Arrêt 67 de la Cour constitutionnelle - pourvoi en cassation partie civile

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 20 mai 2011 un arrêt dans l'affaire n° 00067 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par la Cour de cassation suivant arrêt du 13 janvier 2011, n° 1/2011 pénal, n° 2798 du registre, parvenue au greffe de la Cour constitutionnelle le lendemain, dans le cadre d'un litige opposant :

 

A, 

à  

X,  Y, et Z,

en présence du 

ministère public

La Cour,

 

composée de

 

Georges RAVARANI, vice-président,

Edmond GERARD, conseiller,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Edmée CONZEMIUS, conseillère, et

Irène FOLSCHEID, conseillère

 

greffière: Lily WAMPACH

 

Sur le rapport du magistrat délégué et les conclusions déposées au greffe de la Cour par Maître Roland ASSA, pour A, par Maître Gaston VOGEL, pour Y et par le Procureur général adjoint Georges WIVENES, 

ayant entendu les mandataires des parties au procès principal en leurs plaidoiries à l'audience du 6 avril 2011, 

 

rend le présent arrêt:

 

            Considérant qu'il se dégage d'un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2011 que par arrêt du 12 janvier 2010, la Cour d'appel, cinquième chambre, siégeant en matière d'appel correctionnel, réformant le jugement rendu en première instance, acquitta X, Y et Z, cités directs par A, des différentes préventions libellées à leur charge, se déclara incompétente pour connaître de la demande en dommages et intérêts du demandeur au civil A et, pour autant que de besoin, déchargea les cités directs de la condamnation au paiement des dommages et intérêts prononcés par le tribunal correctionnel; 

Que A s'étant pourvu en cassation contre cet arrêt, tant les défendeurs en cassation que le ministère public conclurent à l'irrecevabilité du pourvoi, en application de l'article 412 du code d'instruction criminelle, qui dispose que "dans aucun cas la partie civile ne peut poursuivre l'annulation d'une décision d'acquittement; mais si la décision a prononcé contre elle des condamnations civiles supérieures à celles demandées par la partie acquittée, cette disposition de la décision peut être annulée sur la demande de la partie civile", étant précisé que dans le cas d'espèce, aucune condamnation civile n'avait été prononcée à l'encontre de la partie civile; 

Que le demandeur en cassation ayant fait valoir devant la Cour de cassation, d'une part, que l'article 412 du code d'instruction criminelle ne s'applique qu'en matière criminelle, et, d'autre part, que l'interprétation donnée par les défendeurs en cassation et par le ministère public à ce texte crée deux discriminations non justifiées et en tant que telles prohibées par la disposition de l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, la première étant constituée par la circonstance que si la victime saisit une juridiction pénale en vue de la réparation de son préjudice, son accès à un contrôle supérieur de la légalité de la décision qui lui fait grief est plus restreint que si elle porte sa demande devant une juridiction civile, et la seconde en ce que la recevabilité de son pourvoi est plus restreinte que celle des prévenus et du ministère public, la Cour de cassation retint que l'article 412 du code d'instruction criminelle ne fait aucune distinction entre les décisions rendues en matière criminelle et celles rendues en matière correctionnelle et de police et saisit la Cour constitutionnelle des questions préjudicielles suivantes:

« En ce qu'il prohibe le pourvoi de la partie civile contre une décision d'acquittement sauf si la décision a prononcé contre elle des condamnations civiles supérieures à celles demandées par la partie acquittée, l'article 412 du Code d'instruction criminelle:- est-il contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu'il restreint l'accès de la victime au contrôle supérieur de la légalité en fonction de la nature de la juridiction, pénale ou civile, devant laquelle son action en indemnisation est portée ?

- est-il contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu'il fait dépendre la recevabilité de la voie de recours extraordinaire de la cassation de la qualité de partie à l'instance ?» 

