Arrêt 102 de la Cour constitutionnelle - procédure disciplinaire spécifique membres Police grand-ducale

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 15 novembre 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00102 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par la Cour administrative suivant arrêt du 14 mars 2013, numéro 31821C du rôle, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 19 mars 2013 dans le cadre d’un litige opposant  

X, demeurant à L-…, 

et 

l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d'Etat, et pour autant que de besoin par son ministre de l’Intérieur et à la Grande région, 

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges SANTER, président,

Georges RAVARANI,  vice-président,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Romain LUDOVICY, conseiller,

Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle pour et au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par Madame (...), délégué du Gouvernement, les 29 avril 2013 et 5 juin 2013, ainsi que celles y déposées pour et au nom de X par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, le 30 avril 2013, 

ayant entendu en leurs plaidoiries les mandataires des parties à l’audience publique du 20 septembre 2013,  

rend le présent arrêt :  

Considérant que saisi par X d’un recours en réformation contre un arrêté du ministre de l’Intérieur et à la Grande région ayant prononcé, sur avis rendu par le Conseil de discipline de la Force publique, la peine disciplinaire de la révocation à l’encontre de l’agent concerné, le tribunal administratif avait déclaré non justifié le recours, et qu’en instance d’appel, la Cour administrative a, par arrêt du 14 mars 2013, avant tout autre progrès en cause, soumis à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : 

« La loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force Publique, en ce qu’elle instaure une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des membres de la Police grand-ducale, et plus particulièrement l’article 31 de la prédite loi, en ce qu’il confie l’instruction disciplinaire au supérieur hiérarchique du fonctionnaire en cause, et l’article 33 en ce qu’il prévoit l’avis consultatif du conseil de discipline, alors que le statut général des fonctionnaires de l’Etat confie l’instruction disciplinaire à un commissaire du Gouvernement indépendant et confère un pouvoir décisionnel au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, est-elle conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ? » ;

Considérant que l’article 31 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique dispose :

 

  1. L’instruction disciplinaire appartient au chef hiérarchique compétent du militaire et au conseil de discipline.
  2. Le chef hiérarchique du militaire ayant au moins le grade de capitaine procède à une instruction lorsque des faits, faisant présumer que le militaire a manqué à ses devoirs au sens de la présente loi, sont à sa connaissance.

Dans le cadre de cette instruction, il rassemble tous les éléments à charge et à décharge du militaire susceptibles d’avoir une influence sur les décisions à prendre.

  1. Le chef hiérarchique notifie au militaire présumé fautif les faits qui lui sont reprochés.

Si le militaire ne peut être touché personnellement, l’information est valablement faite par une lettre recommandée envoyée à l’adresse que le militaire a déclarée à l’administration comme sa résidence.

Si le militaire est suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, le chef hiérarchique peut le suspendre conformément à l’article 20,1. La suspension prononcée par un chef hiérarchique qui n’est pas membre du Gouvernement devient caduque si elle n’est pas confirmée dans la huitaine par le ministre de la force publique.

La procédure disciplinaire suit son cours, même si le militaire dûment informé fait défaut.

  1. Dans les dix jours de la notification, le militaire peut présenter ses observations et demander un complément d’instruction.

Le supérieur hiérarchique décide s’il y a lieu de donner suite à cette demande.

  1. Le supérieur hiérarchique autre que le chef de corps transmet le dossier avec ses conclusions au chef de corps.

Celui-ci prend une des trois décisions suivantes :

a)    il classe l’affaire lorsqu’il résulte de l’instruction que le militaire n’a pas manqué à ses devoirs ou qu’il estime que l’application d’une sanction n’est pas indiquée ;

b)    il applique la sanction lorsqu’il est d’avis que les faits établis par l’instruction constituent un manquement à sanctionner de l’avertissement, de la réprimande, des arrêts ou de l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base ou de l’indemnité moyenne ;

c)    il transmet le dossier au conseil de discipline de la force publique lorsqu’il estime que les faits établis par l’instruction constituent un manquement à réprimer par une sanction plus sévère que celles mentionnées sous b).

Le chef de corps porte la décision incessamment à la connaissance du ministre de la force publique. Si celui-ci estime que les faits révélés par l’instruction sont à sanctionner d’une peine dépassant la compétence du chef de corps, il infirme la décision intervenue et transmet le dossier au conseil de discipline. Dans le cas contraire, il confirme la décision intervenue ou bien il prononce la peine disciplinaire qu’il juge appropriée. »

Que l’article 33 de la même loi dispose : 

«  Il est institué pour les militaires de l’Armée et le personnel policier du corps de la Police et de l’Inspection générale de la Police un conseil de discipline de la force publique.

L’avis de ce conseil est requis :

a)    pour l’application aux militaires de carrière des peines supérieures à l’amende d’un cinquième d’une mensualité brute du traitement de base ;

b)    pour l’application aux officiers commissionnés des peines supérieures à l’amende d’un cinquième d’une mensualité brute du traitement de base ou de l’indemnité moyenne ;

c)    pour l’application aux volontaires de la peine de l’exclusion de l’armée. »

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution énonce que «  Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. »

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure invoquée ; 

Considérant que les fonctionnaires relevant de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ( ci-après : le statut général ) sont tenus à un ensemble de devoirs ayant pour finalité que le fonctionnaire exécute consciencieusement les tâches qui lui sont confiées par ses supérieurs hiérarchiques, et qu’il évite, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public ; 

