La Cour constitutionnelle a rendu en date du 11 juillet 2014 un arrêt dans l'affaire n° 00112 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.
La question avait été introduite par le Conseil supérieur de la sécurité sociale suivant arrêt du 14 février 2014, numéro 2014/0044 (No. du reg. : COMIX 2013/0172), parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 27 février 2014 dans le cadre d’un litige opposant
X, né le ..., demeurant à B-...,
et
l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d’Etat, dont les bureaux sont établis à L-1352 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation,
La Cour,
composée de
Georges SANTER, président,
Francis DELAPORTE, conseiller,
Irène FOLSCHEID, conseiller,
Romain LUDOVICY, conseiller,
Carlo HEYARD, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
rend le présent arrêt :
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 27 mars 2014 par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, celles déposées le 27 mars 2014 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour X, et les conclusions additionnelles déposées le 15 avril 2014 par Maître Georges PIERRET pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 23 mai 2014,
Considérant qu'X, licencié avec un préavis de quatre mois le 26 janvier 2012, a perçu des indemnités pécuniaires de maladie à partir du 5 mars 2012 ;
Considérant que le Conseil arbitral de la sécurité sociale a, par jugement du 12 juillet 2013, au motif qu’X ne remplissait pas les conditions légales prévues par l’article L. 551-1 du Code du travail, déclaré non fondé son recours contre une décision de la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables d’exercer leur dernier poste de travail déclarant irrecevable sa demande en reclassement externe ;
Considérant que sur appel, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par arrêt du 14 février 2014, rejeté l’interprétation de l’article L. 551-1 (2) 2. du Code du travail donnée par X, tendant à faire dire que peut bénéficier d’un reclassement externe le bénéficiaire de l’indemnité pécuniaire incapable d’exercer son dernier poste de travail sans qu’il soit nécessaire qu’antérieurement à la résiliation du contrat de travail il y ait eu une incapacité de travail de vingt-six semaines dans le chef du bénéficiaire ;
Considérant qu’avant tout autre progrès en cause, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :
« L’article L. 551-1 du Code du travail, tel qu’il est actuellement interprété, est-il contraire à l’article 10bis de la Constitution en tant qu’il permet aux salariés incapables d’exercer leur dernier poste de travail de bénéficier d’une mesure de reclassement (prenant en compte leur incapacité), mais qu’il ne permet pas aux chômeurs involontaires incapables d’exercer leur dernier poste de travail de bénéficier d’une mesure de reclassement (prenant en compte leur incapacité) et de bénéficier d’une indemnité d’attente dans les conditions de l’article L. 551-5 (2) du Code du travail. »
Considérant que l’article L. 551-1 du Code du travail dispose :
« (1) Le salarié sous contrat de travail qui n’est pas à considérer comme invalide au sens de l’article 187 du Code de la sécurité sociale, mais qui présente une incapacité pour exercer son dernier poste de travail, bénéficie d’un reclassement interne ou d’un reclassement externe. L’existence d’un contrat de travail est appréciée au moment de la saisine de la commission mixte en vertu de l’article L.552-1.
(2) Peut encore bénéficier d’un reclassement externe :
- Le bénéficiaire d’une pension d’invalidité auquel celle-ci a été retirée en vertu de l’article 193 du Code de la sécurité sociale au motif qu’il ne remplit plus les conditions prévues à l’article 187 du même code ;
- Le bénéficiaire de l’indemnité pécuniaire au titre de l’assurance maladie ou de l’assurance accident du chef d’une activité assurée obligatoirement en vertu des articles 1er, premier alinéa, point 1, et 85, premier alinéa, point 1 du Code de la sécurité sociale dont le contrat de travail a été résilié après la vingt-sixième semaine d’incapacité de travail ou dont le contrat de travail a pris fin pour une cause indépendante de la volonté de l’assuré et qui n’est pas à considérer comme invalide au sens de l’article 187 du même code, mais qui présente une incapacité pour exercer son dernier poste de travail.
(3) Le reclassement interne consiste, en ce qui concerne le secteur privé, dans un reclassement au sein de l’entreprise et en ce qui concerne le secteur public, dans un reclassement au sein de l’administration ou du service public d’origine de l’agent, éventuellement à un autre poste ou à un autre régime de travail.
(…)
(4) Le reclassement externe consiste dans un reclassement sur le marché du travail. »
Considérant qu’en vertu de l’article L. 551-5 (1) du Code du travail le reclassement externe intervient lorsque le reclassement interne s’avère impossible ;
Considérant que l’article L. 551-5 (2) du Code du travail prévoit que « Si, au terme de la durée légale de paiement de l’indemnité de chômage y compris la durée de prolongation, le salarié visé à l’article L.551-1 n’a pu être reclassé sur le marché du travail, il bénéficie d’une indemnité d’attente, dont le montant correspond à la pension d’invalidité à laquelle il aurait eu droit. (…) » ;
Considérant que l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution énonce que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi »;
Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée ;
Considérant qu’en l’espèce une discrimination du chômeur involontaire est alléguée par rapport au salarié visé à l’article L. 551-1 (1) du Code du travail ;
Considérant que le salarié incapable d’exercer son dernier poste de travail est une personne qui se trouve dans un lien de travail et dont l’incapacité de travail doit s’apprécier par rapport à une situation de travail concrète toujours existante, tandis que le chômeur involontaire incapable d’exercer son dernier poste de travail ne se trouve plus dans un lien de travail concret et que son incapacité de travail ne peut s’apprécier qu’abstraitement par rapport à une situation de travail antérieure ayant pris fin ;
Considérant que ces deux catégories de personnes, visées par la question préjudicielle soumise à la Cour constitutionnelle, n’ont pas d’élément de convergence entre elles et ne se trouvent donc pas dans une situation comparable ;
Considérant que par conséquent la discrimination alléguée n’est pas donnée et que l’article L. 551-1 (1) du code du travail, en ce qu’il ne fait pas bénéficier le chômeur involontaire incapable d’exercer son dernier poste de travail d’un reclassement externe, ni, partant, d’une indemnité d’attente dans les conditions de l’article L. 551-5 (2) du Code du travail, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution ;
Par ces motifs :
dit que l’article L. 551-1 (1) du Code du travail, en ce qu’il ne fait pas bénéficier le chômeur involontaire incapable d’exercer son dernier poste de travail d’un reclassement externe, ni, partant, d’une indemnité d’attente dans les conditions de l’article L. 551-5 (2) du Code du travail, n’est pas contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution;
ordonne que dans les trente jours de son prononcé, l'arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation;
ordonne qu'il sera fait abstraction des nom et prénom d’X lors de la publication au Mémorial;
ordonne que l'expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe du Conseil supérieur de la sécurité sociale et qu'une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.
Le greffier, Le président,