Arrêt PDIV 2013/0128 du Conseil supérieur de la sécurité sociale relatif au droit à pension de vieillesse d'un détenu

Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a rendu en date du 12 février 2015 un arrêt dans l'affaire PDIV 2013/0128 du registre.

 

CONSEIL SUPERIEUR DE LA SECURITE SOCIALE

 

Composition: 

M. Etienne Schmit, président de chambre à la Cour d’appel,  président 

Mme Yannick Didlinger, juge de paix à Luxembourg,  assesseur-magistrat 

Mme Françoise Wagener, juge des tutelles au trib. d’arr. de Luxembourg, assesseur-magistrat 

M. Jean-Pierre Wagner, maître électricien, Mamer, assesseur-employeur 

Mme Corinne Ludes, déléguée permanente, Dudelange, assesseur-assuré 

M. Francesco Spagnolo, secrétaire 

 

ENTRE:

 

A, né le …, actuellement détenu à F-78303 Poissy Cedex, 11650 3/c/21, Maison Centrale 17, rue de l’Abbaye,

appelant,

comparant par Maître Fernando Dias Sobral, avocat à la Cour, demeurant à Esch-sur-Alzette; 

ET: 

la Caisse nationale d’assurance pension, établie à Luxembourg,

représentée par le président de son comité-directeur actuellement en fonction,

intimée,

comparant par Monsieur (...), conseiller de direction 1ère classe, demeurant à Luxembourg.

 

Les faits et rétroactes de l’affaire ressortent à suffisance de droit de l’arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale du 26 mai 2014 dont le dispositif est conçu comme suit: Par ces motifs, le Conseil supérieur de la sécurité sociale, statuant contradictoirement sur le rapport oral de son président, déclare l’appel recevable, dit qu’il envisage de saisir la Cour constitutionnelle de la question suivante: « L’article 210 du code de la sécurité sociale, qui dispose que la personne qui a droit à une pension de vieillesse en application du code de la sécurité sociale luxembourgeois est privée de ce droit par la suspension de la pension durant la détention en exécution d’une peine privative de liberté de plus d’un mois, est-il conforme à l’article 10 bis, paragraphe 1, de la Constitution, étant donné qu’il prévoit cette privation d’un revenu à l’égard d’une personne ayant droit à une pension de vieillesse tandis que, depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2011, du nouvel article 127 du code de la sécurité sociale, aucune disposition légale ne prévoit une telle privation d’un revenu à l’égard de la personne ayant droit à une rente de l’assurance accident durant l’exécution d’une peine privative de liberté de plus d’un mois ? », rouvre les débats sur tous les aspects non tranchés du litige. 

Les parties furent convoquées pour l’audience publique du 9 octobre 2014, à laquelle Monsieur le président fit le rapport oral. 

Maître Fernando Dias Sobral, pour l’appelant, conclut à voir saisir la Cour constitutionnelle. 

Monsieur Claude Rumé, pour l’intimée, conclut qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle. 

Après prise en délibéré de l’affaire le Conseil supérieur rendit à l’audience publique de ce jour l’arrêt qui suit: 

1. La procédure suivie 

Par décision du 22 avril 2010, le comité directeur de la Caisse nationale d’assurance pension a confirmé le retrait de la pension de vieillesse qui avait été accordée à A à partir du 24 mai 2009. En application de l’article 210 du code de la sécurité sociale, la pension est suspendue durant la détention en exécution d’une peine privative de liberté de plus d’un mois, avec effet rétroactif à partir du 24 mai 2009. Le comité directeur se réserve le droit de récupérer les prestations payées pour la période du 24 mai au 31 décembre 2009, le cas échéant, par compensation après une éventuelle libération. 

Le 13 mai 2011, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a demandé à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la conformité de l’article 210 du code de la sécurité sociale avec les articles 16, 17 et 12 de la Constitution. 

Par arrêt du 9 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a dit que l’article 210 du code de la sécurité sociale n’est pas contraire aux articles 16, 17 et 12 de la Constitution. 

Par jugement du 24 mai 2013, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a rejeté le recours formé contre la décision du 22 avril 2010. 

Le 12 juillet 2013, A a régulièrement formé appel contre ce jugement. 

La Caisse nationale d’assurance pension se réfère au jugement et conclut à sa confirmation. 

