La Cour constitutionnelle a rendu en date du 29 novembre 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00108 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.
La question avait été introduite par arrêt de la Cour administrative du 4 juillet 2013 (n°32132C du rôle), parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 8 juillet 2013 dans le cadre d’un appel interjeté par X, colonel honoraire de l’armée, demeurant à L-…, contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 22 janvier 2013 (n°29426 du rôle) ayant refusé de faire droit à sa demande tendant à l’annulation d’un arrêté grand-ducal du 24 juillet 2011, par lequel il lui a été accordé la démission honorable de ses fonctions avec faculté de faire valoir ses droits à une pension et en vertu duquel sa mise à la retraite a été prononcée avec effet au 30 juillet 2011,
La Cour,
composée de
Georges SANTER, président,
Francis DELAPORTE, conseiller,
Irène FOLSCHEID, conseiller,
Romain LUDOVICY, conseiller,
Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,
greffier : Lily WAMPACH
Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, pour X et par Maître Serge MARX, avocat à la Cour, pour l’Etat du Grand-Duché du Luxembourg, ayant entendu les mandataires des parties en leurs plaidoiries à l’audience publique du 25 octobre 2013,
rend le présent arrêt :
Considérant que dans le cadre de l’appel interjeté contre un jugement du tribunal administratif ayant rejeté le recours de X en annulation d’un arrêté grand-ducal lui accordant la démission honorable de ses fonctions avec faculté de faire valoir ses droits à une pension et prononçant sa mise à la retraite, la Cour administrative du Grand-Duché du Luxembourg, par arrêt du 4 juillet 2013 (n°32132C du rôle) a saisi la Cour constitutionnelle des questions préjudicielles suivantes :
1) «L'article 8 II de la loi modifiée du 26 mai 1954 réglant les pensions des fonctionnaires de l'Etat, en ce qu'il habilite le pouvoir réglementaire à fixer la limite d'âge des officiers et des membres de la Force publique de tous grades, sans que celle-ci ne puisse être inférieure à 55 ans, est-il conforme aux articles 31, 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution ?»;
et en cas de réponse affirmative à cette première question ;
2) «L'article 8 II de la loi modifiée du 26 mai 1954 réglant les pensions des fonctionnaires de l'Etat, en ce qu'il habilite le pouvoir réglementaire à fixer la limite d'âge des officiers et des membres de la force publique de tous grades, sans que celle-ci ne puisse être inférieure à 55 ans, alors que l'article 8 I de la même loi fixe la limite d'âge pour les fonctionnaires de tout ordre à 65 ans, est-il conforme à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution?»
Considérant que la loi modifiée du 26 mai 1954 réglant les pensions des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « la loi du 26 mai 1954 », dispose aux paragraphes I et II de son article 8 comme suit :
I « Pour les fonctionnaires de tout ordre la limite d’âge est fixée à soixante-cinq ans ».
II « Pour les officiers, les membres de la Force publique de tous grades elle est fixée par règlement grand-ducal, sans pouvoir être inférieure à 55 ans ».
Considérant que la Constitution dispose dans son article 31 que « Les fonctionnaires publics, à quelque ordre qu’ils appartiennent, les membres du Gouvernement exceptés, ne peuvent être privés de leurs fonctions, honneurs et pensions que de la manière déterminée par la loi » ;
Qu’elle prévoit dans son article 32, paragraphe 3, que « Dans les matières réservées à la loi par la Constitution, le Grand-Duc ne peut prendre des règlements et arrêtés qu’aux fins, dans les conditions et suivant les modalités spécifiées par la loi », tandis que dans son article 96 elle porte que « Tout ce qui concerne la force armée est réglé par la loi » ;
Considérant qu’il découle de l’article 6, dernier alinéa, de la loi du 27 juillet 1997, précitée, que la juridiction de renvoi est tenue de saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’elle estime qu’une question de conformité d’une loi à la Constitution se pose et qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, de sorte que la Cour est amenée à considérer ratione temporis les versions respectives de la Constitution et de la loi, telles qu’elles se cristallisent au moment pertinent pour la décision à rendre par la juridiction de renvoi ;
Que dès lors, peu importe, par rapport à la question préjudicielle posée, le point de savoir quelle aurait été la situation antérieure à la loi modificative de l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution du 19 novembre 2004, la Cour n’étant amenée à statuer que par rapport à la législation applicable au moment de la prise de la décision administrative critiquée au principal, c'est-à-dire à la date du 24 juillet 2011, s’agissant pour le surplus d’un recours en annulation et non d’un recours en réformation ;
Considérant qu’en disposant que tout ce qui concerne la force armée est réglé par la loi, l’article 96 de la Constitution inclut l’ensemble des dispositions concernant la force armée parmi les matières réservées à la loi ;
Considérant que d’après l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution, tel que résultant de la loi du 19 novembre 2004, dans les matières réservées par la loi fondamentale à la loi, l’essentiel du cadrage normatif doit résulter de la loi, y compris les fins, les conditions et les modalités suivant lesquelles des éléments moins essentiels peuvent être réglés par des règlements et arrêtés pris par le Grand-Duc ;
Considérant qu’en disposant que pour les officiers et les membres de la Force publique de tous grades, la limite d’âge est fixée par règlement grand-ducal, sans pouvoir être inférieure à cinquante-cinq ans, l’article 8 II de la loi du 26 mai 1954 prévoit clairement, mais uniquement, un seuil minimum en dessous duquel l’âge de la mise à la retraite ne saurait être arrêté, face à la limite d’âge fixée en principe à soixante-cinq ans pour les fonctionnaires de tout ordre par le paragraphe I du même article 8 ;
Qu’en ne prévoyant qu’un seuil d’âge minimum, ledit article 8 II omet toute autre précision de nature à justifier la fixation concrète de l’âge limite de la mise à la retraite d’un membre quelconque de la Force publique et permet ainsi au pouvoir exécutif de situer pour le concerné l’âge limite de la mise à la retraite à n’importe quel quantième compris entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans ;
Considérant qu’en disposant, dans une matière réservée à la loi, à la fois pour tous les membres de tous grades de la Force publique comprenant plusieurs corps, dont l’armée luxembourgeoise, et en ne distinguant notamment pas suivant ces corps, ni suivant les tâches des différents membres de ces corps se rapprochant, les unes, des fonctions civiles, et les autres, des tâches classiques d’ordre militaire, ni suivant les critères de prolongation éventuelle dans le temps, l’article de loi sous revue omet de préciser les fins, les conditions et les modalités appelées à être spécifiées au niveau de la loi pour que, depuis la réforme du 19 novembre 2004, en matière réservée à la loi, celle-ci puisse valablement habiliter le pouvoir exécutif à arrêter utilement des dispositions réglementaires en la matière ;
Que dès lors l’article 8 II de la loi du 26 mai 1954 n’est pas conforme aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution ;
Que la Cour aboutissant à un constat de non-conformité au niveau de la première question préjudicielle posée, l’analyse de la seconde question, telle qu’articulée par l’arrêt de renvoi, ne s’envisage plus ;
Par ces motifs,
dit que l’article 8 II de la loi modifiée du 26 mai 1954 réglant les pensions des fonctionnaires de l’Etat n’est pas conforme aux articles 32, paragraphe 3, et 96 de la Constitution ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la deuxième question posée ;
ordonne que dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de législation ;
ordonne qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de la partie X lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ;
ordonne que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la Cour administrative, juridiction dont émane la saisine, et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Francis DELAPORTE, commis à ces fins, en présence du greffier Lily WAMPACH.
Le greffier, Le président,
signé : Lily WAMPACH signé :Georges SANTER