Jugement Nr 28366 du tribunal administratif en matière d’aides financières pour études supérieures

La tribunal administratif, 1ere chambre, a rendu en date du 02 décembre 2013 un jugement dans l'affaire n° 28366 du rôle.

Le recours a été formé par Mademoiselle ..., …(Belgique), contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures

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JUGEMENT 

            Vu la requête inscrite sous le numéro 28366 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2011 par Maître Sébastien COÏ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mademoiselle ..., étudiante, demeurant à B-…, tendant à l’annulation d’une décision de refus en matière d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche datée du 12 janvier 2011 ; 

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2011 ; 

Vu l’audience en chambre du conseil du 10 juillet 2013 ; 

Vu l’avis du tribunal du 22 juillet 2013 autorisant les parties à prendre position par mémoire supplémentaire par rapport à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 20 juin 2013, n° C-20/12 ; 

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2013 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ; 

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 novembre 2013 par Maître Sébastien COÏ au nom de la partie demanderesse ; 

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ; 

Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Sébastien COÏ et Maître Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 novembre 2013.

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             Moyennant un formulaire établi par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur (CEDIES) auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Mademoiselle ..., étudiante demeurant en Belgique, sollicita une aide financière pour études supérieures en rapport avec ses études de pharmacie poursuivies à l’université d’Anvers (Belgique) pour l’année académique 2010/211. 

Par un courrier du 12 janvier 2011, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants : 

« J’ai en mains votre demande en vue de l’obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures. 

L’article I, point 2° b, de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000 dispose que, pour pouvoir bénéficier d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures, l’étudiant ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou d’un des autres Etats parties à l’Accord économique européen et de la Confédération suisse doit séjourner, conformément au chapitre 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au Grand-Duché de Luxembourg en qualité de travailleur salarié, de travailleur non-salarié, de personne qui garde ce statut ou de membre de famille de l’une des catégories de personnes qui précèdent, ou avoir acquis le droit de séjour permanent ». 

Etant donné que vous ne séjournez pas au Grand-Duché de Luxembourg conformément à l’article précité, il n’est pas possible au service des aides financières du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de donner une suite favorable à votre demande et de vous accorder l’aide financière de l’Etat pour études supérieures 

La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. Ce recours doit être intenté par ministère d’avocat dans les trois mois de la notification de la présente, au moyen d’une requête à déposer au secrétariat du Tribunal administratif ». 

Par requête inscrite sous le numéro 28366 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 avril 2011, Mademoiselle ..., se prévalant notamment du fait que son père, Monsieur ...... « travaille au Luxembourg, a son domicile en Belgique et doit partant être qualifié de travailleur frontalier », a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de cette décision de refus.

Quant à la recevabilité 

Etant donné que la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision de refus déférée, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. 

Quant au fond 

La partie demanderesse soutient en substance et essentiellement que l’article 2 de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, tel que modifié par la loi du 26 juillet 2010, instaurerait une discrimination directe en raison du fait que ladite disposition exigerait des ressortissants luxembourgeois qu’ils disposent de leur domicile au Luxembourg, alors qu’elle exigerait des ressortissants non luxembourgeois qu’ils y résident. À titre subsidiaire, elle conclut à l’existence d’une discrimination indirecte injustifiée, notamment contraire à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, la condition de résidence étant plus facilement remplie par les ressortissants nationaux et ayant été mise en œuvre à la seule fin d’exclure les travailleurs frontaliers du bénéfice de l’aide, laquelle constituerait un avantage social, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, de sorte qu’elle est soumise au principe d’égalité de traitement énoncé à cette disposition. 

La partie étatique nie pour sa part l’existence d’une quelconque discrimination et soutient que, au sens du droit luxembourgeois, les notions de domicile et de résidence sont, au final, équivalentes. Elle s’oppose, par ailleurs, à la qualification de l’aide de l’Etat aux études supérieures comme un « avantage social » au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, en ce qu’elle serait allouée aux seuls étudiants, considérés en tant qu’adultes autonomes, et sans considération de la situation personnelle de leurs parents. En tout état de cause, l’objectif poursuivi par le système luxembourgeois d’aide aux études supérieures, qui est d’augmenter de manière significative la proportion des personnes résidant au Luxembourg qui sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur - proportion qui serait en recul par rapport à la moyenne européenne - justifierait le fait que seuls les résidents puissent prétendre au bénéfice de ladite aide. Si la condition de résidence était supprimée, cela aurait pour résultat que tout étudiant sans lien avec la société luxembourgeoise pourrait en bénéficier pour étudier dans n’importe quel pays. Cela encouragerait un vrai tourisme des bourses d’études et constituerait une charge financière insupportable pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg qui devrait alors revenir sur le principe même de la portabilité de l’aide. 

