N° 29400 du rôle
Inscrit le 19 octobre 2011
Audience publique du 7 novembre 2011
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Recours formé par Monsieur ... et Madame ..., …
en présence de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette
en matière d'élections communales
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 29400 et déposée le 19 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif par Monsieur ... et Madame ..., demeurant à L- … , ayant pour objet « un recours contre l’élection qui a eu lieu dans la Commune d’Esch-sur-Alzette en date du 9 octobre 2011 » ;
Vu la communication de la requête introductive d'instance par le greffe du tribunal administratif à l'administration communale d’Esch-sur-Alzette par lettre recommandée;
Vu le mémoire en réponse déposé le 25 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg au nom de l’administration communale d’Esch-sur-Alzette;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé le 26 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Karim SOREL, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg à l’audience du 7 novembre 2011 au nom Monsieur ... et de Madame ... ;
Vu les pièces versées et notamment le résultat des élections du 9 octobre 2011;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karim SOREL, Maître Steve Helminger et Monsieur le délégué du gouvernement Guy Schleder entendus en leurs plaidoiries respectives.
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Par requête déposée le 19 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif, Monsieur ... et Madame ..., demeurant à L-…, ont demandé « de voir déclarer nulles les opérations d'élection communale du 09 octobre 2011 à Esch-sur Alzette avec telles conséquences que de droit » en exposant ce qui suit :
« 1) Selon l'article 192 de la loi électorale, pour être éligible, il faut « 3° avoir sa résidence habituelle dans la commune, c'est à dire y habiter d'ordinaire; cette condition doit être remplie depuis six mois au moins lors du dépôt de la candidature. »
Force est de constater que deux listes ont été présidées par des personnes qui ont peut-être leur « domicile légal » dans la Ville d'Esch-sur-Alzette, mais qui n'y habitent certainement pas « d'ordinaire », à savoir :
M. ..., tête de liste de la liste « ... » ( demeurant à … ) et M. ..., tête de liste de l'....
Aucune de ces deux personnes n'a remplie la condition d'éligibilité. Cependant leurs listes respectives furent admises par le Président du bureau électoral. Force est de constater que ces personnes ont recueilli respectivement 897 et 657 suffrages et leurs listes respectives, grâce à leurs candidatures, respectivement 2,30 % et 3,85 % = 6,15 % des voix !
Or ce pourcentage est de nature à influer de façon déterminante sur la distribution des sièges (même si leurs listes respectives ne se sont pas vu attribuer de siège(s) !
Si ces personnes non-éligibles légalement n'auraient pas figuré sur leurs listes respectives, l'intégralité du vote aurait entraîné une autre distribution des sièges. Il y a partant lieu de déclarer nulle l'élection en question.
2) S'ajoute à ce fait que l'élection a été précédée par la publication d'un sondage interdit par la loi électorale.
En effet RTL et Luxemburger Wort ont publié en dehors de la période légalement admissible un « Politmonitor » sur lequel apparaissaient – entre autres – des candidats aux élections communales à Esch-sur-Alzette. Le Parquet de Luxembourg a ouvert une enquête à ce sujet. Il est indéniable que de tels sondages influent sur l'opinion publique, sans que le degré d'influence ne puisse être mesuré. Toujours est-il que cette publication illégale a certainement eu un effet déterminant sur le résultat des élections. »
En vertu de l'article 277, alinéa 2 de la loi électorale modifiée du 18 février 2003, ci-après « la loi électorale », le greffe du tribunal administratif a donné avis du recours, par lettre recommandée, à l'administration communale concernée qui a informé les candidats et le public par les voies ordinaires.
Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, a déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 octobre 2011 un mémoire en réponse pour compte de l’administration communale d’Esch-sur-Alzette, ci-après qualifiée de « partie intervenante » qui a demandé au tribunal « de déclarer le recours introductif d'instance irrecevable, sinon non fondé, de condamner chacune des parties requérantes à payer à l'administration communale une indemnité de procédure de 500.-€ sur base de l'article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ainsi que de condamner les parties requérantes à tous les frais et dépens de l'instance. »
Le délégué du gouvernement a déposé au greffe du tribunal administratif un mémoire en réponse en date du 26 octobre 2011 dans lequel il soulève l’irrecevabilité du recours introduit par les requérants pour tardiveté.
En ordre subsidiaire, il demande à ce que le recours soit déclaré mal fondé alors que les demandeurs resteraient en défaut d’établir un élément concret et réel de nature à affecter les élections communales du 9 octobre 2011.
Quant à la recevabilité du recours introduit
L’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoit que: « Tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif, dénommé ci-après « tribunal », est formé par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats.
La requête, qui porte date, contient:
- les noms, prénoms et domicile du requérant,
- la désignation de la décision contre laquelle le recours est dirigé,
- l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués,
- l’objet de la demande, et
- le relevé des pièces dont le requérant entend se servir. »
Sur question soulevée d’office par le tribunal, les demandeurs ont fait exposer que leur requête aurait été valablement introduite.
La partie intervenante a fait valoir que l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée aurait un caractère général et que seule la loi, par une disposition expresse peut y déroger.
