matériel est partant établi.

 

Quant à l’élément intentionnel, P.1.) savait parfaitement que les documents soustraits devaient servir d’outils de travail lui permettant de continuer un emploi similaire dans l’audit.

 

L’élément moral est partant également donné.

 

Le vol domestique constitue un cas aggravé de vol, le législateur ayant jugé que dans le contexte d’une relation de service, la soustraction frauduleuse cause un plus grand trouble à l’ordre public.

 

Cette disposition se comprend par la confiance que les maîtres sont obligés à accorder à leurs domestiques (CSJ, Ve, 9 janvier 2007, n° 16/07).

 

En effet, les motifs pour réprimer le vol domestique de façon plus sévère que le vol simple sont de deux ordres: d'une part, le maître, au sens large du terme, est obligé d'accorder à son domestique, homme de service à gages ou ouvrier une certaine confiance, d'autre part, le maître se trouve dans l'impossibilité, par suite de cette confiance forcée, de prévenir ou d'empêcher les vols commis par son préposé (TA Lux., 7 septembre 1992, n° 53/92, LJUS n° 99216053).

 

L’article 464 du code pénal comprend trois catégories de faits : 1) le vol commis par un domestique ou un homme de service à gages, soit au préjudice de son maître, soit au préjudice de personnes étrangères, qui se trouvaient dans la maison de son maître ou dans celle où il l’accompagnait ; 2) le vol commis par un ouvrier, compagnon ou apprenti dans la maison, l’atelier ou le magasin de son maître et 3) le vol commis par un individu travaillant habituellement dans l’habitation où il a volé.

 

En l’espèce, le prévenu a travaillé comme auditeur dans la société SOC.1.), il avait donc la qualité de salarié.

 

P.1.) n’était donc en possession de ces documents qu’au vu de sa qualité d’employé. La circonstance aggravante de la domesticité est partant donnée en l’espèce.

 

Il convient par conséquent de retenir le prévenu P.1.) dans les liens de cette infraction libellée à son encontre sub 1 principalement de la citation.

 

Quant à la fraude informatique

 

Le Ministère Public reproche encore au prévenu d’avoir enfreint l’article 509-1 du code pénal.

 

En proposant l’introduction de ces articles dans le code pénal, le Conseil d’Etat s’est inspiré de la législation française en matière de fraude informatique. Ce que la législation française a entendu incriminer par la loi du 5 janvier 1988 relative à la fraude informatique, c’est les agissements portant atteinte aux systèmes informatiques.

 

Le but du législateur est donc de protéger les systèmes de traitement contre les atteintes volontaires aux systèmes, notamment par des accès ou maintiens frauduleux, respectivement par « l’action volontaire sur les données opérée en introduisant des données dans un système de traitement automatisé ou en les supprimant ou en les modifiant » [Avis du Conseil d’Etat du 16 octobre 1990, travaux préparatoires de la loi du 15 juillet 1993].

 

L’article 509-1 du code pénal prévoit que « quiconque, frauduleusement, aura accédé ou se sera maintenu dans tout ou partie d’un système de traitement ou de transmission automatisé de données, sera… »

 

Selon le Conseil d’Etat, toutes les techniques d’accès, à condition d’être frauduleuses, doivent tomber sous le coup de la loi, telles que « cheval de Troie » (insertion d’un programme espion enregistrant les codes d’accès des abonnés), « raccourci » (utilisation des faiblesses du contrôle interne), acte « asynchrone » (utilisation des faiblesses du système d’exploitation), « déplombage » (élimination des instructions de contrôle), « déguisement » (se faire passer pour une personne autorisée), voire « poubelle » (découverte de codes d’accès dans des documents mis au rebut) ». De même, le texte punit celui qui se maintient dans un système où il a pénétré « par inadvertance ».

 

Le Tribunal conclut que le législateur vise par ces infractions un comportement dirigé contre un système informatique ou les données qu’il contient, nécessitant un accès, une intrusion ou un maintien frauduleux, c’est-à-dire non autorisé dans un système informatique, ce qui est le cas en l’espèce, P.1.) ayant eu un accès non autorisé rendu possible uniquement par une spécificité informatique telle que décrite ci-dessus (« La société SOC.1.) a pu expliquer qu’P.1.) a pu avoir accès à ces documents confidentiels à cause d’une spécificité informatique du système mis en place. Après avoir scanné les ATA, les archivistes déplaçaient ces documents dans un folder auquel des droits d’accès restreints s’appliquaient. Pour ce faire les archivistes avaient deux possibilités – le « copy/paste » avec effacement des données au folder des documents scannés, sinon le « drag and drop » des données qui, dans ce cas, n’étaient pas protégées par des droits d’accès restreints).

 

Ceci explique par ailleurs que le prévenu a pu seulement copier 400 ATA sur un nombre plus important d’ATA préparées par la société SOC.1.) et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg et enregistrées dans le système informatique.

 

Il y a dès lors lieu de retenir le prévenu dans les liens de cette prévention mise à sa charge.

 

Quant à la violation de l’article 309 alinéa 1er du code pénal

 

L’article 309 alinéa 1er du code pénal incrimine celui qui, étant ou ayant été employé, ouvrier ou apprenti d'une entreprise commerciale ou industrielle, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à son patron, soit pour se procurer un avantage illicite, utilise ou divulgue, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l'expiration, les secrets d'affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation.

 

Il importe de relever dans un premier temps que l’article 309 du code pénal n’exige pas que le secret visé soit d’une quelconque manière matérialisé. Il est par conséquent indifférent si l’auteur a emmené des documents ou fichiers informatiques ou s’il a simplement fait usage de ses connaissances ou de données qu’il avait mémorisées.

 

Pour qu’il puisse s’agir d’un secret d’affaires, il doit s’agir de faits qui ne sont connus que d’un cercle restreint de personnes et qui ont intérêt à le tenir secret (TA Lux., 27 avril 2000, n° 997/00, confirmé par CSJ, 5 décembre 2007, n° 575/07).

 

Le secret couvre les « informations difficilement accessibles à un tiers » (voir en ce sens TA Lux., référé, 12 mai 2005, n° 503/05 ; TA Lux., ordonnance en matière de concurrence déloyale, 11 avril 2008, n° 504/08 ; TA Lux., ordonnance en matière de concurrence déloyale, 5 décembre 2008, n° 1486/08).

 

Ne peuvent notamment pas constituer des secrets d’affaires, des informations qu’un commerçant ou industriel partage avec un grand nombre, potentiellement illimité de clients et prospects. En effet, de telles informations ne sont pas seulement accessibles à un cercle restreint de personnes.

