Arrêt 100 de la Cour constitutionnelle - demande d'une femme enceinte au chômage, à l'octroi d'indemnités pécuniaires de maternité

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 12 juillet 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00100 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par le Conseil supérieur de la sécurité sociale suivant arrêt du 8 février 2013, (n°2013/0006), parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le 20 février 2013  dans le cadre d’un litige opposant

 

X , née le … , 

à 

la Caisse nationale de santé (CNS), établie à L-2978 Luxembourg, 125, route d’Esch, représentée par le président de son comité-directeur actuellement en fonctions et substituée de plein droit dans les droits et obligations de la Caisse de maladie des ouvriers, 

 

La Cour,

 composée de 

Georges SANTER, président,

Francis DELAPORTE,  conseiller,

Edmée CONZEMIUS, conseiller,

Monique BETZ, conseiller,

Jean-Claude WIWINIUS, conseiller, 

greffier : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle pour et au nom de X par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, les 25 mars et 3 mai 2013, ainsi que celles y déposées pour et au nom de la Caisse nationale de santé par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, les 29 mars et 2 mai 2013 ; 

ayant entendu en leurs plaidoiries les mandataires des parties au procès principal à l’audience publique du 7 juin 2013 ; 

rend le présent arrêt : 

Considérant que le Conseil supérieur de la sécurité sociale, saisi sur appel, par X d’une demande tendant, en sa qualité de femme enceinte, inscrite en tant que chômeuse à l’Administration de l’emploi,  à l’octroi des indemnités pécuniaires de maternité, a posé à la Cour constitutionnelle les  questions préjudicielles suivantes :

1)      L’article 29 point 2 de la loi modifiée du 30 juin 1976 portant 1. création d’un fonds pour l’emploi; 2. réglementation de l’octroi des indemnités de chômage complet, pris ensemble ou séparément avec l’article 25 (1) du code de la sécurité sociale, maintenant le droit à l’indemnité de chômage en cas de maternité intervenant au cours d’une période d’indemnisation de chômage tout en exigeant, pour avoir droit à l’indemnité de maternité, une même période d’affiliation obligatoire de six mois au moins au cours de l’année précédant le congé de maternité en tant qu’assurée salariée de la part des assurées en activité tout comme de la part des demanderesses d’emploi indemnisées par le Fonds de l’emploi, sans prendre en considération la période de chômage précédant immédiatement le congé de maternité, est-il conforme aux articles 10 bis, 11 (2) et au besoin 111 de notre constitution, alors que cette condition risque de priver un grand nombre de femmes enceintes de leur droit à l’indemnité de maternité et de les laisser par la suite complètement démunies et toujours sans emploi à l’expiration de leur période de chômage, qui a continué à courir pendant le congé de maternité, si l’on sait que l’Administration de l’emploi s’abstient systématiquement d’assigner les femmes enceintes à des employeurs cherchant à embaucher du personnel. 

2)      L’article 29 point 2 de la loi modifiée du 30 juin 1976 portant 1. création d’un fonds pour l’emploi; 2. réglementation de l’octroi des indemnités de chômage complet, pris ensemble ou séparément avec l’article 25 (1) du code de la sécurité sociale, maintenant le droit à l’indemnité de chômage en cas de maternité intervenant au cours d’une période d’indemnisation de chômage tout en excluant, pour des raisons d’affiliation, les demanderesses d’emploi indemnisées par le Fonds de l’emploi du bénéfice de l’indemnité de maternité au motif qu’elles ont perdu leur emploi, qu’elles touchent un revenu de remplacement de la part dudit Fonds et qu’elles ne disposent pas d’une période d’affiliation obligatoire de six mois au moins au cours de l’année précédant le congé de maternité, sans prendre en considération ni la différence de finalité entre l’indemnité de chômage et l’indemnité de maternité ni la circonstance que l’indemnisation du chômage pendant le congé de maternité est imputée intégralement sur la durée maxima de chômage qui est normalement de 12 mois (sauf prorogation dans des situations particulières), sont-ils conformes aux articles 10 bis, 11 (2) et au besoin 111 de notre constitution, alors que cette condition risque de priver un grand nombre de femmes enceintes de leur droit à l’indemnité de maternité et de les laisser par la suite complètement démunies et toujours sans emploi à l’expiration de leur période de chômage, surtout si l’on sait que l’Administration de l’emploi s’abstient systématiquement d’assigner les femmes enceintes à des employeurs cherchant à embaucher du personnel.

