Arrêt 101 de la Cour constitutionnelle - procédure adoption PAG

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 4 octobre 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00101 du registre ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi. 

La question a été introduite par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, deuxième chambre, suivant jugement ( numéro 27519a du rôle ) du 18 février 2013, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 20 février 2013  dans le cadre d’un litige opposant

 

1)    A,

2)    B,

3)    C,

sub 1 à 3) demeurant à L-…,

4)    D, demeurant à L-…

5)    E, demeurant à L-,

 

à 

 

l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre d'Etat, et pour autant que de besoin par son ministre de l’Intérieur et à la Grande Région, 

en présence de la commune de (...),  

 

La Cour,

 

composée de

 

Georges SANTER, président,

Georges RAVARANI,  vice-président,

Irène FOLSCHEID, conseiller,

Romain LUDOVICY, conseiller,

Carlo HEYARD, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour Constitutionnelle pour et au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par Monsieur (...), délégué du Gouvernement, les 22 mars et 25 avril 2013, ainsi que celles y déposées pour et au nom de A, B, C, D et E, par Maître Martine LAMESCH, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, le 28 mars et 2 mai 2013 ; 

ayant entendu en leurs plaidoiries les mandataires des parties concluantes à l’audience publique du 14 juin 2013 ;  

rend le présent arrêt :  

Considérant que saisi, dans le cadre de la procédure d’adoption du plan d’aménagement général révisé, ci-après le PAG, de la Commune de Walferdange, par A, B, C, D et E, ci-après les consorts A/B/C/D/E, d’un recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du 30 juillet 2010 approuvant la délibération du 15 juin 2009 du conseil communal de (...), portant adoption définitive du projet de révision du plan d’aménagement général de (...) et rejetant comme non fondée la réclamation des consorts A/B/C/D/E au sujet des fonds sis à (...) leur appartenant, le tribunal administratif a, par jugement du 18 février 2013, en ce qui concerne le tiers de la parcelle portant le numéro cadastral X , située au lieu-dit « X »,  constaté que cette partie de parcelle était classée sous l’ancien PAG en « zone d’habitation – section dense », tandis qu’elle a été reclassée dans le cadre du nouveau PAG d’une zone constructible en une zone non constructible ; 

Considérant que les consorts A/B/C/D/E ayant soulevé la question de la conformité à l’article 16 de la Constitution des dispositions légales permettant le reclassement de parcelles d’une zone constructible en une zone non constructible, le tribunal administratif a soumis à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« les articles 5 respectivement 10 et suivants de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain dans la mesure où ils permettent le reclassement de parcelles d’une zone constructible en une zone non constructible, sont-ils conformes à l’article 16 de la Constitution consacrant le droit à la propriété privée ? » ;

Considérant que puisque la procédure d’adoption du plan d’aménagement révisé a débuté le 31 janvier 2008, l’article 16 de la Constitution visé est celui introduit par la loi du 24 octobre 2007 portant révision de l’article 16 de la Constitution ;

Considérant que cet article 16 de la Constitution est rédigé dans les termes suivants : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant une juste indemnité dans les cas et de la manière établis par la loi. » ;

Considérant qu’au regard de l’exposé des faits du jugement du tribunal administratif, du libellé de la question préjudicielle et de la mise en rapport de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, intitulée « loi modifiée » depuis la loi modificative du 22 octobre 2008, ci-après la loi modifiée du 19 juillet 2004, avec l’article 16 de la Constitution, il y a lieu d’admettre que le tribunal administratif a en réalité soumis à la Cour constitutionnelle la question de savoir si la loi modifiée du 19 juillet 2004, dans la mesure où elle permet, par la modification du PAG, le reclassement sans indemnisation de terrains d’une zone constructible en terrains d’une zone non constructible, est conforme à l’article 16 de la Constitution consacrant le droit à la propriété, dès lors que ce dernier article ne permet l’expropriation que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnisation ; 

Considérant qu’il y a également lieu d’admettre que les dispositions de la loi sous contrôle de constitutionnalité visées sont en définitive les articles 5, qui définit le plan d’aménagement général, 6 et 2, qui définissent les objectifs du plan d’aménagement général, 8 («  Tout plan d’aménagement général peut être complété, modifié ou révisé…) et 22 («  Les servitudes résultant d’un plan d’aménagement général n’ouvrent droit à aucune indemnité. Toutefois une indemnité peut être accordée s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification matérielle à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain … ») de la loi modifiée du 19 juillet 2004 dans sa version originale qui, relativement aux articles énumérés ci-avant, n’a pas connu de modification jusqu’à la loi du 28 juillet 2011 ayant apporté des changements mineurs à la rédaction des articles 2 et 5 ; 

Considérant que l’article 16 de la Constitution garantit la protection du droit de propriété et prohibe l’expropriation, autrement que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnité ; 

Considérant qu’un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation ; 

Considérant qu'en posant en principe que les servitudes résultant d'un plan d'aménagement général n'ouvrent droit à aucune indemnité et qu'en prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l'utilité publique à la base de la servitude, l'article 22, en combinaison avec les articles 5, 6, 2 et 8 de la loi modifiée du 19 juillet 2004, est contraire à l'article 16 de la Constitution; 

Considérant que la contrariété de ladite disposition à la Constitution n'entrave en rien le droit des pouvoirs publics d'instaurer des servitudes d'urbanisme dans un but d'utilité publique, laissant intact le principe de la mutabilité des plans d'aménagement général et n'autorisant pas le juge administratif à sanctionner un reclassement d'un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible; 

Que les propriétaires touchés peuvent en revanche, conformément au droit commun, suivant la situation concrète du cas d'espèce, le cas échéant faire valoir devant le juge judiciaire un droit à indemnisation dépendant, notamment, de la situation du terrain, du caractère contraignant de la servitude et des projets concrets de viabilisation du terrain; 

 

Par ces motifs :

 

dit que, par rapport à la question préjudicielle posée, telle que recadrée, l'article 22, en combinaison avec les articles 5, 6, 2 et 8, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, dans la mesure où il pose en principe que les servitudes résultant d'un plan d'aménagement général n'ouvrent droit à aucune indemnité et qu'il prévoit des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l'utilité publique à la base de la servitude, est contraire à l'article 16 de la Constitution;

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de Législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des noms et prénoms des requérants au fond lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au tribunal administratif dont émane la saisine et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur Georges SANTER, président, en présence du greffier Lily WAMPACH.  

 

            Le greffier                                                                            Le président

            s. Lily WAMPACH                                                            s. Georges SANTER

 

 

Pour copie conforme

Luxembourg, le 4 octobre 2013

Le greffier de la Cour constitutionnelle,

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