Arrêt 66 de la Cour constitutionnelle - amélioration des pensions du régime contributif

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 3 juin 2011 un arrêt dans l'affaire n° 00066 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par le Conseil supérieur des assurances sociales suivant arrêt No. 2010/0223 du 15 décembre 2010, numéro du registre PESU 2010/0059, parvenue le 23 décembre 2010 au greffe de la Cour dans le cadre d’un litige opposant : 

 

X, née le … , 

et  

la Caisse nationale d’assurance pension, établie à Luxembourg, représentée par le président de son comité-directeur actuellement en fonction,

 

La Cour, 

composée de 

Marie-Paule ENGEL, présidente,

Georges RAVARANI, vice-président,

Léa MOUSEL, conseillère,

Georges SANTER, conseiller,

Irène FOLSCHEID, conseillère

 

greffière : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué ; 

 

rend le présent arrêt : 

 

Considérant que, saisi en instance d’appel d’un recours de X contre un jugement du Conseil arbitral des assurances sociales qui avait confirmé une décision du comité-directeur de la Caisse nationale d’assurance pension du 25 juin 2009 ayant rejeté sa demande en obtention d’une pension de survie du chef de son ex-époux A introduite le 1er décembre 2008, le Conseil supérieur des assurances sociales a, par arrêt du 15 décembre 2010, déféré à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : 

«  l’article XVIII, 17) de la loi modifiée du 27 juillet 1987 concernant l’assurance pension en cas de vieillesse, d’invalidité ou de survie, introduit par la loi du 24 avril 1991, article IV, 4, ayant pour objet l’amélioration des pensions du régime contributif, est-il conforme à l’article 10 bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu’il refuse, par dérogation à l’article 197 du code de la sécurité sociale, toute pension de survie aux conjoints survivants divorcés qui n’ont pas contracté un nouvel engagement par mariage ou partenariat avant le décès de l’époux assuré, 

1-     si les époux furent divorcés avant le 1er août 1978 et

2-     si le divorce a été prononcé aux torts exclusifs des conjoints survivants ou même aux torts réciproques des époux, et

3-     si l’assuré s’est remarié avant cette date ou tant que son décès donne lieu à des prestations ; » 

Considérant que les faits à la base du recours de X se présentent comme suit : 

X avait contracté mariage avec A le 29 mai 1952 et ce mariage fut dissous le 22 mars 1973 par un jugement de divorce prononcé aux torts réciproques des époux ; 

X n’avait pas contracté de nouveau mariage suite à son divorce ; 

A s’était remarié le 10 mars 1978, et suite à son décès, sa seconde épouse bénéficie d’une pension de survie ; 

Considérant que l’article 197, paragraphe 1er, du Code de la sécurité sociale dispose :

« En cas de divorce, le conjoint divorcé, …, a droit, sans préjudice des conditions prévues aux articles 195 et 196, lors du décès de son conjoint divorcé…, à une pension de survie, à condition de ne pas avoir contracté un nouvel engagement par mariage … avant le décès de son conjoint divorcé… » ; 

Que le point 17 de l’article XVIII de la loi modifiée du 27 juillet 1987 concernant l’assurance pension en cas de vieillesse, d’invalidité ou de survie, tel qu’introduit par la loi du 24 avril 1991 ayant pour objet l’amélioration des pensions du régime contributif, est de la teneur suivante :

«  Par dérogation à l’article 197 du Code des assurances sociales, les conjoints divorcés avant le 1er août 1978 à leurs torts exclusifs ou aux torts réciproques des époux n’ont pas droit à la pension de survie, si l’assuré s’est remarié avant cette date ou tant que son décès donne encore lieu à des prestations. …» 

Que l’article 10 bis, paragraphe 1er, de la Constitution énonce :« Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ; 

Considérant que l’article 197, paragraphe 1er, du Code des assurances sociales (actuellement Code de la sécurité sociale) reprend les mesures de la loi du 27 juillet 1978 portant modification des dispositions concernant les droits à pension de la femme divorcée dans les différents régimes de pension contributifs ; 

Considérant que ces mesures tendaient à changer fondamentalement la philosophie des dispositions du Code des assurances sociales et des lois organiques des autres régimes de pension contributifs, en faisant disparaître toute notion de torts en matière de droit à pension de la femme mariée dans la législation sociale, toute femme divorcée, pour quelque raison que ce soit et quels que soient ses torts, ayant désormais droit à une pension en cas de décès de son ex-mari, à condition qu’elle n’ait pas contracté elle-même un nouveau mariage (v.exposé des motifs, doc.parl.2144) ; 

Considérant que dans le but de ne pas léser éventuellement les intérêts légitimes de la femme qui a épousé un homme divorcé avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, mais qui, sur la base de la législation en vigueur au moment du divorce, était certaine de ne pas se retrouver en concours avec la femme divorcée pour l’attribution de la pension de veuve (v. avis complémentaire du Conseil d’Etat, doc. parl. 2144 3), la loi du 27 juillet 1978 comprenait au titre des dispositions additionnelles et transitoires, un article 8 libellé comme suit : 

«  La présente loi entrera en vigueur le premier du mois qui suit sa publication au Mémorial.