 

En l’occurrence, il résulte des éléments de l’enquête que malgré résiliation de son contrat de travail intervenue le 14 octobre 2010, P.1.) détenait des documents confidentiels concernant des accords fiscaux de clients de SOC.1.) approuvés par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg. Ces ATA n’étaient – à l’évidence, pas destinés à être divulgués au grand public.

 

Les données ainsi obtenues étaient donc le fruit de négociations et étaient essentielles pour prospérer dans l’activité commerciale.

 

Toutes ces informations n’étaient connues que d’un cercle limité de personnes. Ces données étaient donc secrètes.

 

En divulguant ces informations au journaliste P.2.), tel que cela ressort des développements ci-dessus énoncés, P.1.) s’est servi du secret des affaires de la société SOC.1.).

 

Dès lors, la divulgation des données confidentielles de la société SOC.1.) à un journaliste est à considérer comme étant de nature à causer un préjudice à la société SOC.1.) et porter atteinte à sa renommée, et de garder respectivement à gagner de nouveaux clients.

 

Il y a dès lors eu divulgation et utilisation d’un secret.

 

Pour être donnée, l’infraction prévue au premier alinéa de l’article 309 du code pénal requiert encore un élément moral consistant dans le but dans lequel la divulgation a été faite, c’est-à-dire soit le but de concurrence, soit l’intention de nuire, soit l’intention de se procurer un avantage illicite.

 

Il est encore non contesté par le prévenu P.1.) que celui-ci connût la confidentialité de ces documents et que sa façon d’agir avait pour but de nuire à son ancien employeur, la société SOC.1.).

 

Les éléments constitutifs de l’article 309-1 du code pénal sont dès lors réunis et P.1.) est à retenir dans les liens de cette prévention.

 

Quant à la violation du secret professionnel

 

P.1.) admet encore que bien qu’il ait été soumis au secret professionnel, il a laissé recopier le journaliste P.2.) tous les ATA chez lui en été 2011.

 

Le prévenu explique que, suite à des propos qu’il avait tenus sur internet quant à l’optimisation fiscale, il a été contacté par le journaliste P.2.) auquel il a indiqué être en possession de documents confidentiels et qu’il les lui a laissés en copie.

 

P.1.) indique également avoir eu conscience de violer la confidentialité à laquelle il a été soumise, mais qu’il a agi par conviction et dans l’intérêt général.

 

Suivant l'article 458 du code pénal, les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie sont susceptibles de sanctions pénales lorsqu'ils ont révélé ceux-ci hors le cas où ils sont appelés à en rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à les faire connaître.

 

L'infraction de violation d'un secret professionnel comporte trois éléments constitutifs, à savoir :

 

● l'auteur doit être une personne soumise, par état ou par profession, au secret professionnel,

● l’acte de révélation doit avoir eu lieu librement, hors les cas où la loi l'autorise respectivement où un témoignage en est requis en justice,

● l’intention coupable.

 

L’énumération de l’article 458 du code pénal, visant les personnes liées par le secret professionnel, n’est pas limitative et les termes « état ou profession » sont assez larges pour embrasser l’exercice d’autres professions que celles énumérées.

 

Il ne fait actuellement pas de doute et il n’est pas contesté que le prévenu P.1.) était soumis au secret professionnel.

 

Le délit de révélation du secret professionnel existe dès qu’il y a eu une indiscrétion qui peut causer préjudice, que la révélation a été faite librement, hors les cas où la loi autorise, et qu’elle se réfère à un fait qui était confidentiel de sa nature.

 

Comme cela a déjà été exposé ci-avant, P.1.) n’ignorait pas qu’il était tenu au secret professionnel lorsqu’il a laissé P.2.) prendre copie des ATA soustraits préalablement à son employeur.

 

L’intention délictueuse exigée est le dol simple : sont également punies les révélations indiscrètes ainsi que les révélations inspirées par la cupidité ou par la méchanceté (cf. G.SCHUIND, Traité pratique du droit criminel, I, p.417).

 

L’élément moral est également établi en l’espèce dans la mesure où P.1.) a, en connaissance de cause et librement, révélé, sur demande du journaliste P.2.), ces informations confidentielles.

 

L’infraction concernant la divulgation des ATA doit dès lors être retenue à charge d’P.1.).

 

Il est encore constant en cause qu’P.2.) a sauvegardé à partir de l’ordinateur d’P.1.), avec l’accord de celui-ci, des fichiers confidentiels ayant trait aux ATA préparés par son ancien employeur SOC.1.) et avisés favorablement par l’Administration des Contributions Directes.

 

Dans la mesure où ces fichiers n’étaient pas destinés à être divulgués, ils tombent sous le secret professionnel. Etant donné qu’il est encore établi que les fichiers ont été transférés avec l’accord d’P.1.), l’élément moral est à suffisance de droit établi.

 

Il y a partant lieu de retenir l’infraction de violation du secret professionnel mise à sa charge.

 

Quant au blanchiment-détention

 

P.1.) est en aveu quant à l’infraction de blanchiment mise à sa charge.

 

Il ressort en effet du dossier répressif et des développements qui précèdent que le prévenu est l’auteur des infractions primaires retenues à sa charge pour avoir détenu et utilisé les ATA confidentiels préalablement soustraits à son employeur SOC.1.).  

 

L’infraction de blanchiment-détention est ainsi établie à charge d’P.1.).

 

Quant au fait justificatif de l’état de nécessité

 

P.1.) conclut à un état de nécessité qui l’aurait obligé de voler son employeur et de révéler par la suite les informations soustraites par la remise de ces documents au journaliste P.2.) :

 

« L’état de nécessité est donc d’évidence applicable à Monsieur P.1.) en ce que, la valeur sacrifiée, celle invoquée par la partie civile (dont on verra plus loin que de son propre aveu, elle est inexistante) méritait de l’être eu égard à une valeur très largement supérieure et fondamentale, soit l’intérêt général d’un bien public, soit celui des contribuables européens ». (à la page 36 de ses conclusions en défense).

 

Les faits justificatifs sont des causes d’irresponsabilité objectives qui ont pour effet de retirer au fait dommageable son caractère fautif en tenant compte des circonstances qui l’ont entouré. La plupart sont issus de la loi. Il s’agit de l’ordre ou de la permission de la loi, du commandement de l’autorité légitime, de la légitime défense et de l’état de nécessité.

 

Un acte dommageable et à priori illicite, peut être accompli dans des circonstances que le droit prend en compte pour lui retirer tout caractère délictueux. L’acte dommageable se trouve alors justifié à posteriori. Les criminalistes ont spécialement étudié les circonstances susceptibles d’avoir une telle incidence sous la rubrique des « faits justificatifs ».

 

L’absence de responsabilité de l’agent résulte de ce que, lorsqu’existe un fait justificatif, l’élément légal de l’infraction se trouve « supprimé », de sorte que celle-ci n’est plus juridiquement constituée.

