Arrêt 110 de la Cour constitutionnelle - droits successoraux/enfants naturels

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 11 juillet 2014 un arrêt dans l'affaire n° 00110 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introduite par la Cour d’appel, septième chambre, suivant arrêt du 5 février 2014, numéro 38864 du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 6 février 2014 dans le cadre d’un litige opposant

 

X, cultivateur, demeurant à L-...,

 

et

 

Y, retraité, demeurant à F-, 

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges SANTER, président,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseiller,

Romain LUDOVICY, conseiller,

Carlo HEYARD, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH 

rend le présent arrêt :  

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 17 février 2014 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, demeurant à Diekirch, pour X et celles déposées le 7 mars 2014 par Maître Gilbert REUTER, avocat à la Cour, demeurant à Diekirch, pour Y; 

Ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 25 avril 2014, 

Considérant qu'il se dégage d'un arrêt rendu par la Cour d'appel le 5 février 2014 que X et Y sont demi-frères, ayant pour mère AW, décédée le 2 septembre 1976, que X a été adopté par AW le 1er juillet 1975, adoption lui ayant conféré les mêmes droits qu'un enfant légitime, et que Y est un enfant naturel reconnu par son père; 

que Y ayant demandé la réduction d'une vente par AW de l'ensemble de ses biens immobiliers à X, opérée le 11 décembre 1975, pour porter atteinte à sa réserve héréditaire, demande à laquelle X a opposé les articles 756 et 757 anciens du Code civil, modifiés par la loi du 26 avril 1979 réglant les droits successoraux du conjoint survivant et des enfants naturels et modifiant d’autres dispositions du Code civil relatives aux successions, laquelle, aux termes de son article 13, ne s'applique pas aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur, la Cour d'appel a saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante: 

"La distinction entre enfant légitime et enfant naturel opérée par les articles 756 et 757 et s. du code civil dans leur version antérieure à la loi du 26 avril 1979 est-elle en contradiction avec les articles 10bis, 11(1) et 11(3) de la Constitution?

En d'autres mots, le principe constitutionnel d'égalité est-il respecté lorsque deux frères issus d'une même mère biologique, l'un étant un enfant naturel et l'autre un  enfant adopté, ont des droits successoraux différents, dans la mesure où l'enfant naturel est désavantagé par rapport à l'enfant adopté dans la succession de leur défunte mère?"

Considérant qu’il incombe à la Cour constitutionnelle de recadrer la question préjudicielle en la recentrant aux dispositions expressément visées, à savoir les articles 756 et 757 du Code civil, qui sont de la teneur suivante:

article 756: "Les enfants naturels ne sont point héritiers; la loi ne leur accorde de droit sur les biens de leur père ou mère décédés, que lorsqu'ils ont été légalement reconnus."

article 757: "Le droit de l'enfant naturel sur les biens de ses père ou mère décédés est réglé ainsi qu'il suit: Si le père ou la mère a laissé des descendants légitimes, ce droit est d'un tiers de la portion héréditaire que l'enfant naturel aurait eu s'il eût été légitime; …"

Considérant que les dispositions soumises au contrôle de la Cour constitutionnelle continuent à s'appliquer, en vertu de la disposition transitoire inscrite à l'article 13 de la loi du 26 avril 1979, aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur, comme c'est le cas en l'espèce, que leur conformité à la Constitution doit dès lors s'apprécier à la lumière des conceptions actuelles des valeurs sociales et humaines; 

Considérant qu'aux termes de l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution "Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi";

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe d'égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but; 

Considérant qu'il n'existe, au regard du principe d'égalité posé à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, aucune disparité objective entre enfants légitimes et naturels; 

Considérant que les rédacteurs du Code civil, en réservant une situation moins favorable aux enfants nés hors mariage, ont voulu imposer le respect des institutions et des règles sur lesquelles ils entendaient que la société soit organisée; 

Considérant toutefois que le respect des institutions ne peut se faire au détriment des droits de la personne, tels qu'ils sont ancrés dans la Constitution; 

Considérant dès lors que la discrimination de l'enfant naturel, en raison de sa naissance, instituée par les articles 756 et 757 du Code civil, est actuellement dépourvue de justification et que ces dispositions légales ne sont pas conformes à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution; 

Considérant que les raisons qui ont pu amener le législateur à insérer dans la loi du 26 avril 1979 la disposition transitoire contenue à l'article 13 ne sont pas de nature à enlever aux articles 756 et 757 du Code civil leur non-conformité à la Constitution; 

Considérant qu’eu égard à la réponse donnée à la question de la conformité des dispositions sous examen avec l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, il n'y a plus lieu d'examiner leur conformité avec les articles 11, paragraphe 1er, et 11, paragraphe 3, de la Constitution; 

 

Par  ces  motifs

 

dit que les articles 756 et 757 du Code civil, dans leur version antérieure à la loi du 26 avril 1979, ne sont pas conformes à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l'arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation; 

ordonne qu'il sera fait abstraction des noms et prénoms des parties lors de la publication au Mémorial; 

ordonne que l'expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la septième chambre de la Cour d'appel et qu'une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.

            Le greffier,                                                                           Le président,

               

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