Arrêt 61 de la Cour constitutionnelle - action en contestation filiation légitime

La Cour constitutionnelle a rendu en date du 25 mars 2011 un arrêt dans l'affaire n° 00061 du registre, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle conformément à l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle. Seul la décision publiée conformément à la loi au Mémorial A fera foi.

La question avait été introtroduite par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, première chambre, siégeant en matière civile, suivant jugement du 30 juin 2010, numéros 124373 et 124475 du rôle, parvenue le 18 octobre 2010 au greffe de la Cour dans le cadre d’un litige opposant :

 

X, (...), 

et 

1.      A, (...),

2.      B, (...), 

 

La Cour, 

composée de  

Georges RAVARANI, vice-président,

Léa MOUSEL, conseillère,

Georges SANTER, conseiller,

Francis DELAPORTE, conseiller,

Edmée CONZEMIUS, conseillère,

 

greffière : Lily WAMPACH 

 

Sur le rapport du magistrat délégué et sur les conclusions déposées au greffe de la Cour constitutionnelle le 24 novembre 2010 par le Procureur général d'Etat adjoint Georges WIVENES ;  

 

rend le présent arrêt : 

 

Vu le jugement no 200/2010 du 30 juin 2010 par lequel la première chambre du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, a saisi la Cour constitutionnelle, à titre préjudiciel, de la question suivante : 

« l’article 322-1 du code civil en ce qu’il prévoit qu’une personne se prétendant être le véritable parent d’un enfant doit former l’action en contestation pendant toute la minorité de l’enfant, est-il compatible avec l’article 10 bis de la Constitution qui dispose que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, alors qu’aux termes de l’article 339 du code civil, l’action de la personne se prétendant être le véritable parent est imprescriptible, à moins que, dans ce cas, l’enfant n’ait une possession d’état continue et conforme de plus de dix ans » ; 

Considérant que l'article 322-1 du code civil énonce en son alinéa 1er que « tout intéressé peut par tous les moyens, contester la filiation légitime résultant d’un acte de naissance non corroboré par la possession d’état … », et en son alinéa 3 que  « l’action visée à l’alinéa premier peut être intentée par l’enfant pendant toute sa vie. Elle peut l’être par ceux qui se prétendent ses parents véritables pendant la minorité de l’enfant… » ; 

que l’article 339 du code civil énonce en son alinéa 1er que « tout intéressé peut, par tous les moyens, contester la filiation naturelle résultant d’un acte de naissance, d’une reconnaissance ou de la possession continue de l’état d’enfant naturel » et en son alinéa 3 que « le droit de l’enfant de contester la reconnaissance est imprescriptible; il en est de même pour ceux qui se prétendent les parents véritables, à moins que, dans ce cas, l’enfant n’ait une possession d’état continue et conforme de plus de dix ans» ; 

Considérant que l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dispose: « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ; 

Considérant que la question préjudicielle posée porte sur la différence de régime entre filiation naturelle et filiation légitime, au regard du délai dont dispose la personne qui prétend être le parent véritable de l’enfant pour introduire son action en contestation d’état, et sur la compatibilité d’une telle différence avec le principe d’égalité ; 

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l'égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but ; 

Considérant que les situations respectivement visées par les articles 322-1, alinéa 3, et 339, alinéa 3, du code civil sont comparables en ce que la filiation apparente que cherchent à combattre ceux qui se prétendent les parents véritables, dans le premier cas, n'est pas corroborée par la possession d'état, et, dans le second cas, est accompagnée d'une possession d'état inférieure à dix ans, non consolidée et dès lors sans effet juridique ; 

Considérant que le législateur a institué une différence objective en limitant le délai d'introduction de l’action du parent qui conteste la filiation d'un enfant légitime résultant d'un acte de naissance non corroboré par la possession d'état, à la période de la minorité de l’enfant, alors que l’action du parent qui conteste la filiation de l'enfant né hors mariage, non consolidée par une possession d'état continue et conforme de plus dix ans, est imprescriptible; 

Considérant que les articles 322-1 et 339 du code civil, dans leur teneur actuelle, ont été introduits audit code par une loi du 13 avril 1979 ; 

Considérant que l’objectif du législateur de 1979 était « une réforme d’ensemble du titre de la filiation dans le but de faire disparaître les discriminations existantes entre les différentes catégories de filiations et de faire prédominer, dans toute la mesure du possible, la vérité biologique dans l’établissement de la filiation …» (v. exposé des motifs, doc. parl. n° 2020) ;

Considérant que l’intérêt du véritable parent et l’intérêt de l’enfant se rejoignent pour voir renverser la filiation apparente et reconnaître la réalité biologique ; 

Considérant dès lors que la différence des délais d'action n’est pas rationnellement justifiée ni adéquate ni proportionnée au but de la loi ; 

D’où il suit que l’article 322-1, alinéa 3, combiné à l’article 339, alinéa 3, du code civil, n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution dans la mesure où il limite le délai d’introduction de l’action de la personne qui se prétend le véritable parent et qui conteste la filiation de l’enfant né pendant le mariage de sa mère et n’ayant pas de possession d’état à l’égard du mari de celle-ci, à la période de la minorité de l’enfant ; 

Considérant que le principe d'égalité, au regard des situations analogues en cause, commande d'aligner le délai d'action prévu à l'article 322-1, alinéa 3, du code civil, qui vise un enfant légitime sans possession d'état, sur celui prévu à l'article 339, alinéa 3, du même code qui édicte l'imprescriptibilité de l'action de celui qui se prétend le parent véritable et qui conteste une filiation naturelle résultant d'un acte de naissance, d'une reconnaissance ou d'une possession d'état continue et conforme inférieure à dix ans, ceci au vu de l’objectif du législateur consistant dans la recherche de la vérité biologique ; 

 

P a r  c e s  m o t i f s : 

 

dit que l’article 322-1, alinéa 3, du code civil n’est pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, dans la mesure où il limite à la période de la minorité de l'enfant, l’action en contestation de la filiation légitime résultant d’un acte de naissance non corroboré par la possession d’état exercée par ceux qui prétendent être les parents véritables de l'enfant ; 

ordonne que dans les 30 jours de son prononcé l’arrêt soit publié au Mémorial, recueil de législation ; 

ordonne qu’il soit fait abstraction des nom et prénom des parties lors de la publication de l’arrêt au Mémorial ; 

ordonne que l’expédition du présent arrêt soit envoyée par le greffe de la Cour constitutionnelle au greffe de la première chambre du tribunal d’arrondissement de Luxembourg et qu’une copie conforme soit envoyée aux parties en cause devant cette juridiction. 

Lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par Monsieur Georges RAVARANI, vice-président, en présence de Madame Lily WAMPACH, greffière.

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