La Cour constitutionnelle a rendu en date du 7 décembre 2012 un arrêt dans l'affaire n° 00073 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.
La question avait été introtroduite par la Cour administrative suivant arrêt du 29 mars 2012, numéro 29466C du rôle, parvenue le 3 avril 2012 au greffe de la Cour dans le cadre d’un litige opposant :
X, sans emploi, demeurant à (...)
à
la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2954, Luxembourg, 1, Place de Metz, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, sous le numéro B 30775, représentée par son Comité de direction sinon son conseil d’administration actuellement en fonctions,
La Cour,
composée de
Georges SANTER, président,
Edmée CONZEMIUS, conseiller,
Irène FOLSCHEID, conseiller,
Romain LUDOVICY, conseiller,
Jean-Claude WIWINIUS, conseiller,
greffier délégué : Guy NUSSBAUM
Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 8 mai 2012 par Maître André LUTGEN pour la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat, celles déposées le 10 mai 2012 par Maître Jean-Marie BAULER pour X, et celles déposées le 8 juin 2012 par Maître André LUTGEN pour la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat ;
rend le présent arrêt :
Considérant que le tribunal administratif, par jugement du 28 septembre 2011, statuant sur un recours en réformation et subsidiairement en annulation introduit par X contre une décision de licenciement prise à son égard par le comité de direction de la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat (ci-après BCEE), avait déclaré le recours en réformation recevable mais non fondé, et avait dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation ;
Que la Cour administrative, saisie d’un appel, a, par arrêt du 29 mars 2012, posé à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
« L’article 7.3 de la loi du 27 janvier 1972 est-il conforme à l’article 10bis de la Constitution, eu égard aux différences du régime de l’employé de l’Etat, par rapport respectivement au statut du fonctionnaire de l’Etat et au droit commun du salarié de droit privé en matière de terminaison de l’engagement pour absence prolongée ou absences répétées pour raison de santé de l’intéressé ? » ;
Considérant que l’article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat dispose :
« 1. Sans préjudice de l’application des dispositions des articles 6 et 10, le contrat à durée indéterminée devient non résiliable, sauf à titre de mesure disciplinaire, lorsqu’il est en vigueur depuis dix ans et que l’employé est âgé de trente-cinq ans au moins.
2. Le Ministre du ressort respectivement le ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique prononceront la résiliation du contrat, à titre de mesure disciplinaire, après décision conforme du conseil de discipline institué pour les fonctionnaires de l’Etat. Le conseil procédera conformément aux dispositions légales et réglementaires qui déterminent son organisation et son fonctionnement.
3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne portent pas préjudice au droit du ministre du ressort ou du ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique de résilier le contrat en cas d’absence prolongée ou absences répétées pour raison de santé de l’employé qui ne bénéficie pas encore du régime de pension des fonctionnaires de l’Etat visé à l’article 8. Cette résiliation par le ministre du ressort ne pourra être prononcée que sur avis du ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique, celle prononcée par le ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique que sur avis du ministre du ressort, et, dans les deux hypothèses, après que la Caisse de pension des employés privés, à la requête du ministre du ressort ou du ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique et suivant les modalités à déterminer par règlement grand-ducal, se sera prononcée sur l’invalidité professionnelle de l’employé au sens des dispositions légales concernant l’assurance-pension des employés privés. »
Considérant qu’aux termes de l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ;
Considérant que la question soumise à la Cour constitutionnelle met en comparaison, sous l’aspect litigieux de la terminaison de l’engagement pour absence prolongée ou absences répétées pour raison de santé, d’une part les agents qui relèvent du statut du fonctionnaire de l’Etat et ceux qui ressortissent au régime des employés de l’Etat, et, d’autre part, ces derniers et ceux qui tombent sous le droit commun du salarié de droit privé ;
Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée ;
La situation des employés de l’Etat par rapport aux salariés du secteur privé :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat, «la qualité d’employé de l’Etat est reconnue à toute personne qui remplit les conditions prévues par la présente loi et qui est engagée par l’Etat sous contrat d’employé pour une tâche complète ou partielle et à durée déterminée ou indéterminée dans les administrations et services de l’Etat » ;
Considérant que selon l’article L.121-1, alinéa 1er , du Code du travail, le contrat de louage de services et d’ouvrage visé par l’article 1779-1° du Code civil est régi, en ce qui concerne les salariés, par les dispositions du titre II du Code du travail ;
Considérant que la relation de travail existant entre, d’une part, respectivement l’employé de l’Etat et le salarié de droit privé, et, d’autre part, leur employeur, qu’il soit public ou privé, est de nature contractuelle, dès lors qu’elle s’établit par la conclusion d’un contrat de travail qui s’analyse dans les deux hypothèses comme une convention par laquelle une personne s’engage, moyennant rémunération, à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place ;
Considérant que les employés de l’Etat, qui sont tenus de se conformer aux ordres de service de leurs supérieurs, se trouvent dans le même rapport de soumission à l’autorité que les salariés tombant sous le régime de droit commun, et que sous cet aspect de dépendance nécessitant la protection légale afférente, leur situation est comparable ;
Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée et proportionnée à son but ;
Considérant que la mesure critiquée instituée par l’article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 27 janvier 1972 s’applique aux employés de l’Etat qui ne bénéficient pas encore du régime de pension des fonctionnaires de l’Etat, c’est-à-dire qui n’ont pas encore accompli vingt années de service ou atteint l’âge de cinquante-cinq ans ;
Qu’elle ne s’applique en outre qu’aux agents qui, tels X, bénéficient d’un contrat à durée indéterminée en vigueur depuis dix ans et qui sont âgés de trente-cinq ans au moins, contrat qui devient ainsi non résiliable, sauf à titre disciplinaire ;
Considérant que si le licenciement d’un salarié relevant du droit commun pour des motifs liés à son aptitude ou à sa conduite, ou fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, est soumis aux règles édictées par les articles L.124-2 ( entretien préalable), L.124-3 ( délai de préavis), L.124-5 ( motivation du licenciement ), L.124-6 et L. 124-7 ( indemnités de préavis et de départ) du Code du travail, la résiliation pour raison de santé du contrat de travail d’un employé de l’Etat de la catégorie à laquelle appartient X est également assujettie à des règles qui constituent des garanties en faveur de l’agent concerné ;
Considérant en effet que la résiliation ne pourra être prononcée, conformément à l’article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 27 janvier 1972, par le ministre du ressort que sur avis du ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique, celle prononcée par le ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique que sur avis du ministre du ressort, et, dans les deux hypothèses, après que la Caisse de pension des employés privés (aujourd’hui la Caisse nationale d’assurance pension), à la requête du ministre du ressort ou de la Fonction publique (ici le comité de direction de la BCEE) se sera prononcée sur l’invalidité professionnelle de l’employé au sens des dispositions légales concernant l’assurance-pension des employés privés ;
Considérant que conformément à l’article 30 de la loi du 24 mars 1989 sur la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat, les agents de la BCEE ont un statut public assimilé à celui des employés de l’Etat ;
Que les conditions générales du statut des agents de la BCEE sont fixées par le règlement grand-ducal modifié du 16 octobre 1993, lequel prévoit, en son article 3, que le régime de travail des agents est régi, sauf adaptation, entre autres par l’article 7 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat ;
Que les contestations résultant du contrat d’emploi, telles celles relatives à sa résiliation sont susceptibles d’un recours à double degré devant les juridictions administratives offrant les mêmes garanties d’objectivité et d’impartialité que le recours devant les juridictions du travail ;
Considérant que ce sont les nécessités du fonctionnement du service public qui constituent l’objectif premier de l’employeur public et qui expliquent que le législateur a laissé à ce dernier une certaine latitude dans l’appréciation de la durée et/ou du caractère répétitif des absences pour raison de santé, qu’il n’a pas voulu laisser aux employeurs du secteur privé pour éviter les abus que ces derniers pourraient être tentés de commettre dans un souci de rentabilité ;
Que ce sont ces considérations qui fondent la différence de régime en matière de terminaison de l’engagement pour raison de santé entre les catégories mises en comparaison, employés de l’Etat et salariés de droit privé, et qui impliquent qu’elle est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée au but ;
D’où il suit que l’article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 27 janvier 1972, en ce qu’il institue la différence de régime ci-dessus examinée, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution ;
La situation des employés de l’Etat par rapport aux fonctionnaires de l’Etat :
Considérant que les fonctionnaires, après avoir passé un examen-concours, une période de stage et des examens de promotion, se trouvent au service de l’Etat du fait d’une nomination emportant application de l’ensemble des droits et devoirs définis par le statut général des fonctionnaires de l’Etat qu’ils accomplissent un travail correspondant à une fonction déterminée au sein d’un département ou d’une administration de l’Etat et participent ainsi à l’exercice de la puissance publique ;
Considérant que les employés de l’Etat sont des agents auxquels l’employeur public doit recourir pour combler des besoins d’effectifs, et que la finalité différente de leur engagement implique l’application d’un régime moins rigoureux et plus flexible ;
Que dès lors, sous l’aspect de leur régime en général et de celui de la terminaison de leur engagement pour raison de santé en particulier, la situation des deux catégories, employés de l’Etat et fonctionnaires de l’Etat, n’est pas comparable ;
D’où il suit que sous cet aspect, l’article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 27 janvier 1972 n’est pas non plus contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution ;
Par ces motifs :
dit que par rapport à la question posée, l'article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat n'est pas contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution;
ordonne que dans les trente jours de son prononcé l'arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation;
ordonne qu’il soit fait abstraction des nom et prénom de X lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ;
ordonne que l'expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la Cour administrative dont émane la saisine et qu'une copie certifiée conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.
Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur le président Georges SANTER en présence de Monsieur Guy NUSSBAUM, greffier délégué.