 

D’une façon plus générale, le fait justificatif efface l’illicéité de l’acte et supprime tout caractère fautif au comportement de l’agent (cf. Lexinexis – Jurisclasseur civil code, art. 1382 à 1386, fasc. 121-20, faits justificatifs).

 

L’état de nécessité, sur lequel se base le prévenu pour demander son acquittement, est la situation dans laquelle se trouve une personne qui ne peut raisonnablement sauver un bien, un intérêt ou un droit que par la commission d’un acte qui, s’il était détaché des circonstances qui l’entourent, serait délictueux (P. FORIERS, De l’état de nécessité en droit pénal, Bruxelles, Bruylant, 1951, p.7, n°9).

 

L’état de nécessité exige en premier lieu qu’existe la menace d’un péril imminent, ensuite, que l’intérêt sacrifié soit de valeur inférieure au droit sauvegardé et enfin qu’il soit impossible d’éviter le mal par d’autres moyens qu’en commettant une infraction (G.SCHUIND, Traite pratique de droit criminel p. 172).

 

L’état de nécessité implique donc une situation dans laquelle se trouve une personne qui n’a raisonnablement d’autre ressource que de commettre une infraction pour sauvegarder un intérêt égal ou supérieur à celui que l’infraction sacrifie. Cette situation n’est donc pas celle qui est caractérisée par les inconvénients normaux de la vie de tous les jours qui ne sauraient dispenser l’agent du respect de la règle pénale. Il faut  être en présence d’un danger réel et imminent, peu importe sa nature, danger physique, moral ou matériel (Dean SPIELMANN, Alphonse SPIELMANN, Droit pénal général luxembourgeois, Bruylant, p. 284).

 

Pour une application en droit luxembourgeois de ce principe, il y a lieu de se référer à un jugement du Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg qui avait acquitté un prévenu pour un délit de grande vitesse commis par un ambulancier volontaire appelé à une intervention urgente (jugement numéro 609/2010 du 16 février 2010, Not.20696/09/CC)

 

Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour d’appel numéro 322/10 VI du 12 juillet 2010 dans les termes suivants : « La juridiction de première instance a donné une définition correcte de l’état de nécessité. Elle a souligné à juste titre que l’état de nécessité exige en premier lieu la menace d’un péril imminent. Tel a été le cas en l’espèce. (…) en sa qualité d’ambulancier volontaire a été appelé par le préposé du service d’urgence de la protection civile à une intervention de secours absolument vitale à Grevenmacher, une personne ayant été victime d’un arrêt cardiaque.

 

La condition de proportionnalité doit de même être respectée. Il faut plus particulièrement que la valeur sacrifiée dans la commission de l’infraction soit inférieure sinon du moins équivalente à celle que le prévenu a entendu conserver. Cette condition est donnée en l’occurrence. Le risque encouru par la personne, victime d’un accident cardiaque, qu’il s’agissait de secourir était d’ordre vital. Or, le risque direct résultant de l’action du prévenu, dont l’efficacité dépendait précisément de sa vitesse d’exécution, était un accident hypothétique dû à un dépassement de vitesse réalisé sur une route large et bien dégagée, en l’occurrence sur la route du vin à hauteur de Stadtbredimus, un dimanche soir en janvier vers 18.00 heures.

 

Il faut en dernier lieu que le prévenu prouve que sa façon d’agir c'est-à-dire circuler sur la voie publique à une vitesse dépassant largement celle autorisée aux fins de prêter secours à une personne en état de détresse absolue était la seule et unique possibilité qui s’offrait à lui au moment des faits. Tel a été le cas en l’espèce. (…), en sa qualité d’ambulancier volontaire avait de par sa fonction non seulement le devoir mais l’obligation, sous peine de s’exposer à des sanctions pénales, (voir loi du 27 février 1986 concernant l’aide médicale) de donner immédiatement suite à une demande d’aide émanant du préposé du service d’urgence de la protection civile et de se diriger immédiatement au moyen d’une ambulance sur le lieu de l’urgence ».

 

L’application de ce principe ne se justifie cependant pas en l’espèce, alors que l’auteur qui se prévaut d’un état de nécessité ne doit pas avoir d’autres choix que celui de commettre une infraction pour mettre fin à un danger imminent.

 

Étendre ce fait justificatif de la nécessité aux faits de l’espèce ne se justifie pas alors que le prévenu P.1.) ne faisait pas face à un péril imminent et le prévenu avait d’autres choix :

 

-         divulgation d’informations sans soustraction de documents ;

-         remise au journaliste d’un nombre restreint de documents.

 

L’argumentation d’P.1.) concernant l’état de nécessité est par conséquent à rejeter.

 

Quant au fait justificatif du lanceur d’alerte

 

Il reste enfin à déterminer si le statut de lanceur d’alerte d’P.1.) est protégé en droit national sinon au niveau européen ou si l’application de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales justifiera de son acquittement.

 

-         il n’existe aucune protection en droit luxembourgeois

 

Le Tribunal partage l’analyse du prévenu P.1.) en ce sens qu’un nombre restreint seulement de pays a introduit dans leur droit national une protection juridique du lanceur d’alerte.

 

Au Luxembourg, cette protection se retrouve dans le code du travail et a été introduite par une loi du 13 février 2011 renforçant la « protection des salariés en matière de lutte contre la corruption, le trafic d’influence et la prise illégale d’intérêts ».

 

Le salarié est donc protégé de représailles de la part de son employeur, c’est-à-dire d’un licenciement en cas de dénonciation de ces infractions spécifiques aux autorités compétentes.

 

Il y a encore lieu de relever l’obligation générale de dénonciation dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

 

P.1.) n’a pas dénoncé un fait de corruption, de trafic d’influence ou de prise illégale d’intérêts. Le prévenu n’a pas non plus dénoncé une opération de blanchiment.

 

Le prévenu n’est donc pas protégé au niveau national.

 

-         il n’existe aucune protection au niveau européen

 

Actuellement tant le Parlement européen que la Commission européenne admettent la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte de représailles et notamment de poursuites pénales.

 

Cette volonté de changement entraîne cependant un constat simple : à la date d’aujourd’hui, le lanceur d’alerte n’est pas protégé par une quelconque norme juridique au niveau européen.

 

Au contraire, la nouvelle proposition de directive sur le secret d’affaires adoptée par le Parlement européen entend encore resserrer le cadre de cette protection du lanceur d’alerte et augmenter la protection du secret d’affaires au niveau européen : protection du lanceur uniquement pour l’exercice de la liberté d’expression, révélation d’une faute professionnelle ou d’une activité illégale et divulgation dans le cadre du droit du travail ou aux fins de protection d’un intérêt légitime reconnu.