Parallèlement à ce recours, le tribunal administratif avait posé dans 4 autres recours, enrôlés sous les numéros 27576, 27679, 27689 et 28442 et opposant des étudiants étrangers à des décisions de refus d’octroi d’aides financières pour études supérieures identiques, par jugement du 11 janvier 2012 la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne : 

« 1) Le principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité au sens de l’article 7 du règlement n° 1612/68 s’oppose-t’il à ce que le Grand-Duché de Luxembourg subordonne l’octroi d’une aide pour études supérieures à la condition que l’étudiant non ressortissant luxembourgeois, descendant d’un travailleur frontalier qui prétend à une bourse d’études dans l’Etat membre où l’un des parents exerce son activité salariée sans y résider, soit, à l’instar du ressortissant luxembourgeois, résident sur le territoire luxembourgeois et, à travers cette condition, que le Grand-Duché de Luxembourg écarte comme constituant un degré insuffisant d’intégration dans la société luxembourgeoise le fait que l’un des ascendants de l’étudiant, lequel continue à pourvoir à l’entretien de cet étudiant,  exerce son activité salariale ou indépendante sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg ? 

2) Si cette question reçoit une réponse positive, en ce sens que l’imposition d’une condition de résidence tant aux ressortissants luxembourgeois qu’aux ressortissants d’autres Etats membres est susceptible de constituer dans le chef de ces derniers une discrimination dissimulée, une telle obligation de résidence est-elle justifiée par les considérations de politique d’éducation et de politique budgétaire mis en avant par l’Etat luxembourgeois, à savoir chercher à encourager l’augmentation de la proportion des personnes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, actuellement insuffisante en comparaison internationale en ce qui concerne la population résidente du Luxembourg, considérations qui seraient gravement menacées si l’Etat luxembourgeois devait verser l’aide financière pour études supérieures à tout étudiant, sans lien aucun avec la société du Grand-Duché, pour effectuer ses études supérieures dans n’importe quel pays du monde, ce qui entraînerait une charge déraisonnable pour le budget de l’Etat luxembourgeois ? »

 Par arrêt du 20 juin 2013 la Cour de justice de l’Union européenne, en réponse à la prédite question préjudicielle dit pour droit : 

« L’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, tel que modifié par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, en principe, à une législation d’un État membre telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi d’une aide financière aux études supérieures à une condition de résidence de l’étudiant dans cet État membre et instaure une différence de traitement, constitutive d’une discrimination indirecte, entre les personnes qui résident dans l’État membre concerné et celles qui, sans résider dans cet État membre, sont des enfants de travailleurs frontaliers exerçant une activité dans ledit État membre.

 Si l’objectif visant à augmenter la proportion des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur afin de promouvoir le développement de l’économie du même État membre constitue un objectif légitime susceptible de justifier une telle différence de traitement et si une condition de résidence, telle que celle prévue par la législation nationale en cause au principal, est propre à garantir la réalisation dudit objectif, une telle condition excède toutefois ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif qu’elle poursuit, dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’État membre concerné, tels que le fait que l’un des parents, qui continue de pourvoir à l’entretien de l’étudiant, est un travailleur frontalier, qui occupe un emploi durable dans cet État membre et a déjà travaillé dans ce dernier depuis une durée significative ». 

Dans le cadre du présent recours, la partie étatique, eu égard au prédit arrêt, relève que Mademoiselle ... n’est pas résidente du Grand-Duché de Luxembourg, mais résidente dans un autre Etat-Membre de l’Union européenne, de sorte qu’elle ne remplit pas les conditions pour l’obtention d’une aide financière telles qu’elles sont formulées à l’article 2 de la loi du 26 juillet 2010. 

Si l’Etat reconnaît que l’étudiant en question se prévaut du droit de l’Union européenne et de son droit à l’égalité de traitement en tant qu’étudiant, citoyen de l’Union ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg, dont le père ou la mère, travailleur frontalier, travaille au Luxembourg, il estime toutefois que l’arrêt précité de la Cour de justice de l’Union européenne a appréhendé cette situation, en jugeant que la loi du 22 juin 2000 telle que modifiée, tout en poursuivant des objectifs légitimes, formulait une condition de résidence qui excédait « ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif qu’elle poursuit, dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’État membre concerné, tels que le fait que l’un des parents, qui continue de pourvoir à l’entretien de l’étudiant, est un travailleur frontalier, qui occupe un emploi durable dans cet État membre et a déjà travaillé dans ce dernier depuis une durée significative ». 