Par arrêt du 26 mai 2014, le Conseil supérieur a rouvert les débats et a dit qu’il envisageait de soumettre la question suivante à la Cour constitutionnelle: 

« L’article 210 du code de la sécurité sociale, qui dispose que la personne qui a droit à une pension de vieillesse en application du code de la sécurité sociale luxembourgeois est privée de ce droit par la suspension de la pension durant la détention en exécution d’une peine privative de liberté de plus d’un mois, est-il conforme à l’article 10 bis, paragraphe 1, de la Constitution, étant donné qu’il prévoit cette privation d’un revenu à l’égard d’une personne ayant droit à une pension de vieillesse tandis que, depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2011, du nouvel article 127 du code de la sécurité sociale, aucune disposition légale ne prévoit une telle privation d’un revenu à l’égard de la personne ayant droit à une rente de l’assurance accident durant l’exécution d’une peine privative de liberté de plus d’un mois ? »

2. Le cadre juridique

Suivant l’article 210 du de la sécurité sociale: 

« Les pensions sont suspendues pendant l’exécution d’une peine privative de liberté supérieure à un mois.

Toutefois, pour la durée de la détention la pension due à un détenu est dévolue aux personnes qui, en cas de décès, auraient droit à une pension de survie, à condition qu’ils résident au Luxembourg et que le pensionné ait contribué d’une façon prépondérante à leur entretien. En cas de divorce ou de séparation, le conjoint, ou, en cas de dissolution du partenariat en vertu de l’article 13 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, l’ancien partenaire a droit à la pension jusqu’à concurrence des pensions alimentaires.

Toute suspension prend cours à l’expiration du mois au cours duquel se produit

l’événement y donnant lieu. Elle cesse d’être appliquée à l’expiration du mois au cours duquel la cause de suspension est venue à défaillir.

Lorsqu’une pension a été octroyée ou liquidée sur erreur matérielle elle est modifiée ou supprimée suivant le cas. »

Le protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’amendé par le protocole no 11, dispose en son article 1: 

« Article 1 - Protection de la propriété

Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des

biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

3. La position de A

A demande au Conseil supérieur de soumettre à la Cour constitutionnelle les trois questions préjudicielles suivantes: 

« L’article 210, alinéas 1 et 2 combinés, du code de la sécurité sociale, dans les hypothèses où la pension de vieillesse de celui qui purge la peine d’emprisonnement supérieure à un mois n’est pas dévolue dans son intégralité à la famille, respectivement n’est dévolue au conjoint divorcé que jusqu’à concurrence de sa pension alimentaire, le restant de la pension de vieillesse non dévolue étant suspendue, viole-t-il l’article 17 de la Constitution ? »

« La peine automatique prévue à l’article 210, alinéa 1, du code de la sécurité sociale est-elle compatible avec le principe d’individualisation des peines déduit de l’article 14 de la Constitution ? »

« L’article 210 alinéa 2 du CSS qui établit une différence de traitement entre les condamnés dont la famille remplit les conditions pour recevoir la pension de vieillesse et les condamnés dépourvus de famille ou dont la famille ne remplit pas les conditions pour bénéficier de la dévolution de la pension de vieillesse, viole-t-il l’article 10 bis de la Constitution qui garantit le principe d’égalité alors que les premiers vont bénéficier, ne serait-ce qu’indirectement de la pension alors que les seconds sont privés de la totalité de la pension et ne peuvent dès lors pas bénéficier indirectement de la pension ? » 

L’appelant soutient aussi que l’article 210 ne serait pas compatible notamment avec diverses dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme: 

- La sanction de suspension de la totalité de sa pension de vieillesse pendant toute la durée de sa réclusion, imposée à l’appelant par l’application automatique de l’article 210, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, cumulée aux sanctions (amendes, peine de réclusion, déchéance de droits) prononcées par la juridiction criminelle, serait disproportionnée et porterait atteinte à l’article 1 du protocole no 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

- L’article 210, alinéa 1, du code de la sécurité sociale imposant l’application automatique de la sanction de la suspension de la pension de vieillesse, sans individualisation de la peine par une juridiction tenant compte de tous les éléments de la cause, et ne prévoyant pas de recours de pleine juridiction, heurterait l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

- La peine automatique de l’article 210, alinéa 1, du code de la sécurité sociale qui n’aurait été portée à la connaissance de l’appelant qu’après la condamnation au pénal, sans qu’il n’ait été informé sur l’étendue des sanctions au moment où il aurait été en mesure de se défendre utilement, et qui n’aurait pas été soumise à un débat contradictoire, heurterait l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

- L’application de la sanction de la suspension du droit à la pension de vieillesse constituerait une nouvelle procédure sanctionnant une deuxième fois les faits pour lesquels il aurait été

poursuivi, et condamné par la juridiction pénale, et heurterait le principe « non bis in idem » prévu notamment à l’article 4 du protocole no 7 de la Convention européenne des droits de l’homme. 

