Arrêt 72 de la Cour constitutionnelle - recherche de paternité naturelle

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 29 juin 2012 un arrêt dans l'affaire n° 00072 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, introduite par la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, suivant arrêt du 9 novembre 2011, numéro 35799 du rôle, parvenue le 1er février 2012 au greffe de la Cour constitutionnelle, dans le cadre d’un litige opposant : 

 

X, demeurant à L- …,

 

et

 

Y , demeurant à L- … ,

agissant en sa qualité d’administratrice légale de la personne et des biens de son enfant mineur LM, né le … ,

 

La Cour,  

composée de 

Georges SANTER, président,

Léa MOUSEL, conseillère,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseillère,

Monique BETZ, conseillère, 

 

greffière : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 29 février 2012 par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, pour Y , le 1er mars 2012 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, pour X , et le 2 mars 2012 par le Procureur général d’Etat adjoint Georges WIVENES, pour le Parquet général ; 

 

rend le présent arrêt : 

 

Considérant que dans le cadre d’une action en recherche de paternité naturelle intentée par Y, agissant en sa qualité d’administratrice légale de la personne et des biens de son enfant mineur LM, né le … , contre X, la Cour d’appel, première chambre, siégeant en matière civile, a, par arrêt du 9 novembre 2011, numéro 35799 du rôle, saisi la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante : 

« L’article 340-4 du code civil en ce qu’il prévoit que l’action en recherche de paternité doit être exercée dans les deux années qui suivent la naissance de l’enfant ou si l’action n’a pas été exercée pendant la minorité de l’enfant pendant les deux années qui suivent sa majorité, est-il compatible avec l’article 10 bis de la Constitution qui dispose que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, respectivement avec l’article 11-3 de la Constitution qui dispose que l’Etat garantit la protection de la vie privée, sauf les exceptions fixées par la loi, alors qu’aux termes de l’article 329 du code civil l’action en réclamation d’état d’enfant légitime peut être intentée par l’enfant pendant toute sa vie. » 

Considérant que l’article 329 du code civil faisant partie de la section II.-« Des preuves de la filiation légitime » du chapitre Ier.  « De la filiation légitime » du titre VII . «  De la filiation » du Livre Ier. « Des personnes » dispose : 

«  L’action en réclamation d’état ne peut être intentée que par l’enfant, par ses père et mère ou par ses héritiers.

L’enfant peut l’intenter pendant toute sa vie.

Les père et mère ne peuvent l’intenter que pendant la minorité de l’enfant.

Les héritiers ne peuvent l’intenter que lorsque l’enfant n’a pas réclamé et qu’il est décédé mineur ou dans les cinq années après sa majorité.

Les héritiers peuvent suivre cette action lorsqu’elle a été commencée par l’enfant, à moins qu’il ne s’en fût désisté formellement ou qu’il n’eût laissé périmer l’instance. » 

Que l’article 340-4 du code civil figurant dans la section III. « Des actions en recherche de paternité et de maternité » du chapitre II. «  De la filiation naturelle » du Titre VII. «  De la filiation » du Livre Ier. «  Des personnes » est de la teneur suivante : 

«  L’action doit, à peine de déchéance, être exercée dans les deux années qui suivent la naissance de l’enfant.

Si elle n’a pas été exercée pendant la minorité de l’enfant, celui-ci peut encore l’exercer pendant les deux années qui suivent sa majorité.

Dans les deux cas prévus ci-dessus, le titulaire de l’action peut être relevé de la déchéance encourue lorsqu’il y a eu impossibilité matérielle ou morale d’agir endéans les délais prévus. » 

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dispose : 

«  Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ». 

Considérant que la question préjudicielle porte sur la différence de régime entre filiation naturelle et filiation légitime au regard du délai dont dispose, d’une part, l’enfant né hors mariage pour introduire son action en recherche de paternité naturelle et, d’autre part, l’enfant  qui a un titre de naissance non conforme à la possession d’état, pour introduire son action en réclamation d’état d’enfant légitime, et sur la compatibilité d’une telle différence  respectivement avec le principe d’égalité et avec le droit à la protection de la vie privée ; 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

Considérant que l’enfant qui cherche à établir sa filiation naturelle et l’enfant qui cherche à établir sa filiation légitime, se trouvent tous les deux dans une situation comparable en ce qu’ils cherchent à faire constater leur véritable état ; 

Considérant que le législateur a institué une différence objective en limitant, d’une part, le délai d’introduction de l’action de l’enfant en recherche de la paternité naturelle à deux ans après sa naissance , sinon à deux ans après sa majorité, et en édictant, d’autre part, que le délai d’introduction de l’action en réclamation d’état d’enfant légitime est imprescriptible dans le chef de l’enfant ; 

Considérant que dans l’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 13 avril 1979 portant réforme du droit de la filiation, il est dit dans le commentaire de l’article 329 du code civil «  qu’il est inadmissible de priver un individu du droit de faire constater son état par le simple écoulement du délai » ; 

que  dans son avis du 27 avril 1976, le Conseil d’Etat donne à considérer qu’il « s’agit d’assurer à chaque enfant sa filiation véritable et d’instaurer l’égalité entre enfants, quelle que soit leur origine. » ; 

Considérant, dès lors, que la différence de régime instituée entre les articles 329 et 340-4 du code civil quant au délai d’introduction des actions y respectivement réglées n’est pas rationnellement justifiée ni adéquate ni proportionnée au but de la loi ; 

D’où il suit que l’article 340-4, combiné à l’article 329 du code civil n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dans la mesure où il limite le délai d’introduction de l’action de l’enfant qui tend à établir la paternité naturelle à deux ans à partir de sa naissance, sinon à deux ans à partir de sa majorité ;

Considérant que le principe d’égalité, au regard des situations comparables en cause, commande d’aligner le délai prévu à l’article 340-4. du code civil, régissant l’action en recherche de la paternité naturelle sur celui prévu à l’article 329 du code civil édictant l’imprescribilité de l’action en réclamation d’état d’enfant légitime dans le chef de l’enfant, ceci au vu de l’objectif du législateur d’éliminer «  les discriminations existantes entre les différentes catégories de filiation » ; 

Attendu qu’au regard de la réponse donnée quant à la conformité de l’article 340-4 du code civil avec l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, il n’y a plus lieu d’examiner sa conformité avec l’article 11, paragraphe 3, de la Constitution ; 

PAR CES MOTIFS 

dit que l’article 340-4. du code civil n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dans la mesure où il enferme dans un délai de deux ans, à partir de la naissance de l’enfant, sinon à partir de sa majorité, l’action en recherche de paternité naturelle ; 

dit qu’il y a lieu d’aligner le délai d’introduction prévu à l’article 340-4 du code civil à celui prévu à l’article 329 du code civil et édictant l’imprescribilité de l’action de l’enfant ; 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, recueil de législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des noms et prénoms des parties lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ;

 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la première chambre de la Cour d’appel et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction ; 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame Léa MOUSEL, conseillère, commise à ces fins, en présence de la greffière Lily WAMPACH. 

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