Aussi, l’Etat en déduit que l’étudiant en question peut bénéficier d’une aide financière à condition de remplir la condition de rattachement à la société ou au marché de travail luxembourgeois, c’est-à-dire qu’il rapporte la preuve qu’il est réellement l’enfant d’un travailleur au Grand-Duché de Luxembourg et que ce travailleur travaille effectivement au Grand-Duché de Luxembourg depuis 5 ans au moins. 

Or, en l’espèce, la partie étatique constate que le père de Mademoiselle ..., s’il est employé par une société établie au Grand-Duché de Luxembourg, n’a toute fois jamais travaillé au Luxembourg, alors qu’il est capitaine au long cours et travaille sur des navires maritimes battant pavillon luxembourgeois, pour en conclure qu’au regard du droit national en vigueur au moment de la décision attaquée telle qu’elle a été modifiée par la loi du 26 juillet 2010, la demande en allocation d’une aide financière n’était pas fondée. 

Elle fait ensuite plaider, en ce qui concerne l’éventualité d’une discrimination indirecte en raison de la nationalité, que l’arrêt précité de la Cour de justice de l’Union européenne aurait admis explicitement sinon implicitement la légalité de la condition de l’existence d’un degré suffisant de rattachement des demandeurs de l’aide financière à la société luxembourgeoise ou au marché du travail luxembourgeois, et ce notamment au travers de l’exigence d’une condition de résidence d’une durée significative, en admettant le risque de voir apparaître un « tourisme des bourses d’études » que l’Etat luxembourgeois serait autorisé à combattre. 

Or, comme Mademoiselle ... ne serait pas au nombre des enfants de frontaliers qui justifient, de par la longueur du travail ininterrompu de leurs parents au Grand-Duché de Luxembourg, de l’existence d’un degré suffisant de rattachement des demandeurs de l’aide financière à la société luxembourgeoise ou au marché du travail luxembourgeois - l’Etat soulignant tout particulièrement le fait que ni la demanderesse, ni son père ne présenterait un quelconque degré de rattachement à la société ou au marché de travail du Luxembourg, ni l’un, ni l’autre n’ayant travaillé ou résidé au Luxembourg - l’Etat resterait en droit de lui opposer les conditions de la loi du 22 juin 2000 telle qu’elle a été modifiée par la loi du 26 juillet 2010, l’Etat considérant en effet que cette loi n’aurait pas été frappée de nullité du fait de son incompatibilité partielle avec les exigences du droit de l’Union européenne, mais qu’en tant qu’acte du pouvoir législatif luxembourgeois, elle resterait au contraire en vigueur dans toute la mesure où le droit européen ne donnerait pas au demandeur déterminé des droits qui ne lui reviennent pas en vertu de la loi nationale. 

En d’autres termes, l’Etat considère que le législateur luxembourgeois a formulé une condition de résidence qui poursuivrait un objectif légitime, propre à garantir la réalisation de cet objectif. Si la Cour de justice de l’Union européenne considère que cette condition excède dans certains cas ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif qu’elle poursuit, et est par conséquent dans ces cas-là contraire au principe de proportionnalité, à savoir lorsque cette condition fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’Etat membre concerné, ce ne serait pas le cas de Mademoiselle ..., de sorte que la loi ne serait pas incompatible avec le principe de proportionnalité et devrait dès lors recevoir exécution. 

Mademoiselle ..., de son côté, ne prend pas position par rapport aux conséquences directes à tirer de l’arrêt du 20 juin 2013 de la Cour de justice de l’Union européenne, mais entend mettre en avant le rattachement de son père à la société luxembourgeoise ou au marché du travail luxembourgeois, en soulignant le fait qu’il travaille effectivement de façon ininterrompue, qu’en tant que capitaine au long cours sur des navires battant pavillon luxembourgeois, il devrait être considéré comme travailleur frontalier, puisque qu’en tant que résident belge, il disposerait d’un contrat de travail régi par le droit luxembourgeois et soumis aux juridictions du travail luxembourgeoises, qu’il cotiserait auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise et bénéficierait des droits et garanties octroyés par la sécurité sociale luxembourgeoise et qu’il paierait l’impôt sur son revenu au Grand-Duché de Luxembourg. 

Indépendamment des différents moyens avancés par la partie demanderesse, il convient de rappeler que, le tribunal administratif étant saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer, d’une part, qu’en considération de la situation de droit et de fait au jour où l’acte déterminé a été pris, et, d’autre part, que dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré, son rôle ne consistant en effet pas à procéder indépendamment des motifs de refus ministériels à un réexamen général et global de la situation de la partie demanderesse, respectivement de la légalité de la législation afférente, prise en sa globalité. 