4. La position de la CNAP

La CNAP considère qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle. La situation du bénéficiaire d’une rente complète ou partielle de l’assurance accident ou d’une pension d’invalidité ne serait pas comparable avec celle du bénéficiaire d’une pension vieillesse. La portée de ces différentes rentes ne seraient pas les mêmes. 

5. L’évolution des pouvoirs politiques à l’égard de la suppression du droit à une pension durant la détention 

Sous l’intitulé « Suspension, modification et suppression des pensions », l’article 210 du code de la sécurité sociale dispose:

« Les pensions sont suspendues pendant l’exécution d’une peine privative de liberté supérieure à un mois.

Toutefois, pour la durée de la détention la pension due à un détenu est dévolue aux personnes qui, en cas de décès, auraient droit à une pension de survie, à condition qu’ils résident au Luxembourg et que le pensionné ait contribué d’une façon prépondérante à leur entretien. En cas de divorce ou de séparation, le conjoint, ou, en cas de dissolution du partenariat en vertu de l’article 13 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, l’ancien partenaire a droit à la pension jusqu’à concurrence des pensions alimentaires.

Toute suspension prend cours à l’expiration du mois au cours duquel se produit

l’événement y donnant lieu. Elle cesse d’être appliquée à l’expiration du mois au cours duquel la cause de suspension est venue à défaillir.

Lorsqu’une pension a été octroyée ou liquidée sur erreur matérielle elle est modifiée ou supprimée suivant le cas. » 

L’article 127 du code de la sécurité sociale, tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2011, a la teneur suivante: 

« Un règlement grand-ducal peut préciser les conditions et modalités d’octroi, de suspension, de refus, de révision, de limitation et de retrait des rentes et des autres prestations.

Les prestations prévues aux articles 99 et 100, les rentes et les indemnités pour préjudices extrapatrimoniaux ne sont pas payées ou sont suspendues:

- tant que l’assuré se soustrait sans motif valable au contrôle médical;

- tant que l’assuré se soustrait sans motif valable aux examens médicaux prévus à

l’article L. 552-2, paragraphe 2 du Code du travail;

- tant que l’assuré ne fournit pas tous renseignements, documents et pièces demandés par l’Association d’assurance accident.

Les rentes et l’indemnité pour préjudice physiologique et d’agrément accordées ou

liquidées par suite d’une erreur matérielle ne peuvent être supprimées ou réduites qu’à partir du mois qui suit celui de la notification de la décision rectificative.

Les prestations octroyées ou liquidées indûment sont récupérées si le bénéficiaire a

provoqué leur attribution en alléguant des faits inexacts ou en dissimulant des faits

importants ou s’il a omis de signaler de tels faits après l’attribution. » 

L’article 127 a remplacé l’ancien article 112 du code des assurances sociales, relatif à l’assurance accident, modifié par la loi du 12 mai 2010 portant réforme de l’assurance accident, qui avait la teneur suivante: 

 « Le droit de toucher la rente est suspendu: 1) pendant le laps de temps que l’intéressé subit une peine d’emprisonnement dépassant au moins un mois, ou se trouvant interné dans une maison de correction; … » 

Au projet de loi no 6382 portant réforme de l’administration pénitentiaire, déposé le 12 janvier 2012 à la chambre des députés, le gouvernement propose l’article 51, portant abrogation de l’article 210 du code de la sécurité sociale (page 15). 

Le commentaire de l’article 51 a la teneur suivante (pages 62 et 63): 

« 

Cet article prévoit les dispositions abrogatoires du présent projet de loi.

