La Cour constitutionnelle a rendu en date du 28 novembre 2014 un arrêt dans l'affaire n° 00114 du registre ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.
La question avait été introduite par la Cour d’appel, deuxième chambre, siégeant en matière civile, suivant arrêt rendu le 30 avril 2014 sous le numéro 35876 du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 7 mai 2014 dans le cadre d’un litige opposant :
la société anonyme X, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction,
et :
1) l’ÉTAT DU GRAND-DUCHÉ DE Luxembourg, représenté par son Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à Luxembourg,
2) l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT ET DES DOMAINES, représentée par son Directeur, ayant ses bureaux à Luxembourg,
La Cour,
composée de
Georges SANTER, président,
Georges RAVARANI, vice-président,
Francis DELAPORTE, conseiller,
Romain LUDOVICY, conseiller,
Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
rend le présent arrêt :
Sur le rapport du magistrat délégué ;
Vu les conclusions déposées au greffe de la Cour le 6 juin 2014 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite au barreau de Luxembourg, représentée par Maître François KREMER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, celles déposées le 18 juin 2014 par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour la société anonyme X, les conclusions additionnelles déposées le 18 juillet 2014 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg et l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, ainsi que les conclusions additionnelles déposées le 5 août 2014 par Maître Jean-Pierre WINANDY pour la société anonyme X ;
Ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 3 octobre 2014 ;
Considérant que la recevabilité des conclusions déposées le 6 juin 2014 et de celles déposées le 18 juin 2014 est contestée ;
Considérant que l’article 11 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle dispose que les parties sont admises à conclure et à plaider devant la Cour constitutionnelle par le ministère d’un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés annuellement par les conseils des ordres des avocats, que l’article III de la loi du 31 mai 1999 portant modification a) de la loi modifiée du 6 décembre 1991 sur les attachés de justice et b) de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat dispose que dans tous les textes légaux et réglementaires, les termes « avocat(s) inscrit(s) à la liste I » sont remplacés par les termes « avocat(s) à la Cour », et que l’article 8 , paragraphe (6), dernier alinéa, de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat dispose que les personnes morales inscrites à la liste V du tableau (personnes morales exerçant la profession d’avocat et ayant un ou plusieurs associés inscrits à la liste I exerçant une influence significative sur l’activité de la personne morale au Grand-Duché de Luxembourg) ont la qualité d’ « avocat à la Cour » ;
Qu’il en suit que les conclusions déposées le 6 juin 2014 par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, représentée par Maître François KREMER, avocat à la Cour, sont recevables ;
Considérant que l’arrêt de la Cour d’appel saisissant la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle sous examen a été notifié à la partie X S.A. le 22 mai 2014, de sorte que les premières conclusions de cette partie ont été déposées dans le délai de trente jours inscrit à l’article 10 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, et que la recevabilité des conclusions est indépendante de la date du dépôt des conclusions d’une autre partie ;
Qu’il en suit que les conclusions déposées le 18 juin 2014 par Maître Jean-Pierre WINANDY sont recevables ;
Considérant que dans le cadre d’une demande dirigée par la société anonyme X contre l’Etat et l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines pour voir prononcer à son égard la décharge des impositions supplémentaires au titre de la TVA se rapportant à son chiffre d’affaires des années 2002, 2003 et 2004, la Cour d’appel, constatant que le législateur, dans l’article 43 de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, a délégué au pouvoir réglementaire la tâche de fixer non seulement les conditions, mais aussi les limites de l’exonération litigieuse de la taxe sur la valeur ajoutée, et que le pouvoir réglementaire, de son côté, dans l’article 7 du règlement grand-ducal du 16 juin 1999 relatif à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée des opérations à l’exportation en dehors de la Communauté, des livraisons intracommunautaires de biens et d’autres opérations, a défini celles parmi les prestations de services effectuées pour les besoins de la navigation maritime qui sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée, a, par arrêt du 30 avril 2014, saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle de savoir « si la disposition précitée de l’article 43, paragraphe 1, sous i), deuxième tiret de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée est conforme aux articles 99 et 101 de la Constitution dans la mesure où, aux fins de la transposition dans le droit national de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, à savoir en l’espèce, l’article 15, point 5 de la directive, elle confie au pouvoir réglementaire le pouvoir de définir le contenu des exonérations de la TVA se rapportant aux « prestations de services effectuées pour les besoins de la navigation maritime » ;
Considérant que la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 visant à l’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil du 16 décembre 1991 (ci-après : la directive), dispose en son article 15 que :
« les Etats membres exonèrent dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :
(…)
5. les (…) affrètements et locations de bateaux de mer visés au point 4 sous a) et b) (…) » ;
Que le point 4 vise sous a) : les « bateaux : affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche » ;
