Arrêt 109 de la Cour constitutionnelle - changement d'administration/maintien de rang

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 10 janvier 2014 un arrêt dans l'affaire n° 00109 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introduite par la Cour administrative suivant arrêt du 9 juillet 2013, numéro 32222C du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 11 juillet 2013  dans le cadre d’un litige opposant

 

X, ingénieur-chef de division hors cadre à la police grand-ducale, demeurant à L-…, 

et 

l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d'Etat, et pour autant que de besoin par son ministre de l’Intérieur et à la Grande région,

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges SANTER, président,

Georges RAVARANI, vice-président,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Romain LUDOVICY, conseiller,

Carlo HEYARD, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH

 

rend le présent arrêt : 

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 9 août 2013 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour X, celles déposées le 9 août 2013 par Madame le délégué du gouvernement (...) pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que les conclusions additionnelles déposées le 12 août 2013 par Madame le délégué du gouvernement (...) pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ; 

Ecartant les conclusions déposées le 10 septembre 2013 par Madame le délégué du gouvernement (...) pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, pour ne pas répondre aux conditions de l’article 10 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle ; 

Ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 15 novembre 2013, 

Considérant que le tribunal administratif, statuant sur le recours de X contre un arrêté grand-ducal du 23 septembre 2011 lui ayant refusé sa nomination au grade d’ingénieur-chef de division (grade 15) dans le cadre fermé de son administration, a, par jugement du 25 février 2013, déclaré non fondé le recours en annulation ; 

Que la Cour administrative, saisie de l’appel de X, a, par arrêt du 9 juillet 2013, avant tout autre progrès en cause, soumis à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

«  L’article 17 de la loi modifiée du 27 mars 1986 fixant les conditions et les modalités selon lesquelles un fonctionnaire de l’Etat peut se faire changer d’administration, tel que résultant plus particulièrement de la modification opérée par la loi du 19 décembre 2008, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dans la mesure où il instaure une différence de traitement en faveur des fonctionnaires y visés ayant changé d’administration et nommés hors cadre, en prévoyant qu’en cas de départ de l’agent de référence déterminé en vertu dudit article ils conservent le rang auquel ils ont été initialement classés, alors que le fonctionnaire pourtant nommé hors cadre, mais n’ayant pas changé d’administration, ne bénéficie pas du maintien de rang visé par le troisième tiret du deuxième alinéa dudit article 17 ? »

Considérant que l’article 17 de la loi modifiée du 27 mars 1986 fixe, en vue des avancements ultérieurs, le rang du fonctionnaire ayant changé d’administration en le rattachant à un fonctionnaire dans la nouvelle administration, par référence, soit à l’examen de fin de stage, soit à l’examen de promotion auquel l’intéressé aurait normalement pu prendre part s’il avait fait partie dès le début de la nouvelle administration ; 

Considérant que cet article dispose in fine que «  Dans tous les cas … il y a lieu d’admettre, … ( troisième tiret ) – en cas de départ de l’agent de référence déterminé en vertu du présent article, qu’il (l’intéressé) conserve le rang auquel il a été initialement classé » ; 

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution énonce que « Les Luxembourgeois son égaux devant la loi » ;

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée ;


Considérant qu’au regard de la disparité alléguée, la question préjudicielle met en comparaison la situation de deux catégories de fonctionnaires classés hors cadre : 

- Les uns, qui ont débuté leur carrière par une nomination hors cadre dans leur administration, ne peuvent maintenir leur rang et bénéficier d’une promotion que par référence au fonctionnaire de rang égal ou immédiatement inférieur faisant partie du cadre auquel ils sont rattachés, et ils perdent ce bénéfice en cas de départ de ce fonctionnaire de référence ; 

- Les autres, qui ont fait, conformément à la loi modifiée du 27 mars 1986 précitée, l’objet d’un changement vers une autre administration, y sont également classés hors cadre, et y conservent en application de l’article 17 incriminé, leur rang initial, même en cas de départ du fonctionnaire de référence ; 

Considérant que les situations de ces deux catégories de fonctionnaires sont comparables en ce que ces fonctionnaires sont classés hors cadre et qu’ils ne peuvent bénéficier d’un avancement que par le biais du rattachement à un agent de référence du cadre fermé de leur administration respective ; 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