Le point 2) de l’article sous examen vise à modifier le Code de la sécurité sociale afin d’abroger certaines dispositions concernant uniquement les détenus. Aux termes des dispositions y visées;

– l’indemnité pécuniaire de maladie n’est pas payée par le simple fait que le bénéficiaire se trouve en état de détention (art. 16 point 4);

– les prestations de santé sont suspendues par le simple fait que l’assuré se trouve en détention(art. 18 paragraphe 4); et

– le paiement des pensions est suspendu par le simple fait de l’exécution d’une peine privative de liberté supérieure à un mois (art. 210).

L’abrogation de ces dispositions vise à mettre en oeuvre dans le domaine de la sécurité sociale le principe général de la réforme pénitentiaire, à savoir que la privation de liberté doit être la seule peine et, pour le surplus, les conditions de détention devraient être rapprochées, dans la mesure du possible et sans empêcher l’administration pénitentiaire de remplir ses missions, aux conditions de vie en liberté.

En ce sens, il est en effet difficilement justifiable que des personnes, qui remplissent par ailleurs toutes les conditions prévues par le Code de la sécurité sociale, soient privées des prestations concernées par le seul fait qu’elles se trouvent en détention.

Il importe de signaler à ce sujet que l’ancien article 112 du Code de la sécurité sociale prévoyait, à l’instar de son article 210, la suspension de la rente accident en cas d’emprisonnement d’une durée supérieure à un mois. Toutefois, le nouvel article 127 du Code de la sécurité sociale tel qu’il a été introduit par la loi du 12 mai 2010 portant réforme de l’assurance accident – traitant notamment des causes de suspension des prestations de l’assurance accident – ne prévoit plus ce cas de figure. Dès lors, l’abrogation de l’article 210 du Code de la sécurité sociale amène une harmonisation de la législation en la matière. 

L’abrogation de l’article 210 du Code de la sécurité sociale vise par ailleurs à mettre en oeuvre la recommandation du médiateur n° 11-2005 du 22 février 2005 qui se lit comme suit:

A noter que l’abrogation de ces dispositions n’est aucunement une faveur ou un privilège pour le détenu, mais vise uniquement à le mettre sur un pied d’égalité avec toute autre personne. Ainsi, le détenu n’a droit aux prestations concernées que s’il remplit par ailleurs, comme toute autre personne, les conditions prévues par le Code de la sécurité sociale relatives par exemple à son affiliation, à une durée minimale de stage, etc.

» 

Depuis l’entrevue du 23 janvier 2013 entre M. le ministre de la justice et la commission juridique de la Chambre des députés suite à l’avis du Conseil d’Etat, le projet de loi sur l’administration pénitentiaire n’a pas fait l’objet d’autres travaux de la Chambre des députés et la modification de l’article 210 du code de la sécurité sociale n’a pas été insérée dans une autre réforme du code de la sécurité sociale. 

6. La suspension de la pension au regard de l’article 1 du protocole no 1

A a bénéficié d’une pension de vieillesse du 24 mai au 31 décembre 2009. A partir du 1er janvier 2010, le paiement de la pension a été supprimé en application de l’article 210 du code de la sécurité sociale, étant donné que A est détenu en France en exécution d’une condamnation à la détention à perpétuité de la chambre criminelle de la Cour d’appel de Luxembourg du 23 janvier 2006. 

Il relève qu’il a été condamné à la détention à perpétuité, à des amendes et a été déchu de droits civiques et considère que la sanction additionnelle de la suppression de l’intégralité de sa pension serait disproportionnée et constituerait une atteinte à son droit patrimonial protégé par l’article 1 du protocole no 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. 

La CNAP ne prend pas position quant à ce moyen. 

Le Conseil supérieur retient que la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 1 du protocole additionnel tel qu’amendé par le protocole no 11 ne font pas obligation au Luxembourg de créer un droit à une pension de vieillesse. 

Cependant, le droit à une pension de vieillesse, dès lors qu’il a été créé par la loi luxembourgeoise, et d’autant plus qu’il est subordonné à la condition de cotisations par l’assuré déduites obligatoirement des rémunérations de son activité professionnelle, constitue un droit patrimonial au sens de l’article 1 du protocole additionnel tel qu’amendé par le protocole no 11. 

