Arrêt 74 de la Cour constitutionelle - indemnités assistance judiciaire avocat à la Cour

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 11 janvier 2013 un arrêt dans l'affaire n° 00074 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par la Cour administrative suivant arrêt du 7 juin 2012, numéro 29837C du rôle, parvenue le 11 juin 2012 au greffe de la Cour dans le cadre d’un litige opposant : 

X, avocat à la Cour, demeurant à (...)  

à 

l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par son Ministre d’Etat, dont les bureaux sont établis à L-, 

 

La Cour, 

composée de 

Georges SANTER, président,

Georges RAVARANI, vice-président,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Romain LUDOVICY, conseiller,

Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,

 

greffier : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle en date du 5 juillet 2012 par Maître Luc SCHAACK, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, pour X, celles déposées en date du 13 juillet 2012 par Monsieur (...), délégué du gouvernement, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, et des conclusions additionnelles déposées par Maître Luc SCHAACK en date du 15 octobre 2012 pour X ; 

 

rend le présent arrêt : 

 

Considérant que par jugement du 9 janvier 2012, le tribunal administratif avait dit non fondé un recours en annulation dirigé par X contre une décision du ministre de la Justice qui avait rejeté, sur base de la prescription quinquennale prévue à l'article 61 de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l'État, des décomptes d’indemnités lui soumis par la requérante en 2010 pour des prestations qu’elle avait effectuées en sa qualité d’avocat à la Cour au titre de l’assistance judiciaire en 2003 et 2004 ; 

Que la Cour administrative, saisie d’un appel, après avoir retenu, à l’instar des juges de première instance, que la prescription en question était susceptible de s’appliquer en l’espèce et qu’elle était en principe accomplie du fait de la production des décomptes d’indemnités litigieux plus de 5 ans après la naissance de la créance, fixée à la date de la dernière prestation à rémunérer, a, par arrêt du 7 juin 2012, posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : 

« L'article 61 de la loi du 8 juin 1999sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l’Etat, en tant qu'il prévoit une prescription quinquennale des créances à charge de l’Etat, est-il conforme à l'article 10 bis, paragraphe 1er, de la Constitution, dans la mesure où cette disposition légale introduit un traitement discriminatoire, c’est-à-dire un délai de prescription plus court que pour les créances à charge de particuliers ?» 

Quant à la procédure.

Considérant que le mandataire de l’Etat demande à la Cour d’écarter des débats les conclusions additionnelles déposées par le mandataire de X le 15 octobre 2012 pour être tardives au regard de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle ; 

Considérant que l'article 10 de la loi du 27 juillet 1997 dispose comme suit : 

« Dans un délai de trente jours qui court à compter de la notification aux parties de la question préjudicielle, celles-ci ont le droit de déposer au greffe de la Cour des conclusions écrites ; de ce fait elles sont parties à la procédure devant la Cour Constitutionnelle.

Le greffe transmet de suite aux parties copie des conclusions qui ont été déposées. Ces parties disposent alors de trente jours à dater du jour de la notification, pour adresser au greffe des conclusions additionnelles.

Dans les trente jours qui suivent l’expiration des délais indiqués aux alinéas précédents, la Cour entend, en audience publique, le rapport du conseiller-rapporteur et les parties en leurs plaidoiries. Le délai prévu ci-avant est suspendu entre le 15 juillet et le 16 septembre de chaque année. La date de cette audience est fixée par la Cour, hors présence des parties ; elle est communiquée par courrier recommandé aux avocats, au moins quinze jours à l’avance, par le greffe de la Cour.

Les délais prévus au présent article ne donnent pas lieu à une augmentation à raison des distances.

La computation des délais se fait à partir de minuit du jour de la notification qui fait courir le délai. Le délai expire le dernier jour à minuit. Les jours fériés sont comptés dans les délais. Tout délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche, un jour férié légal ou un jour férié de rechange, est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. » ; 

Considérant que si une lecture littérale de l’alinéa trois de la disposition en question permet d’admettre a priori que seul le délai de trente jours à partir de l’expiration des délais indiqués aux alinéas premier et deux, dans lequel la Cour entend, en audience publique, le rapport du conseiller-rapporteur et les mandataires des parties en leurs plaidoiries, est suspendu entre le 15 juillet et le 16 septembre de chaque année, il se dégage cependant de la finalité de cette disposition que celle-ci vise également les délais impartis aux parties aux alinéas premier et deux pour déposer respectivement leurs conclusions et leurs conclusions additionnelles ;

Considérant qu’en l’espèce, les conclusions déposées au greffe de la Cour par le mandataire de l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG le 13 juillet 2012 ont été notifiées au mandataire de X le 17 juillet 2012, partant pendant la période de suspension des délais instituée par l’alinéa trois de l’article 10 précité ; 

Que le délai de trente jours dont disposait le mandataire de X pour adresser au greffe des conclusions additionnelles n’a donc pris cours que le premier jour suivant la fin de cette période de suspension, soit le 16 septembre 2012, premier jour de la nouvelle année judiciaire, à minuit ;

Qu’il a partant expiré le mardi 16 octobre 2012 à minuit ; 

Que les conclusions déposées au greffe de la Cour par le mandataire de X le 16 octobre 2012 ont partant été déposées dans le délai légal ;

Que le moyen de l’Etat est partant à rejeter ;

 

Quant au fond.