 

La nouvelle proposition de directive instaurant une protection européenne des lanceurs d’alerte entend assurer une protection minimale pour tous les lanceurs d’alerte mais elle n’a pas encore été adoptée par le Parlement européen.

 

Le prévenu n’est donc pas protégé au niveau européen.

 

-         P.1.) n’est pas protégé par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales  

 

Le prévenu fait encore plaider que : « compte tenu de l’intérêt public et de l’authenticité des informations divulguées, du fait que seule une divulgation externe était possible, de la parfaite bonne foi de Monsieur P.1.), et de l’absence de dommage causé à SOC.1.) et à tout le moins du fait que l’intérêt général sauvegardé prévaut sur tout dommage éventuel, toute condamnation même symbolique de Monsieur P.1.) serait contraire à l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme » (conclusions de défense page 32).

 

Le Tribunal ne partage cependant pas cette analyse.

 

Tout d’abord le Conseil de l’Europe a émis une recommandation aux États membres sur la protection des lanceurs d’alerte qui retient que les dispositions en vigueur sont insuffisantes pour assurer une protection efficace et émet une série de principes pour faciliter les alertes et assurer leur protection.

 

Le Tribunal en déduit que si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales assurerait aujourd’hui une protection efficace des lanceurs d’alerte notamment dans son article 10 sur la liberté d’expression, la recommandation du Conseil de l’Europe ne serait pas nécessaire.

 

Au contraire, l’article 10 la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’assure non seulement pas la protection du prévenu P.1.) en tant que lanceur d’alerte mais au contraire impose une condamnation à condition de prononcer une sanction juste et proportionnée.

 

Aux termes de l’article 10  de cette convention : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…)

 

L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique (…) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles  ».

 

En l’espèce le Tribunal retient que l’intérêt public du signalement est insuffisant pour ne pas sanctionner pénalement des faits qualifiés de vol domestique, fraude informatique, violation du secret d’affaires et du secret professionnel ainsi que blanchiment-détention.

 

La liberté d’expression d’P.1.) lui permettait parfaitement de critiquer des pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses au Luxembourg et ailleurs. Le prévenu a cependant dépassé les limites de la critique en soustrayant à son employeur des milliers de pages de documents confidentiels pour les transmettre ensuite à un journaliste.

 

P.1.), qui était tenu à un devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers son employeur, n’a pas dénoncé des conduites ou des actes illicites de son employeur et ne bénéficie donc pas d’une protection à ce sujet.

 

Le prévenu fait enfin plaider que le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas respecté la directive du 19 décembre 1977 (77/799/CEE) concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs qui prévoit un échange automatique, entre États membres, de toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct des impôts sur le revenu et sur la fortune.

 

Il y aurait donc là l’acte illicite faisant défaut jusqu’à présent.

 

Cette argumentation est cependant à rejeter, alors que le prévenu P.1.) n’a jamais dénoncé un prétendu non-respect par le Luxembourg d’une directive de 1977. Au contraire, il lui importait de dénoncer des pratiques fiscales légales mais moralement douteuses.

 

La condamnation pénale à intervenir, à condition d’infliger une sanction proportionnée à la gravité des faits, ne constitue par conséquent pas une violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

P.1.) est partant convaincu, par les éléments du dossier répressif, les déclarations des témoins ainsi que des débats menés à l’audience ensemble ses aveux :

« comme auteur ayant lui-même commis les infractions ;

entre le 13 et le 14 octobre 2010 dans la société SOC.1.), à Luxembourg et, dans la suite, au cours de l’été 2011 à (...) (F),

1) en infraction aux articles 461, 463 et 464 du code pénal,

d'avoir soustrait frauduleusement des choses qui ne lui appartiennent pas avec la circonstance que le voleur est un domestique,

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait, en sa qualité de salarié de la société SOC.1.), plus de 45.000 pages de documents au sujet de formations internes et, au sujet de 400 clients de la société SOC.1.), des documents confidentiels concernant des ATA approuvés par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg, partant des documents ne lui appartenant pas,

2) en infraction à l’article 509-1 du code pénal,

d’avoir frauduleusement accédé à  un système de traitement automatisé de données,

en l’espèce, le 13 octobre 2010 entre 18.48 heures et 19.17 heures, d’avoir frauduleusement accédé au système de traitement automatisé de données de la société SOC.1.) concernant les demandes ATA préparées par la société SOC.1.) et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg et concernant certains clients de la société SOC.1.)  ;

3) en infraction à l’article 309 du code pénal,

ayant été employé d’une entreprise  commerciale, dans l'intention de nuire à son patron, divulgué, endéans les deux ans qui suivent l'expiration de son engagement, les secrets d'affaires dont il a eu connaissance par suite de sa situation,

en l'espèce, d’avoir, en sa qualité d’ancien salarié de la société SOC.1.), dans l’intention de nuire à son employeur, divulgué, endéans les deux ans qui suivent l'expiration de son engagement, les secrets d’affaires dont il a eu connaissance par suite de sa situation,

et plus précisément au sujet de 400 clients de la société SOC.1.) des documents confidentiels concernant les demandes ATA préparées par la société SOC.1.) et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg et concernant certains clients de la société SOC.1.)  ;

4) en infraction à l’article 458 du code pénal,

d'avoir, en sa qualité de personne dépositaire, par profession, révélé des secrets lui confiés, hors le cas où il est appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets,

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité d’ancien salarié de la société SOC.1.), cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, et cela hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, et plus précisément révélé les demandes ATA préparées par la société SOC.1.) et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg et concernant certains clients de la société SOC.1.)  ;

5) d’avoir acquis, détenu et utilisé des biens visés à l’article 32-1 alinéa premier, sous 1) du code pénal,  formant l’objet des infractions énumérées au point 1 de l’article 506-1 du même code, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de plusieurs des infractions visés par l’article 506-1,

en l’espèce, d’avoir détenu et utilisé des documents confidentiels préalablement soustraits au sujet de 400 clients de la société SOC.1.) concernant les demandes ATA préparées par la société SOC.1.) et avisées favorablement par l’Administration des Contributions Directes du Luxembourg.

 

Les infractions retenues à charge d’P.1.) diffèrent tant par la qualité des documents soustraits que par leur ampleur de celles mises à charge de P.3.).

 

b) la situation de P.3.)

 

Le prévenu P.3.) ne conteste pas les infractions mises à sa charge.

 

P.3.) a soustrait à la société SOC.1.) 16 déclarations fiscales (Tax returns) et admet les avoir continuées au journaliste P.2.).

 

Le prévenu invoque cependant des faits justificatifs résidant dans la protection du lanceur d’alerte, statut qui doit amener le Tribunal à l’acquitter alors qu’il est « protégé par les lois européennes ».

