Arrêt 105 de la Cour constitutionnelle - adoption / article 356 Code civil

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 13 décembre 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00105 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introduite par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg suivant jugement en matière d’adoption no 30/2013 (VIIIe chambre) du 14 mai 2013, numéro 170628 du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 23 mai 2013, 

Entre : 

  1. A, demeurant à L-, 
  2. B, née le … , représentée par la gérante de tutelle Maître Sonja VINANDY, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, 

 

en présence de : 

Monsieur le Procureur d’Etat près le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges SANTER, président,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseiller,

Marie-Anne STEFFEN, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 21 juin 2013 par le Procureur Général d’Etat ainsi que celles déposées pour et au nom de A par Maître Deidre DU BOIS, avocat à la Cour, le 1er juillet  2013, 

ayant entendu en leurs plaidoiries les mandataires des parties à l’audience publique du 8 novembre 2013 ; 

rend le présent arrêt : 

Considérant que le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, appelé à statuer sur l’adoption simple d’une personne de plus de quinze ans sous tutelle, souffrant d’un handicap mental grave, a posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : 

« L’article 356 du Code civil en ce qu’il exclut une catégorie de personnes du bénéfice de l’institution d’adoption, institution de protection, en raison de l’altération avancée de leurs facultés mentales, est-il conforme à la norme constitutionnelle de l’égalité des citoyens devant la loi inscrite à l’article 10 bis (1) de la Constitution au regard de la différence de traitement ainsi instaurée entre les majeurs sous tutelle dont les facultés mentales sont gravement altérées et tous les autres majeurs, respectivement les mineurs d’âge de plus de quinze ans et à l’article 11.(1) aux termes duquel  l’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille ? » ; 

Considérant que l’article 356 du Code civil dispose : « S’il a plus de quinze ans, l’adopté doit consentir personnellement à l’adoption » ;  

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution énonce que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ; 

Que suivant l’article 11, paragraphe 1er de la Constitution  « L’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille» ; 

Quant à l’article 10 bis, paragraphe 1er, de la Constitution : 

Considérant que l’article 356 du Code civil, en exigeant de la part de l’adopté, âgé de plus de quinze ans, le consentement personnel à l’adoption, a implicitement soumis cette exigence au discernement de l’intéressé et a nécessairement exclu de la procédure d’adoption toute personne âgée de plus de quinze ans incapable, en raison d’un handicap mental grave, de donner un consentement raisonné, instituant ainsi deux régimes juridiques différents ; 

Considérant qu’ainsi l’adoption d’un mineur de plus de quinze ans ou d’un majeur sous tutelle, même si elle était indubitablement dans leur intérêt, est, en raison de la différenciation instituée par l’article 356 du Code civil, impossible ;  

Considérant que les conséquences de cette différenciation, bien que procédant de disparités objectives, ne sont pas rationnellement justifiées et ne sont pas proportionnées à leur but ; 

Considérant que si la protection par la tutelle a pour finalité l’intérêt de la personne y soumise, la fermeture de la voie de l’adoption à la personne protégée va à l’encontre de son intérêt ; 

Considérant que, dans le cas des mineurs d’âge, le consentement à l’adoption est donné soit par le ou les parents, soit par le conseil de famille ou, en cas de renonciation à ce droit, par un service d’aide sociale ou une oeuvre d’adoption ; 

Considérant que si l’article 506 du Code civil réglemente le mariage du majeur sous tutelle, la loi ne prévoit pas de disposition permettant de suppléer l’absence ou l’impossibilité de consentement de la personne sous tutelle, que ce soit par représentation ou assistance ; 

Considérant que l’article 356 du Code civil, en imposant le consentement personnel de l’adopté de plus de quinze ans à son adoption, sans prévoir, en cas d’impossibilité de consentement personnel, des dispositions permettant au tribunal de passer outre cette exigence pour prononcer une adoption conforme à l’intérêt de l’adopté, est contraire à l’article 10 bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

Considérant que le principe d’égalité, au regard des situations comparables en cause, doit permettre à la juridiction saisie de faire abstraction de la nécessité de consentement personnel et de prononcer néanmoins une adoption conforme à l’intérêt de l’adopté, ainsi qu’ils le font pour un adopté de moins de quinze ans, en phase avec l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il commande dès lors d’aligner l’adoption d’une personne incapable, inapte à donner un consentement valable, sur les dispositions prévues aux articles 351 à 355 du Code civil, sous le contrôle du juge des tutelles ; 

Quant à l’article 11, paragraphe 1er, de la Constitution : 

Considérant que l’adoption prend son fondement dans le droit positif et non dans le droit naturel ; que ne constituant pas un droit naturel, cette institution ne saurait être contraire à l’article 11, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

 

Par ces motifs

dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 356 du Code civil est contraire  à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 356 du Code civil n’est pas contraire à l’article 11, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de Législation ; 

ordonne qu’il est fait abstraction des nom et prénom des parties au fond lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au tribunal d’arrondissement de Luxembourg dont émane la saisine et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président  Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH. 

 

 

            Le greffier                                                                            Le président

            s. Lily WAMPACH                                                              s. Georges SANTER

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