En vertu de l’article 2 § 1 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat :
« Les avocats seuls peuvent assister ou représenter les parties, postuler et plaider pour elles devant les juridictions de quelque nature qu’elles soient, recevoir leurs pièces et titres afin de les présenter aux juges, faire et signer les actes nécessaires pour la régularité de la procédure et mettre l’affaire en état de recevoir jugement.
Les dispositions de l’alinéa qui précèdent ne font pas obstacle à l’application de dispositions spéciales et à la faculté :
- …
- des justiciables d'agir par eux-mêmes ou de se faire représenter ou assister par un avocat inscrit à la liste II des tableaux dressés annuellement par les conseils des ordres des avocats, expert-comptable ou un réviseur d'entreprises, dûment autorisés à exercer leur profession, devant le tribunal administratif appelé à connaître d'un recours en matière de contributions directes.
- …. »
En vertu du § 2 de ce même article : « Toutes les dispositions légales ou réglementaires prévoyant la dispense du ministère d'avocat devant la Cour administrative et le tribunal administratif sont abrogées. »
Dans le contentieux administratif, l'analyse de l'instance n'est pas focalisée sur les personnes à l'instance, mais sur l'acte administratif par rapport auquel nécessairement une personne, physique ou morale, introduit un recours, lui-même conditionné notamment par l'intérêt à agir dudit recourant. (CA 13-2-07 N° 22241C du rôle)
L'intérêt conditionne la recevabilité d'un recours contentieux. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l'intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif. (CA 14-7-09 N° 23857C et 23871C du rôle)
L’article 276 de la loi électorale prévoit que « Tout électeur peut introduire auprès du Tribunal administratif un recours contre l’élection qui a eu lieu dans sa commune. Le recours doit être introduit sous peine de forclusion dans les cinq jours de la date de la proclamation du résultat. »
Les termes utilisés par cet article n’instaurent nullement une procédure dérogatoire à la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives en se limitant à cerner le cadre des personnes (en l’espèce « tout électeur ») qui peuvent introduire un recours contre des élections ayant eu lieu dans une commune tout en présumant dans ce contexte leur intérêt personnel et légitime.
Pour autant que le législateur ait voulu dispenser un réclamant de se faire représenter par un avocat à la Cour, il aurait certainement utilisé le libellé figurant à l’article 57 de la loi modifiée du 21 juin 1999 pré-mentionnée stipulant, à titre de dispositions spécifiques en matière fiscale, que « la requête introductive d’instance signée par le requérant ou son mandataire contient en outre….. »
Le Conseil d’Etat, dans un avis émis dans le cadre de la modification de la loi électorale de 2003 par une loi du 19 décembre 2008, et attribuant compétence aux juridictions administratives au niveau des contestations émises dans le cadre du contentieux relatif aux inscriptions sur les listes électorales, a notamment dégagé ce qui suit :
« Si la procédure devant le juge de paix devait être adaptée sur certains points, une telle réforme pourrait facilement être opérée dans le cadre du texte actuel. Si, malgré les interrogations du Conseil d’Etat, les auteurs du projet de loi maintenaient l’option d’une modification des compétences, le Conseil d’Etat voudrait formuler les considérations suivantes sur le système prévu. Le Conseil d’Etat suggère l’introduction d’une procédure par requête signée par le requérant, à l’instar de ce qui est prévu en matière fiscale. Toujours dans la même logique, le Conseil d’Etat préconise le recours à un mécanisme similaire à celui prévu par le Titre III de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, à savoir le renvoi au droit commun de la procédure administrative contentieuse « sauf les exceptions prévues ». Ces exceptions porteraient notamment sur l’observation de délais plus courts. Cette démarche présenterait encore l’avantage de s’inscrire dans le respect de la cohérence de la procédure et permettrait de faire l’économie de toute une série d’articles qui constituent la reprise plus ou moins littérale des articles correspondants de la loi du 21 juin 1999. »
Il est de jurisprudence constante qu’hormis les affaires en matière de contributions directes, la représentation par un avocat à la Cour est « une condition essentielle de la procédure contentieuse, toute insuffisance y relative constituant un vice entachant la requête introductive d’instance et entraînant l’irrecevabilité du recours » [TA 10-2-99 (10933); TA 24-11-99 (11521); TA 22-12-99 (11675); TA 6-4-2000 (11882); TA 4-10-2000 (11980); TA 13-6-01 (13077); TA 13-5-03 (16042); TA 14-7-04 (17658); TA 29-11-04 (18476); TA 14-11-05 (20114)]. L’intervention du représentant après le dépôt de la requête est impuissante à remédier au vice initial [TA 6-1-99 (10357 et 10844, confirmé par arrêt du 14-10-99, 11126C)].
Le recours introduit en date du 19 octobre 2011 est partant à déclarer irrecevable. La demande principale étant irrecevable, la demande de la partie intervenante doit subir le même sort. Eu égard à la décision d'irrecevabilité à intervenir, la demande en allocation d'une indemnité de procédure est à abjuger.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement,
déclare le recours et l’intervention irrecevables,
déboute la partie intervenante de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure,
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 7 novembre 2011 par:
M. Feyereisen, président,
Mme Gindt, juge,
M. Nourissier, juge
en présence de M. Schmit, greffier.