 

P.3.) fait exposer qu’il est plus précisément protégé de  toute condamnation par l’application de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

 

Le Tribunal décide à ce sujet que les développements faits sur l’absence de protection au niveau national et européen ainsi que sur l’application de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ce qui concerne P.1.) se transposent  mutatis mutandis également à la situation de P.3.).

 

P.3.) n’est donc ni protégé en tant que lanceur d’alerte en droit national ou en droit européen ni par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à condition de lui infliger une sanction proportionnée à la gravité des faits.

 

Quant au vol domestique

 

P.3.) a expliqué qu’il a joint ces documents à des courriels personnels qu’il a gardé en « draft » dans une boîte électronique spécialement créée à cet effet.

 

Le vol domestique exige, pour être donné, la réunion cumulative des éléments constitutifs suivants :

 

1.        la soustraction d’une chose

2.        une chose mobilière

3.        une soustraction frauduleuse

4.        une chose soustraite qui n’appartienne pas à celui qui la soustrait et

5.        l’auteur du fait doit se trouver dans un cas de figure prévu par l’article 464 du code pénal.

 

Le Tribunal correctionnel retient pour les infractions de vols domestiques reprochées à P.3.) que depuis l’arrêt de cassation numéro 17 / 2014 pénal du 3 avril 2014, l’élément matériel du vol est caractérisé par le fait de joindre des documents à des courriels personnels qu’il gardait en « draft » dans une boîte électronique spécialement créée à cet effet (et permettant au journaliste P.2.), disposant du mot de passe, d’y accéder et de récupérer ainsi les documents attachés).

 

L’élément matériel est partant établi.

 

Quant à l’élément intentionnel, P.3.) savait parfaitement que les documents soustraits devaient servir le journaliste dans son investigation et qu’il n’avait pas sollicité l’accord de son employeur.

 

L’élément moral est partant également donné.

 

Le vol domestique constitue un cas aggravé de vol, le législateur ayant jugé que dans le contexte d’une relation de service, la soustraction frauduleuse cause un plus grand trouble à l’ordre public.

 

Cette disposition se comprend par la confiance que les maîtres sont obligés à accorder à leurs domestiques (CSJ, Ve, 9 janvier 2007, n° 16/07).

 

En effet, les motifs pour réprimer le vol domestique de façon plus sévère que le vol simple sont de deux ordres: d'une part, le maître, au sens large du terme, est obligé d'accorder à son domestique, homme de service à gages ou ouvrier une certaine confiance, d'autre part, le maître se trouve dans l'impossibilité, par suite de cette confiance forcée, de prévenir ou d'empêcher les vols commis par son préposé (TA Lux., 7 septembre 1992, n° 53/92, LJUS n° 99216053).

 

L’article 464 du code pénal comprend trois catégories de faits : 1) le vol commis par un domestique ou un homme de service à gages, soit au préjudice de son maître, soit au préjudice de personnes étrangères, qui se trouvaient dans la maison de son maître ou dans celle où il l’accompagnait ; 2) le vol commis par un ouvrier, compagnon ou apprenti dans la maison, l’atelier ou le magasin de son maître et 3) le vol commis par un individu travaillant habituellement dans l’habitation où il a volé.

 

En l’espèce, le prévenu travaillait comme agent administratif dans la société SOC.1.), il avait donc la qualité de salarié.

 

P.3.) n’était donc en possession de ces documents qu’au vu de sa qualité d’employé. La circonstance aggravante de la domesticité est partant donnée en l’espèce.

 

Il convient par conséquent de retenir le prévenu P.3.) dans les liens de cette infraction libellée à son encontre sub 1 principalement.

 

Quant à la fraude informatique

 

Le Ministère Public reproche encore au prévenu d’avoir enfreint l’article 509-1 du code pénal.

 

L’article 509-1 du code pénal prévoit que « quiconque, frauduleusement, aura accédé ou se sera maintenu dans tout ou partie d’un système de traitement ou de transmission automatisé de données, sera… »

 

Selon le Conseil d’Etat, toutes les techniques d’accès, à condition d’être frauduleuses, doivent tomber sous le coup de la loi, telles que « cheval de Troie » (insertion d’un programme espion enregistrant les codes d’accès des abonnés), « raccourci » (utilisation des faiblesses du contrôle interne), acte « asynchrone » (utilisation des faiblesses du système d’exploitation), « déplombage » (élimination des instructions de contrôle), « déguisement » (se faire passer pour une personne autorisée), voire « poubelle » (découverte de codes d’accès dans des documents mis au rebut) ». De même, le texte punit celui qui se maintient dans un système où il a pénétré « par inadvertance ».

 

Le Tribunal conclut que le législateur vise par ces infractions un comportement dirigé contre un système informatique ou les données qu’il contient, nécessitant un accès, une intrusion ou un maintien frauduleux, c’est-à-dire non autorisé dans un système informatique.

 

P.3.) n’avait aucun droit d’accéder aux déclarations fiscales des clients de son employeur SOC.1.) et de les attacher à un brouillon de courriel destiné à être transmis à un journaliste.

 

Il y a dès lors lieu de retenir le prévenu dans les liens de cette prévention mise à sa charge.

 

Quant à la violation de l’article 309 alinéa 1er du code pénal

 

L’article 309 alinéa 1er du code pénal incrimine celui qui, étant ou ayant été employé, ouvrier ou apprenti d'une entreprise commerciale ou industrielle, soit dans un but de concurrence, soit dans l'intention de nuire à son patron, soit pour se procurer un avantage illicite, utilise ou divulgue, pendant la durée de son engagement ou endéans les deux ans qui en suivent l'expiration, les secrets d'affaires ou de fabrication dont il a eu connaissance par suite de sa situation.

 

Il importe de relever dans un premier temps que l’article 309 du code pénal n’exige pas que le secret visé soit d’une quelconque manière matérialisé. Il est par conséquent indifférent si l’auteur a emmené des documents ou fichiers informatiques ou s’il a simplement fait usage de ses connaissances ou de données qu’il avait mémorisées.

 

En l’occurrence, il résulte des aveux de P.3.) que les déclarations fiscales étaient confidentielles et n’étaient pas destinées à être divulguées au grand public.

 

En divulguant ces informations au journaliste P.2.), tel que cela ressort des développements ci-dessus énoncés, P.3.) s’est servi du secret des affaires de la société SOC.1.).

 

Dès lors, la divulgation des données confidentielles de la société SOC.1.) à un journaliste est à considérer comme étant de nature à causer un préjudice à la société SOC.1.) et porter atteinte à sa renommée.

 

Il y a dès lors eu divulgation et utilisation d’un secret.

 

Pour être donnée, l’infraction prévue au premier alinéa de l’article 309 du code pénal requiert encore un élément moral consistant dans le but dans lequel la divulgation a été faite, c’est-à-dire soit le but de concurrence, soit l’intention de nuire, soit l’intention de se procurer un avantage illicite.

