La Cour constitutionnelle a rendu en date du 20 décembre 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00106 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.
La question avait été introduite par jugement civil no 143/2013 rendu par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, dix-septième section, siégeant en matière civile ( Numéro 145359 du rôle) en date du 5 juin 2013, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 5 juin 2013 dans le cadre d’un litige opposant
la société anonyme SOC. S.A., établie et ayant son siège social à L-(...), représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro (...),
à
l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg – Administration des Douanes et Accises, Service recette-auto, L-(...), Bureau Recette Auto, Centre Douanier, représenté par son Ministre d’Etat, établi à L-(...),
La Cour,
composée de
Georges SANTER, président,
Francis DELAPORTE, conseiller,
Edmée CONZEMIUS, conseiller,
Irène FOLSCHEID, conseiller,
Marie-Anne STEFFEN, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour en date du 4 septembre 2013 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour la société anonyme SOC. S.A., celles déposées le 17 septembre 2013 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg, ainsi que les conclusions additionnelles déposées par Maître Marc THEWES en date du 21 octobre 2013, pour la société anonyme SOC. S.A. ;
ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 8 novembre 2013,
rend le présent arrêt :
Considérant que dans le cadre d’une action introduite le 29 décembre 2011 par SOC.S S.A. contre l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, visant à voir déclarer nuls et non avenus pour défaut de base légale les bulletins de fixation des taxes sur les véhicules automoteurs lui adressés le 6 décembre 2007 par l’Administration des Douanes et des Accises impliquant pour 2007 (moyennant recalcul) et 2008, pour deux de ses véhicules immatriculés en 2004, une taxation dorénavant plus élevée sur la base de la loi du 22 décembre 2006 promouvant le maintien dans l’emploi et définissant des mesures spéciales en matière de sécurité sociale et de politique de l’environnement, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg constatant, entre autres, « que la loi du 22 décembre 2006, en poursuivant une visée environnementale, opère une différenciation des régimes fiscaux applicables aux voitures soumises à la taxe automobile en fonction de la date de leur première immatriculation » et « crée partant deux catégories de voitures en les soumettant à deux régimes fiscaux différents » saisit, par jugement du 5 juin 2013, conformément à la demande de SOC. S.A., avant tout autre progrès en cause, la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante :
« Les articles 36 et 37 de la loi du 22 décembre 2006 promouvant le maintien dans l’emploi et définissant des mesures spéciales en matière de sécurité sociale, en ce qu’ils soumettent à un régime fiscal différent les véhicules selon (que) la date de leur première immatriculation se situe avant ou après le 1er janvier 2001, le montant étant plus élevé pour les véhicules immatriculés plus récemment, sont-ils conformes au principe de l’égalité devant la loi visé aux articles 10 bis et 101 de la Constitution ».
Considérant que la loi du 22 décembre 2006 promouvant le maintien dans l’emploi et définissant des mesures spéciales en matière de sécurité sociale et de politique de l’environnement, en abrégé « la loi du 22 décembre 2006 », dispose en son article 36 que :
« (1) Sauf disposition contraire, la taxe pour les voitures à personnes de la catégorie M1 immatriculées à partir du 1er janvier 2001 pour la première fois, propulsées par un moteur à piston alimenté par un carburant liquide ou gazeux, est calculée conformément à la formule suivante :
Taxe ( en euros) = a * b * c
où <a> représente la valeur des émissions de CO2 en g/km lors d’un cycle d’essai standardisé mixte telle que reprise soit à la rubrique 46.2. du certificat de conformité communautaire tel que défini à l’annexe IX de la directive modifiée 70/156/CEE soit dans un autre certificat équivalent délivré par le constructeur du véhicule et enregistré dans le fichier de la base de données nationale sur les véhicules routiers,
où <b> représente un multiplicateur, qui ne peut dépasser :
– 1,50 pour les véhicules équipés d’un moteur à carburant diesel;
– 1,00 pour les véhicules équipés d’un moteur autre qu’à carburant diesel,
et où <c> représente un facteur exponentiel qui équivaut à 0,5 lorsque les émissions de CO2 ne dépassent pas 90 g/km CO2 et qui est incrémenté de 0,10 pour chaque tranche supplémentaire de 10 g de CO2/km.
(2) La taxe, calculée selon la méthode définie au paragraphe (1), peut être réduite, d’un montant maximal de 50 euros pour les véhicules équipés d’un moteur diesel dont les émissions de particules telles que reprises soit à la rubrique 46.1. du certificat de conformité communautaire visé au paragraphe (1) soit dans un autre certificat équivalent délivré par le constructeur du véhicule, ne dépassent pas 10 mg/km au maximum, pour autant qu’une nouvelle norme communautaire ne prévoie pas un seuil plus bas.
(3) Pour les voitures à personnes de la catégorie M1 immatriculées à partir du 1er janvier 2001 pour la première fois et dont les émissions de CO2 ne peuvent ni être déterminées par les autorités d’immatriculation ni être fixées par l’Administration des douanes et accises, le barème applicable est celui de l’article 37(1).
(4) La taxe est arrondie à l’euro immédiatement inférieur, les fractions de centimes étant négligées ;
et en son article 37 que :
« (1) Pour les voitures à personnes de la catégorie M1 immatriculées avant le 1er janvier 2001 pour la première fois, propulsées par un moteur à piston alimenté par un carburant liquide ou gazeux, la taxe est calculée d’après la cylindrée du moteur.