Les nouvelles dispositions sont applicables aux divorces prononcés après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ainsi qu’aux divorces prononcés avant cette date, à moins que le décès de l’assuré n’ait déjà donné lieu à des prestations et à condition qu’un remariage n’ait pas eu lieu avant l’entrée en vigueur. » 

Considérant que l’article XVIII, point 17, tel qu’introduit par la susdite loi du 24 avril 1991, s’inscrit dans la suite de l’article 8 de la loi du 27 juillet 1978, en ce qu’il veille à sauvegarder les droits du conjoint ayant épousé avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 1978 un assuré dont le premier mariage avait été dissous par le divorce prononcé à son profit ou aux torts réciproques des époux, et qui avait une expectative de bénéficier de l’intégralité de la pension de survie (v. amendements gouvernementaux, doc.parl. 34473) ; 

Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle de l’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure critiquée ; 

Considérant que l’article XVIII, point 17, en question a pour effet que les conjoints dont le divorce a été prononcé aux torts exclusifs ou aux torts réciproques des époux avant le 1er août 1978, n’ont pas droit à la pension de survie du chef de l’ex-conjoint assuré qui s’est remarié avant cette date, tandis que tous les autres conjoints divorcés aux torts exclusifs ou aux torts réciproques bénéficient d’une pension de survie, conformément à l’article 197 du Code de la sécurité sociale, en concours avec le ou les autres nouveaux conjoints, proportionnellement à la durée de la vie commune passée avec le conjoint décédé ; 

Considérant que la situation des deux catégories visées de conjoints divorcés est comparable en ce que le divorce a été prononcé dans chacun des cas à leurs torts exclusifs ou aux torts réciproques des époux ; 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à la condition que la disparité existant entre elles soit objective, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

Considérant que la distinction opérée par l’article XVIII, point 17, de la loi modifiée du 27 juillet 1987 consiste en ce que l’ex-époux qui est l’assuré du chef duquel la pension de survie est demandée par le conjoint survivant divorcé, s’est remarié soit avant soit après le 1er août 1978 ; 

Considérant qu’il existe entre les deux situations prédécrites une différence objective en ce que le traitement différent, à savoir l’octroi ou non de la pension de survie au conjoint survivant divorcé à ses torts exclusifs ou aux torts réciproques des époux est fonction de ce que le divorce a été prononcé avant ou après l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 1978, soit le 1er août 1978 ; 

Considérant que cette distinction n’est pas rationnellement justifiée dans la mesure où elle a pour effet de priver, uniquement en raison de la date du divorce, un conjoint divorcé d’une pension de survie du chef de son ex-conjoint prédécédé, le but de la mesure introduite par la loi du 27 juillet 1978 ( actuel article 197 du Code de la sécurité sociale) ayant été de faire disparaître la prise en considération de la faute retenue dans le cadre du divorce dans la fixation des droits du conjoint divorcé survivant à une pension de survie dans le cadre des régimes contributifs de pension ; 

Qu’il suit de ces considérations que l’article XVIII, point 17, de la loi modifiée du 27 juillet 1987 concernant l’assurance pension en cas de vieillesse, d’invalidité ou de survie, introduit par la loi du 24 avril 1991, article IV, 4, ayant pour objet l’amélioration des pensions du régime contributif, en ce qu’il refuse, par dérogation à l’article 197 du Code de la sécurité sociale, toute pension de survie aux conjoints survivants divorcés qui n’ont pas contracté un nouvel engagement par mariage ou partenariat avant le décès de l’époux assuré, 

1.- si les époux furent divorcés avant le 1er août 1978 et

2.- si le divorce a été prononcé aux torts exclusifs des conjoints survivants ou même aux torts réciproques des époux, et

3.- si l’assuré s’est remarié avant cette date ou tant que son décès donne lieu à des prestations  

est contraire à l’article 10 bis, paragraphe 1er, de la Constitution. 

 

P a r  c e s  m o t i f s : 

 

dit que l’article XVIII, point 17, de la loi modifiée du 27 juillet 1987 concernant l’assurance pension en cas de vieillesse, d’invalidité ou de survie, introduit par la loi du 24 avril 1991, article IV, 4, ayant pour objet l’amélioration des pensions du régime contributif, en ce qu’il refuse, par dérogation à l’article 197 du code de la sécurité sociale, toute pension de survie aux conjoints survivants divorcés qui n’ont pas contracté un nouvel engagement par mariage ou partenariat avant le décès de l’époux assuré, 

1.- si les époux furent divorcés avant le 1er août 1978 et

2.- si le divorce a été prononcé aux torts exclusifs des conjoints survivants ou même aux torts réciproques des époux, et

3.- si l’assuré s’est remarié avant cette date ou tant que son décès donne lieu à des prestations  

est contraire à l’article 10 bis, paragraphe 1er,  de la Constitution ; 

ordonne que dans les 30 jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, recueil de législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des nom et prénom de X et A lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe du Conseil supérieur des assurances sociales et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Madame Marie-Paule ENGEL, présidente, en présence de Madame Lily WAMPACH, greffière.

 

La présidente,                                                                           La greffière,

signé : Marie-Paule ENGEL                                                     signé : Lily WAMPACH

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