 

Il est encore non contesté par le prévenu P.3.) que celui-ci connaissait la confidentialité de ces documents et que sa façon d’agir avait pour but de nuire à la société SOC.1.).

 

Les éléments constitutifs de l’article 309-1 du code pénal sont dès lors réunis et P.3.) est à retenir dans les liens de cette prévention.

 

Quant à la violation du secret professionnel

 

P.3.) ne conteste pas que bien qu’il ait été soumis au secret professionnel, il a révélé le mot de passe de la boîte électronique au journaliste qui a ainsi pu récupérer les déclarations fiscales des clients de SOC.1.) en date du 31 octobre 2012, 16 novembre 2012 et 7 décembre 2012.

 

P.3.) a affirmé avoir contacté P.2.) pour l’aider dans son enquête, alors qu’il avait vu l’émission « Cash investigation » et qu’il pensait que les montages financiers étaient illégaux, et l’avaient choqué.

 

P.3.) explique avoir eu conscience de violer la confidentialité à laquelle il a été soumis, mais qu’il a agi par conviction et dans l’intérêt général.

 

Suivant l'article 458 du code pénal, les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie sont susceptibles de sanctions pénales lorsqu'ils ont révélé ceux-ci hors le cas où ils sont appelés à en rendre témoignage en justice et celui où la loi les oblige à les faire connaître.

 

L'infraction de violation d'un secret professionnel comporte trois éléments constitutifs, à savoir :

 

● l'auteur doit être une personne soumise, par état ou par profession, au secret professionnel,

● un acte de révélation doit avoir eu lieu librement, hors les cas où la loi l'autorise respectivement où un témoignage en est requis en justice,

● une intention coupable.

 

L’énumération de l’article 458 du code pénal, visant les personnes liées par le secret professionnel, n’est pas limitative et les termes « état ou profession » sont assez larges pour embrasser l’exercice d’autres professions que celles énumérées.

 

Il ne fait actuellement pas de doute et il n’est pas contesté que le prévenu P.3.) était soumis au soumis au secret professionnel.

 

Le délit de révélation du secret professionnel existe dès qu’il y a eu une indiscrétion qui peut causer préjudice, que la révélation a été faite librement, hors les cas où la loi autorise, et qu’elle se réfère à un fait qui était confidentiel de sa nature.

 

L’élément moral est également établi en l’espèce dans la mesure où P.3.) a, en connaissance de cause et librement, révélé ces informations confidentielles.

 

Il y a partant lieu de retenir l’infraction de violation du secret professionnel mise à sa charge.

 

Quant au blanchiment-détention

 

P.3.) est encore à retenir dans les liens de l’infraction de blanchiment mise à sa charge.

 

Il ressort en effet du dossier répressif et des développements qui précèdent que le prévenu est l’auteur des infractions primaires retenues à sa charge pour avoir détenu et utilisé 16 déclarations fiscales de clients de SOC.1.) confidentielles préalablement soustraites à son employeur.

 

P.3.) est partant convaincu, par les éléments du dossier répressif, les déclarations des témoins ainsi que les débats menés à l’audience ensemble ses aveux :

« comme auteur ayant lui-même commis les infractions ;

entre octobre 2012 et décembre 2012 dans la société SOC.1.), à Luxembourg, à Metz et à Paris,

1) en infraction aux articles 461, 463 et 464 du code pénal,

d'avoir soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas avec la circonstance que le voleur est un domestique,

en l’espèce, d’avoir frauduleusement soustrait, en sa qualité de salarié de la société SOC.1.), 16 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société SOC.1.), partant des documents ne lui appartenant pas,

2) en infraction à l’articles 509-1 du code pénal,

d’avoir frauduleusement accédé à  un système de traitement automatisé de données,

en l’espèce, le 31 octobre 2012, le 16 novembre 2012 et le 7 décembre 2012, d’avoir frauduleusement accédé au système de traitement automatisé de données de la société SOC.1.) concernant les 16 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société SOC.1.) ;

3) en infraction à l’article 309 du code pénal,

ayant été employé d’une entreprise commerciale, dans l'intention de nuire à son patron, divulgué les secrets d'affaires dont il a eu connaissance par suite de sa situation,

en l'espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié, dans l’intention de nuire à son employeur, divulgué les secrets d’affaires dont il a eu connaissance par suite de sa situation et plus précisément divulgué les 16 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société SOC.1.) ; 

4) en infraction à l’article 458 du code pénal,

d'avoir, en sa qualité de personne dépositaire, par profession, révélé des secrets lui confiés, hors le cas où il est appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi  l’oblige à faire connaître ces secrets,

en l’espèce, d’avoir, en sa qualité de salarié de la société SOC.1.), cabinet de révision agréé au sens de la loi du 18 décembre 2009 et d’expert-comptable au sens de la loi du 10 juin 1999, révélé des secrets qu’on lui avait confiés, et cela hors le cas où il était appelé à rendre témoignage en justice et celui où la loi l’oblige à faire connaître ces secrets, et plus précisément révélé les 16 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société SOC.1.) ;

5) d’avoir acquis, détenu et utilisé des biens visés à l’article 32-1 alinéa premier, sous 1) du code pénal,  formant l’objet des infractions énumérées au point 1 de l’article 506-1 du même code, sachant, au moment où il les recevait, qu’ils provenaient de plusieurs des infractions visés par l’article 506-1,

en l’espèce, d’avoir détenu et utilisé des documents confidentiels préalablement soustraits concernant les 16 déclarations fiscales (Tax returns) de clients de la société SOC.1.).

 

C. Les peines

 

Les infractions consistant à s’introduire frauduleusement dans un système informatique pour soustraire les documents y consultés à l’insu de son employeur et de détenir, et utiliser ensuite ces documents constituent un même fait poursuivant un même objectif. Il y a dès lors concours idéal entre les infractions de fraude informatique, de vol et de blanchiment.

 

Les infractions de violation du secret professionnel et du secret d’affaires se trouvent également en concours idéal.

 

Ces deux groupes d’infractions sont encore en concours réel entre elles. Il y a dès lors lieu d’appliquer les dispositions des articles 60 et 65 du code pénal.

 

Conformément aux dispositions des articles 60 et 65 du code pénal, il convient de ne prononcer que la peine la plus forte qui pourra être élevée au double du maximum, sans toutefois pouvoir excéder la somme des peines prévues pour les différents délits.

 

Suivant l’article 509-1 du code pénal, quiconque, aura frauduleusement accédé ou se sera maintenu dans tout ou partie d’un système de traitement ou de transmission automatisé de données sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 euros à 25.000 euros ou de l’une de ces deux peines.

