Arrêt 107 de la Cour constitutionnelle - témoignage princes

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 20 décembre 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00107 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introduite par jugement du 26 juin 2013 du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, chambre criminelle, n° LCRI 32/2013, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le lendemain, dans le cadre d’un litige opposant

 

le ministère public à 

  1. Prévenu1, et à
  2. Prévenu2

prévenus, 

 

en présence de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d’Etat, établi à L-2910 Luxembourg, 4, rue de la Congrégation, 

comparant par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, 

de la société anonyme SOC1 S.A., établie à L-(…), représentée par son conseil d’administration, 

comparant par Maître Victor ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Serge MARX, avocat à la Cour, les deux demeurant à Luxembourg, 

de la société anonyme SOC2 S.A., établie à L-(…), représentée par son conseil d’administration, 

comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,  

de Monsieur Partie civile

comparant par Maître Astrid BUGATTO, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, assistée de Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, demeurant à Diekirch, 

et de l’administration communale de (…), établie à L-(...), représentée par son collège des bourgmestre et échevins, 

comparant par Madame X., suivant procuration du 15 mars 2013, 

parties civiles 

 

La Cour,  

composée de

 

Francis DELAPORTE, conseiller,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseiller,

Carlo HEYARD, conseiller,

Marie-Anne STEFFEN, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH 

 

sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour le 19 juillet 2013 par le Procureur Général d’Etat adjoint Georges WIVENES pour le ministère public et le 24 juillet 2013 par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, pour Prévenu2, 

ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 29 novembre 2013,

 

rend le présent arrêt :

 

Considérant que dans le cadre d’un procès pénal introduit par le ministère public contre Prévenu1 et Prévenu2 du chef d’infractions aux articles 51, 393, 394, 510, 511, 513, 514, 516, 517, 518, 520 et 523 du Code pénal, à l’article 8 de la loi du 2 février 1924 concernant les distributions d’énergie électrique dans le Grand-Duché de Luxembourg, aux articles 1b, 4 et 28 de la loi du 15 mars 1983 sur les armes et munitions, à l’article 7 de la loi du 20 avril 1962 ayant pour objet l’établissement d’un réseau de transport de gaz, la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, par jugement du 26 juin 2013, (n° LCRI 32/2013), a saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante : 

« Les articles 510 et suivants du Code d’Instruction Criminelle, en ce qu’ils soumettent à autorisation la citation comme témoins et la comparution en justice des princes de sang impérial et du grandjuge ministre de la Justice, c’est-à-dire, à la lumière des institutions actuelles de l’Etat luxembourgeois, les princes de sang grand-ducal et le Ministre de la Justice, sont ils conformes 

- à l’article 10bis de la Constitution, qui prévoit que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi

- à l’article 12 de la Constitution en ce que la protection de la liberté individuelle implique d’un point de vue procédural le respect des droits de la défense »

Considérant que l’article 510 du Code d’instruction criminelle, resté dans sa version d’origine de 1808, est libellé comme suit : 

« les princes ou princesses du sang impérial, les grands dignitaires de l’Empire et le grand-juge ministre de la Justice, ne pourront jamais être cités comme témoins, ……., si ce n’est dans le cas où l’Empereur, sur la demande d’une partie et le rapport du grand-juge, aurait, par un décret spécial, autorisé cette comparution ». 

Considérant que la Constitution dispose en son article 10bis, paragraphe 1er, que « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ; 

Qu’elle prévoit dans son article 12 que « La liberté individuelle est garantie. – Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. – Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. – Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus dans les vingt-quatre heures. – Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté ». 

Considérant qu’il se dégage du jugement de renvoi de la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 26 juin 2013 que, dans l’affaire au principal, le ministère public, à la demande de la défense, a cité comme témoins le Prince Témoin1 et le Prince Témoin2, sans que la chambre criminelle n’ait disposé au jour du prononcé du jugement de renvoi, ni d’un « décret impérial », respectivement d’un arrêté grand-ducal, ni d’un rapport du « grand-juge », respectivement du ministre de la Justice, et qu’elle ne pouvait dès lors procéder à l’audition de ces témoins ; 

Considérant que le contrôle de la constitutionnalité des lois comporte celui du maintien en vigueur de la loi visée par la question préjudicielle ; 

Considérant que si dans l’optique d’un maintien en vigueur des articles 510 à 517 du Code d’instruction criminelle, la question est prématurée, aucun refus d’autorisation grand-ducale, explicite ou implicite, n’étant vérifié, la question préjudicielle est néanmoins recevable en ce que, tel que discuté par les parties, elle soulève la question du maintien en vigueur des articles 510 à 517 du Code d’instruction criminelle, compte tenu de l’évolution des institutions au gré des modifications constitutionnelles successives, de nature à conditionner à la base la réponse à donner à la question posée ; 

Considérant que depuis la loi de révision constitutionnelle du 15 mai 1919, l’article 32 dispose en son paragraphe 1er que la puissance souveraine réside dans la Nation, tandis que  l’article 32 ancien de la Constitution du 17 octobre 1868 prévoyait que le Grand-Duc « exerce la puissance souveraine conformément à la présente Constitution et aux lois du pays » ; 

Considérant que depuis la même loi de révision constitutionnelle du 15 mai 1919, ledit article 32 dispose, toujours en son paragraphe 1er, que le Grand-Duc n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même ; 

Que si le Constituant de 1919 a ainsi repris le libellé de l’article 45 de la Constitution du 9 juillet 1848, celle-ci n’avait cependant pas consacré comme tel le principe que la souveraineté réside dans la Nation ; 

Considérant que d’après l’article 117 de la Constitution, à compter du jour où celle-ci sera exécutoire, toutes les lois, tous les décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires, sont abrogés ; 

Considérant que l’autorisation grand-ducale prévue par l’article 510 du Code d’instruction criminelle, sur le rapport du ministre de la Justice, après due mise en correspondance des institutions impériales y visées avec les réalités institutionnelles du Grand-Duché, se décline en pouvoir qui n’est prévu ni par la Constitution, ni par une loi particulière portée par elle-même, la souveraineté résidant dans la Nation ; que l’article 510 du Code d’instruction criminelle, ensemble les articles 511 à 517 du même code en ce qu’ils en constituent le complément, se sont dès lors trouvés abrogés depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle de révision du 15 mai 1919 pour être contraires à l’article 32 de la Constitution tel qu’introduit à l’époque ; 

Considérant que les textes de loi visés par la question préjudicielle se trouvant abrogés, la question est sans objet ; 

 

Par ces motifs,

dit que la question préjudicielle posée est sans objet ; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation ; 

ordonne qu’il sera fait abstraction des noms et prénoms des parties au principal lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la Chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, juridiction dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Francis Delaporte, en présence du greffier Lily Wampach. 

 

Le greffier                                                                            le conseiller 

 

 

                                                               

 

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