La taxe maximale s’élève par tranche entière ou commencée de 100 cm3 à :
– 7 euros pour les véhicules d’une cylindrée de 1 à 1600 cm3,
– 9 euros pour les véhicules d’une cylindrée de 1601 à 2000 cm3,
– 13 euros pour les véhicules d’une cylindrée de 2001 à 3000 cm3,
– 15 euros pour les véhicules d’une cylindrée de 3001 à 4000 cm3,
– 18 euros pour les véhicules d’une cylindrée dépassant 4000 cm3.
(2) Toutefois, sur demande auprès des autorités d’immatriculation, il peut être dérogé à l’application des dispositions de l’article 37 (1) si la taxe calculée d’après les émissions de CO2, telles que reprises dans le certificat de conformité communautaire précité ou dans tout autre certificat équivalent délivré par le constructeur du véhicule s’avère inférieure à celle fixée suivant le présent article, sous condition que le montant résultant de la refixation de la taxe est inférieur d’au moins 10 euros. Dans ce cas, la taxe est calculée suivant la formule prévue à l’article 36(1).
(3) La taxe est arrondie à l’euro immédiatement inférieur, les fractions de centimes étant négligées » ;
Que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution est libellé comme suit :
« Les Luxembourgeois son égaux devant la loi » ;
Que l’article 101 de la Constitution prévoit :
« Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi » ;
Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure incriminée ;
Que la loi du 22 décembre 2006 soumet à des régimes de taxation différents des voitures à personnes de mêmes marque, cylindrée et carburant, en taxant le véhicule immatriculé pour la première fois avant le 1er janvier 2001 en fonction essentiellement de la cylindrée du moteur, et celui immatriculé pour la première fois après le 1er janvier 2001 en fonction essentiellement de sa valeur des émissions de CO2 ;
Qu’il existe dès lors une différenciation dans des situations comparables selon que la première immatriculation des véhicules est antérieure ou postérieure au 1er janvier 2001 ;
Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre des situations comparables à des régimes légaux différents, dès lors que la différenciation opérée procède de disparités objectives, qu’elle est rationnellement justifiée et qu’elle est adéquate et proportionnée à son but ;
Considérant que le critère de différenciation qui est à la base des deux systèmes de taxation préconisés par la loi du 22 décembre 2006 répond à une différence objective consistant en ce que la première immatriculation est antérieure ou postérieure à la date pivot du 1er janvier 2001 ;
Considérant que les articles 36 et 37 sous contrôle figurant sous le Titre « Mesures de politique de l’environnement », se justifient par des considérations juridiques (adhésion du Grand-Duché de Luxembourg au Protocole de Kyoto et transposition de celui-ci dans le droit de l’Union européenne), et écologiques (lutte contre le réchauffement climatique) ;
Que la différenciation opérée à partir de la constatation que, d’une part, ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2001 que les émissions en CO2 des véhicules routiers sont recensées systématiquement dans les fichiers électroniques de la Société nationale de contrôle technique et que, d’autre part, le certificat de conformité européen émanant des constructeurs de véhicules qui doit mentionner entre autres les données d’émission en CO2, n’est à délivrer obligatoirement aux acquéreurs et à conserver par ceux-ci que depuis le 1er janvier 2001, est rationnellement justifiée ;
Que si le recours par le système de taxation de la loi du 22 décembre 2006 à la date pivot du 1er janvier 2001, revêt comme toute date pivot, une certaine part d’arbitraire, son choix repose sur une différence objective entre les deux catégories de véhicules en ce que pour les plus anciens, il n’existe pas de recensement systématique des émissions en CO2 à cette date, alors que, depuis le 1er janvier 2001, ce recensement est obligatoire ;
Considérant que les systèmes de taxation des véhicules routiers prévus par les articles 36 et 37 rencontrent l’objectif de la loi qui est de concilier les taxations et la protection de l’environnement, ceci en application du principe du pollueur-payeur ;
Qu’ainsi, si par l’effet de la loi du 22 décembre 2006, les véhicules routiers immatriculés avant la date du 1er janvier 2001, quoique pour certains plus pollueurs que d’autres immatriculés après cette date, font l’objet de taxations, en règle générale, moins importantes, la loi, dans un souci de protection environnementale, augmente le montant des taxations de chacune des deux catégories de véhicules routiers, s’y ajoutant que les véhicules routiers dont la première immatriculation précède le 1er janvier 2001 sont normalement voués à disparaître ;
Que la différenciation opérée est, par conséquent, adéquate et proportionnée à son but ;
Considérant que, en ce qu’il pose le principe de l’égalité devant les charges publiques, l’article 101 de la Constitution n’est qu’une application de l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ;
Que, dès lors, par rapport à la question préjudicielle posée, les articles 36 et 37 de la loi du la loi du 22 décembre 2006 ne sont pas contraires aux articles 10bis, paragraphe 1er, et 101 de la Constitution ;
PAR CES MOTIFS
dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, les articles 36 et 37 de la loi du la loi du 22 décembre 2006 promouvant le maintien dans l’emploi et définissant des mesures spéciales en matière de sécurité sociale et de politique de l’environnement ne sont pas contraires aux articles 10bis, paragraphe 1er, et 101 de la Constitution ;
ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de la Législation ;
ordonne que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe du tribunal d’arrondissement de Luxembourg dont émane la saisine et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH.
Le greffier, Le président,
signé : Lily WAMPACH signé :Georges SANTER