Considérant que les devoirs auxquels sont astreints les fonctionnaires de la Force publique sont définis au chapitre II ( articles 2 à 15 ) de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique qui établit les principes généraux de la discipline militaire ; 

Considérant que si certains aspects des règles de la discipline militaire se caractérisent par une dépendance plus stricte du subordonné à l’égard de ses supérieurs auxquels il doit le respect et l’obéissance, et par une exigence de loyauté, de solidarité et de camaraderie, ce constat s’explique par l’organisation très  hiérarchisée des carrières de la Force publique et la spécificité des missions à accomplir dans des conditions très souvent dictées par l’urgence et l’état de nécessité ; 

Considérant cependant qu’à l’égard de l’obligation de se conformer aux règles régissant leur discipline, sanctionnée par des peines appliquées au terme d’une procédure disciplinaire comportant une instruction préalable et l’intervention du Conseil de discipline, les fonctionnaires de la Force publique se trouvent dans une situation comparable à celle des fonctionnaires soumis au statut général ; 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

Considérant que la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires de la Force publique diffère de celle prévue par la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat notamment par les aspects suivants : 

Que l’instruction disciplinaire poursuivie contre un fonctionnaire de la Force publique appartient au chef hiérarchique et au Conseil de discipline de la Force publique, composé d’un magistrat de l’ordre judiciaire, président, d’un fonctionnaire de l’administration gouvernementale, et de trois membres appartenant selon le cas à diverses carrières de l’armée, du corps de la Police et de l’Inspection générale de la Police ; qu’à l’exception des peines mineures, aucune sanction disciplinaire ne peut être appliquée par l’autorité investie de ce droit sans l’avis du Conseil de discipline ; 

Que l’instruction disciplinaire poursuivie contre un fonctionnaire de l’Etat soumis au statut général appartient au commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire et au Conseil de discipline composé de deux magistrats de l’ordre judiciaire, d’un délégué du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, d’un délégué du ministre d’Etat et d’un représentant à désigner par la Chambre des Fonctionnaires et Employés publics ; qu’à l’exception des peines mineures, aucune sanction disciplinaire ne peut être appliquée sans qu’il y ait eu décision du Conseil de discipline ; que l’autorité de nomination est tenue d’appliquer la sanction disciplinaire conformément à la décision du Conseil de discipline ; 

Considérant que la disparité entre les fonctionnaires de la Force publique et les fonctionnaires de l’Etat soumis au statut général est objective, les premiers ayant pour mission d’assurer le maintien de l’ordre et de garantir la sécurité publique, tandis que les seconds doivent accomplir des tâches administratives pour assurer le fonctionnement des divers départements et administrations gouvernementaux ; 

Considérant, ainsi que cela a déjà été souligné, que la spécificité des missions à accomplir et le caractère hiérarchisé des carrières implique de la part des fonctionnaires de la Force publique une diligence toute particulière dans l’obéissance se concrétisant par des règles plus astreignantes et détaillées de leur régime disciplinaire que celles se dégageant du catalogue des devoirs intégré dans le statut général ; 

Considérant que le régime disciplinaire applicable aux fonctionnaires de la Force publique accorde toutefois à ces derniers un ensemble de garanties procédurales substantielles ; qu’ainsi le chef hiérarchique rassemble tous les éléments à charge et à décharge susceptibles d’avoir une influence sur la décision à prendre, qu’il notifie au fonctionnaire les faits qui lui sont reprochés, que le fonctionnaire peut présenter ses observations et demander un complément d’instruction, que le Conseil de discipline doit donner son avis pour l’application de peines plus graves que les peines mineures, que le Conseil de discipline peut, soit d’office, soit à la demande de l’inculpé, ordonner toutes mesures d’instruction complémentaires susceptibles d’éclairer les faits, que l’inculpé et son défenseur ont le droit de prendre connaissance du dossier dans les trois jours précédant chaque audience, que l’avis du Conseil de discipline est motivé, que la décision qui inflige une décision disciplinaire est motivée et arrêtée par écrit, et que le fonctionnaire en est informé suivant des règles de notification précises ; 

Que, finalement, le fonctionnaire de la Force publique frappé d’une peine dépassant la compétence du chef de corps peut recourir au tribunal administratif qui statue comme juge du fond et à charge d'appel devant la Cour administrative ; 

Qu’il résulte de ces considérations que la différence instituée par la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique entre la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de cette loi et celle des autres fonctionnaires de l’Etat soumis au statut général est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

D’où il suit que la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, en ce qu’elle instaure une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des membres de la Police grand-ducale, et plus particulièrement l’article 31 de la prédite loi, en ce qu’il confie l’instruction disciplinaire au supérieur hiérarchique du fonctionnaire en cause, et l’article 33 en ce qu’il prévoit l’avis consultatif du conseil de discipline, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ;  

Par ces motifs :

dit que la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, en ce qu’elle instaure une procédure disciplinaire spécifique à l’égard des membres de la Police grand-ducale, et plus particulièrement l’article 31 de la prédite loi, en ce qu’il confie l’instruction disciplinaire au supérieur hiérarchique du fonctionnaire en cause, et l’article 33 en ce qu’il prévoit l’avis consultatif du conseil de discipline, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution ; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation ; 

ordonne qu’il sera fait abstraction des nom et prénom de X lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle à la Cour administrative dont émane la saisine et qu’une copie conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président  Georges SANTER, en présence du greffier Lily WAMPACH. 

 

            Le greffier                                                                            Le président

            s. Lily WAMPACH                                                              s. Georges SANTER

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