Or, en ce qui concerne la motivation de la décision de refus déférée, le tribunal constate que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après « le ministre », tirant prétexte du fait que la partie demanderesse ne séjourne pas au Grand-Duché de Luxembourg, lui a opposé la condition de résidence inscrite à l’article I, point 2° b, de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000, pour l’aide financière de l’Etat pour études supérieures sollicitée, ladite condition de résidence étant, en substance, critiquée par la partie demanderesse comme constituant une discrimination directe, sinon une discrimination indirecte. 

Or, il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 juin 2013 précité que la clause de résidence, considérée seule, c’est-à-dire à l’exclusion de la prise en compte d’autres critères de rattachement (« dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’État membre concerné ») constitue une discrimination indirecte entre les personnes qui résident dans l’Etat membre concerné et celles qui, sans résider dans cet Etat membre, sont des enfants de travailleurs frontaliers exerçant une activité dans ledit Etat membre, contraire au principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité. 

Si l’arrêt en question a certes été rendu sur question préjudicielle dans d’autres litiges - encore qu’identiques au présent - une juridiction qui a diagnostiqué dans un litige porté devant elle un besoin d’interprétation du droit de l’Union peut directement mettre en œuvre l’interprétation disponible, alors que l’interprétation authentique donnée par la Cour dans sa décision s’incorpore à la disposition ou à l’acte interprété, dont la décision s’approprie d’ailleurs la valeur juridique[1] et dont les effets remontent, en principe, à la date de l’entrée en vigueur de la règle interprétée[2]

Aussi, en application de la doctrine de la primauté du droit communautaire, le juge national a l’obligation d’appliquer intégralement le droit commu­nautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi natio­nale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire[3], des méconnaissances du droit communautaire constituant en effet des irrégularités d’ordre public. 

La partie étatique entend toutefois tirer de l’arrêt la consécration d’une condition d’intégration ou de rattachement, basée sur la durée du travail ininterrompu des parents de l’étudiant au Grand-Duché de Luxembourg, condition que le demandeur ne remplirait pas, de sorte qu’au vu de ce constat, combiné semble-t’il à l’absence de résidence, il ne remplirait pas les conditions de la loi du 22 juin 2000 telle que modifiée par la loi du 26 juillet 2010, l’Etat considérant en effet que cette loi ne serait pas frappée de nullité du fait de son incompatibilité partielle avec les exigences du droit de l’Union européenne. 

Le tribunal ne saurait toutefois suivre ce raisonnement. 

Comme retenu ci-avant, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé que la clause de résidence, considérée seule, c’est-à-dire à l’exclusion de la prise en compte d’autres critères de rattachement constitue une discrimination indirecte entre les personnes qui résident dans l’Etat membre concerné et celles qui, sans résider dans cet Etat membre, sont des enfants de travailleurs frontaliers exerçant une activité dans ledit Etat membre, contraire au principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité : le ministre n’a partant pas pu valablement se baser sur l’article 2 de la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, tel que modifié par la loi du 26 juillet 2010, lequel impose comme seule condition une condition de résidence. 

Il convient tout particulièrement de rappeler que le tribunal siège en l’espèce en tant que juge de l’annulation, appelé à apprécier la légalité d’une décision administrative en considération de la seule situation de droit et de fait au jour où elle a été prise : or, comme relaté ci-avant, la décision incriminée, datée du 13 mars 2013, repose en fait et en droit sur le seul et unique motif que la partie demanderesse ne séjourne pas au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte à ne pas remplir la condition de résidence inscrite à l’article I, point 2° b, de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000, pour l’aide financière de l’Etat pour études supérieures sollicitée.

 Ce motif de refus - le seul avancé par le ministre et le seul prévu par la loi alors en vigueur à l’exclusion de tout autre éventuel critère de rattachement - ayant été jugé discriminatoire, le ministre n’a pas pu valablement se baser sur celui-ci, de sorte que la décision ministérielle critiquée encourt l’annulation. 

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que la Cour de justice de l’Union européenne aurait consacré dans son arrêt l’applicabilité d’une condition d’intégration, cette condition n’ayant pas figuré dans la loi applicable à la décision déférée. En effet, il convient de rappeler, eu égard à ce que l’Etat semble suggérer au tribunal, que si l’administration peut certes faire valoir devant le juge de l’annulation que la décision dont l’annulation est demandée est légalement motivée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, et que le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, peut substituer des motifs exacts aux motifs erronés d’une décision administrative, sinon admettre des motifs complémentaires non invoqués initialement, la condition en est toutefois qu’il s’agisse de motifs légaux, c’est-à-dire effectivement prévus par la loi. 