Considérant que la directive a été transposée dans l’ordre juridique national par la loi du 18 décembre 1992 modifiant et complétant la loi du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : la loi concernant la taxe sur la valeur ajoutée) ;
Que l’article 43, paragraphe 1, sous i), deuxième tiret, de cette loi, dans sa version applicable à la date des faits, dispose que : « Sont exonéré(e)s de la taxe sur la valeur ajoutée dans les limites et sous les conditions à déterminer par règlement grand-ducal : (…) les prestations de services effectuées pour les besoins de la navigation maritime » ;
Que l’article 7, paragraphe 2, sous a), premier tiret, du règlement grand-ducal du 16 juin 1999 relatif à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée des opérations à l’exportation en dehors de la Communauté, des livraisons intracommunautaires de biens et d’autres opérations, dispose que « par prestations de services effectuées pour les besoins de la navigation maritime et visées à l’article 43, paragraphe 1 sous i), deuxième tiret, de la loi du 12 février 1979 on entend :
a) les affrètements et locations
- de bateaux, à l’exclusion des yachts et des autres bateaux et embarcations de plaisance ou de sport, affectés à la navigation maritime et assurant un transport rémunéré de personnes ou de biens ou l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche » ;
Considérant que la taxe sur la valeur ajoutée, malgré sa dénomination, n’est pas une taxe, mais un impôt de l’Etat, auquel s’appliquent les articles 99 et 101 de la Constitution, qui disposent : « Aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi. (… ) » (article 99) et : « (…) Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi » (article 101) ;
Considérant que les exonérations visées à l’article 43 de la loi concernant la taxe sur la valeur ajoutée constituent des exemptions au sens de l’article 101 de la Constitution, indépendamment de la question de savoir qui sera en aval l’assujetti qui en bénéficie ;
Considérant que la directive, par l’usage des termes « les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent … », a laissé aux Etats membres le soin de transposer ses dispositions dans le droit national selon les règles de ce droit et dans le respect de celles-ci ;
Considérant que les articles 99 et 101 de la Constitution placent l’ensemble des dispositions concernant l’établissement d’un impôt et d’une exemption ou modération parmi les matières réservées à la loi ;
Considérant que l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution dispose que « Dans les matières réservées à la loi par la Constitution, le Grand-Duc ne peut prendre des règlements et arrêtés qu’aux fins, dans les conditions et suivant les modalités spécifiées par la loi. » ;
Considérant que l’effet des réserves de la loi énoncées par la Constitution consiste en ce que nul, sauf le pouvoir législatif, ne peut valablement disposer des matières érigées en réserve ;
Considérant que d’après l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, dans les matières réservées par la loi fondamentale à la loi, l’essentiel du cadrage normatif doit résulter de la loi, y compris les fins, les conditions et les modalités suivant lesquelles les éléments moins essentiels peuvent être réglés par des règlements et arrêtés pris par le Grand-Duc ;
Considérant qu’en transposant la directive, l’article 43 de la loi concernant la taxe sur la valeur ajoutée énumère de façon détaillée les livraisons de biens et les prestations de services qui sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée et confie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les limites et les conditions de ces exonérations, non pas sans cadrage, mais dans le respect de l’article 15 de la directive, qui, en ce qui concerne la navigation maritime, s’applique aux bateaux affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou l’exercice d’une activité commerciale, industrielle ou de pêche, et qui enjoint aux Etats membres de fixer pour les affrètements et locations de ces bateaux les conditions en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels ;
Considérant qu’en procédant de la sorte, le législateur a à suffisance déterminé le principe et les modalités substantielles de la matière réservée ;
Considérant en effet qu’en arrêtant la liste des livraisons de biens et des prestations de services bénéficiant de l’exonération de la taxe et en confiant au pouvoir réglementaire le soin d’en fixer les limites et les conditions, qui doivent nécessairement s’inscrire dans le cadre de l’article 15, point 5, de la directive, le législateur a mis en place un support normatif suffisant au regard des articles 99 et 101 de la Constitution, de sorte que l’article 43, paragraphe 1, sous i), deuxième tiret, de la loi concernant la taxe sur la valeur ajoutée est conforme aux articles précités de la Constitution ;
Par ces motifs :
dit que l’article 43, paragraphe 1, sous i), deuxième tiret, de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version applicable à la date des faits, en ce que, aux fins de transposition dans le droit national de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 visant à l’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, telle que modifiée par la directive 91/680/CEE du Conseil du 16 février 1991, il arrête la liste des livraisons de biens et des prestations de services bénéficiant de l’exonération de la taxe et confie au pouvoir réglementaire le soin d’en fixer les limites et les conditions dans le respect des dispositions de l’article 15, point 5, de la directive, est conforme aux articles 99 et 101 de la Constitution ;
ordonne que dans les trente jours de son prononcé, l'arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation;
ordonne qu'il sera fait abstraction du nom de la société anonyme X lors de la publication au Mémorial;
ordonne que l'expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la deuxième chambre de la Cour d’appel et qu'une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.
Le greffier Le président