Quant à la première question:           

Considérant que l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dispose que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi; 

            Considérant qu'une inégalité contraire à la disposition en question ne se conçoit qu'au cas où deux ou plusieurs catégories de personnes sont, par rapport à une situation donnée, chacune soumise à un régime juridique différent; 

            Que tel n'est pas le cas lorsqu'une même personne a le choix de se soumettre à deux régimes différents engendrant cependant pour elle des droits et obligations différents; 

            Considérant que la victime d'une infraction dispose du libre choix de porter son action en réparation du préjudice qui en est la conséquence, soit devant le juge pénal, de manière accessoire à l'action publique, soit à titre principal devant le juge civil; 

            Que les droits et obligations distincts qui découlent pour elle du libre choix de l'une ou l'autre voie procédurale pour obtenir satisfaction ne sont pas de nature à créer une inégalité devant la loi; 

            Qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de répondre par la négative à la première question relative à la contrariété à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution de l'article 412 du code d'instruction criminelle, tel qu'interprété par la jurisprudence, en ce qu'il restreint l'accès de la victime au contrôle supérieur de la légalité en fonction de la nature de la juridiction, pénale ou civile, devant laquelle son action en indemnisation est portée; 

Quant à la seconde question: 

Considérant que la seconde question est à comprendre dans le sens de la conformité de l'article 412 du code d'instruction criminelle à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce que, tel qu'interprété par la jurisprudence, il fait dépendre la recevabilité de la voie de recours extraordinaire de la cassation de la qualité particulière de chacune des parties devant le juge pénal; 

            Considérant que la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d'égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable au regard de la mesure alléguée; 

Considérant que par rapport à la question préjudicielle posée, le critère de comparabilité est celui du traitement des différentes parties à un procès pénal dans la mesure où elles font valoir des droits identiques ou similaires; 

Que la situation de la partie civile dans un procès pénal est comparable avec celle du prévenu, au regard de la demande civile, dans la mesure où la première agit en qualité de créancière d'un droit dont le second est le recherché débiteur et que les deux parties sont ainsi unies dans un même lien d'instance concernant la demande civile; 

            Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l'égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à la condition que la disparité existant entre elles soit objective, qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but; 

Considérant que suivant les textes en vigueur et l'interprétation qu'en donnent les tribunaux, le prévenu qui, accessoirement à une sanction pénale, a été condamné à une réparation civile, peut se pourvoir en cassation non seulement en ce qui concerne la sanction pénale, mais également en ce qui concerne la condamnation civile; 

Qu'ainsi, une des parties au procès, dispose, pour la même contestation, d'une voie de recours dont l'autre ne bénéficie pas; 

Que le caractère accessoire à l'action publique de l'action civile n'est pas de nature à justifier rationnellement cette disparité, étant donné, d'une part, que l'article 412 du code d'instruction criminelle prévoit lui-même la possibilité pour la partie civile, à des conditions exceptionnelles il est vrai, de former un pourvoi en cassation contre une condamnation civile alors même que le prévenu a été acquitté, et, d'autre part, que l'article 202 du code d'instruction criminelle permet à la partie civile de relever appel, quant aux intérêts civils, d'un jugement correctionnel, alors même que le prévenu a été acquitté; 

Qu'il suit des considérations qui précèdent que la limitation du droit de se pourvoir en cassation contre une condamnation civile au seul condamné au pénal, sans que pour les intérêts civils, la partie civile dispose d'un droit identique, n'est pas rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but; 

Qu’ainsi ladite disposition se heurte à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution;

 

Par ces motifs,

 

dit qu'ence qu'il prohibe le pourvoi de la partie civile contre une décision d'acquittement sauf si la décision a prononcé contre elle des condamnations civiles supérieures à celles demandées par la partie acquittée, l'article 412 du Code d'instruction criminelle n'est pas contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu'il restreint l'accès de la victime au contrôle supérieur de la légalité en fonction de la nature de la juridiction, pénale ou civile, devant laquelle son action en indemnisation est portée, 

dit qu'en revanche, cette disposition est contraire à l'article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution en ce qu'elle fait dépendre la recevabilité de la voie de recours extraordinaire de la cassation de la qualité de la partie à l'instance, 

ordonne que dans les trente jours de son prononcé l'arrêt soit publié au Mémorial, Recueil de législation, 

ordonne qu'il soit fait abstraction des noms et prénoms des parties lors de la publication de l'arrêt au Mémorial, 

ordonne que l'expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la Cour de cassation dont émane la saisine et qu'une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction.

 

Prononcé en audience publique par le vice-président de la Cour constitutionnelle, en présence de la greffière de la Cour constitutionnelle, date qu'en tête.

 

            Le vice-président,                                                               La greffière,

           

            (s.) Georges RAVARANI                                                   (s.) Lily WAMPACH

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