 

En application des articles 463 et 464 du code pénal, le vol domestique est sanctionné d’une peine d’emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 251 à 5.000 euros.

 

Aux termes de l’article 309 alinéa 1er du code pénal la violation du secret d’affaires est sanctionnée par un emprisonnement de trois mois à trois ans et une amende de 251 euros à 12.500 euros.

 

Aux termes de l’article 458 du code pénal la violation du secret professionnel est sanctionnée par un emprisonnement de huit jours à six mois et une amende de 500 euros à 5.000 euros.

 

L’article 506-1 du code pénal sanctionne l’infraction de blanchiment d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 1.250 euros à 1.250.000 euros, ou de l’une de ces peines seulement.

 

La peine la plus forte est, en l'espèce, celle comminée pour le vol domestique dont la peine de prison maximale est de 5 ans et l’amende obligatoire.

 

Dans l’appréciation de la peine, le Tribunal prend en considération le fait que tant P.1.) que P.3.) ont abusé de la confiance que leur employeur avait en eux. La gravité des infractions retenues à charge des deux prévenus est indéniable.

 

Le Tribunal retient cependant également en faveur d’P.1.) et de P.3.) qu’ils n’ont pas été rémunérés pour avoir transmis au journaliste les documents confidentiels soustraits et que suite aux révélations « LUXLEAKS » et l’impact politique mondial important, ils ont contribué à une plus grande transparence et équité fiscale. Les deux prévenus ont donc agi dans l’intérêt général et contre des pratiques d’optimisation fiscale moralement douteuses.

 

Au vu de ce qui précède, le Tribunal condamne P.1.) à une peine d’emprisonnement de 12 mois et à une amende de 1.500 euros qui tient également compte de ses revenus disponibles.

 

Au vu de l’absence d’antécédents judiciaires dans le chef d’P.1.), il y a lieu d’assortir la peine d’emprisonnement à prononcer à son encontre du sursis intégral.

 

En tenant compte de la moindre gravité des infractions retenues à charge de P.3.) qui n’a pas soustrait d’autres documents que ceux qu’il a continués au journaliste, le Tribunal le condamne à une peine d’emprisonnement de 9 mois et à une amende de 1.000 euros qui tient également compte de ses revenus disponibles.

 

Au vu de l’absence d’antécédents judiciaires dans le chef de P.3.), il y a lieu d’assortir la peine d’emprisonnement à prononcer à son encontre du sursis intégral.

 

Il n’y a cependant pas lieu à confiscation des documents et objets saisis suivant les procès-verbaux numéro SPJ11/2012/22984-1 du 28 août 2012, numéro SPJ11/2012/22984-3 du 10 juillet 2012, numéro SPJ11/2012/22984-8 du 24 novembre 2014, numéro SPJ11/2012/22984-13 du 16 décembre 2014, numéro SPJ11/2012/22984-14 du 29 janvier 2015 et numéro SPJ11/2012/22984-15 du 5 février 2015  de la Police Grand-Ducale, Service de Police Judiciaire, Section Criminalité Générale, étant donné qu’il s’agit de pièces à conviction formant partie intégrante du dossier répressif. Ces pièces ne sont en conséquence pas à traiter « comme objets saisis », et il n’y a donc pas lieu d’en ordonner la restitution (CSJ, arrêt correctionnel numéro 556 du 23 novembre 2011, Xe Chambre).

 

II. Au civil

 

Quant à la demande civile de la société SOC.1.)

 

A l'audience publique du 4 mai 2016, Maître Hervé HANSEN, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, se constitua oralement partie civile au nom et pour le compte de la société coopérative SOC.1.) contre P.1.) et P.3.).

 

Eu égard à la décision à intervenir au pénal à l’égard d’P.1.) et P.3.) le Tribunal est compétent pour connaître de la demande civile.

 

La demande civile est recevable pour avoir été faite dans les forme et délai de la loi.

 

La demande est également fondée en principe. En effet, le dommage dont la partie demanderesse entend obtenir réparation est en relation causale directe avec les fautes commises par les défendeurs au civil.

 

La demande pour réparation du préjudice moral est à déclarer fondée pour le montant réclamé de 1.-  euro.

 

P.1.) et P.3.) sont partant condamnés solidairement à payer à la société coopérative SOC.1.) le montant de l’euro symbolique.

 

 

P A R   C E S   M O T I F S

 

 

le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, douzième chambre, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, P.1.), P.3.) et P.2.) ainsi que leurs mandataires entendus en leurs explications et moyens de défense, tant au pénal qu’au civil, les mandataires de la demanderesse au civil entendus en leurs conclusions et le représentant du Ministère Public entendu en son réquisitoire,

 

au pénal

 

quant à P.2.)

 

a c q u i t t e   P.2.) des infractions non établies à sa charge ;

 

r e n v o i e   P.2.) des fins de sa poursuite pénale sans peine ni dépens ;

 

l a i s s e   les frais de la poursuite pénale d’P.2.) à charge de l’Etat ;

 

quant à P.3.)

 

c o n d a m n e   P.3.) du chef des infractions retenues à sa charge à une peine d’emprisonnement de neuf (9) mois, à une amende de mille (1.000) euros ainsi qu'aux frais de sa poursuite pénale, ces frais liquidés à 100,34 euros ;

 

f i x e   la durée de la contrainte par corps en cas de non-paiement de l'amende à vingt (20) jours ;

 

d i t   qu'il sera sursis à l'exécution de l’intégralité de cette peine d’emprisonnement ;

 

a v e r t i t   P.3.) qu’au cas où, dans un délai de cinq ans à dater du présent jugement, il aura commis une nouvelle infraction ayant entraîné une condamnation à une peine privative de liberté ou à une peine plus grave pour crimes ou délits de droit commun, la peine de prison prononcée ci-devant sera exécutée sans confusion possible avec la nouvelle peine et que les peines de la récidive seront encourues dans les termes de l’article 56 al. 2 du code pénal ;

 

quant à P.1.)

 

c o n d a m n e   P.1.) du chef des infractions retenues à sa charge à une peine d’emprisonnement de douze (12) mois, à une amende de mille cinq cents (1.500) euros ainsi qu'aux frais de sa poursuite pénale, ces frais liquidés à 100,34 euros ;

 

f i x e   la durée de la contrainte par corps en cas de non-paiement de l'amende à trente (30) jours ;

 

d i t   qu'il sera sursis à l'exécution de l’intégralité de cette peine d’emprisonnement ;

 

a v e r t i t   P.1.) qu’au cas où, dans un délai de cinq ans à dater du présent jugement, il aura commis une nouvelle infraction ayant entraîné une condamnation à une peine privative de liberté ou à une peine plus grave pour crimes ou délits de droit commun, la peine de prison prononcée ci-devant sera exécutée sans confusion possible avec la nouvelle peine et que les peines de la récidive seront encourues dans les termes de l’article 56 al. 2 du code pénal ;

 

 

au civil

 

partie civile de la société coopérative SOC.1.) contre P.1.) et P.3.)