 

Considérant que l'article 61 de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l'État dispose : 

« Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, sans préjudice des déchéances prononcées par d'autres dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles en la matière, les créances qui, selon les modalités fixées par la loi ou le règlement, n'ont pas été produites dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l'exercice budgétaire au cours duquel elles sont nées. » 

Considérant que la question soumise à la Cour constitutionnelle vise une inégalité de traitement des débiteurs d’une obligation en ce que l’article 61 de la loi modifiée du 8 juin 1999 prévoit au profit de l’Etat débiteur un délai de prescription quinquennal qui est plus court que le délai trentenaire de droit communque peut invoquer un particulier débiteur ; 

Considérant qu’eu égard à la solution retenue par la Cour administrative, la prescription spéciale instituée au profit de l’Etat par l’article 61 de la loi précitée s’applique indistinctement à toutes les créances invoquées à l’encontre de l’Etat ; 

Considérant qu’eu égard à la multiplicité des actions tombant ainsi sous l’empire de la disposition visée, susceptibles de donner lieu à des réponses différentes à la question posée, la Cour constitutionnelle ne peut raisonnablement examiner la conformité au principe constitutionnel d’égalité de la norme incriminée qu’en ce qu’elle s’applique à la catégorie d’actions faisant l’objet du litige au fond ; 

Que la Cour administrative ayant en l’espèce décidé que la prescription quinquennale est applicable à la créance de l’avocat du chef de l’indemnité lui redue par l’Etat au titre de l’assistance judiciaire, la Cour constitutionnelle examinera la question posée uniquement sous ce rapport ; 

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée ; 

Considérant que l’Etat qui est débiteur de l’indemnité relative à l’assistance judiciaire à l’égard d’un avocat se trouve dans une situation comparable à celle d’un particulier qui doit des honoraires à son avocat ;  

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée et proportionnée à son but ; 

Considérant que l’action de l’avocat en paiement d’honoraires, à la différence de celle en paiement de ses frais et salaires visée à l’article 2273 du Code civil, est régie par la prescription trentenaire de droit commun édictée par l’article 2262 du même code ; 

Considérant que si un traitement préférentiel de l’Etat, par l’institution à son profit d’un délai de prescription plus court que le délai de droit commun, peut en principe se justifier par les contraintes administratives et budgétaires auxquelles est soumis ce débiteur de nature particulière et la nécessité de lui permettre de clôturer ses comptes dans un délai raisonnable, il n’en est cependant ainsi qu’à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits légitimes du créancier qui est de cette façon placé dans une situation nettement plus défavorable que si son débiteur était un particulier ; 

Considérant que le recouvrement, par l’avocat, de sa créance du chef de l’indemnité lui redue par l’Etat au titre de l’assistance judiciaire, ne comporte en principe aucune contrainte particulière de nature à entraver la production de la créance dans le délai imparti, l’avocat créancier ayant presté ses services dans le cadre de cette procédure spéciale qu’est l’assistance judicaire étant conscient des obligations particulières tenant à la soumission du décompte de ses prestations pour avis à l’appréciation du bâtonnier de l’ordre des avocats et à sa transmission subséquente au ministre de la Justice pour la fixation du montant de l’indemnité lui revenant, ainsi que de la prescription spéciale encourue en application du texte visé ;

Considérant qu’en soumettant cette créance à la prescription quinquennale instituée par l’article 61 de la loi modifiée du 8 juin 1999, le législateur a pris une mesure qui procède d’une disparité objective et qui est rationnellement justifiée et proportionnée à son but ; 

D’où il suit que l'article 61 de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l'État n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu’il vise la créance de l’avocat du chef de l’indemnité lui redue par l’Etat au titre de l’assistance judiciaire ; 

 

Par ces motifs :

  

dit que les conclusions additionnelles de la partie X ne sont pas à écarter pour cause de tardiveté ;

dit que l'article 61 de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l'État n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu’il vise la créance de l’avocat du chef de l’indemnité lui redue par l’Etat au titre de l’assistance judiciaire ; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des nom et prénom de X lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la Cour administrative dont émane la saisine et qu’une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur Romain LUDOVICY, conseiller, commis à ces fins, en présence du greffier Lily WAMPACH.

 

Le président,                                                                           Le greffier,

signé : Georges SANTER                                                       signé : Lily WAMPACH

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