Or, en l’espèce, le tribunal relève, d’une part, que la condition de rattachement telle que suggérée par la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas prévue par le texte légal applicable à la décision déférée, et d’autre part, que contrairement à ce que semble plaider l’Etat, la Cour de justice de l’Union européenne, en émettant cette suggestion, n’a pas entendu encadrer l’œuvre du juge national - ce qui heurterait d’ailleurs le principe de légalité selon lequel le juge administratif ne peut ni violer les règles de droit existantes, ni créer de toutes pièces une norme juridique sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi[4] -, mais a indiqué au législateur luxembourgeois, dans le respect de sa souveraineté, de possibles solutions (« s’agissant des possibilités offertes au législateur luxembourgeois » (…) « il pourrait être envisagé de subordonner ») lui permettant d’éviter le risque de voir apparaître un « tourisme des bourses d’études », telle que la condition que le travailleur frontalier, parent de l’étudiant ne résidant pas au Luxembourg, ait travaillé dans cet Etat membre pendant une période minimale déterminée, et ce afin de garantir que le travailleur frontalier contribuable et cotisant au Luxembourg présente des liens suffisants avec la société luxembourgeoise, le tribunal notant toutefois que la Cour de justice de l’Union européenne n’a ni consacré cette condition d’emploi durable en tant que condition exclusive, ni consacré une durée de cinq ans comme seul critère admissible. 

Il s’ensuit que l’Etat, dans la mesure où il entend actuellement opposer à la partie demanderesse la nécessité d’un degré d’intégration déterminé à la société luxembourgeoise, ne saurait faire l’impasse sur une intervention du législateur, de sorte que la seule condition légale effectivement prévue à l’époque à laquelle se situe l’analyse du juge administratif demeure la condition de résidence telle qu’inscrite à l’article I, point 2° b, de la loi du 26 juillet 2010 modifiant, entre autres, la loi modifiée du 22 juin 2000, laquelle toutefois doit, en application de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, être écartée pour être contraire au droit communautaire : aussi, la décision déférée de refus doit encourir l’annulation, le ministre n’ayant pas valablement pu opposer à la partie demanderesse le fait qu’elle n’ait pas pu établir l’existence d’une résidence au Luxembourg pour lui refuser l’octroi d’une aide financière pour études supérieures. 

L’annulation étant ainsi acquise en raison des considérations qui précèdent, l’examen des autres moyens formulés devient sans objet, le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, n’ayant par ailleurs pas à se prononcer sur le sort définitif à réserver par l’administration à la demande en obtention d’une aide financière et, en particulier, sur l’existence ou non d’un droit à de telles aides dans le chef de la partie demanderesse, notamment au vu de la situation particulière de son père. 

Dans le cadre du dispositif de son mémoire supplémentaire, la partie demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 500 euros sur base  de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. 

Aux termes de cet article « lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ». 

Or, une demande d’allocation d’une indemnité de procédure qui omet de spécifier concrètement la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise pas concrètement en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante est à rejeter, la simple référence à l’article de loi applicable, à défaut de toute explication ou justification, n’étant pas suffisante à cet égard, le tribunal n’étant en effet pas en mesure d’examiner l’iniquité suggérée et la justification du montant réclamé comme ayant été exposé par la partie demanderesse. 

Il convient dès lors de débouter la partie demanderesse de la demande afférente.

 

Par ces motifs,

 

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, 

reçoit le recours en annulation en la forme ;  

quant au fond, le déclare justifié ; 

partant annule la décision de refus en matière d’aides financières pour études supérieures du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche datée du 12 janvier 2011 ; 

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie demanderesse, 

condamne l’Etat aux frais ; 

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 décembre 2013 par :

 

Marc Sünnen,  premier vice-président,

Thessy Kuborn, premier juge,

Alexandra Castegnaro, juge, 

 

en présence du greffier en chef Arny Schmit.  

 

s. Schmit                                                                                s. Sünnen

 

 


[1] Jacques Pertek, Coopération entre juges nationaux et Cour de justice de l’UE - le renvoi préjudiciel, Bruylant, 2013, p.215, n° 479.

[2] Arrêt du 12 février 2008, Kempter, C-2/06, Rec. p. 1-411, point 35.

[3] Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, Rec. P. 629, point 21.

[4] Trib. adm. 2 juin 2008, n° 23565, Pas. adm. 2012, V° Lois et règlements, n° 74.

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