La personne détenue continue de jouir des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, à l’exception du droit à la liberté en cas de

détention prévue à l’article 5 de la Convention. Un détenu ne peut pas être déchu de ses droits du simple fait de son incarcération à la suite d’une condamnation. Toute restriction des droits d’un détenu doit avoir une justification objective et raisonnable, qui peut tenir notamment aux conséquences nécessaires de la détention ou à un lien suffisant entre la restriction et la situation du détenu. (V. en ce sens: Cour européenne des droits de l’homme 7 juillet 2011, aff. Stummer c/ Autriche, point 99) 

 Le Conseil supérieur relève que dans le projet de loi no 6382 portant réforme de l’administration pénitentiaire, le gouvernement envisage l’abrogation de l’article 210 et considère qu’il:

« …, il est en effet difficilement justifiable que des personnes, qui remplissent par ailleurs toutes les conditions prévues par le Code de la sécurité sociale, soient privées des prestations concernées par le seul fait qu’elles se trouvent en détention. » 

La CNAP n’expose aucune justification de la disposition légale qu’elle a pour mission d’appliquer et n’examine pas si cette mesure est justifiée par un but légitime et est proportionnée. 

Le Conseil supérieur retient que suivant l’article 210 la suppression de la pension de vieillesse est obligatoire en cas de détention en exécution d’une peine privative de liberté supérieure à un mois. La loi ne confère pas à la juridiction pénale le droit d’apprécier si la suppression partielle ou totale des droits à une pension de vieillesse, au cours de la détention en exécution de la peine privative de liberté qu’elle prononce, constitue une mesure appropriée. 

Cette mesure constitue une économie pour l’organisme de sécurité sociale, qui a pourtant perçu de part de la personne détenue des cotisations affectées au financement du régime des pensions. Les sommes d’argent qui ne sont plus distribuées à l’assuré ne sont pas transférées à

l’Etat, même partiellement, au titre d’une contribution aux frais de la détention. En l’espèce, aucun transfert n’est prévu en faveur de l’Etat français, qui supporte les charges de la détention de son ressortissant, qui exécute en France la peine prononcée au Luxembourg. 

Le Conseil supérieur constate que le 3 décembre 2010, M. le ministre de la justice a informé la CNAP qu’en application de la loi du 12 mars 1984 sur l’indemnisation des victimes l’Etat a indemnisé huit victimes de l’infraction commise par A et qu’il est subrogé dans les droits des victimes à hauteur du montant total de 185.000 euros. Le 16 décembre 2010, la CNAP a informé M. le ministre de la justice que la pension était supprimée en application de l’article 2010 et que l’Etat ne pourra pas être payé avant l’exécution de la peine et le remboursement des pensions perçues du 24 mai au 31 décembre 2009. 

La loi ne prévoit pas que les montants qui ne sont plus distribués à l’assuré détenu seront affectés à l’indemnisation des victimes, à l’Etat qui a indemnisé les victimes ou à d’autres créanciers du détenu. 

Le Conseil supérieur retient que la mesure de la suppression de la pension de vieillesse à laquelle A a droit en raison du fait qu’il remplit les conditions du code de la sécurité sociale ne constitue pas une conséquence nécessaire et inévitable de la détention. 

La restriction du droit protégé par la Convention est sans lien suffisant avec la situation du détenu. 

La suppression de l’intégralité de la pension de vieillesse n’a aucune autre fin que de priver le détenu de son droit patrimonial. 

Cette mesure constitue une restriction sans justification raisonnable du droit patrimonial du détenu qui exécute une peine privative de liberté supérieure à un mois et constitue une atteinte sans proportion au droit patrimonial de l’assuré. 

Dès lors, l’article 210 du code de la sécurité sociale, tel que conçu, qui n’est pas compatible avec l’article 1 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme tel qu’amendé par le protocole no 11, ne peut pas être appliqué au droit à pension de A. 

La suppression de la pension de vieillesse n’est pas légalement justifiée. 

L’appel contre le jugement du Conseil arbitral qui a rejeté le recours contre la décision de suppression est fondé. 

 

Par ces motifs, 

 

le Conseil supérieur de la sécurité sociale, 

statuant contradictoirement, sur le rapport oral de son président, 

déclare l’appel recevable et fondé, 

réformant, dit que la pension de vieillesse de A n’est pas supprimée. 

 

La lecture du présent arrêt a été faite à l’audience publique du 12 février 2015 par Monsieur le Président Etienne Schmit, en présence de Monsieur Francesco Spagnolo, secrétaire.

 

Le Président,                                                           Le Secrétaire,

signé: Schmit                                                          signé: Spagnolo

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