Considérant que les situations des deux catégories de fonctionnaires mises en comparaison diffèrent en ce que l’article 17 dispose uniquement pour l’avancement du fonctionnaire qui a changé d’administration, en cas de départ de l’agent de référence, tandis que pour l’avancement du fonctionnaire demeurant dans son administration d’origine, le législateur n’a pas pris de disposition permettant à ce dernier de conserver son rang en cas de départ de l’agent de référence ; 

Considérant qu’il résulte des travaux parlementaires ( doc. parl. 5889 ) que la loi du 19 décembre 2008 modifiant et complétant, entre autres, la loi modifiée du 27 mars 1986 fixant les conditions et les modalités selon lesquelles un fonctionnaire de l’Etat peut se faire changer d’administration, en introduisant la disposition sous contrôle de constitutionnalité, a entendu apporter une précision supplémentaire à la fixation du rang du fonctionnaire ayant changé d’administration et dont l’agent de référence initial a quitté le service, en ce sens que c’est pour ne pas léser ces fonctionnaires, qui risqueraient alors de voir refixer leur rang par rapport à un agent moins ancien en rang que l’agent de référence initial, que le législateur a décidé que dans ce cas, ils conservent leur rang dans le tableau d’avancement ; 

Considérant qu’en prenant cette mesure, le législateur a poursuivi un but légitime ; 

Considérant qu’à défaut d’une telle disposition en faveur des fonctionnaires hors cadre qui n’ont pas changé d’administration, le départ de l’agent de référence de X et le rattachement de ce dernier à un nouvel agent de référence qui n’avait pas encore été nommé au grade d’ingénieur-chef de division a eu pour conséquence que l’intéressé trouve son avancement retardé aussi longtemps que son nouvel agent de référence n’a pas avancé lui-même au grade de l’intéressé ; 

Considérant que la disparité dans le traitement, en ce qui concerne leur avancement, des fonctionnaires classés hors cadre selon qu’ils ont fait un changement d’administration ou qu’ils sont restés dans leur administration d’origine, résulte du fait que la disposition sous contrôle de constitutionnalité, destinée à éviter que les droits des fonctionnaires hors cadre suite à un changement d’administration ne soient lésés par le départ de leur fonctionnaire de référence, n’a pas pris en compte la situation des fonctionnaires hors cadre qui n’ont pas changé d’administration ; 

Considérant que les fonctionnaires des deux catégories mises en comparaison se trouvent objectivement dans la même situation au regard des expectatives d’avancement ; 

Considérant que la disparité résultant de l’omission prédécrite, ayant pour conséquence de priver les fonctionnaires hors cadre n’ayant pas changé d’administration du bénéfice de la conservation du rang auquel ils ont été initialement classés, en cas de départ de l’agent de référence auquel ils sont rattachés, n’est pas rationnellement justifiée ; 

Que l’article 17 de la loi modifiée du 27 mars 1986 fixant les conditions et les modalités selon lesquelles un fonctionnaire de l’Etat peut se faire changer d’administration, tel que résultant plus particulièrement de la modification opérée par la loi du 19 décembre 2008, dans la mesure où il instaure une différence de traitement en faveur des fonctionnaires y visés ayant changé d’administration et nommés hors cadre, en prévoyant qu’en cas de départ de l’agent de référence déterminé en vertu dudit article, ils conservent le rang auquel ils ont été initialement classés, alors que le fonctionnaire pourtant nommé hors cadre, mais n’ayant pas changé d’administration, ne bénéficie pas du maintien de rang visé par le troisième tiret du deuxième alinéa dudit article 17, n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ;

 

                                                       PAR CES MOTIFS

 

dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 17 de la loi modifiée du 27 mars 1986 fixant les conditions et les modalités selon lesquelles un fonctionnaire de l’Etat peut se faire changer d’administration, tel que résultant plus particulièrement de la modification opérée par la loi du 19 décembre 2008, dans la mesure où il instaure une différence de traitement en faveur des fonctionnaires y visés ayant changé d’administration et nommés hors cadre, en prévoyant qu’en cas de départ de l’agent de référence déterminé en vertu dudit article, ils conservent le rang auquel ils ont été initialement classés, alors que le fonctionnaire pourtant nommé hors cadre, mais n’ayant pas changé d’administration, ne bénéficie pas du maintien de rang visé par le troisième tiret du deuxième alinéa dudit article 17, n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de la Législation ;

ordonne qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de X lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la Cour administrative dont émane la saisine et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.

 

            Le greffier,                                                                           Le président,           

Dernière mise à jour