Considérant que l’article 29, point 2, de la loi modifiée du 30 juin 1976 (ci-après loi de 1976) portant 1. création d’un fonds pour l’emploi; 2. réglementation de l’octroi des indemnités de chômage complet, dispose : 

« En cas de maladie intervenant au cours d’une période d’indemnisation, le droit à l’indemnité de chômage complet est maintenu.

Il en est de même en cas de maternité intervenant au cours d’une période d’indemnisation » ;

Considérant que l’article 25,1, du Code des assurances sociales (actuellement Code de la sécurité sociale) énonce : « A droit à une indemnité pécuniaire de maternité, l’assurée salariée, affiliée à titre obligatoire pendant six mois au moins au titre de l’article 1er, point 1 à 5 et 7 au cours de l’année précédant le congé de maternité » ;

Considérant que le chômeur, inscrit à l’Administration de l’emploi et touchant une indemnité de chômage, est assuré conformément à l’article 1er, point 10, du Code de la sécurité sociale, comme étant une personne «  bénéficiant d’un revenu de remplacement sur lequel une retenue de cotisation au titre de la législation luxembourgeoise sur l’assurance maladie est prévue » ; 

Considérant que l’article 10bis (1) de la Constitution énonce que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ; 

Que suivant l’article 11 (2) de la Constitution  « Les femmes et les hommes sont égaux en droits et en devoirs. L’Etat veille à promouvoir activement l’élimination des entraves pouvant exister en matière d’égalité entre hommes et femmes » ; 

Que l’article 111 de la Constitution dispose que « Tout étranger qui se trouve sur le territoire du Grand-Duché, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi » ; 

Considérant que les questions préjudicielles posées au regard des trois dispositions constitutionnelles visées, tendent à comparer une assurée en activité, qui remplit les conditions de stage, respectivement une assurée non enceinte au chômage, à une assurée enceinte au chômage, qui ne remplit pas les conditions de stage et qui risque de n’avoir pas pu trouver de nouvel emploi à l’expiration du droit à l’indemnité de chômage, sans néanmoins toucher d’indemnité pécuniaire de maternité, en considération du fait que les textes de loi cités ne tiennent pas compte de la différence de finalité entre l’indemnité de chômage et l’indemnité de maternité, ni du fait que l’indemnité de chômage continue à courir malgré une indisponibilité effective pour le marché du travail ;  

Considérant que les questions posées visent l’article 29 de la loi de 1976, soit pris isolément, soit pris cumulativement avec l’article 25, 1, du Code de la sécurité sociale ; 

Considérant que le congé de maternité et l’interdiction de travail de la femme salariée enceinte sont réglementés par la loi modifiée du 1er août 2001 concernant la protection des travailleuses enceintes, accouchées et allaitantes, qui précise notamment la notion de dispense de travail et établit le cadre des prestations en espèces ; que l’indemnité pécuniaire de maternité, qui échoit en cas d’interruption de l’emploi, constitue ainsi un substitut du salaire, correspondant à l’indemnité pécuniaire de maladie, et est  pris en charge par la Caisse nationale de santé ;

Que le financement de la sécurité sociale, qui est assuré, d’une part, par les cotisations sociales prélevées sur les salaires des salariés et les cotisations versées par les employeurs et, d’autre part, par une contribution de l’État, basée principalement sur des recettes fiscales générales, implique que l’indemnité de maternité, tout comme l’indemnité de maladie, sont subordonnées à l’accomplissement d’un stage d’affiliation à titre obligatoire pendant six mois au cours des 12 mois précédant le début du congé de maternité ; 