 

d o n n e   acte à la société coopérative SOC.1.) de sa constitution de partie civile ;

 

s e   d é c l a r e   compétent pour connaître de la demande civile ;

 

d é c l a r e   la demande recevable en la forme ;

 

d é c l a r e   la demande fondée du chef de préjudice moral pour le montant réclamé de l’euro symbolique ;

 

c o n d a m n e   P.1.) et P.3.) solidairement à payer à la société coopérative SOC.1.) le montant de un (1) euro ;

 

c o n d a m n e   P.1.) et P.3.) solidairement aux frais de cette demande civile.

 

 

Par application des articles 14, 15, 16, 27, 28, 29, 30, 44, 60, 65, 66, 309, 458, 461, 463, 464, 506-1 et 509-1 du code pénal et des articles 1, 3, 155, 179, 182, 183-1, 184, 185, 189, 190, 190-1, 191, 194, 195, 196, 626, 627, 628 et 628-1 du code d’instruction criminelle, dont mention a été faite.

 

 

Ainsi fait et jugé par Marc THILL, vice-président, Gilles MATHAY, premier juge, et Paul LAMBERT, juge, et prononcé par le vice-président en audience publique au Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, en présence de David LENTZ, Procureur d’Etat adjoint, et de Pierre SCHMIT, greffier, qui, à l'exception du représentant du Ministère Public, ont signé le présent jugement.

 

 

[1] Extrait de l’interrogatoire de l’inculpé P.1.) auprès du juge d’instruction (page 7) : « (…) Un journaliste a copié les rulings à sa demande. (…) Il a copié ces documents chez moi à (...) ».

[2] Le siège de « Premières Lignes Télévision », employeur de l’inculpé P.2.), est situé à Paris.

[3] Les inculpés P.3.) et P.2.) se sont rencontrés à Metz le 24 octobre 2012.

[4] J. Nies, « La compétence pénale internationale dans la loi luxembourgeoise », J.T.L. n° 41, oct. 2015 : « La loi de 1993 [ayant introduit l’article 7-2 du Code d’instruction criminelle] confirme ainsi la jurisprudence alors applicable aux infractions présentant plusieurs éléments constitutifs dont au moins un avait été accompli au Luxembourg, et consacre dès lors dans le code la théorie de l’ubiquité. Pour rappel, ce concept autorise la localisation de l’infraction soit à l’endroit où elle a été commise soit à l’endroit où le résultat de l’infraction s’est produit, créant ainsi une compétence alternative ».

[5] cité par M. Braun, « La ratification de la Convention de Budapest sur la cybercriminalité par le Luxembourg », J.T.L., 2014/5, n° 35, p. 123.

[6] Classeur référencé « Annexes B6 ».

[7] CEDH, 12 févr. 2008, GU.) c/ Moldavie, n° 14277/04.

[8] Un examen qui aboutirait nécessairement à trancher le litige au fond se situe au-delà des attributions de la juridiction d’instruction (Ch.c.C., 4 mars 1998, n° 37/98 ; Ch.c.C., 6 nov. 2015, n° 888/15) ; l’examen des charges ne permet pas à la juridiction d’instruction de trancher des questions de fond qui relèvent exclusivement de la compétence des juridictions de jugement (M. Franchimont, Manuel de procédure pénale, 4e éd. 2012, p. 610).

[9] Arrêt HE.) c/ Allemagne préc., point 91 ; Arrêt CEDH, 8 janv. 2013, BU.) et T.) c/ Roumanie, n° 40238/02, point 119.

[10] Ch.c.C., 25 mars 2014, n° 178/14, confirmant Ch.c. Lux., 3 fév. 2014, n° 312/14.

 

 

[11] voir « Rapport d’audit interne - Résultats de l’enquête interne suite à la diffusion sur le site SITE.) de documents de SOC.1.) postérieurs à octobre 2010 » du 7 janvier 2015, p. 3 : « Accès le 16 novembre 2012, à 12 minutes d’intervalle, aux déclarations/lettres liées à SOC.4.) et à la déclaration TVA annuelle 2010 de SOC.2.) SA ».

[12] Une décision de non-lieu ne peut porter que sur un fait pénal et non sur une qualification du fait pénal (Ch.c.C., 24 juin 2013, n° 329/13)

[13] Extrait de l’interrogatoire de l’inculpé P.3.) auprès du juge d’instruction (page 7) : « Je n’ai pas envoyé ces emails. Je les ai enregistrés comme brouillons et ensuite le journaliste P.2.), qui connaissait lui aussi le mot de passe de cet email, pouvait y accéder. Sur question : L’adresse email « MAIL.1.)@gmail.com » avait été créée spécifiquement à cette fin. Sur question : Si ma mémoire est bonne, c’est P.2.) qui m’a demandé de la créer. Sur question : Je pense que c’était le journaliste qui a proposé de procéder de cette façon ».

[14] Extraits des courriels envoyés par P.2.) à P.3.) le 26 octobre 2012 : « Max, pour votre cliché d'authentification, merci de créer une boite aux lettres et de l'y laisser en brouillon. Quant aux identifiants et mdp, je vous laisse le soin de les creer et de me les communiquer par un autre biais que le mail. C'est plus sage et plus sur. A bon entendeur » ; « Désolé: ouvrez une autre adresse mail: déposez le cliché dans les brouillons non envoyés. Et communiquez moi l'adresse et le mot de passe par un autre moyen que le mail ».

[15] Courriel du 8 novembre 2012 envoyé par P.2.) à P.3.) : « Vs propose un horaire de vacation. Disons que je n'y accède que le matin de 10h à 12h. Et vous le reste du tps. Et ne pas oublier, surtout de deconnecter à ch fois ».

[16] voir notamment, courriel du 6 décembre 2012 adressé à P.3.) : « (…) Faites au mieux, le plus prudemment (…) » ; v. à ce sujet également l’arrêt de la CEDH du 10 décembre 2007, ST.) c/ Suisse (réf. supra, point 4.3.2.2.), point 144. : « En tout état de cause, [le requérant] ne pouvait, en tant que journaliste, ignorer de bonne foi que la divulgation du document litigieux était réprimée [pénalement] ».

[17] Article 7 (1) de la loi modifiée du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias.

[18] Article 7 (4) de la même loi.

[19] L’article 24 de la Constitution luxembourgeoise pose également le respect des lois pénales en tant que limite à la liberté d’expression, en ce qu’il prévoit que « la liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés ».

Dernière mise à jour