Considérant que vu son caractère de revenu de substitution et son financement  par la Caisse nationale de santé par le biais de prélèvements sur les salaires et les impôts, l’indemnité pécuniaire de maternité ne saurait être cumulée, ni avec une indemnité pécuniaire de maladie, ni avec un autre revenu professionnel ou de remplacement, telle une indemnité de chômage, financée par la solidarité nationale ; 

Considérant que la femme au chômage qui ne remplit pas la période de stage n’est pas assurée au titre d’une assurance obligatoire contre l’éventualité de la maternité ; que les retenues de cotisation à la sécurité sociale opérées sur l’indemnité de chômage, donnent droit uniquement aux prestations en nature, notamment la prise en charge des soins de santé ; 

Considérant que l’article 25,1, du Code de la sécurité sociale, dont la conformité à la Constitution n’est pas critiquée, exclut, dès lors, de l’ouverture d’un droit  à indemnité pécuniaire de maternité, les femmes au chômage ne remplissant pas la période de stage ; 

Considérant que l’article 29 de la loi de 1976, dont la non-conformité à la Constitution est invoquée, en ce qu’il maintient depuis l’ajout fait par la loi du 27 juillet 1978 complétant la loi pré-indiquée, le droit à l’indemnité de chômage complet pendant le congé de maternité intervenant pendant une période d’indemnisation, à l’instar du congé de maladie, assure une protection supplémentaire de la femme enceinte pour  constituer une exception au principe de la condition de la disponibilité pour le marché du travail, disponibilité pourtant interrompue par le congé de maternité ; 

Considérant que les conditions d’ouverture du droit à l’indemnité pécuniaire de maternité sont prévues  à l’article 25, 1, du Code de la sécurité sociale, tandis que l’article 29 de la loi de 1976 réglemente le droit à l’indemnité de chômage ; que les deux dispositions ne sont pas comparables et ne sauraient être examinées cumulativement pour viser des situations de fait et de droit différentes; 

Considérant qu’en raison des différences d’affiliation entre une femme assurée en activité et une femme au chômage qui remplissent la période de stage et une femme enceinte au chômage qui ne la remplit pas, les situations respectives de ces assurées ne sont pas comparables ; que l’article 29 de la loi de 1976 n’est donc pas contraire à l’article 10bis ( 1)  de la Constitution ; 

Considérant que l’article 29 de la loi de 1976 n’interdit pas la recherche d’un travail pendant le congé de maternité, lequel est déterminable et à durée déterminée ;  qu’il n’est, par conséquent, pas de nature à diminuer les chances de la femme enceinte au chômage pour trouver un emploi, par rapport aux femmes non enceintes, ni, au demeurant, par rapport aux hommes au chômage ; qu’à cet égard encore, l’article 29 de la loi de 1976 n’est pas contraire à l’article 10bis (1), ni à l’article 11(2)  de la Constitution ;

Considérant que l’article 29 de la loi de 1976 ne limite pas le droit au maintien de l’indemnité de chômage aux femmes luxembourgeoises, mais est neutre dans la mesure où il ne différencie pas entre ressortissants luxembourgeois et étrangers ; que l’article 29 de la loi de 1976 n’est donc pas contraire à l’article 111 de la Constitution ;  

Par ces motifs

 

dit que, par rapport aux questions préjudicielles posées, l’article 29 de la loi du 30 juin 1976 portant 1. création d’un fonds pour l’emploi; 2. réglementation de l’octroi des indemnités de chômage complet n’est pas contraire aux articles 10bis (1), 11(2) et 111 de la Constitution ;

 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de Législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des nom et prénom de la requérante au fond lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au Conseil supérieur de la sécurité sociale dont émane la saisine et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur Georges SANTER, président, en présence du greffier Lily WAMPACH. 

 

            Le greffier                                                                            Le président

            s. Lily WAMPACH                                                              s. Georges SANTER

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